[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1789.] 505 Cette réflexion anticipant trop sur l’avenir n’a aucun succès. Un ecclésiastique développe ensuite les principes de toute société. La société domestique, dit-il, est la première de toutes les sociétés. Plusieurs Ramilles se sont ensuite réunies : c’est là qu’a commencé la société politique. En se réunissant ainsi, les hommes sont convenus de certaines règles ; ces règles sont des lois, et ces lois .supposent une autorité quelconque qui en maintient l’observation. Cette société s’est étendue ; elle a fait partie d’une autre société, et alors ce n’est qu’une portion d’un Etat ; ou elle se gouverne seule, et alors elle fait un corps politique : elle a le pouvoir absolu et indépendant. C’est du placement de ce pouvoir que dépend la constitution des Etats, Ce pouvoir réside dans le peuple, et alors c’est le gouvernement de la démocratie. Il réside dans quelques hommes privilégiés, et alors c’est l’aristocratie. Enfin, il réside dans un seul,etc’est la monarchie. Ce sont moins les termes que les choses qui constatent leur nature. Les termes changent, mais les choses sont invariables. Aussi un monarque cesse-t-il de l'être, quant à l’effet, s’il agit arbitrairement; cesse-t-il de l’être encore, s’il n’a plus d’autorité. Dans la monarchie les pouvoirs dépendent essentiellement du monarque. . . De grands cris rappellent l’opinant à l’ordre ; une voix se fait entendre au-dessus des murmures : Il s’agit de la monarchie, et l’opinant Iraite le gouvernement despotique. Cette réflexion fait descendre l’opinant de la tribune. Un autre ecclesiastique prend aussi la parole : Nous allons donc enfin nous occuper de la Constitution. Il est temps de consacrer à jamais la religion que nous professons. . . . Gette motion tendant également à établir le despotisme, des réclamations se font entendre de toutes parts, et ce second orateur quitte la tribune comme le premier, sans terminer son discours. M. Fabbé d’Eymar prend la parole pour appuyer le sentiment du préopinant, mais en écartant les expressions qui avaient choqué l’Assemblée. M. de Talleyrand-Pérlgord, évêque d’Au-tun, en terminant la discussion sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, annonce que tout ce qui concerne la religion catholique commencera la discussion. M. Fabbé d’Eymar. Je demande donc que l’on mette comme premier article de la Constitution que la religion catholique est la religion de l’Etat. M. Bouche. J’observe à l’opinant que Phara-mond régnait avant Clovis. La motion de M. l’abbé d’Eymar est rejetée. La discussion s’ouvre sur le premier article. M*** . C’est ici que l’on doit réfiéchir sur l’esprit national. Il y a près de quatorze cents ans que les Français, libres de se diriger par l’esprit républicain , préférèrent les douceurs du gouvernement monarchique aux orages d'un gouvernement républicain. Aujourd’hui cette circonstance se présente encore : la nation est rassemblée; forte de l’estime publique, n’ayant au dehors que des princes qui consument leurs forces dans la mollesse ou dans des guerres qui nous vengent de nos souffrances ; au dedans, aucun prince, aucun homme puissant qui puisse se déclarer l’appui du trône, il allait s’écrouler aujourd’hui, comme il se serait écroulé du temps de Pépin et de Hugues Capet ; mais les mêmes sentiments, la même impulsion viennent de le relever encore. Louis XVI n’est plus sur le trône par le hasard de la naissance ; il y est par le choix de la nation, elle l’y a élevé, comme autrefois nos braves aïeux ont élevé Pharamond sur le bouclier Personne ne conteste le gouvernement monarchique. Tous les cahiers sont formels, cela est vrai; mais il semble que ce n’est pas là le point d’où il faut partir ; c’est du vœu actuel de nos commettants qui, armés jusqu’aux dents, viendront à bout de se constituer en monarchie mitigée. Mais qu’est-ce que cet esprit national? c’est le résultat d’un grand nombre de causes. Les unes sont fixées dans le climat que l’homme habite ; les autres le sont par les erreurs et les préjugés, et quelques autres par la raison. Si ces causes agissent en sens contraire, l’homme est malheureux ; si elles s’accordent avec sa position physique, alors il se montre dans la splendeur et l’opulence qu’il peut se promettre du libre usage des ressources locales. 