270 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE tille, les destructeurs du trône et du despotisme, ne deviendront les artisans de l’anarchie, et les sectateurs des brigands et des hommes de sang ; jamais les hommes du 14 juillet et du 10 août ne deviendront les complices des conspirateurs du 9 thermidor. Votre comité m’a chargé de vous communiquer le rapports et les faits, non par la crainte que les hommes coupables, qui en sont l’objet, puissent désormais égarer l’opinion publique, mais pour faire connoître aux généreux habi-tans de Paris et du fauxbourg Antoine, quels sont ces hommes qui, jusqu’à présent, ont parlé de liberté, d’égalité et de patrie, et qui ne veulent de liberté que celle qu’ils donnoient eux-mêmes, d’égalité, qu’en usurpant tous les pouvoirs, et de patrie, que dans ceux qui, par complicité ou par crainte, ou par erreur, étoient associés à leurs projets ambitieux et parta-geoient leur tyrannie. Nous avons cru encore qu’il étoit utile de vous faire connoître ces faits, pour vous donner une preuve de la surveillance active de vos comités de gouvernement, et pour avertir les coupables eux-mêmes, que, sans cesse, votre comité de sûreté générale a les yeux ouverts sur eux; qu’il est à leur suite; qu’il tient leur signalement; qu’il connoît, ceux qui, dans différentes boutiques, ont demander à acheter vint mille douzaines de bonnets rouges pour organiser leur ralliement, et qui enlèvent chez les armuriers les pistolets à tout prix [et des sabres] (124). Oui, la police du gouvernement marche sans cesse avec eux; elle boit, elle mange à la même table; elle est dans tous les lieux publics, dans tous les cafés, dans les spectacles; et dans tous les rassemblements; elle veille la nuit avec eux; et si le crime pouvait dormir, votre police serait encore à côté d’eux pendant leur sommeil ; et elle n’abandonnera la tâche pénible que vous lui avez imposée, qu’ après avoir rempli votre confiance, celle de la France entière, et après avoir assuré la tranquillité publique, en déjouant les complots des factieux et en les faisant arrêter : et j’annonce à la Convention que ceux qui sont désignés dans le rapport sont, dans ce moment, sous la main de la loi. (125) [et je vous annonce que Trouville et Tissot, deux des chefs de ce mouvement, doivent être arrêtés dans cet instant.] (126) (On applaudit vivement.) Plusieurs membres prennent successivement la parole et font diverses observations sur l’état actuel des circonstances et en particulier sur quelques objets d’approvisionnement dont on semble laisser manquer en ce moment la commune de Paris (127). TALLIEN obtient la parole, et dit (128) : (124) Rép., n° 56. (125) Bull., 26 brum. (126) Moniteur, XXII, 507-508. (127) P.-V., XLIX, 225. (128) Moniteur, XXII, 507. Débats, 783, 784. Ce rapport nous fait connoître quels sont les projets des hommes qui, en se réunissant aux débris des factions, crurent pouvoir parvenir à égarer cette portion intéressante du peuple, qui fut toujours l’amie des lois et de la Convention. Je pourrais ajouter quelques détails à ce qui vient vous être dit, car je demeure dans ce quartier. On est venu me rapporter qu’on avoit tout fait pour tromper les braves citoyens du faux-bourg Antoine ; mais ils ont répondu : ce n’est pas avec les hommes qui viennent crier dans notre société que nous avons renversé la Bastille, et que nous avons fait le 10 août; nous ne les connoissons pas. Ils étoient indignés des propos qu’on leur avoit tenus. Il est d’autres moyens qu’on emploie pour égarer le peuple, l’un des principaux est cette disette factice des objets de première nécessité, du charbon surtout qu’on ne distribue plus qu’en un seul lieu. J’en ignore la raison. Tandis que nous éprouvons cette disette, on assure que le canal de Briare, et tous les lieux cir-convoisins, regorgent d’approvisionnemens dont nous ne voyons pas la moindre partie. Il semble qu’on veuille à tout prix exciter des mouvemens, car on va jusqu’à intervertir l’ordre que le peuple a établi