[30 novembre 1790.] 129 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. villes mêmes, la voix reconnaissante du peuple ! dont vous avez fait cesser l'oppression, continuera de se faire entendre pour vous soutenir jusqu’à la fin de vos travaux. Ce n’était ni des hommes puissants, ni des grands de la terre, ni même des hommes de son siècle, que Rousseau attendait de la reconnaissance. Il appelait de l'ingratitude de ses contemporains, de l’injustice de la génération présente, au jugement de la postérité. Ce jugement, Messieurs, je vous invite à le prononcer vous-mêmes. Les événements de plusieurs siècles se sont pressés dans le cours d’une seule année; vous avez devancé les temps : je vois déjà se dissiper sur le cercueil de J. -J. Rousseau, les nuages que ses ennemis avaient élevés pour ternir l’éclat de sa gloire. La pierre qui couvre sa cendre a du moins étouffé les injustes clameurs qui l’ont suivi jusque dans son tombeau. Le monument religieux qui renferme tout ce qui nous reste de lui, est sans cesse baigné des larmes que son souvenir fait répandre aux âmes sensibles. Il est placé dans un grand temple, dans celui de la nature, sous la voûte du ciel. Tandis que le nom méprisable de ses détracteurs est, dès à présent, condamné à uu éternel oubli, l'immortalité s’est emparée des ouvrages de Jean-Jacques, elle les a marqués de son sceau, elle les garde pour les siècles à venir. C’est à vous, Messieurs, c’est à cette époque mémorable de notre régénération, qu’il appartient de leur assigner, dans les fastes de l’esprit humain, la place honorable qui leur est due. Plus heureux que nous, ceux qui nous succéderont n’auront ni les mêmes obstacles à surmonter, ni les mêmes passions qui les divisent. Que dans leurs importantes délibérations, l’image de J. -J. Rousseau soit sans� cesse sous leurs yeux; réunis dans uu seul et même intérêt, celui de trouver la vérité, tous la chercheront de concert et de bonne loi. Alors Rousseau sera leur guide : ils marcheront sûrement, éclairés par le flambeau de son génie, et la devise qu’il s’était choisie, Vilain impendere vero, gravée par les mains de la reconnaissance sur le piédestal �de sa statue, en leur rappelant quel est l’usage qu’ils doivent faire de la confiance qui remit les destinées de la naliou dans leurs mains, leur montrera le but qu’ils doivent s’efforcer d’atteindre. Eu attendant, Messieurs, la justice que je réclame pour J. -J. Rousseau, sa veuve est dans l’indigence. D’après ces considérations, j’ai l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant. C’est l’appel de J.-J. Rousseau lui-même, à la postérité, que je porte devant vous. (1) PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, considérant que Jean-Jacques Rousseau a été décrété de prise de corps par le parlement de Paris; que, par jugement de ce même tribunal, le livre d’Emile a été condamné et brûlé en place de Grève par la main du bourreau, sans respect pour les Etats de Hollande, dont il portait le privilège : voulant manifester à toute l’Europe son improbation de cet acte d’intolérance qui blesse à la foi le respect des droits mutuels de l’homme vivant en société, et les égards qui sont dus à une puissance voisine ; voulant, de plus, rendre un hommage solennel à la mémoire de J.-J. Rousseau, montrer la haute estime qu’elle a conçue pour ses écrits, expier le jugement qui les a condamnés, et enfin lui donner un témoignage de la reconnaissance que lui doit la nation française, a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. Il sera élevé, à l’auteur du Contrai social , une statue portant cette inscription : La nation française libre, à J.-J. Rousseau. Cette statue sera placée dans la salle des séances de l’Assemblée nationale : sur le piédestal sera gravé la devise, Vilain impendere vero. Art. 2. Un exemplaire d’Émile, offert à l’Assemblée nationale par l’auteur de la motion est accepté par elle, et sera déposé dans ses archives. ASSEMRLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. ALEXANDRE DE LAMETII. Séance du mardi 30 novembre 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. Poulain de Boutaneonrt, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. M. Arthur Blllon, député de la Martinique . La partie du décret rendu hier qui concerne les instructions que le roi donnera à celui à qui Sa Majesté confiera le gouvernement des îles du Vent paraît contenir la demande de la destitution de M. Damas, ce qui me paraît infiniment injuste. Cet officier rempli de zèle, et depuis longtemps respecté dans les colonies, avau été malade et n’avait pu prévenir les troubles qui avaient commencé avant son arrivée. L’Assemblée ne doit donc rien décider qui soit à sa défaveur; s’il est coupable, il faut qu’il soit jugé par une haute cour nationale. Je demande que la rédaction, du décret soit changée. M. Barnavc. Le comité des colonies s’est occupé à chercher les expressions les moins condamnantes pour exprimer le désir que le gouvernement de la colonie fût confié à un autre officier qu’à M. Damas, puisqu’il est à la tête d’un parti et par conséquent peu propre à concilier tous les esprits. Quant à la demande d’un jugement, j’observe que le gouvernement des colonies est une commission que le roi donne ou qu’il retire à volonté; mais je persiste à dire que je ne vois aucune condamnation dans les expressions du comité. M. CasieSlaaet, député de Marseille. Si j’eusse eu hier les preuves qu’un courrier exlraordinaire de Marseille vient de m’apporter, je vous aurais dénoncé M. Damas comme traître à la nation et parjure à son serment. J’aurais présenté à l’appui de ma dénonciation la lettre qui a été trouvée dans les papiers d’un homme qui avait la confiance de M. Damas; elle est du gouverneur anglais de bile de la Dominique. M. Damas lui avait demandé des troupes pour seconder ses affreux desseins; et ce généreux ennemi, je me trompe, ce généreux ami de la nation française, refusait (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 9 (1) Voyez sa lettre à l’archevêque de Paris. lre Série. T. XXi.