360 [Assemblée nations.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juillet 1790.] ports de joie, et prononcé de concert le serment fédératif du Ghamp-de-Mars. Adresses des assemblées administratives du district d’Àngouiême, de celui d’Amboise, qui implorent les premiers moments de leur existence, et celui qui fait le pacte fédératif de tous les Français, pour assurer à l’Assemblée nationale que les fonctions qui leur sont confiées n’ont pour eux de prix que parce qu’ils vont coopérer à l’établissement d’une Constitution qui fait l’étonnement et l’admiration de i’Europe, et va rendre à sa vraie dignité et an bonheur le meilleur des peuples. Adresse de la commune de la ville de Tours, qui joint le procès-verbal de la cérémonie du 14 juillet, du serment prêté surl’autelde la patrie, et des réjouissances qui ont eu lieu en ce jour immortél. Adresses des officiers municipaux de la ville de Tours, qui supplient l’Assemblée nationale de faire remettre aux municipalités les bibliothèques des établissements ecclésiastiques et religieux sous inventaire, à l’effet de les faire contribuer au développement des lumières de leurs concitoyens. Adresse d’un sieur François Hébert, (ils du malheureux maire de Saint-Denis, victime de la funeste journée du 2 août en cette ville, lequel expose que cet événement, la destruction des péages et celle de la place de directeur du domaine de Saint-Cyr, réduisant sa femme, ses enfants et lui à la misère, il implore les secours et la bienfaisance de la nation. Adresse de la municipalité d’Auch, qui a tocs les actes d’adhésion pour elle, déjà adressée à l’Assemblée, à celle des assemblées primaires des quartiers de Saint-Pierre Caillau, de Joui de la Traille et Cour de Ville, en joint une nouvelle à l’occasion du pacte fédératif du 14 juillet. Adresse des ofticiers de l’état-major de la garde nationale du Temple, qui exposent qu’ils avaient demandé au ministre de la guerre le congé absolu du sieur Masson, ancien militaire, dont l’expérience, le courage et les talents le leur rendent nécessaire pour les former au service; que le ministre leur avait accordé ce congé, en fournissant une somme de 200 livres pour le remplacement dudit sieur Masson, condition qu’ils ont sur-le-champ offert de remplir; mais que des calomnies ayant trompé la religion du colonel du régiment de Champagne, et, par ce dernier, celle du ministre, ils éprouvent actuellement un refus qu’ils supplient l’Assemblée nationale de vaincre, en faisant connaître au ministre la vérité. Adresse du gardien des ci-devant capucins de la rue Saint-Honoré, et des sieurs Antoine, Louis, Pierre le Houy, dit en religion Frère Anaclet, secrétaire et archiviste de la maison, qui demandent, comme une grâce, la permission de continuer la célébration des saints mystères dans leur église, sans émolument, et pour le seul bonheur d’être utile à la religion et à l’Etal, jusqu’à ce que la destination de ce temple soit définitivement déterminée par la nation et ses représentants. Adresse de la commune de Javarda, qui rend compte de la cérémonie auguste du pacte fédératif et du serment civique qui ont eu lieu dans leurs murs le 14 juillet, joignent leur adhésion à tous les décrets et manifestent le vœu de conserver leur pasteur aux vertus et au patriotisme duquel ils rendent l’hommage le plus flatteur. M. ïe Président. L’ordre du jour appelle la discussion de l'affaire de Montauban. M. liavie. Vous avez décidé que vous entendriez à la barre la municipalité et la garde nationale de Montauban. Je demande que MM. de la garde nationale soient présents au discours de la municipalité, afin qu’ils puissent y répondre. M. de Blontlosier. Je demande que la discussion ne puisse être fermée sans qu’on ait entendu deux orateurs pour et contre. (Les officiers municipaux et les gardes nationales de Montauban paraissent à la barre.) M. le Président accorde d’abord la parole aux officiers municipaux. M. liade, procureur de la commune de Montauban, prononce le discours suivant (1) : Messieurs, les tristes circonstances qui nous amènent devant vous n’altèrent point la joie que nous fait éprouver la vue de nos augustes législateurs, la présence des pères de la patrie. Vous avez daigné nous accorder, Messieurs, l’accès de ce sanctuaire ; ce premier acte de justice nous présage celle que nous obtiendrons dans le fond de la cause. Et quel est le motif qui nous a fait désirer l’approche de ce grand et suprême tribunal? quel espoir a pu nous y attirer? c’est sans doute là le premier problème à résoudre. Nous n’avons pu compter sur les ressources que fournit le talent. Un homme qui n’est jamais sorti du fond de sa province, surpris et peut-être troublé par la nouveauté du spectacle, par l’éclat imposant de tout ce qui l’environne, à peine remis d’une fatigue qui a excédé ses forces peu exercées aux déplacements et aux voyages; qui ne se retrouve pas lui-même au milieu de cette multitude d’objets qui le frappent et i’étonnent, et qui, plus difficilement encore, peut se familiariser à l’idée d’accusation que sa conscience et son honneur repoussent: cet homme a besoin de toutes les facultés de son âme, pour soutenir sa constance ; et il lui en reste bien peu pour son apologie ; cet homme réclamerait au moins le temps et la réflexion pour préparer sa défense, et le second jour après celui où il obtient la parole, l’appelle à en faire usage. Que signifieraient, au surplus, ici tous les moyens empruntés de fart du discours et du raisonnement? Tous les talents que je ne possède pas, me seraient inutiles, et s’anéantiraient devant une assemblée qui déploie chaque jour tout ce que l’éloquence et le géuie ont de plus rare et de plus éminent. Ce n’est sûrement pas de l’opinion qui nous a précédés, que nous pouvons tirer notre confiance. Elle s’est signalée contre nous ; elle est ardente, elle est répandue, elle domine, et je n’ai pas même droit de l’inculper. Non, Messieurs, je ne me plains pas de cette opinion ; quelque contraire qu’elle puisse être, elle tient à des causes que j’honore; elle est excusable, même dans ses excès. On nous a peints dans tout le royaume comme des ennemis de la Révolution, à laquelle nous nous sommes pourtant voués par les serments, à laquelle nous avons attaché notre existence et notre destinée, en acceptant les places qui nous ont été déférées. Ceux qui nous ont jugés rebelles à la Constitution, n’ont pas été à portée d’entendre les discours (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire de ce discours. 361 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 juillet 1790.) prononces par M. le maire et moi devant la commune assemblée, le jour de notre solennelle installation. Pose dire qu’ils respirent le plus pur patriotisme, l’enthousiasme même pour le nouvel ordre de choses, et ces discours sont communs à la municipalité qui les adopta, qui en ht l’adresse à l'Assemblée nationale, et dont sans doute le souvenir lui a été rappelé dans le rapport de l’affaire actuelle. Telle fut mon entrée dans Ja carrière municipale : je ne parlerai pas de la profession que je viens de renouveler et que l’impression a rendue publique; elle a été entendue le 14 de ce mois à la fédération générale, qui a eu lieu à Montauban, avec toute la pompe et l’appareil dont cette ville est capable, et qui a présenté l’unanimité de vœux la plus parfaite, et les transports de la joie la plus vive et la plus pure. Je plains ceux de mes concitoyens qui ont refusé d’en être les témoins, qui se sont dérobés aux plus douces et aux plus tendres invitations, consignées dans une proclamation du 10 de ce mois.' Je reviens à l’impression fatale qu’a produit le reproche de lutter contre Ja Révolution. Ah! s’il était fondé, nous mériterions la haine de tous les Français, et j’applaudis à ceux qui, ne pouvant nous connaître et nous justifier, nous voient avec indignation. Ce n’est pas encore ici le moment de nous disculper; mais je préviens que l’imputation n’a été accompagnée d’aucune preuve, que les preuves contraires s’élèvent de toutes parts, et que tout annonce qu’elle n’a été mise en œuvre que comme l’arme la plus sûre de la haine et de la vengeance. Cette prévention encore qui nous condamne. a pris sa source dans le fanatisme de religion qui nous est attribué. Je n’ai qu’un mot à répondre ici, et ce mot est puisé dans l’écrit le plus violent qui ait été lancé contre la municipalité, qui porte pour titre : Récit de V horrible aventure, etc. On y lira dans une note mise au bas de la page 27, qu’un protestant est à la tête du parti des nouvelles compagnies, et la conclusion en est aussitôt tirée par l’auteur de la noie, qu'il est donc faux que la querelle soit une querelle de religion. D’après, néanmoins, des suppositions pareilles, publiées par toutes les bouches de la renommée, faut-il s’étonner que les municipaux de Montauban soient devenus un objet d’horreur, et je pourrais dire d’exécration? Il ne manquait qu à les transformer en assassins, et ce dernier trait a achevé le tableau. Dix-sept citoyens honnêtes, portés par les vœux de toute une ville à des places de confiance, devenir tout à coup des meurtriers, des scélérats!,. Ah! cette idée soulève et je ne puis m’y arrêter. Mais le public, mais les villes étrangères ont été induites à tout croire. On les y a disposées par les idées du fanatisme qui entreprend tout, et qui consacre les plus horribles attentats. Un esprit contraire à la Révolution est une autre espèce de fanatisme qui, joint au premier, double ses efforts et étend les limites du crime au delà de ce que l’imagination peut atteindre. Plaignons-nous après cela de l’opinion qui nous proscrit; non, Messieurs, je la respecte cette opinion; je dis plus, elle est raisonnable et juste, et c’est par là même que j’espère qu’en lui donnant d’autres fondements, elle nous deviendra propice, et qu’elle se déclarera pour l’innocence. L 'innocence, oui, Messieurs, c’est elle seule qui nous conduit ici. 