[Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES [6 octobre 1790.] 475 pour asseoir un calcul, il est indifférent qu’un bien soit loué en grains ou en argent. Il n’y a point de pays où il n’y ait des corps de ferme; il n’y a point de corps de ferme qui ne soit loué de l’une ou de l’autre manière. Plus communément on loue à moitié, tiers, quart, franc ou en partageant les frais avec un métayer. Un fermier, soit qu’il fasse valoir avec des bœufs, soit qu’il mette deux ou huit chevaux sur une charrue, a toujours calculé ses dépenses avant d’offrir un prix quelconque de la ferme où il se propose mettre son industrie en activité. Donc le propriétaire retire toujours le produit net. Quels que soient le pays qu’il habite et la valeur de son terrain, c’est ce produit qui est seul imposable; car rien n’est plus absurde que de taxer les bénéfices industriels d’un fermier, puisque la charge venant en défalcation du prix du bail retombe nécessairement sur le propriétaire. Cette ruse fiscale n’a été inventée que pour imposer indirectement les privilégiés, et l’altération, que le souverain s’est permis de porter au droit prétendu immémorial de cette classe, prouve qu’il ne l'a jamais regardé comme légitimement fondé; ce principe est aussi celui du comité de l’impôt. Toute location, soit en argent, soit en grains, peut s’évaluer comme si elle était faite à moitié ou au tiers, quart, cinquième, etc., du produit brut des récoltes. Toute terre que le propriétaire fait valoir peut s’apprécier, par comparaison, avec celles qui sont louées. Ces bases adoptées, il est sensible que toute terre doit au roi le cinquième de son produit net : dans les sols susceptibles d’être loués à moitié franc, l’impôt sera la dixième gerbe, parce qu’il en faut cinq pour les frais, quatre au maître et une au roi. Dans les terres susceptibles de location au tiers franc, l’impôt sera la quinzième gerbe; savoir : une au fermier, quatre au maître et une au roi. Il dérive des mêmes principes que, si vous louez au quart, l’impôt sera la vingtième gerbe, et ainsi de suite jusqu’à la dernière classe; mais il ne sera jamais fait plus de quatre classes par chaque communauté. Telle m’a paru être la méthode très simple, d’établir l’égalité proportionnelle sur toutes les terres du royaume,� eu égard aux différents lots, aux méthodes plus ou moins dispendieuses d’exploitation, et aux produits très variés des récoltes, parce qu’un fermier prend tous ces objets en considération, lorsqu’il veut louer, et le prix qu’il veut louer, et le prix qu’il offre, pouvant s’appliquer aisément à une des clauses ci-dessus énoncées, n’est jamais que le résultat de ses combinaisons de besoins et de ressources. Je vais démontrer que, sans compter les impôts accessoires, comme gabelle, aides, tabac, etc., certains laboureurs, en Champagne, acquittent aujourd’hui, en impositions foncières, au moins la cinquième gerbe effective de leurs récoltes, sans déduction d’aucuns frais de culture. Le meilleur arpent de terre à froment ne peut être évalué produire en brut aux champs plus de 108 livres, dîmes et sciages acquittés. Ce même arpent n’est évalué au cadastre que 12 livres de produit net chaque année. Il doit, sur le pied de cette évaluation, qui paraît faible au premier aspect, 3 sous 4 deniers pour livre de taille principale .............. 2 1. » s. » d. 3 sous pour livre de cette première somme pour la capitation et les accessoires ........ 3 » » Le sixième de ces deux sommes A reporter. .. . 5 1. » s. » d. Report ..... 5 1. » s. » d. réunies pour la corvée ..... » 16 8 2 vingtièmes et sous pour livre 1 ,6 5 Total ..... 7 1. 3 s. 1 d. Mais les mars ne servent qu’à la nourriture des bestiaux, et la versaine étant nulle, il faut extraire du produit d’un arpent ampouillé en froment, l’impôt de trois arpents, formant la solle d’usage; c’est donc effectivement une somme de 21 livres 9 sous 3 deniers à prélever sur un produit de 108 livres; n’est-ce pas le cinquième du produit brut? N’est-ce pas enfin comme si ce laboureur payait la cinquième gerbe en nature? Si donc le propriétaire foncier, qu’on appelait ci-devant tail-lable, n’acquitte au plus que la dixième gerbe de son champ, à l’avenir, au lieu de la cinquième qu’il paye aujourd’hui effectivement, mais d’une manière déguisée surtout, ne payant plus ni dîme, ni gabelle, il devra ce bonheur aux principes d’humanité et de philosophie qui éclairent la France, et après tant de siècles de vexations il recevra