lui-même à ces distributions, ordre qu’il ne conserve qu’en passant les nuits ; et il est arrivé ce matin, que pour avoir voulu le déranger, il s’est fait sentir quelques secousses assez violentes. Je l’ai dit, et je le répète, il y a eu dans l’administration des subsistances de Paris, la plus grande malveillance. ( Applaudissemens .) Je ne doute pas qu’on ait eu projet d’affamer Paris, et celui des hommes dont les complots sont découverts aujourd’hui, est de retarder les arrivages pour occasionner du trouble. (Applaudissemens.) Je ne doute pas que les comités de gouvernements n’aient pris des mesures pour l’empêcher; mais ce n’est pas assez : il faut qu’ils fassent paroître devant eux les administrateurs des subsistances ; qu’ils leur demandent pourquoi ils ont laissé dans les ports une infinité d’objets de la première nécessité, qu’on est obligé de jeter à la mer. (Applaudissemens.) Il faut que les comités se fassent rendre compte ; et je ne dis pas ceci pour exciter l’opinion publique, mais pour qu’on fasse diminuer les besoins du peuple. Il faut que les comités se fassent rendre compte des approvisionnemens amoncelés dans les édifices publics de Paris : la ci-devant église de Saint-Sulpice, par exemple, où l’on assure que l’huile ruissèle; il faut qu’on sache pourquoi cette huile n’a pas été distribuée; pourquoi, tandis que les négocians de Paris et des départemens vont demander à la commission des Approvisionnemens, des réquisitions particulières pour alimenter leur commune ; pourquoi, dis-je, on les leur refuse, tandis que, comme j’en ai la preuve, on en donne à un homme qui n’a jamais été commerçant, et qui va dans les ports acheter une quantité considérable de cacao a vingt sols la livre, pour le revendre ensuite dix-huit francs. (On murmure.) SÉANCE DU 25 BRUMAIRE AN III (SAMEDI 15 NOVEMBRE 1794) - N° 51 271 Il faut protéger le commerce, mais pour cela il faut repousser ces intermédiaires qui se glissent entre le marchand en gros et le débitant; il faut empêcher que ces hommes aillent avec des réquisitions données par la faveur, leur ôter les moyens de pourvoir aux besoins du peuple à des prix modérés. (Applaudissemens .) Occupez-vous du peuple, et ne croyez pas que quelques hommes parviendront à l’égarer; ne croyez pas que les habitans des fauxbourgs marcheront à leur voix contre vous; non, c’est toujours autour de la Convention qu’ils se rallieront. ( Vifs applaudissemens.) Moi, je vous réponds que le peuple qui vit dans les ateliers, dans les manufactures, chérit la Convention, et c’est là le vrai peuple, celui qui travaille et non pas ces misérables qui vivent à ne rien faire, si ce n’est du mal. ( Vifs applaudissemens.) Le vrai citoyen est celui qui travaille pour nourrir sa femme et ses enfans, celui qui sait s’imposer des privations, celui qui, lorsqu’il n’a pas de lumière pour achever sa journée, dit : nos représentans veillent pour moi, ils m’en procureront demain. Les bonnes citoyennes sont ces femmes respectables qui restent chez elles (vifs applaudissemens) à soigner leur ménage, élever leurs enfans. (Les applaudissemens redoublent.) et non pas, comme on l’a dit un de nos collègues, ces furies de guillotine qu’on voyoit toujours dans les tribunes des Jacobins, ne sachant rien, ne connoissant rien, applaudissant à tort et à travers, à tout ce qui étoit bon et mauvais, pourvu que cela sortit de la bouche qu’on leur avoit désignée. (Applaudissemens .) Ce ne sont pas de pareilles gens qui forment l’opinion du peuple; mais bien ces bons citoyens qui ont envoyé leurs enfans aux frontières, dont le coeur et la fortune sont à la patrie, qui ne font que des voeux pour elle, qui ne désirent rien tant que de la voir prospérer. (Applaudissemens.) Non, agitateurs, qui que vous soyez, vous ne ferez point d’insurrection, (Applaudissemens.) il n’y en aura que contre les fripons. (Nouveaux applaudissemens . ) Avoir parlé de ces hommes, c’est avoir déjoué leurs complots, laissons-les se trainer dans la boue; le mépris public les