'Jamais je n’eusse soutenu vos regards si mes collègues ou moi méritions un reproche; nous pouvons n’avoir pas été infaillibles, mais nous sommes sûrs d’être irrépréhensibles dans les faits et l’intention. C’est ce sentiment intime qui surmonte toutes les craintes et toutes les répugnances, qui nous a fait vaincre les difficultés et les obstacles, qui nous a élevés au-dessus de toute faiblesse, et qui nous a impérieusement commandé de demander et d’obtenir la parole. Nous avons cru qu’il était toujours temps de porter la vérité à une Assemblée qui l’aime, et ne veut voir qu’elle. Nous n’avons pu mettre au rang des torts, le silence persévérant que nous nous étions prescrit, et que nous avons prolongé jusqu’au moment qui nous a menacé d’un décret rigoureux et humiliant. Le public était inondé de brochures et de libelles; la passion qui s'y montrait nous paraissait un triomphe pour la justice, l’excès de la calomnie devait en être l’écueil, la modération caractérisait autantla bonne cause, que l’exagération décelait la mauvaise. Que pouvaient en tous cas des écrits la plupart anonymes, dénués de toute garantie? S’il était présenté contre nous quelque pièce authentique, n’était-il pas certain qu’elle nous serait communiquée? car jamais on . n’a pris pour règle ce qui n’a pas été contredit ou exposé à la contradiction. Tel était notre langage, et personne n’osera dire qu’il fut celui du bon sens et de la raison la plus commune. Nos adversaires (car je ne donnerais jamais le nom d’ennemis à des frères, à des concitoyens), nos adversaires s’étaient portés en nombre vers cette capitale, et s emparaient de tous les esprits. Pour nous, nous gardions nos foyers, nous demeurions fidèles à notre poste, l’innocence et la loi veillaient pour nous, c’était sur elles que reposait notre sécurité; elle a été trompeuse; mais nous ne cesserons de croire qu’elle nous honore. Cette paix que nous gardions au milieu de l’orage était entretenue par le soin d’instruire l’Assemblée nationale de toutes nos démarches et de tous les détails de notre conduite. Pas un courrier qui ne lui en rendît compte; diverses adresses lui développaient la chaîne et la succession des faits. Tous les actes marquants de l’administration étaient mis sous ses yeux, et nos diverses proclamations l’informaient, àtoutinstant, del’état de la ville, de la situation de ses habitants, des progrès de la pacification et du retour à la tranquillité publique. Nous ne doutions pas de l’effet de ces mesures, quoi qu’il ne fût attesté par aucune réponse; nous ne doutons pas encore que tous ces actes n’aicnt été retracés par M. le rapporteur. C’est à l’ombre de ces précautions que notre confiance se soutenait et s’accroissait. Toute appréhension nous était étrangère; que pouvaient craindre les magistrats qui avaient signalé leur courage et leur dévouement dans les moments les plus périlleux? qui, placés entre deux partis avaient voulu les sauver tous; qui, aux risques de leurs jours, étaient devenus les libérateurs de leurs concitoyens, et qui n’avaient voulu voir qu’une partie, quand les rivalités cherchaient à en faire deux? Oui, Messieurs, le croirez-vous, après la déplorable journée du 10 ruai, les municipaux qui auraient eu tant d’intérêt à recueillir les preuves, s’ils avaient pu prévoir qu’on les inculperait, les municipaux ne songèrent qu’à prévenir les suites, qu’à empêcher ou affaiblir l’éclat d’un tel désastre. Ils ne voyaient qu'un malheur public, une calamité générale dans ce tragique événement, dont il fallait, s’il était possible, effacer au plus 362 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juillet 1790.[ tôt la trace et ensevelir la mémoire. Ils ne prirent aucune précaution contre la calomnie, dont ils étaient bien loin de redouter l’atteinte. Ils se bornèrent à déposer dans le sein de l’Assemblée nationale, le récit d’une funeste aventure, et ne consentirent même à l’imprimer que quand ils aperçurent que l’opinion commençait à s’égarer. Le dirai-je, Messieurs? — Et pourquoi ne me hâterai-je pas de vous l’apprendre? C’est moi, moi-même qui, de concert avec la municipalité, désarmai le vengeur public, prêta informer contre les auteurs de la catastrophe. Je me rendis chez lui à plusieurs reprises pour le supplier , et conjurer de suspendre ses poursuites, de ne pas céder au vœu rigoureux de son ministère et de la loi qui le pressaient d’agir. Je lui peignis tant de familles intéressées, qui, enlacées dans l’entière cité, se verraient ['peut-être couvertes d’ignominie et d’opprobre. Je lui peignis la consternation et le deuil qu’allait répandre cette procédure menaçante, les haines se renouveler, les querelles s’aigrir, et tous les levains de la discorde mis à jamais en fermentation dans une patrie que nous chérissions, et où ne pourraient plus rentrer la concorde et la fraternité. Je suppliai et j’obtins; les ordres du pouvoir exécutif ont été le signal des poursuites et d’une procédure qu’il n’a plus été possible d’éviter, mais qui s’est pourtant faite avec une lenteur et une nonchalance qui n’annoncent que trop l’ascendant de ceux qui la craignent. Je ne pense pas, Messieurs, qu’on m’oppose que nous la redoutions nous-mêmes, cette procédure; que c’était pour nous que nous tremblions, ou que notre zèle était du moins bien loin d’être désintéressé. Ah! si quelqu’un me tenait ce langage, qu’il m’entende jusqu’au bout et il saura que nous envisageons cette même procédure comme le siège de la vérité, et, en même temps, comme le rempart de l’innocence. Il saura que, saus la connaître, nous consentons d’être jugés par elle; que notre confiance est dans nos cœurs, et dans ce dépôt inviolable, qui est sous la garde de la justice, et qu’elle seule a formé. Je n’en dis pas davantage, pour ne pas anticiper sur la discussion qui doit ailleurs trouver sa place. H est temps, en effet, de discuter et de faire succéder, à des réflexions générales, un examen tout particulier. 11 sera rapide, peu développé, parce que les moments du départ, de l’arrivée, de la parole accordée se touchent presque, et n’ont laissé qu’un très court intervalle. J’ai le cœur plein, mais la plume et le papier n’en peuvent suivre les mouvements, et il fallait plus d’une journée pour transmettre et tracer ce que j’aurais à dire; et la séance dont vous daignez nous faire jouir est bien plus précieuse que suffisante; je ne parcourrai que quelques objets principaux où se rallient les accessoires, que vos lumières et votre prompte intelligence ne manqueront pas de suppléer. J’ignore même si, pour ce plan raccourci, je pourrai, jusqu’à la fin, m’aider de la plume, et si la mémoire et la parole non écrite ne devront pas suppléer. Jetez d’abord, Messieurs, vos regards sur noire position; elle est, j’ose le dire, étonnante et unique, nous nous présentons comme accusés; mais nous n’en avons pour ainsi dire que l’attitude, et nullement le titre ni le caractère. Qui sont nos accusateurs ? Nous ne les connaissons pas (1). Où sont-ils? Nous l’ignorons. Quelle (1) Nous les avons pourtant connus en les voyant à la est la matière de l’accusation? Nous n’en sommes pas plus instruits. Quelles en sont les preuves? Aucune ne nous a été révélée. Tous ces paradoxes sont pourtant des vérités, et le comité seul, d’où émane le rapport, pourrait répondre aux questions que j’ai proposées. Lui seul connaît nos accusateurs, les délits qui nous sont imputés, les pièces et les preuves qui justifient ces délits. Lorsque de sourdes rumeurs nous disaient que nous étions poursuivis comme des coupables, nous refusions d’y croire et nous répondions : si nous étions dénoncés, la dénonciation nous serait connue; il implique qu’un citoyen soit accusé sans être appelé pour se défendre; et ce que la loi assure au moindre individu, est au moins acquis à un corps d’officiers publics. D’après ce que la voix publique nous apprend, une condamnation flétrissante pend sur nos (êtes, puisque nous devons être suspendus de nos fonctions ; eh bien, Messieurs, c’est par ie bruit de la condamnation que nous sommes informés de l’accusation. J’atteste qu’il ne nous a été légalement communiqué aucune plainte, que nous n’avons vu que des anonymes, des feuilles imprimées, que le public a vues comme nous ; que nous avons méprisé ces vils canaux de la calomnie, et que nous n’avons même pas eu le soupçon qu’il pût en sortir quelque dangereuse influence. J'atteste qu’aucun acte ne nous a révélé que nous ayons des accusateurs, ni quels ils peuvent être. J’atteste enfin que nous n’avoas été appelés à nous justifier sur aucun fait, sur aucune pièce, sur rien de ce qu’on a appelé jusqu’ici charge ou accusation. C’est par des voies indirectes que nous avons su ce que nous ne savons pas encore aux yeux de la loi ; et par cela même qu’elles étaient indirectes, nous devions attendre et nous attendons celles que la justice de tous les temps a prescrites. Oui, Messieurs, partout où le nom de justice est connu, dans tous les pays et dans tous les siècles, on a altaché à ce nom, on a compris dans sa signification la faculté pour l’accusé de contredire et de se défendre; et cette faculté emporte nécessairement la connaissance des personnes et des actes qui forment l'accusation. Ce n’est pas une maxime d’institution, elle est fondée sur le droit immuable de chaque homme, de chaque individu social, sur la raison éternelle, qui ne varie pas et qui n’est pas sujette à l’inconstance, au changement, ni à la mobilité de l’opinion. Vous êtes, Messieurs, les législateurs de cet Empire, et vos destinées vous appellent à le devenir un jour de l’univers que vous instruisez et qui vous admire. Mais vos exemples sont aussi des lois, et les plus puissantes de toutes, parce que leur pouvoir est proportionné au respect et à la vénération que vous inspirez. De celui que vous allez donner dépend la confirmation du premier dos droits de l’homme que vous avez déclaré; celui de ne pouvoir être privé d’une défense légitime; et cette défense que serait-elle, si i’accusation et les accusateurs ne sont connus, si tous les actes à la charge de l’accusé ne lui sont communiqués ? Je pourrais me référer à cette exception pê-barre. C’est pour la première fois qu’ils so «ont montrés. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juillet 1790.] $63 remptoire, bien persuadé que l’Assemblée y trouvera le point fixe de sa décision ; qu’elle ne portera point ses regards au delà, et qu’avant toute discussion, elle ordonnera que les pièces seront vérifiées, et contradictoirement débattues. Ces pièces, que sont-elles? S'il faut en croire ce qui nous en est rapporté, des lettres sans date, sans signature, couvertes de ratures et biffures, dont quelques-unes même présentent la signature effacée avec art, pour en cacher sans doute les auteurs. On parle de l’interrogatoire des nommés Biau, arrêtés à Revel, pour propos séditieux, qui n’ont été interpellés que sur l’affaire de Mcmtauban, et qui à l’instant se sont évadés des prisons. Cette fourberie n’a sûrement pas eu de succès au comité des rapports. Si la loi rejette toute condamnation non précédée de défense, elle n’impose en aucun temps silence à l’honneur outragé, et ne le force pas d’attendre que l’accusation soit régulière pour en écarter la honte; lorsque surtout l’opinion s’est manifestée, et qu’elle fait déjà le tourment d’une âme honnête, qui, sans murmurer, en éprouve toute la rigueur. Dans la multitude des faits qui nous ont été exposés, et qu’il serait trop long de réfuter ou d’expliquer, je ne relèverai que ceux qui éclairent tous les autres, et qui, par cela même, sont les seuls essentiels. C’est aux diverses ordonnances rendues par la municipalité sur mes conclusions, que je crois devoir me fixer. J’y ai coopéré par mon ministère, j’en suis plus particulièrement garant, et, dans les actes où je n’ai pas concouru, ma voix sera d’autant plus libre et plus indépendante qu’elle sera exempte de tout intérêt personnel; à la gloire de défendre la vérité, je joindrai celle de la défendre pour elle-même, de consacrer mon zèle et mes efforts à ceux que l’estime et la fraternité me rendent chers. Le 29 mars dernier je poursuivis une ordonnance qui annule le projet de fédération à conclure entre la garde nationale de Montauban et celle des villes voisines. La glorieuse approbation qu’elle reçut dans le sein de cette auguste Assemblée m’aurait peut-être dispensé de la rappeler ; elle m’aurait plutôt ordonné le silence sur un succès aussi flatteur, s’il n’était connu que cette même ordonnance n’a pas été à l’abri d’une censure qui, quoique tardive, n’est pas moins affligeante. Celte ordonnance et mon réquisitoire avaient pour base l’infraction des décrets, en ce que la fédération projetée n’aurait pas été subordonnée aux réquisitions de la municipalité. Cette maxime fondamentale, qui soumet l’autorité militaire au pouvoir civil, fut consacrée en termes exprès par le décret du 10 avril, qui laisse subsister l’ordonnance et applaudit au zèle qui l’a dictée. Devait-on s’attendre qu’après une décision aussi auguste, la même ordonnance subirait un nouvel examen, et qu’une critique inattendue en serait le fruit? On vous a dit, Messieurs, si le langage m’a été fidèlement transmis, que toutes les circonstances n'étaient pas connues, que vous ignoriez surtout que le projet improuvé par les municipaux eût été expliqué dans une adresse de la garde nationale, du lendemain 30 mars, adresse qui rectifiait le plan et le rendait conforme au vœu des décrets. S’il en est ainsi, Messieurs, il est honorable pour la municipalité de Montauban, que la même cause qui fit accueillir son ordonnance, par l’Assemblée, ait été aussi celle qui Ja fit rendre. L’Assemblée nationale ignorait l’adresse du 30 mars et les modifications qu’elle contient, lorsqu’elle ratifia notre ordonnance du 29 mars. Eh 1 bien, j’ose attester que nous l’ignorions aussi quand nous l’avons délibérée cette ordonnance; je l’affirme et je le prouve. L’ordonnance est du 29 mars et l’adresse est du 30, pouvions-nous deviner la veille ce qui nous serait présenté le lendemain ? Il est vrai que le temps nécessaire à l’impression retarda l’affiche jusqu’au 30; mais encore cette affiche avait précédé l’apport de l’adresse qui n’eut lieu qu’à la séance du soir; il est plus vrai encore qu’aucun officier municipal ne soupçonnait cette adresse ; il est très vrai, enfin, que dans les écrits imprimés par la garde nationale, et notamment dans celui qualifié de récit fidèle, elle est convenue et a dit très formellement que l’ordonnance était affichée lorsqu’elle vint remettre son adresse. Si l’adresse ne parvint qu’après l’affiche, elle était donc ignorée avant ? l’état des choses n’avait donc pas changé ? Le motif qui avait déterminé l’ordonnance subsistait, et ce motif est celui qui prévalut dans l’Assemblée le 10 avril suivant, et qui dirigea son opinion, dans le sens et l’esprit que la municipalité eut la gloire d’avoir adoptés. L’Assemblée n’aura donc aucun regret au décret émané de sa sagesse le 10 avril, et ce décret, justifiant à jamais l’ordonnance du 29 mars, en fait un monument d’honneur pour la municipalité, malgré les efforts inutilement tentés pour en obscurcir l’éclat, pour le convertir même en sujet de blâme et de reproche. A l’ordonnance du 29 mars succéda celle du 3 avril ; quelle interprétation pouvait-on lui donner qui la rendît défavorable ou répréhensible? J’exposai dans le réquisitoire que la garde nationale corrigeait, par une adresse, la lettre qui paraissait tracer le plan d’une fédération indépendante ; j’invitai le corps municipal à recevoir le témoignage d’une intention pure et régulière (ce sont les termes). Je requis une déclaration authentique en faveur des sentiments de ia garde nationale ; que les fédérations, autres que celles qui paraissaient résulter des décrets, fussent improuvées jusqu’à ce que l’Assemblée nationale eût déterminé l’organisation permanente des gardes partriotiques. L’ordonnance qui intervint fut conforme à ces conclusions. Je m’abuse, Messieurs, ou cette ordonnance ne renferme rien que de juste et de régulier. Si je me trompais à cette époque, mon erreur dure encore et j’avoue que je ne saurais me trouver coupable. Mais ce n’est pas par ce qu’elle contient, que l’ordonnance est maintenant attaquée, c’est parce qu’elle ne dit pas ce qu’elle devait dire ; pourquoi se taire, allègue-t-on, sur la prestation du serment civique offert par la garde nationale? pourquoi ne pas l’admettre ? Eu voici le motif qui, je crois, est légitime et qui n’a besoin que d’étre énoncé. Le décret qui prescrit le serment des gardes citoyennes date du 7 janvier dernier, mais les lettres patentes qui le sanctionnent sont du 16 mars suivant. Du 16 au 30, jour de l’adresse, l’intervalle n’est pas long. Le décret passa par l’intendance suivant l’usage ; il n’était pas encore officiellement connu de la municipalité; devait-elle eu prématurer l'exécution? Ne hasarde-t-on pag toq? 864 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juillet 1790.] jours quelque chose de s’écarter des règles? Aussi la demande de la garde nationale ne fut pas rejetée ; il fut seulement dit qu’il n’y avait lieu d’y prononcer quant à présent , clause qui annonce bien nettement l’intention de remplir le vœu de la loi, dès que le moment en serait arrivé. L’ordonnance contre laquelle on s’élève le plus, et qui a eu les suites les plus importantes, est celle du 6 avril, qui détermine l’augmentation des compagnies. Elle fut rendue sur deux pétitions, l’une d’un grand nombre de citoyens actifs, l’autre d’une partie de la garde nationale; pétitions que le corps municipal avait renvoyées au procureur de ia commune pour y être statué sur ses conclusions. Qu’on se place dans les circonstances où se trouvait l’officier public, entre deux demandes qui exprimaient le même vœu, porté à la fois par une multitude de citoyens recommandables, et par les membres, même en grand nombre, de la garde nationale. D’un côté, le droit de chaque citoyen de concourir à la défense publique n’est pas équivoque, et l'honneur et la charge doivent en être également répartis; on ne peut pas dire que ce fussent ici les volontaires qui cherchaient à se reproduire sous une autre forme, car les volontaires étaient au nombre de 50 et les pétitionnaires d’une seule liste excédaient celui de 300, auxquels il faut ajouter les soldats de la garde nationale qui demandaient aussi l’augmentation. Il a résulté de ces pétitions une formation de huit nouvelles compagnies de 64 hommes chacune, ce qui présente un total prodigieusement supérieur à la masse des volontaires. Ce serait donc bien gratuitement, qu’on supposerait que le désir des nouvelles compagnies n’était formé que par les individus qui s’étaient antérieurement réunis ; il faut nier la réalité des pétitions, ou reconnaître qu’elles étaient l’ouvrage d’une quantité de citoyens qui avaient des droits à se faire écouter. Cette première considération était certainement d’un grand poids et méritait une attention favorable. D’autre part, qui pouvait apprécier la demande et en reconnaître l’utilité? N’est-ce pas aux officiers municipaux qu’il appartient de veiller à la garde et à la sûreté intérieures? Ils étaient donc les juges et les arbitres-nés de la mesure des forces destinées à les procurer ou à les maintenir. C’est ainsi, Messieurs, que j’envisageai l’objet, et si je me trompai, mon esprit et mon jugement sont seuls en défaut. Je requis conformément aux pétitions, et j’annonçai textuellement qu’il fallait admettre tous les citoyens capables de porter les armes et dignes d'en recevoir l'honneur; l’ordonnance de la municipalité fut relative. Cette ordonnance était-elle juste et régulière au moment où elle fut rendue? Je pense, Messieurs, que cette vérité est incontestable. A-t-elle cessé de l’être depuis? et l’existence légale qu’elle avait reçue, a-t-elle pu s’évanouir, a-t-elle pu être interceptée par quelque cause postérieure et rétroactive? La garde nationale annonce son recours à l’autorité législative, la municipalité surseoit à toute exécution et laisse écouler environ un mois, pour s’assurer, par le procès-verbal même de l’Assemblée, si son ordonnance lui a été déférée. Elle acquiert une certitude contraire. Pressée alors par les instances des habitants, elle procède à la formation et rend compte au Corps législatif, par une adresse du 5 mai, voulant n’agir que sous ses auspices, ayant toujours son autorité présente, et désirant de la rendre témoin en quelque sorte de tous les actes de son administration. Arrive, le lendemain 6 mai, la nouvelle d’un décret rendu le 30 avril, qui fixe provisoirement le régime des gardes nationales et le réfère à celui qui existait lors de