comme un bienfait cet acte de justice rigoureuse de l’Assemblée nationale. Telle est la véritable mesure de nos devoirs envers la nation, et la règle proportionnelle que je désire qui vous paraisse, comme à moi, très facile à saisir. Je ne propose point de gêne, point de contrainte, je demande seulement qu’une communauté soit libre de répartir la quotité de son imposition, soit en argent, soit en nature, à son choix. Mais comme le mode d’imposer en argent peut servir de manteau à l’intérêt personnel, je réclame toute faveur pour celui qui, payant aux champs, justifiera de la manière la plus évidente, et sa bonne foi et le terme de ses moyens. Assurez le peuple que le taux fixé par la loi ne peut jamais être excédé, et vous verrez bientôt le même niveau s’établir partout sans contrainte et sans frais; car un village qui se prétendrait trop imposé, ne manquera pas de s’empresser d’en faire la preuve que vous lui aurez indiquée, et vous obtiendrez, de cette manière, en moins de six ans, un cadastre parfait, celui de la nature même. Je propose le projet de décret suivant : « Art. 1er. L’impôt à établir sur les propriétés foncières en 1791, compris les accessoires, charges locales et frais de perception, ne pourra excéder, soit en nature, soit en argent, le cinquième du produit net des fonds dans toutes les parties de l’Empire. « Art. 2. La somme d’impôts à asseoir, sur chaque communauté, par les administrateurs du district, sera, comme ci-devant, en argent ; mais il sera libre à chaque communauté de répartir son impôt foncier tout en nature ou tout en argent, par des cotes séparées, ou bien partie en argent et partie en nature, suivant l’espèce de matière imposable qui se trouvera dans son arrondissement. En conséquence, à la réquisition des trois quarts des propriétaires fonciers, citoyens actifs, la municipalité, après avoir déterminé conformément à la loi, dans un rôle particulier, l’évaluation des objets qui ne peuvent s’imposer qu’en argent, et en avoir fait déduction sur la masse générale de l’impôt que l’administration de district lui aura affectée, sera tenue de mettre en adjudication, au rabais, l’impôt en nature à prélever sur les fonds qui en seront susceptibles, toutefois sous la condition rigoureuse de ne jamais excéder le cinquième du produit net m [Assemblée 'nationale.] ARCffiVÉS TAKL’EMÉNTAIÏIÈS. [6 octobre 1790.] et par conséquent de prendre la dixième gerbe pour maximum du produit brut des terres de première classe; la quinzième gerbe pour maximum du produit brut des terres de seconde classe, et la vingtième gerbe pour maximum de la troisième et dernière classe. « Art. 3. Le fermier de l’impôt en nature sera chargé par son bail du recouvrement de l’impôtqui n’aurait pu être assis qu’en argent ; il fournira bonne et suffisante caution, dont la communauté restera solidaire envers l’Ktat, et il acquittera, mois par mois, aux termes du règlement, à la décharge des habitants, le montant de leur cotisation. « Art. 4. Si, à l’adjudication sollicitéepar les trois quarts des propriétaires fonciers, il ne se présente pas des fermiers solvables et agréés par la majorité du corps des habitants, la répartition individuelle de l’impôt se fera en argent, d’après les règles prescrites, titre III, du plan proposé parle comité. « Art. 5. Si, après évaluation faite des objets payables en argent, l’impôt d’une communauté se trouve tellement disproportionné à ses facultés, qu’aucun fermier ne veuille se charger de l’acquitter, en prélevant à son profit le maximum sur chaque classe de terre, désignée article 2, alors l’adjudication se fera en sens inverse, en présence d’un commissaire du district, et prenant ce maximum pour base, on adjugera cette quotité à celui qui en offrira la plus forte somme, ce que déterminera l’impôt réel de la communauté; le surplus de la cotisation tombera en non-valeur, et sera réparti l’année suivante sur les communautés les moins imposées, proportionnellement à leurs facultés. « Art. 6. Toute communauté qui préférera faire la répartition individuelle de la totalité de son impôt en argent, au lieu de mettre en location les objets susceptibles d’être imposés en nature, ne pourra être admise en réclamation, sous prétexte de trop imposé, jusqu’à ce qu’elle ait la preuve indiquée, article 5 ci-dessus. « Art. 7. L’impôt territorial en nature ne pourra jamais être loué pour plus ni moins de trois années, et ce sera toujours à Noël que s’en fera