11 faut l’avouer : le seul gouvernement qui convienne à nos mœurs, à notre climat, à l’étendue. de nos provinces, c’est le gouvernement monarchique. Plusieurs membres critiquent l’article premier, quant à la rédaction. M. Boache propose d’y substituer ce qui suit : « La France est un Etat monarchique, c’est-à-dire un Etat où un seul gouverne par des lois fixes et fondamentales. » L’Assemblée témoigne un sentiment de préférence pour cet article. Il est plus expressif, dit un membre, et il définit du moins ce que c’est que monarchie; car, certes, à Constantinople, où il n’y a qu’un sultan, l’on peut dire que c’est là aussi le gouvernement monarchique. M. Desmeuniers. J’appuie l’article de M. Bouche. H est tellement nécessaire de donner une définition du pouvoir monarchique, que l’on peut en abuser bien facilement. Il y a deux ans que nous étions aussi* sous un gouvernement monarchique; il n’y a qu’un instant, on nous présentait dans cette même tribune le gouvernement monarchique comme le despotique. Ilconvientdoncd’annoncer que le gouvernement français est une monarchie tempérée par les lois ; tel est l’amendement que je propose à la motion de M. Bouche. M. de Eubersac, évêque de Chartres , censure le dernier membre du premier article qui porte que «le Roi ne peut exiger d’obéissance qu’autant qu’il commande au nom de la loi. » Il prétend qu’il y a une certaine obéissance provisoire qui est toujours due au Roi. M. le duc de Earochefoucauld présente 506 {Assemblée nalipnalc.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 août 1789. un amendement, pour la motion de M. Bouche ; aux mots fixes et fondamentales , il supplée par ceux-ci : « par des lois faites par la nation ou par ses représentants. » M. Target propose un arrêté qui réunit une grande partie des suffrages. « En France, il n’y a pas d’autorité supérieure à celte de la loi. Le gouvernement est monarchique, et il n’est établi que pour la faire exécuter. » M. Robespierre. D’aussi grands intérêts que ceux qui nous agitent me donnent le courage de vous proposer une réflexion que je crois nécessaire. Je demande qu’avant de délibérer on adopte un moyen qui satisfasse à la conscience, je veux dire d’établir une délibération paisible ; que chacun puisse, sans crainte de murmures, offrir à l’Assemblée le tribut de ses opinions. U faudrait donc ajouter au règlement quelques articles qui seraient conformes à ce que j’ai l’honneur de vous proposer. A peine l’orateur a-t-il achevé ces mots, que les cris répétés à l’ordre , à l’ordre ! l’ont interrompu. M. le Président lui observe qu’il ne s’agit pas du règlement. M. Robespierre veut répondre, les cris recommencent, et il descend de la tribune. Plusieurs membres s’élèvent contre un pareil despotisme, et réclament la liberté des opinions. M. Robespierre remonte à la tribune, et y propose, sans succès, d’ajouter quelques articles nécessaires à la tranquillité de la délibération, préalablement à toute discussion sur la Constitution. M. le comte de Mirabeau cherche à donner quelque faveur à l’avis de M. Robespierre. Si un membre, dit-il, soutenait que l’on ne peut aller aux voix par assis ou levé, parce que ce mode est une espèce d’acclamation , l’opinant serait dans l’ordre du jour. M. Duport élève une autre queslion, relative aux assemblées provinciales; maison le rappelle au point de la discussion. Le mot de monarchie, dit-il, c’est un mot sur lequel chacun attache une idée différente dans telle ou telle monarchie. Ici l’on est libre, là l’on, est esclave. Il faut donc définir la monarchie: d’ailleurs, il convient encore de placer le mot de nation avant celui de gouvernement, qui n’est qu’une cause secondaire. M. Bfauzat propose une toute autre forme pour l’article. Il convient qu’il faut conserver le mot de monarchie, mais qu’il faut lui donner une toute autre signification; distinguer ensuite les trois pouvoirs, et les expliquer chacun dans un article à part. Il fait sentir l’importance de s’expliquer sur le sens actuel de monarchie, en disant que l’on n’entend pas rétablir une monarchie fondée sur la division des ordres, sur la vénalité des charges, mais une monarchie fondée sur la séparation des trois pouvoirs. M. le comte de Mirabeau. Puisqu’il y a lieu à délibérer sur la série des questions proposées, et qu’ainsi nous allons enfin nous occuper de la Constitution, je demande que