la constitution des nouvelles municipalités, qui n’admet, au surplus, des modifications qu’autant qu'elles seront le fruit du concert entre les gardes nationales elles-mêmes et les nouvelles municipalités. Ce décret est général, il fait loi pour tout le royaume; donnait-il atteinte à l’ordonnance du 6 avril? J’ose avancer que non, je me permets même d’assurer que ce décret la confirme, et qu’il y met le sceau. Ce décret ne suppose-t-il pas que, jusque-là, le régime n’était pas invariable? N’établit-il pas une disposition nouvelle? Eût-il fallu une loi pour ne prescrire rien qui déjà ne fût ordonné ? Oui, ce décret du 30 avril prouve manifestement que le régime des gardes nationales n’avait pas eu jusque-là de stabilité, qu’il était subordonné aux circonstances dont le jugement et l’examen ne pouvaient appartenir qu’aux municipalilés. Qui ignore que les lois nouvelles n’exercent d’empire que sur l’avenir, quelles ne donnent aucune atteinte au passé? et le décret du 30 avril, annoncé dans les feuilles publiques, n’avait môme rien d’authentique pour la municipalité ; il n’existait et ne devait commencer à exister pour elle que du jour où il lui serait officiellement adressé. La formation des nouvelles compagnies était cependant consommée et le contrôle en avait été remis à l’état-major de la garde nationale dès le 6 mai. Que l’on combine les circonstances; il est visible que le décret du 30 avril prouve lui-même que les gardes nationales n’avaient pas eu jusque-là de régime certain. Il est visible que ce décret ne déroge pas aux changements antérieurs; il est visible que l’addition des huit compagnies était effectuée longtemps avant la connaissance officielle du décret; il est encore visible que ce décret n’a pu rien opérer sur l’ordonnance du 6 avril, que tout ce qui en avait été la suite devait demeurer intact et obtenait même une pleine confirmation. Que fit cependant la municipalité? Jalouse de se rapprocher en tout de l’esprit des décrets dans les cas même sur lesquels ils ne s’étendaient pas, elle appelle ce concert recommandé par la nouvelle loi du-30 avril; elle ouvre des conférences; elle entend les citoyens actifs, les pères de famille; elle députe le 8 mai deux de ses membres au général de la garde nationale, pour lui proposer diverses alternatives et plusieurs plans de conciliation. J’étais un des commissaires ; le général me reçut avec transport ; nous nous félicitâmes ensemble de l’heureuse issue des démêlés ; il ne doutait pas que le conseil militaire n’acceptât une des propositions, il avait même pouvoir d’en traiter seul, et la déférence seule l’obligeait à consulter ses camarades. Jamais négociation n’avait promis un succès plus prompt et plus complet. Le conseil militaire fut convoqué lelendemain ; il se rendit an consistoire del’hôtel-de-ville, dans le cours de l’après-midi; toutes les espérances s’évanouirent à leur approche; aucun des projets n’avait été goûté ; les pourparlers furent infruc- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [26 juillet 1790.] 365 tueux, et nos tentatives les plus pressantes échouèrent contre une résistance soutenue ; il fat dit en finissant que le conseil militaire se rassemblerait le jour suivant. Ce jour fut le 10 mai, je n’en dis pas davantage ; il rappelle assez la terrible explosion qui ne devait pas être le fruit de tant de démarches pacifiques. Le général a publié, après coup, qu’il était muni de pleins pouvoirs pour terminer les différents et souscrire aux nouvelles compagnies : ah! que ne portait-il plutôt cette parole de paix, eile aurait sans doute dissipé l’orage et opéré l’heureuse conciliation.... J’ai prouvé par tout ce qui précède, que le décret du 30 avril n’était pas applicable à l’accroissement consommé,de la garde nationale montau-banaise ; j’ai prouvé encore, je le pense, que la municipalité, par respect pour ce décret, qui ne la liait pas sur un fait passé, avait mis tout en œuvre pour amener le concert qui était autant l’objet de ses vœux que celui de la nouvelle loi. Après cela que peut-il me rester à dire sur l’ordonnance du 6 avril, qui détermina les nouvelles compagnies (1) ? L’effroyable scène du 10 mai adonné lieu à diverses inculpations contre la municipalité. Je supplie l'Assemblée de me permettre une réflexion qui s’applique à tout et qui, peut-être, répond à tout. Quand on calcule de sang-froid et qu’on est instruit par l’événement, il est aisé de voir ce qu’il fallait faire et de censurer ce qui a été fait ; on aime à s’attribuer, en prévoyance, ce qui n’est pourtant acquis que par l’expérience et par l’exemple; on se persuade volontiers que le malheur aurait cédé aux précautions et aux remèdes, et on refuse de voir que le sort et la destinée sont presque toujours plus forts que la prudence. Daignez, Messieurs, prendre pour un instant la place des officiers municipaux, la plupart magistrats et gens d’affaires, et peu faits à ces affreux soulèvements, à ces émotions soudaines, qui demandent un coup d’œil juste, une présence d’esprit rare, une fermeté que rien ne trouble, une intrépidité que rien n’étonne ; qui peut se flatter de posséder ces dons du ciel? Qui peut s’être formé l’habitude des crises de ce genre, dans le silence du cabinet, dans l’exercice des fonctions d’une vie paisible et éloignée des hasards et des périls ? Au moment où le tumulte éclate, la plupart des officiers municipaux étaient dispersés ; l’heure ne les avait pas encore appelés à la maison commune; quel conseil pouvait prendre le petit nombre que le hasard y fit rencontrer, au milieu de la confusion, du désordre et de l’effroi ? Qui d’entre eux aurait risqué des ordres rigoureux ou violents dont la justification dépendait de l’événement ? On les blâme de n’avoir pas déployé un appareil menaçant contre les femmes attroupées. Mais dans des cas pareils, n’attend-t-on pas toujours la dernière extrémité, et n’arrive-t-elle pas toujours avant qu’on ait encore embrassé le parti de la rigueur et de la force ? On leur reproche d’avoir souffert l’enlèvement (1) On doit observer ici que les nouvelles compagnies n’ont été posterieurement incorporées qu’avec le consentement et le vœu de la garde nationale qui les a reçues avec tous les témoignages d’une satisfaction non équivoque. des armes; mais elles furent arrachées, et l’officier municipal qui fut contraint de les livrer, qui en a signé l’aveu dans le procès-verbal, est celui-là même que nos adversaires reconnaissent, dans leurs écrits, pour être l’ami de la paix. Il n’avait-donc pas de mauvaises intentions ! Et quel serait le sort des officiers municipaux, si les faits, si l’opinion d’un chacun se répandaient sur les autres. Il me sera permis de le dire ici : dans un corps où la pluralité décide, chaque individu ne doit répondre que de lui-même. On objecte encore à la municipalité sa lenteur à appeler le régiment de Languedoc; peut-être trop de précipitation fonderait un reproche plus spécieux. Qui trouvera ce juste milieu que l’événement seul indique, quand l’événement est encore indécis? La maréchaussée, à la suite des troubles du matin, avait été mise sur pied à deux heures après-midi; on pouvait espérer que cette troupe suffirait; le règlement fut requis une heure après, mais le rappel des soldats et les apprêts de la marche, l’éloignement des casernes au delà du faubourg le plus distant de la ville, consumèrent un temps et causèrent des délais qui faisaient tressaillir d’impatience les officiers municipaux (1). On leur prodigue d’autres inculpations (2) pour écarter le vrai point de vue, et les seuls moyens qui peuvent faire discerner les coupables. De quel côté se trouve le complot ? De quel côté se trouvent les agresseurs ? Voilà les deux questions qui doivent éclairer cette affaire et en offrir le dénouement. Il est avoué, dans tous les écrits dirigés contre la municipalité, que la résolution était prise d’opposer la force à l’introduction des nouvelles compagnies fixées au 14 du mois, de défendre, jusqu’à extinction, l’approche et l’occupation des postes où se faisait le service de la garde. Je n’ai jamais cru à d’autre dessein, mais celui-là est aussi réel, que les autres peuvent être exagérés. Si l’exécution fut devancée, si elle eut lieu le 10 mai, quelque mouvement imprévu l’accéléra, et ce fut sans doute la rumeur 'du matin, c’est ce que j’ai consigné dans un écrit ayant pour titre : Réflexions à mon ami , où je ne déclarai pas mon nom, parce que mon nom était inutile au succès, mais que j’avoue ici en témoignage de ma sincérité, et parce que je le crois le dépôt le plus fidèle des faits vrais et vraisemblables. Le projet n’est donc pas équivoque : l’agression est aussi certaine. Le procès-verbal de la municipalité l’atteste, on en prend droit contre elle, on ne peut donc pas le récuser. La lettre signée Peyrouset, cette fameuse lettre qui fut le premier signal de la calomnie, en renferme l’aveu précis (3). Ce fait de l’agression détermine seul les coupables, et ce fait n’est pas contesté par les libelles, dans les journaux qui se sont rendus (I) On sent que, la réquisition faite, la tâche des officiers civils est remplie. C’est donc du moment de cette réquisition qu’il faut partir. Du reste, les casernes sont au moins à demi-lieue do la maison commune. (2) Celle, par exemple, de n’avoir pas fait usage delà loi martiale. Le drapeau rouge fut déployé. Est-il un mode plus expressif de la publier cotte loi martiale? L’objection a été du reste verbalement discutée. (3) Cette lettre a disparu : elle ne se retrouve plus au nombre des pièces remises au comité des rapports. C’est cependant sur cette lettre que fut rendu le premier dé-J cret du 17 mai. 300 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [S6 juillet 1790.1 les échos de nos adversaires (1). Voilà cependant les deux circonstances qui forment le crime et l’attentat, le complot et l’attaque. Je ne parle pas de la procédure judiciairement instruite et dont j’ignore le contenu ; elle doit réunir et compléter les preuves. Il me reste à me disculper de l’acte le plus pur de ma vie, delà proclamation du onze mai. Elle a été conçue dans la plus vive émotion de mon cœur, dans J’effusion d’une douloureuse sensibilité, dans l’épanchement d’une