l’adjudication. « Art. S.Lescommunautéspourrontseréunirpar canton, pour établir un plus grand concours aux adjudications; mais chaque communauté sera libre d’agir séparément, et d’après ce qui lui paraîtra plus convenable à ses intérêts. «Art. 9. Les pailles et fourrages que le fermier de l’impôt en nature ne consommera pas pour son usage seront vendus aux petits laboureurs du canton, et par préférence de la municipalité du lieu de la perception, à un prix qui sera déterminé par le bail. « Art. 10. L’Assemblée naitonale charge son comité des finances de lui présenter dans le plus court délai un mode d’organisation pour l’administration du Trésor public, dans lequel seront versés tous les impôts, tant directs qu’indirects, lesquels seront ensuite distribués aux différentes branches d’administration, sous la surveillance immédiate, et conformément aux décrets qui seront rendus par chaque législature, et sanctionnés par le roi. » (L’Assemblée ordonne l’impression du projet de décret proposé par M. Dubois-Crancé.) M. d’André. Il est impossible que la discussion continue ainsi. Je demande que, selon l’usage qui a toujours été suivi dans les matières importantes, le comité d’imposition soit chargé de vous présenter demain une série de questions sur lesquelles on puisse décider par oui ou par non. M. Ifongins ( ci-devant de Roquefort). Il me semble que les questions à décider peuvent se poser en ces termes : 1° T aura-t-il une contribution foncière? 2° Quelle sera la quotité de cette contribution? 3° Sera-t-elle en nature ou en argent? 4° L’Assemblée déléguera-t-elle aux départements le soin d’en régler le mode ? M. Démeunier. Je demande que la motion de M. d’André soit adoptée et qu’on continue aujourd’hui la discussion sur l’impôt en nature. (Cette proposition est mise aux voix et décrétée.) M. l’abbé Charrier. L’impôt territorial et foncier payé en nature offre de grands avantages; en argent il présente de grands inconvénients. L’impôt, en nature est plus juste, puisqu’on ne paye qu’autant qu’on récolte; la cote en argent est indépendante de la récolte. L’impôt en nature dispense du cadastre de la répartition toujours inégale entre les individus, et même entre les divers départements, districts ou municipalités : un cadastre exigerait du temps, et les circonstances nous pressent; il entraînerait des frais, et le Trésor public ainsi grevé ne retrouverait ces dépenses qu’en surcharge sur le peuple. Ce cadastre, quand il serait fait, devrait être recommencé dans 10 ans. L’impôt en nature n’exige point de cadastre : en vain dira-t-on que, suivant la nature du terrain etles fraisdeculture qui varient avec elle, tel qui payera 8 gerbes paye réellement plus ou moins que celui qui, sur un autre sol, en payerait autant numériquement : d’abord cette difficulté est commune à tous les systèmes, et ne sera pas plus facile à résoudre dans celui de l’impôt en argent, que dans celui de l’impôt en nature; mais il est compensé dans la perception en nature, par un avantage inappréciable. Celui qui achète un fonds de médiocre qualité, qui paye réellement plus en payant autant, parce la culture sera plus coûteuse, le paye en conséquence, et cette considération influe sur le prix de son acquisition : ainsi voilà une compensation, et le territoire en général paye dans une juste proportion. Celui qui paye dans la même nature les fruits qu’il récolte n’est point exposé aux vexations qui accompagnent le payement de l’impôt en argent; celui qui doit en argent éprouve des contraintes ruineuses quand il ne peut satisfaire à l’impôt; celui qui le paye en nature ne les redoute jamais, puisqu’il ne paye qu’autant qu’il a reçu, et qu’il ne craint pas que l’Etat lui demande ce qu’il n’a pas recueilli. En vain dira-t-on que l’impôt territorial en nature ne porte que sur le produit brut, tandis que le comité a prouvé qu’il ne doit être perçu que sur le produit net ; cette objection ne peut être sérieuse : car, enfin, comme on imposerait sur les trois quarts du revenu en argent, en abandonnant un quart pour les frais, ne peut-on pas de même, sur un produit de douze gerbes par exemple, en céder trois pour la culture et les champs, et imposer les neuf gerbes restantes ? Ce serait avec aussi peu de succès que l’on prétend que, dans la perception en nature, l’inégalité de perception est nécessaire sur les produits de même genre de culture, comme le lin et le chanvre, qui exigent plus de travail; ce qui nécessite, dit-on, un cadastre dispendieux pour