couvre, et ils feront tant que bientôt les vertueux habitans du faux-bourg Antoine leur diront : Vous venez pour déhonorer le lieu où la liberté a pris naissance, mais nos piques qui ont servi dans toutes les occasions remarquables, nos piques sont encore là : elles nous serviront à faire un rempart contre vous à la Convention, à la liberté, à l’égalité. (Vifs applaudissemens.) Ce n’est point assez d’avoir envoyé dans les ports des représentans du peuple pour faire venir les marchandises nécessaires aux besoins de la vie ; il faut je le répète, que les comités de gouvernement sachent pourquoi il n’y a point à Paris d’approvisionnemens de bois et de charbon; il faut qu’ils prennent des mesures pour faire punir les coupables. Munissez cette citadelle de la révolution, donnez au peuple tout ce dont il a besoin, et vous verrez que bientôt on saura faire la différence du gouvernement de la Convention d’avec celui des Jacobins (Applaudissemens) REUBELL : C’est au comité de Salut public à vous dire comment il a trouvé les magasins au 9 thermidor; j’ai tout lieu de croire qu’ils étoient vides. Je veux seulement vous instruire d’un fait. On avoit dit au comité de Sûreté générale qu’un grand nombre de marchandises dépé-rissoient dans ces magasins, et que l’on nageoit dans l’huile. Goupilleau [de Montaigu] et moi nous nous y sommes rendus par ordre du comité. Nous n’avons pas trouvé du tout de fromage gâté dans l’édifice des Quatre-Nations, où l’on prétendoit qu’il y en avoit; on nous a dit qu’il avoit été distribué. Nous y avons vu du fromage de Hollande, du riz, etc. nouvellement arrivés. Nous n’avons trouvé à Saint-Sulpice que de l’huile de poisson, nous avons remarqué qu’il en couloit un peu sur le carreau ; mais les marchands épiciers qui nous accompagnoient nous dirent que cela arrivoit d’ordinaire, parce que les tonnes suintoient toujours. Ils nous firent même observer que cela devoit être plus sensible là qu’ailleurs, parce que l’édifice étant carrelé, l’huile ne pouvoit pénétrer dans la terre. Nous avons ordonné qu’on commençât par distribuer les tonnes qui suintoient le plus. Un membre [CAMBACÉRÈS] pense qu’il seroit inutile et peut-être dangereux d’en parler plus longtemps à la tribune; les comités se sont occupés activement des moyens de remédier à ces besoins momentanés et sauront répondre à la confiance de la Convention et du peuple français (129). CAMBACÉRÈS : Puisque la Convention arrête son attention sur la partie essentielle des subsistances, il est de mon devoir de lui dire que le comité de Salut public s’occupe activement et continuellement de cet objet; mais il faut que la Convention et le peuple n’oublient pas qu’il est infiniment délicat et qu’il est même dangereux d’en parler. C’est une des parties de l’administration publique, qui demande une grande vigilance jointe au secret. Les hommes que la Convention a chargés de sa confiance, ont besoin de s’entourer de toutes les lumières possibles, et si l’on n’a pas pu mettre dans cette partie du service public, toute la célérité nécessaire, il faut l’attribuer à la gravité des circonstances, et aux fausses mesures qui ont pu être prises antérieurement. Trois d’entre nous sont chargés spécialement de cet objet, nous nous en occupons continuellement, et il ne se passe pas une séance du comité de Salut public sans qu’on en parle : enfin j’assure la Convention et le peuple qu’il a été pris des mesures pour réparer les erreurs qui ont pu être faites, et donner à cette partie toute l’activité dont elle a besoin ; mais il faut que la Convention et les bons citoyens réchauffent le (129) P.-V., XLIX, 225. 272 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE zèle des comités en rendant justice à leur civisme et à leur bonne volonté. ( Applaudisse - mens.) (130) La Convention passe à l’ordre du jour (131). La Convention en conséquence passe à l’ordre du jour sur tous ces objets (132). La séance est levée à cinq heures (133). Signé, LEGENDRE (de Paris), président; THIRION, GUIMBERTEAU, GOUJON, DUVAL (de l’Aube), MERLINO, secrétaires. En vertu de la loi du 7 floréal, l’an troisième de la République française une et indivisible. Signé, BALMAIN, J.