âme souffrante et attendrie; je me flatte qu’aux yeux de l’Etre qui lit au fond de la pensée, elle expiera une partie de mes erreurs et de mes faiblesses. Le peuple que j’ai appelé bon et compatissant méritait-il ces titres? Eh, Messieurs, ce peuple s’était vu attaqué, il avait essuyé le premier feu ; sa colère exclut-elle donc sa bonté? Il avait cédé à nos prières, à nos supplications, et laissé désarmer sa vengeance. Ges traits sont-ils donc ceux de la férocité ? Que l’on consulte d’ailleurs les circonstances ; fallait-il rallumer le courroux de ce peuple grièvement offensé? Ne fallait-il pas, au contraire, réveiller les sentiments généreux, et en l’invitant à la compassion, la lui inspirer; faire succéder des dispositions douces et bienfaisantes, aux mouvements de fureur qui l’avaient agité? Ah ! si l’on juge par l’effet, l’esprit de la proclamation ne devait obtenir que des suffrages. Elle fit verser des larmes d’attendrissement et de pitié; elle rétablit le calme et fit disparaître, en un instant, la haine et l’animosité. On a relevé le passage où il est écrit que les habitants rapporteront les armes pour ne les sortir que dans les cas qui pourraient l’exiger, et que nous annonçons avec confiance, disent les officiers municipaux, ne pas devoir se produire . Ah 1 Messieurs, qu’il est malheureux d’être livré aux interprétations I Jamais le sens qu’on a voulu prêter a cette phrase, n’approcha de la pensée de ceux qui la retracent. N'était-il pas naturel de rassurer le peuple, de lui faire regarder la catastrophe dont il gémissait comme un événement extraordinaire et unique, qui ne se reproduirait plus? N’était-il pas nécessaire de le lui persuader pour l'engager à rendre des armes qui pouvaient, à chaque instant, devenir funestes ? Que disions-nous, au surplus, qui ne fût dans l'exacte vérité ? Est-ce que nous n’avions pas la confiance, qu’avertis par ce malheur la vigilance et le zèle en préviendraient un nouveau? Ne prenions-nous pas toutes les mesures qui pouvaient l’écarter, et nous en garantir pour l’avenir? Non jamais expressions plus simples, plus analogues aux circonstances, et moins susceptibles d'une insinuation perverse. Après avoir épuisé la censure sur ce que porte la proclamation, on l’exerce encore sur ce qu’elle ne porte pas; il n’y est pas mention, dit-on, de la garde nationale; on n’emploie pour la désigner que des termes obscurs et mystérieux, l’énon-(1) Le Point-du-Jour rapporte que les premiers coups partirent du corps-de-garde ; une relation imprimée à Bordeaux, et qui charge horriblement la municipalité, en renferme ta déclaration positive. Enfin, une adresse des confédérés à l’Assemblée nationale n’élude cette vérité qu’en soutenant que les dragons étaient sans armes et qu’ils ne tirèrent pas. Assertion tellement fausse et tellement démentie que les procès-verbaux des chirurgiens résentent plusieurs hommes du peuple grièvement .lessés. Le nombre en fut au moins de dix-huit. Au reste, l’adresse imprimée qui venait de tomber dans les mains du défenseur de la municipalité fut, par lui, exhibée, lue en partie, et verbalement discutée. dation vague de personnes armées par autorité publique et légitime ! Eh! Messieurs, où sommes-nous donc réduits? Le silence même devient criminel ; si la proclamation est muette sur la garde nationale, peut-elle l’offenser? Si elle l’indique, peut-on se plaindre de l’omission? Mais qui n’aperçoit la position des officiers municipaux? Il faudrait être bien insensible et bien déterminé à leur refuser tout intérêt, pour ne pas la voir et n’en être pas touché. La garde nationale était la source ou du moins l’occasion de tous les troubles. Le cœur du peuple était ulcéré et il demandait des ménagements; était-ce bien le cas de brusquer un sentiment exalté que les malheurs de la veille semblaient justifier, et qui pouvait, àchaque instant, ramener des scènes effrayantes? on ne se fait donc pas l’idée des égards et de la circonspection qu’exige un peuple effervescent ! J’ai dit que la garde nationale était la source ou l’occasion des troubles, et j’ai été fondé à le dire d’après les deux vérités démontrées et convenues que le complot et l’agression émanaient d’elle; je veux dire de ceux qui s’étaient introduits dans le poste de l’hôtel-de-ville, à une heure où ils n’y étaient pas appelés, porteurs de munitions et de pierres à feu, dont ils firent usage en tirant les premiers sur les citoyens. Je l’ai dit, j’en ai présenté les preuves; le nombre des blessés du peuple en est le témoignage trop frappant; et je pense que lorsqu’on s’est permis d’avancer que les balles qui sortaient de ses fusils avaient réfléchi sur lui-même, on n’a voulu que donner l’exemple et le modèle d’une absurdité complète. S’il restait quelque doute encore, c’est au général lui-même que j’en appellerais ; c’est à sa lettre écrite le lendemain de l’action que je renverrais ceux qui balanceraient dans leur croyance. « Forcé, dit ce général, de déférer sans cesse à un conseil et à un état-major, formé depuis longtemps, j’étais heureux lorsque j’avais fait quelques progrès dans leur confiance. » Il se plaint, comme on l’entend, de la résistance et de l’indocilité de ce conseil rétif, dont la formation n’était pas son ouvrage; il se prépare aux effets de cette opiniâtre raideur qu’il ne pouvait vaincre, et qui lui faisait regarder comme un bonheur les faibles progrès qui l’acheininaient à sa confiance. « Par ce moyen, continue le général, j’étais assuré de la tranquillité de la ville. » Cette tranquillité dépendait donc du conseil militaire; si elle a été troublée, quels sont donc les moteurs du désordre ? « Et enfin, j’étais parvenu à obtenir de pleins pouvoirs pour réunir les huit compagnies à la garde nationale, poursuit M. de Puymonbrun. Quel secret vous échappe? Pourquoi l’avez-vous retenu captif? Il eût été le salut de la ville; est-ce ainsi que vous répondez à la confiance de la municipalité qui vous avait député deux commissaires de son sein, le samedi 8 mai, surveille de la catastrophe? * M. de Puymonbrun termine sa confidence, dans cet instant où il ne dissimule rien, par cette phrase remarquable: « Vous connaissez tous les malheurs qu’une imprudente jeunesse a occasionnés, et que j’ai cherché à prévenir en donnant les ordres les plus précis. » Ah! Messieurs, quel trait de lumière ! en croiriez-vous le chef de la garde nationale lui-même? C’est lui qui [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [36 juillet 1790.] 367 vous déclare qu’une imprudente jeunesse a occasionné tous les malheurs : c’est lui qui reconnaît par là même que ce sont les dragons, qui par l’invasion de la maison commune, ont donné l’épouvante à la ville et provoqué le peuple, qui s’est bientôt vu sous le feu de leurs mousquets. Le général avait cherché à prévenir ce malheur en donnant les ordres les plus précis; les intentions lui étaient donc connues, il savait donc ce qui devait arriver, et sans cela quels ordres eût-il pu donner? Ah 1 Messieurs, que cette lettre est tranchante? Quelle est lumineuse! elle résout tous les problèmes; elle prouve le dessein, elle prouve l’agression, elle coupe tous les nœuds de cette cause; et l’original écrit et signé de la main du général est rapporté, et peut-être mis sous les yeux de l’Assemblée. Dans la multitude d’objets qui se pressent au-devant de ma plume, et qu’un si court espace ne me permet pas de rapprocher, je ne dois pas omettre, au moins, ce qui concerne les assemblées des Cordeliers, dont on a tant parlé. Je sens ici plus que jamais combien la condition des administrateurs est déplorable, combien la confiance qui met un homme en place est cruelle et redoutable. On nous blâme de nous être conformés à un décret dont la disposition est littérale et précise. Qu’il serait bien plus facile de nous inculper, si nous l’avions enfreint! Toutes les chances sont-elles donc -perte et malheur pour les officiers municipaux? Les contraires les rendront-ils donc également coupables? L’article 62 du décret des municipalités porte en termes exprès : « Les citoyens ont le droit de se réunir paisiblement, et sans armes, en assemblées particulières, pour rédiger des adresses, des pétitions, soit au corps municipal, soit aux administrateurs de département et de district, soit au Gorps législatif, soit au roi, sous la condition de donner avis aux officiers municipaux du temps et du lieu de ces assemblées et de ne pouvoir, etc. » Est-il de loi plus textuelle, plus positive et plus claire? Est-il moins clair et moins certain que nous devions l’observer, cette loi? G’est cette observation, néanmoins, qui tourne à crime ; on nous oppose l’esprit et le sens, toujours arbitraires, qu’on est toujours le maître de plier à son gré, quand la lettre nous absout, quand elle atteste hautement que nous lui avons été fidèles. Faudra-t-il donc admettre ce nouveau principe, que c’était à nous à suppléer aux termes de la loi; que nous devions déterminer les exceptions, qu’il nous appartenait de franchir des limites clairement posées ? Ah ! Messieurs, nous avions cru jusqu’ici que l’interprétation même de la loi était interdite, que c’était un véritable attentat et une violation criminelle que de se rendre l’arbitre des distinctions. Où la loi ne distingue pas, ont dit tous les siècles, ce n’est pas à celui qui obéit à distinguer ; voilà pourtant la matière du reproche le plus amer, celui qui s’est reproduit sous mille formes, que tous les écrits ont répété. Mais il est sorti de ces assemblées des adresses téméraires, audacieuses, qui n’ont pas même respecté certains membres de l’Assemblée nationale; s’il en est ainsi, ces membres seront assez généreux pour nous défendre, pour écarter de la municipalité l’odieux ou le blâme de ces adresses. Etait-ce bien à nous, Messieurs, à en prendre connaissance? Dès que ces actes étaient déférés à l’Assemblée nationale, avions-nous le droit de les juger ! Quelle entreprise si nous avions voulu nous ingérer à demander compte de ce qui était soumis au Gorps législatif? J’ose dire que c’eût été de notre part une irrévérence caractérisée, et je puis même ajouter une atteinte visible donnée à votre pouvoir suprême. Quelle nouveauté, quel exemple qu’un corps municipal eût teuté d'intercepter le recours à l’autorité législative ; qu’au mépris d’un décret formel, il se fût avisé de disputer aux citoyens la liberté de vous porter leurs vœux et leurs supplications; qu’il se fût surtout permis d’entrer dans le mérite des adresses qui vous étaient présentées, et sur lesquelles il vous était réservé de statuer. Ici se termine, Messieurs, la discussion de la cause, où je n’ai pu qu’effleurer les détails, mais où j’ai pesé sur les motifs et les raisons décisives. Il me tardait, Messieurs, de porter vos regards sur le projet de décret tel qu’il vous a été offert par votre comité des rapports (1). La première disposition de ce projet déclare que, « l’information' commencée devant le juge « de Montauban, relativement à l’événement ar-« rivé dans cette ville le 10 mai dernier, sera « regardée comme non-avenue et à cette première « disposition se lie celle qui décrète : qu’il sera « informé devant les officiers municipaux, juges « ordinaires en matière criminelle à Toulouse, à « la diligence de la partie publique, de tous les « événements arrivés à Montauban le 10 mai, « ainsi que de tous ceux qui y sont relatifs, tant « antérieurs que postérieurs à ladite époque, les « circonstances et dépendances, à l’effet de quoi « les pièces déposées au comité des rapports se-« ront incessamment adressées à la partie pu-« blique. » Il vous est donc proposé, Messieurs, d’anéantir une procédure précieuse qui a recueilli les premiers témoignages, qui a constaté les faits, au moment que la mémoire en était présente, qui a appelé et réuni ceux qui ont tout vu, tout entendu, et qui n’existeront peut-être plus, quand l’information sera recommencée. Il vous est proposé de frapper d’anathème l’ouvrage delà loi, auquel ont concouru la puissance législative et le pouvoir exécutif, cet ouvrage qui porte tous les sceaux de l’autorité légitime et qui est revêtu de tous les caractères qui peuvent le rendre respectable et sacré. J’ai dit, Messieurs, que tous les pouvoirs avaient coopéré à cette procédure; et d’abord la loi seule enjoignant au juge de Montauban d’informer, il ne peut se commettre un délit sans que cette loi ne crie au vengeur public : Armez le bras de la justice, recherchez le crime et punissez le coupable. Tel est, Messieurs, le droit public du royaume que pour assurer la poursuite du crime, tout juge est rendu compétent pour informer. Mais le sénéchal de Montauban avait la compétence naturelle et de droit, comme juge ordinaire, comme juge du lieu du délit. Il faudrait les plus puissantes raisons pour le dépouiller et l’exclure quand il n’aurait pour lui que le suffrage de la loi générale et des ordonnances du royaume. Il joint à ce premier titre un de vos décrets, Messieurs, celui du 17 mai, sanctionné le même jour, qui porte : « Que le président de TAssera-(1) A cet endroit, plusieurs membres se sont fortement élevés pour empêcher la discussion. Il s’est fait une grande rumeur dans la salle qui a interrompu l’orateur. L’Assemblée, du consentement de M. le rapporteur, lui a permis de continuer. 368 (Assemblée nationale,] « blée nationale, se retirera à l’instant par devers « le roi pour le prier de prendre les mesures Ses « plus promptes et les plus efficaces pour que le « < aime se (établisse dans cette ville, etc. » Par ce décret le pouvoir exécutif fut nanti; il fut chargé des mesures à prendre pour le rétablissement du calme, et une de ces mesures jugée nécessaire par le roi, a été d’ordonner la recherche régulière et juridique des coupables; cette procédure a été commencée, elle s’est accrue ; mais tout s’est borné à l’audition des témoins et nous avons lieu de croire que le juge a été limité à cette seule fonction qui l’arrête au moment de lancer les décrets. Est-il possible, Messieurs, d’anéantir aujourd’hui ce corps de dépositions formé sous les auspices de la loi, sous celles de l’Assemblée nationale et du roi ? Peut-on se dissimuler que l’information n’émane de votre décret du 17 mai qui renvoie au pouvoir exécutif, et lui confère le droit de déterminer le choix des mesures? Peut-on se dissimuler que le tribunal de Montauban n’ait agi en vertu des ordres de Sa Majesté, à lui notifiés par le ministre de la justice? Si l’ouvrage de tous les pouvoirs n’est pas soiide, sur quoi pourra reposer la confiance? Vous avez, Messieurs, proscrit toutes les commissions par vos sages décrets, lesquelles sont regardées, à justetilre, comme le fléau de la liberté; et les auteurs de ces mêmes décrets admettraient un contraste, une contrariété si frappante? Une des bases de la sûreté la plus précieuse peut-être, c’est de ne pouvoir être soustrait à son juge naturel et légitime. Verrait-on à côté du décret qui abolit à jamais les commissaires, un autre décret qui érige effectivement une commission, qui donne pouvoir à un tribunal étranger, et l’appelle à connaître des faits que la loi ne lui défère pas? Vous avez pensé, Messieurs, bien autrement pour la ville de Nîmes, et dans une affaire qui couvre, par son éclat et par sa gravité, celle de Montauban. Pour Nîmes, vous avez ordonné que la procédure serait faite par le présidial du lieu. Cette auguste décision semblait indiquer au comité des rapports de ne pas proposer une autre marche; les principes et les règles peuvent-ils varier et n’être assujettis qu’à l’influence du moment et des circonstances? Quelque motif extraordinaire d’un genre supérieur à tout devrait, au moins, autoriser la violation du principe, et en excuser l’exemple. On ne vous en a présenté d’autre que la partialité présumée du juge de Montauban, et cette partialité n’est fondée que sur ses rapports et ses liaisons dans la ville qu’il habite ; si c’était là la cause sérieuse de la récusation, elle serait bientôt détruite-Le juge criminel de Montauban est un étranger breton, natif de Nantes, qui a épousé une femme de Figeac; et l’un et l’autre sont isolés de toute parenté, de toute alliance dans le séjour où ils sont fixés depuis peu d’années. Le procureur du roi est un autre étranger du Languedoc, transplanté par sa charge et son ma» riage à Montauban, qui ne tient à la ville que par un très petit nombre d’alliés, et qui n’y a de son chef aucun parent. Qui ignore d’ailleurs que le ministère public est libre et qu’aucune parenté ni liaison ne le rendent récusable? Tels sont les magistrats chargés de la procédure jusqu’au décret ; leurs affections du reste, si on pouvaiten soupçonner de préjudiciablesau devoir, ne devraient-elles pas nous faire autant d’ombrage qu’à nos adversaires? l’expérience ne nous a que (26 juillet 1790.] trop appris que nous leur cédons dans l’art et les moyens de faire des partisans. Ne sait-on pas qu’ils ont eu le crédit de faire ouïr en téûiom jusqu’à la femme d’un des principaux officiers de l’état-major, député depuis plusieurs mois pour cette affaire à la suite de l’Assemblée et de ses comités? Mais, si enfin les juges sont récusables, les lois n’ont-elles pas établi des formes pour prononcer la récusation, pour faire casser les procédures nuiles ou vicieuses? Les routes et les tribunaux ne sont-ils pas ouverts, les ordonnances n’ont-elles pas tracé la voie et l’Assemblée nationale voudrait-elle s’attribuer des fonctions peu analogues à la majesté des législateurs, et qui appartiennent évidemment au pouvoir judiciaire, qu’elle n’entend pas exercer? Il est surtout bien étrange, et peut-être inoui, qu’une procédure soit cassée sans être sous les yeux du tribunal qui l’annule; ne faudrait-il pas au moins commencer par la voir? Cette partialité, qu’on lui reproche, sera saillante aux premières pages, si elle est aussi réelle qu’on l’assure; on verra s’il y a de l’affectation dans le choix des témoins, dans celui des notables adjoints (1) ; on verra si la rédaction est artificieuse ou contournée; enfin il n’est pas possible qu’aux yeux d’une Assemblée si clairvoyante, la propension ne se trahisse! Que l’Assemblée ordonne donc l’apport de la procédure, qu’elle ne proscrive pas ce qu’elle ne connaît point; qu’elle attende à juger d’après ses propres lumières et les connaissances qu’elle aura puisées dans la procédure elle-même. Nos adversaires qui redoutent sans doute Tin-formation déjà bien avancée, et qui pourrait être terminée, si l’ardeur et la volonté y avaient concouru, nos adversaires voudraient 'lui en substituer une qui serait faite devant les officiers municipaux, juges ordinaires en matière criminelle, à Toulouse. Je n’invoque ici, Messieurs, que l’honneur et la délicatesse des officiers municipaux de Toulouse; ils ne consentiraient point à influer, de quelque manière que ce puisse être, dans un procès qui touche à la municipalité de Montauban. La France entière a su qu’ils avaient délibéré le 19 mai dernier, « de requérir M. le général de la garde nationale de leur ville� de former sur-le-champ un détachement pour se réunir à celui de Bordeaux, et de s’occuper tout de suite des préparatifs du départ. » A Dieu ne plaise, que je me plaigne ici de celte délibération. Je rends hommage aux sentiments qui l’ont inspirée; on a voulu secourir des patriotes que la municipalité croyait persécutée et opprimés. Je remarque seulement cette opinion adoptée d’avance et soutenue par une démarche d’éclat. Peut-on se persuader qu’imbus de cette idée et engagés même à ia faire prévaloir, par la conduite qui s’y rapporte, ces officiers municipaux approcheraient du tribunal avec cette indifférence d’opinion, avec cette neutralité parfaite qu’exige un si impoitant ministère? Je Je répète, les officiers municipaux de Toulouse eux-mêmes seraient les premiers à s’abstenir de toute connaissance d’un procès où ils ont certainement ouvert leur avis par la détermination la plus expressive. La seconde partie de la première disposition du (1) Les protestants et les catholiques ont concouru à la fonction d’adjoint. Les témoins ont ôté pris indifféremment dans l’un et l’autre parti. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juillet 1790.] 