-J. SERRES, GUILLEMARDET, C.A.A. BLAD, secrétaires (134). AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 52 [Les membres du directoire du district de Pithi-viers [Loiret] à la Convention nationale, le six brumaire an III.] (135) Nous maire et officiers municipaux et agens nationnalle de la commune de Pithiviers certifions que le présent ( illisible ) adressé aux citoyens du comité militaire de la Convention nationale contien vérité et que laditte veuve Thibault réclamant a une extrême besoins de son fils pour regler ses affaires des biens de famille et succession, que ressentent faute de sa présence. Laditte veuve Thibault le réclâme pour deux mois seulement, et laditte citoyenne étant âgé de cinquante-cinq ans ne sachant ni lire ni écrire, et quelle a toujours agi dans le sens de la Révolution. En foy de quoy nous lui avons délivré le présent certificat pour servir et valoir ce que de raison, faite à la chambre commune dudit Echilleuse séance tenante ce six brumaire an 3e de la République une et indivisible et imppérissable. (130) Moniteur, XXII, 508. Résumés des interventions dans Débats, n° 783, 784; Rép., n° 56; J. Mont., n° 32; J. Paris, n° 56; F. de la Rêpubl., n° 56; Mess. Soir, n° 820; C. Eg., n° 819; J. Perlet, n° 783; J. Fr., n° 781 et 782; Ann. Patr., n° 684 ; Gazette Fr., n° 1049 ; Ann. R.F., n° 56. (131) Débats, n° 783, 784, mention. Débats, n° 784, 791- 795 ; Moniteur, XXII, 507-508 ; F. de la Républ., n° 56 ; Mes s. Soir, n° 820; C. Eg., n° 819; J. Perlet, n° 783. (132) P. V., XLIX, 226. (133) P. V., XLIX, 226. Moniteur, XXII, 514, indique dix heures. (134) P.-V., XLIX, 226. (135) C 326, 1418, p. 10. Dulille, maire; Guillard, Lours, F. Courtois ; Dujoui, officiers municipaux ; Girard, agent national. Va pour nous membres du directoire du district de Pithiviers, le sept brumaire de Tan trois de la République une et indivisible. Suivent 5 signatures. Vu au Comité Révolutionnaire du district de Pithiviers le sept brumaire l’an trois de la République une et indivisible. Suivent 4 signatures. [Pétition à la Convention nationale, Echilleuses [Loiret], s.d.] (136) La veuve Jean-Baptiste Thibault, fermière âgée de cinquante-cinq ans, ne sachant ni lire ni écrire, restée seule pour diriger une culture et deux charrues, regler les affaires et son exploitation, et suivre celles d’une succession ouvertes depuis cinq ans, reclame de votre justice et de votre humanité (pour deux ou trois mois seulement) Jean-Baptiste Thibault, son fils unique, soldat dans le deuxième bataillon de la 28ème demi-brigade, 2ème compagnie au Fort de la Liberté à Cherbourg, Departement de la Manche. Elle attend avec confiance que sa demande sera favorablement accueillie : elle continuera (illisible) le succès de la République. 53 [La citoyenne veuve Chaurans aux citoyens membres du comité de Législation, s.d.] (137) Citoyens La citoyenne veuve M. Chaurans vous expose que n’ayant jamais quitté Paris depuis la Révolution non plus que ses enfants mineurs dont elle est tutrice, se trouve portée sur la dernière liste d’émigrés dans le département de la Creuse, et le séquestre apposé sur les biens de son fils dans se département; il y a près de deux ans lorsque les certificats de résidence a deux témoins furent changés en ceux à neuf témoins, le département de la Creuse sans prévenir la citoyenne M. Chaurans que ces nouveaux annullaient les anciens fit mettre les scellés sur mie petite possession de son fils, et aussitôt qu’elle eut justifié de sa résidence par des certificats a 9 témoins, le scellé fut levé : il y a 6 mois des administrateurs de département de la Creuse revinrent sur cet arrêté, prétendirent que l’écriture des signatures du jeune citoyen Chaurans n’étaient pas pareille, ce qui est très possible puisqu’à 15 ans l’écriture peut (136) C 326, 1418, p. 11. (137) C 326, 1418, p. 34.