3@9 projet de décret concerne la garde nationale; elle tend à faire ordonner : « que le président de l’Assemblée se retirera par-devers le roi, pour supplier Sa Majesté de donner des ordres pour que l’ancienne garde montaubanaise soit rétablie dans le même état qu’elle était avant l’ordonnance des officiers municipaux de ladite ville, en date du 5 avril dernier ; laquelle ordonnance, ainsi que tout ce qui a été fait en conséquence, sera regardée comme non avenue, sauf aux citoyens actifs qui n’étaient pas de ladite garde ancienne à s’y faire incorporer conformément au décret du 12 juin dernier. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai dit pour établir la régularité de l’ordonnance du six avril. Ce n’est pas à l’ouvrage de la municipalité que je tiens. Ah! qu’il s’anéantisse, qu’il périsse s’il peut être détruit sans inconvénient et sans péril. La garde nationale, telle qu’elle est à présent constituée, renferme huit nouvelles compagnies, fondues dans Je corps, sous le même état-major, dans l’unité absolue de sa création. Elle a prêté le serment civique devant M. Dumas, commissaire du roi, qui vit avec intérêt le bel ordre qui y règne, la bonne contenance de la troupe et l’air courageux des soldats. Le procès-verbal en fut adressé à l’Assemblée. Cette même garde nationale a assisté à la fédération du 14 juillet, avec le régiment de Languedoc, le détachement de Royal-Pologne, cavalerie, la brigade de maréchaussée et le corps de marine. Cette auguste cérémonie fît éclater la joie et l’union parmi tous les militaires. Jamais transports n'égalèrent ceux auxquels la ville se livra; des cris d’allégresse, des fêtes, des danses qui durèrent plusieurs jours, offrirent l’image du bonheur le plus parfait ; toute la cité n’avait qu’une âme, et cette âme était de feu pour la Constitution dont ils goûtaient les charmes, toute d’amour pour la patrie, toute en affection pour les concitoyens. Qui a vu ce spectacle ne croira pas que la discorde soit prête à y renaître, à moins que quelque cause du dehors ne l’y rallume. Quelques jours avant ces touchantes scènes, la municipalité avait publié une proclamation pour appeler au pacte fédéral les troupes nationales et celles de ligne, les habitants et les citoyens. Voici un article de cette proclamation: « Invitons pa-« reillement ceux de la garde nationale montau-« banaise qui s’en trouvent séparés, à s’y réunir « sous les drapeaux des quatre bataillons, en se « divisant dans les trente-deux compagnies for-« mant l’ensemble de la garde nationale , leur « déclarant que c’est le vœu le plus ardent de ce « corps qui nous en a fait les dépositaires par sa « délibération du 6 du présent mois. » Ces invitations ont été dédaignées, je le dis avec douleur. Qu’il eût été à souhaiter que la réunion se fût opérée ! Quel jour fortuné pour cette ville et pour nous ! Il ne manquait que leur présence, pour ensevelir à jamais le souvenir de toute discussion. Autour de l’autel de la patrie on se serait juré une amitié éternelle. On aurait resserré les nœuds de la fraternité ; le feu sacré qui brûlait sur cet autel et dans tous les cœurs aurait consumé tous les vestiges de l’antipathie et de la haine. Vains efforts, inutiles vœuxl ils n’ont produit que des regrets. Les membres de Ja garde nationale, séparés, ont été sourds à l’invitation, et ils veulent y rentrer en vainqueurs. Ah ! Messieurs, que cette victoire est alarmante, qu’elle pourrait être cruelle et funeste ..... Désarmer les huit nouvelles compagnies ..... faire rougir le front de tant de ci-iie Série. T. XVII. toyens recommandables ..... Donneruntel triomphe à leurs adversaires ..... Je jure de déployer toutes mes facultps, de m’exposer à tout pour obtenir l’obéissance, et tous mes collègues job gnent leur serment au mien. Mais nous devons le dire à 1 acquit de nos consciences; le premier hommage à vous offrir est celui de la vérité, et plus elle est courageuse, plus elle est digne de vous. Si Montauban doit périr, s’il est proscrit... le moyen est court et il est presque sûr. Ah ! Messieurs, le salut de cette ville vous touchera. Je vous parle en son nom, et mon titre m’en donne le droit ; elle n’a pas été le berceau de mon enfance, mais l’estime m’y attache autant que l’affection ; quedoit-ce être de ceux qui sont nés dans son sein, qu’elle a élevés dans son enceinte. En est-il un qui eût voulu porter la torche dans ses murs, qui pût contempler sans frémir cette cité naguère heureuse et brillante, maintenant livrée à la désolation et au ravage ! Ses habitants ne sont pas tels que la calomnie peut les avoir peints; ils sont nobles, francs et généreux, sensibles à l’excès dans tout ce qui touche l’amour-propre et l’honneur, pleins de force d’ailleurs, de courage et d’énergie; ce peuple estimable, Messieurs, est digne de votre protection ; il vous chérit et vous révère; la douceur peut tout sur lui, la violence ne peut que le détruire. Si, dans le principe, il montra moins d’attrait et de goût pour la Révolution, c’est qu’on la rendait formidable, en l’entourant de menaces et de sévérité par un comité de recherches. Il l’a aimée depuis et l’aime avec passion, parce qu’un régime paisible et doux lui en a développé le bonheur et les avantages. Messieurs, pardonnez à mon zèle s’il ose offrir à votre sagesse le plan salutaire, qu’elle est bien plus propre à vous inspirer, que je ne le suis à vous le faire entendre. La garde nationale a délibéré, le 6 de ce mois, de rappeler ses membres séparés ; elle les a invités à se réunir par l’organe des officiers municipaux et par une solennelle proclamation. Ne serait-il pas équitable qu’au moyen de celte invitation à laquelle les membres séparés seront toujours les maîtres de répondre, la garde nationale paisible et confiante restât telle qu’elle est? Le délai ne serait peut-être pas long, tout le royaume attend le décret général d’organisation pour les troupes nationales, et vous ne tarderez pas à remplir son attente. Le décret établira sans doute un ordre nouveau; tout se refondra et les principes de la mésintelligence disparaîtront avec l’ancienne formation. Cette idée, Messieurs, je viens vous la proposer comme tempérament d’équité; mais si vous daignez vous souvenir que l’ordonnance du 6 avril, qui autorise les nouvelles compagnies, est régulière et légale, vous serez persuadés que le maintien des nouvelles compagnies est d’une justice exacte et rigoureuse. La disposition du projet de décret qui me reste à discuter est celle qui nous concerne et qui est ainsi conçue : « que jusqu’à cequ’il soit statué sur « l’information (celle qui serait faite à Toulouse), « les membres du corps municipal de Montauban « demeureront suspendusde leurs fonctions à l’é-« poque de la notification du présent décret. « Que les administrateurs du département du « Lot ou de son directoire commettront, sur l’a-« vis du directoire du district de Montauban, six « personnes pour remplir dans cette ville, provi-« soirement, les fonctions municipales dont un « sera par eux indiqués pour faire les fonctions 24 370 [Assemblée nationale.] ARCHIVE!» PARLEMENTAIRES. [26 juillet 4700.] « de maire, et un autre pour remplir celles de « procureur de la commune, etc. » A n’envisager, Messieurs, que nos propres sentiments, et notre tranquillité personnelle, nous serions loin de réclamer contre un projet qui ne serait pour nous qu’un acte de bienfaisance ; oui, Messieurs, la peine serait douce et nous dirions sans effort et sans vertu que nousbaisonsla main qui nous frappe. Cette main rompait nos chaînes, nous soulageait d’un fardeau qui a épuisé nos forces, quoiqu’il n’ait pas encore lassé notre patience, ni vaincu notre résignation. Hélas 1 Messieurs, un travail sans bornes, pour lequel la nuit a souvent suppléé la durée du jour ; des tribulations sans nombre, tous les genres de péril, notre repos perdu, notre vie mille fois exposée, Dotre temps et toutes nos facultés aliénées : tel est, Messieurs, notre sort; tel a été notre apanage depuis le moment qui nous a dévoués au service de nos concitoyens. Je n’ai pas même voulu dire notre honneur attaqué, parce que la gloire de le défendre avec courage et dignité me paraît en racheter toute la peine et en compenser l’amertume, Jugez, Messieurs, si une pareille position peut laisser des regrets; je le dis avec sincérité, depuis le commencement de mes fonctions, je n’ai eu que deux jouissances que mes confrères ont partagées. La première, lorsqu’ en me précipitant le 10 mai au milieu d’un peuple furieux, en m’offrant aux coups, en suppliant, en conjurant, j’apaisai la vengeance, et je sauvai les citoyens qu’une colère aveugle allait immoler. La seconde, lorsqu’à côté du commissaire du roi, à travers une multitude innombrable, je volai vers les prisons, j’en arrachai ceux qui y gémissaient, je m’élançai dans leurs bras et les arrosai de mes larmes. A cela près tout a été peine et tourment, et le décret qui me suspendrait serait ma délivrance. Mais, Messieurs, la justice adopterait-elle ce que mes désirs solliciteraient? Un décret qui commence par interdire un officier public en même temps qu’il ordonne l’instruction de son procès, ne renferme-t-il pas une contradiction frappante ? On ne peut se dissimuler que la suspension ne soit une espèce de flétrissure, que le sentiment profond de l’innocence peut adoucir, mais qu’il ne saurait détourner. Sous ce point de vue, la justice punira-t-elle avant d’avoir aGquis des preuves, lorsqu’elle en est encore à en ordonner la recherche, lorsqu’en supprimant une procédure déjà faite, elle introduit un état de choses où il n’en existe aucune, où il ne reste par conséquent rien qui puisse charger ou convaincre? On propose de suspendre provisoirement, donc c’est de la procédure qu’on attend les preuves pour opérer la destitution. Mais si faute de procédure on ne peut destituer, n’est-il pas également vrai que, faute de procédure, on ne peut suspendre ? Ce qui n’est pas, ne produit aucun effet; on ne peut attribuer le plus ni le moins à une cause nulle, et il implique autant d’attacher à rien une petite conséquence, que de lui en attacher une grande. Outre une raison principale, je dois vous exposer, Messieurs, de puissantes considérations. Le projet proposé me paraît choquer d’abord l’article 47 du décret consttiutif des municipalités ; il porte, ce décret : « que lorsqu’un membre du « conseil municipal viendra à mourir, ou donnera « sa démission, ou sera destitué ou suspendu de sa c plate , ou passera dans le bureau municipal, il « sera remplacé de droit pour le temps qui lui « restait à remplir par celui des notables qui aura « réuni le plus de suffrages. i> Voilà la loi ; est-ce s’y conformer que d’établir une commission au Ghoix du département? Les places des officiers suspendus ne sont-elles pas dévolues aux notables? Le décret constitutionnel ne les a-t-il pas appelés avant que vous puissiez rendre un décret qui établisse des commissaires? Autre inconvénient plus notable : quatre des premiers officiers municipaux ont donné leur démission et sont actuellement remplacés par autant de notables. J’expliquerai bientôt la démission ; mais serait-il juste que les notables, nouvellement en fonction dans le corps municipal, fussent enveloppés dans une disgrâce qui doit leur être étrangère? Le décret projeté ne présente aucune exception ni distinction ; par cela même il serait inadmissible, Sur les quatre officiers sortis du corps municipal, l’un a été élu membre de l’administration du département du Lot ; les autres deux ont été appelés au district, l’un desquels en est le procu-reur-syndic; le quatrième a demandé sa retraite pour raison de santé. Quel serait l’effet du projet proposé, s’il se convertissait en décret ? L’officier du département, les officiers du district seraient suspendus des fonctions municipales qu’ils n’exercent plus, et ils continueraient les fonctions d’un ordre supé-- rieur dans les corps administratifs. Bien plus, à ce dernier titre, ils seraient chargés de remplacer la municipalité proscrite ou disgraciée, c’est-à-dire de se remplacer eux-mêmes ; quelle bizarrerie, quel monstre, quelle confusion l Si cependant on voulait étendre l’interdiction sur les officiers municipaux, aujourd’hui membres des administrations, voilà tous ces corps mutilés, le district de Monta uban sans syndic, privé d’un autre membre, le département du Lot également incomplet : quelle chaîne, d’inconvénients, que de secousses répétées, que de contre-coups ? Tout serait ébranlé, tout perdrait son aplomb. L’Assemblée nationale sera sans doute frappée de tant de suites fâcheuses et inconciliables avec, l’ordre public, ou qui du moins tendent à le troubler. Une dernière considération que je dois soumettre à votre sagesse, Messieurs, c’est l’effet qu’occasionnerait, dans la ville de Moniaubau, un décret qui lui enlèverait ses officiers municipaux. Us sont, Messieurs, l’ouvrage du peuple; ils ont été l’objet libre de son choix, et il croira tomber sous le joug, si une autorité étrangère, je veux dire celle du département, lui nomme de nouveaux chefs. Il ne doutera pas que ceux qu’il croit lui être contraires, ne parviennent à dominer; que cet ancien comité dont le nom l’effraye encore, ne revive sous un autre titre ou sous une autre forme. Ce peuple, qui a placé sa confiance dans les officiers qu’il a élus, qui a été témoin de leurs travaux , de leur dévouement et de leur zèle, qui les a vus se sacrifier mille fois pour le salut public, braver tous les périls, veiller avec la plus tendre sollicitude sur ses intérêts, ce peuple ne démêlera pas la cause d’une sévérité qui lui paraîtra inexpliquable. Il mérite les éloges que je lui ai donnés ailleurs, mais il est peuple. Nous vous faisons part, Messieurs, de nos craintes, bien disposés à tout tenter et à tout faire pour empêcher qu’elles ne se réalisent. La confiance que nous devons à vos lumières, à votre haute [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [26 juillet 1790.] 37 1 prudence, et qu’il nous est si doux de manifester, nous fait une loi de ne rien taire et nous impose l’obligation de vous éclairer sur des maux qui seront sans doute prévenus dès que vous en connaîtrez le danger. Nous avons pu contenir et réprimer sa colère, j’ignore si nous aurions le même pouvoir sur l’affection et la reconnaissance. Vous suppléerez, Messieurs, à notre faiblesse, à l’impuissance de nos moyens, ou plutôt vous chercherez à maintenir et à cimenter la paix dont notre ville jouit; nous vou3 l’attestons, Messieurs, à notre départ, elle offrait l’image du bonheur et de la concorde : la cérémonie auguste de la fédération avait ému tous les cœurs et réchauffé toutes les âmes, on se couvrait de lauriers et de fleurs, et les élans du patriotisme se mêlaient à tous Jes plaisirs et à tous les jeux. On a voulu vous persuader qu’un grand nombre de familles étaient errantes et fugitives, qu’elles n’osaient se rapprocher de leurs foyers, qu’une prodigieuse émigration avait dépeuplé cette ville turbulente. Erreur, Messieurs, erreur ; je ne veux pas dire imposture. Nous vous attestons ne pas connaître une seule maison transplantée (1); quelques individus se sont dispersés à Toulouse, dans cette capitale; mais ce sont des voyages ou des absences; leurs pères, leurs familles, leurs établissements restent à Montauban, et rien n’annonce qu’ils aient quitté leur patrie. Ce doux nom les rapprochera, elle leur ouvre son sein. Vous avez vu comme la garde nationale presse affectueusement les membres séparés de se réunir à ses drapeaux. Le vœu secret de mon cœur et celui de mes collègues aurait été un oubli général et absolu : à ce prix le sacrifice des injures ne nous eût rien coûté; l’honneur même y aurait souscrit. C’est dans cette vue que les deux partis avaient signé un traité solennel de concorde et d’amitié, auquel je me fais gloire d’avoir coopéré par mes puissantes exhortations : j’en avais béni le ciel. Ce jour qui est le 3 juin, où la municipalité déposa dans ses registres, cet acte pacifique, me parut un jour fortuné qui devait ramener le calme et la sérénité dans nos mœurs, et recommencer nos belles destinées. Comment cette espérance a-t-elle échoué? Il n’est plus temps de la former, elle ne saurait renaître; nous sommes traduits comme criminels, et nous devons être jugés. Mais une procédure légale doit préparer le jugement, cette procédure existe, etquelquedéfiaoce qu’elle pût nous inspirer, elle seule doit nous absoudre ou nous condamner. Jusque-là nous ne pouvons avec justice être privés de nos fonctions. Vous venez d’entendre notre justification, Messieurs, qui n’a pu recevoir l’étendue et le développement dont elle était susceptible. Elle n’est pas moins solide, elle n’est pas moins concluante , car la vérité agit toute seule et n’a besoin que de se montrer. Nous ne formons aucune demande, c'est en votre sagesse que nous plaçons notre confiance; il suffit que vous nçus reconnaissiez innocents, tous nos vœux sont remplis. M. Combes-Dounous, un des membres de la députation, dit: « Citoyen de Montauban, chargé d’une mission. honorable, c’est au nom de citoyens opprimés que je viens parler. Le mois de juillet 1789 vit éclore à Montauban un comité patriotique, composé de citoyens de toute condition. La paix régnait dans la ville ; on les calomnia, on les inquiéta, on intrigua, on réveilla le fanatisme religieux; l’appareil militaire fut même déployé; les bons citoyens découragés se retirèrent des assemblées primaires, et le petit nombre de ceux qui y restèrent forma la municipalité que vous connaissez : elle commença par retirer des mains du général les clefs de l’arsenal, qu’il avait toujours eues, c’était sans doute pour eu faire le fatal usage auquel elle les destinait; elle permit des assemblées incendiaires et fanatiques, où se trouvaient des femmes et des enfants ; elle défendit celles de la garde nationale ; elle a souffert que le frère d’un officier municipal publiât dans la ville de faux décrets, dans un journal auquel il donnait le nom de Journal des Débats, et qu’il falsifiait à son gré ; elle n’a nommé que depuis peu un collecteur; elle a éludé l’exécution du décret qui autorise un emprunt de 18,000 livres en faveur des malheureux, et les a ainsi privés des secours qu’ils étaient en droit d’attendre ; elle a saisi avec empressement l'occasion d’établir un corps rival de la garde nationale, au mépris de 60 pères de famille, qui lui en ex-osaient le danger, et de 999 soldats contre 336. Ile avait annoncé publiquement que le lundi 10 mai, jour des Rogations, elle irait faire l’inventaire des maisons religieuses. Les portes des églises étaient défendues deux heures avant leur arrivée. Douze sotdats auraient pu empêcher le désordre ; les officiers municipaux ne réclamèrent aucun secours. M. Romagnac, négociant, est informé que les troubles vont fondre sur l’hôtel de ville ; il en instruit la municipalité, on lui répond qu’il se fait des monstres pour avoir le plaisir de les combattre; il offre de se transporter à l’endroit avec la municipalité ; on se contente de lui envoyer un capitaine du guet. Déjà le peuple dépave les rues, et fait voler les pierres par-dessus les murs de l’hôtel de ville: les dragons sont retirés dans leur corps de garde, où ils sont assaillis à coups de pierre et de fusil. M... dit à un officier municipal : « Voulez-vous que je fasse retirer le peuple, sans occasionner aucun malheur? — On n'a pas besoin de vous, lui répondit-on; quand on en aura besoin , on vous appellera. » La municipalité a dit qu’on avait fait plusieurs décharges sur le peuple ; mais il y aurait eu des morts sur la place ; personne n’a été ni tué, ni dangereusement blessé, quelques-uns ont reçu de légères atteintes; c’est l’effet du désordre qui* régnait entre eux; on entendait les cris de : Vive le roi , vive la noblesse, vive V aristocratie, à bas la nation et la cocarde nationale ! Loin de nous opposer à l’information de tous ces faits, nous nous soumettons à tel tribunal qu’il vous plaira d’ordonner, et telle est notre confiance, que nous ne craindrons pas de nous constituer prisonniers sous la sauvegarde de la loi. » {On applaudit dans une grande partie de la salle et de toutes les tribunes.) M. le Président invite ensuite un des députés de l’ancienne garde nationale montaubanaise à présenter la défense de cette garde. (1) Il a été remarqué verbalement qu’il fallait excepter celle du sieur Joaubou qui disparut le matin au 10 mai. M. de Mirabeau, le jeune. Les tribunes sont vendues. M. le Président dit aux uns et anx antres : L’Assemblée nationale prendra, Messieurs, en considération les deux mémoires dont vous venez de faire la lecture et la remise sur le bureau. Elle