tous les objets constitutionnels soient jugés par appel nominal, et non par assis et levé. M. Mounier. Je vais plus loin; je demande qu’il soit fait une liste de tous ceux qui parleront sur les questions qui viennent d’être posées; et que cette liste, divisée en deux colonnes, l’une remplie parles noms de ceux qui parleront pour raffirmative, et l’autre destinée à ceux qui soutiendront la négative, soit ensuite insérée dans le procès-verbal. M. le comte de Mirabeau. Qu’il soit permis à un homme qui signe et qui a toujours signé, de représenter comme dangereuse la motion du préopinant. Elle ne convient ni à la dignité, ni à la fraternité de l’Assemblée. Je crois qu’après avoir combattu pour notre opinion avec une opiniâtreté zélée, il ne doit rester parmi nous nulle trace de dissentiment. Tel est le principe de toute assemblée régulière et sage, et rien ne peut vous empêcher de penser que votre souverain, c’est le principe. M. Duval D’Epréinénil. Je demande non-seulement la liste indiquée par M. Mounier, mais je voudrais encore que le premier député de chaque ordre, de chaque bailliage, soit tenu de déclarer quelle est la volonté de ses commettants sur la sanction royale. M. le comte de Mirabeau. L’Assemblée a déjà prononcé sur les mandats impératifs. Je ne renouvellerai pas cette discussion, mais je me permettrai une observation très-claire et obligeante pour tout le monde; il eût été malheureux [tour vous que te système de M. d’Epréménil eût prévalu, car alors il n’aurait pas eu besoin de venir ici en personne, il aurait pu se contenter d’envoyer son cahier, et l’on eût été privé du plaisir de l’entendre. — A la suite de ces discussions, nous allons mettre les projets qui sont présentés : M. ***. « La France est une monarchie ; le Roi n’y règne que par la loi, il ne peut commander qu’au nom et en vertu de la loi. » M. Plson du Galand. « Art. 1er. Les citoyens français ne sont et ne seront soumis, tant pour leur propriété que pour leur liberté, qu’aux lois qu’ils auront volontairement consenties, soit par eux, soit par leurs représentants réunis en Assemblée nationale. « Art. 2. Le gouvernement français eslen conséquence un gouvernement monarchique. Au Roi seul appartient la force publique pour l’exécution des lois. » M. Desmontiers de Mérinvïlle, évêque de Dijon. « L’Assemblée nationale énonce et promulgue les articles suivants; elle déclare qu’elle conserve la forme de son gouvernement ; que c’est un gouvernement monarchique tempéré par les lois; qu’elle ne veut y rien changer. » M. le baron de Menou. « L’Assemblée nationale déclare que de tous les gouvernements le gouvernement monarchique est celui qui convient le mieux à laFrance, c’est-à-dire le gouvernement oü un seul est chargé de l'exécution des lois. » M. le marquis deSillery . « Le principe de la souveraineté réside essentiellement dans la nation. « L’Assemblce nationale déclare que toute autorité doit être soumise à la loi; qu’elle veut que [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES-[28 août 1789. [ 507 son gouvernement soit monarchique, que le Roi ne règne que par la loi, et ne puisse commander qu’au nom et en vertu de la loi. » M. Roussier. « La France est un Etat monarchique dans lequel la nation fait la loi, et le Roi la fait exécuter. C'est dans la division de ces pouvoirs que consiste la Constitution . » Voici un dernier projet (car nous avons choisi ces projets sur quarante-cinq au moins) que nous ne devons pas oublier. « Point d’autorité supérieure à la loi, le Roi ne peut exiger d’obéissance que quand il parle au nom de la loi. Le gouvernement français est une démocratie royale. » L’article 1er du comité de Constitution, et le projet présenté par M. Roussier pour le remplacer, excitent les débats les plus vifs. La majorité de la noblesse et du clergé, et presque la moitié des communes, croyaient voir dans le premier article du comité une adhésion préliminaire de la sanction royale. Le reste tient fortement pour le projet de M. Roussier, parce qu’il croit y voir le contraire. MM. Dumetz et Garat 'aîné sont d’avis d’adopter l’article proposé par le comité. M. Populus demande le retranchement de cette phrase, comme pouvant altérer l’obéissance due au roi. M. Desmontiers de Mérlnvillc, évêque de Dijon , propose de remplacer le premier article par trois articles de ses cahiers. M. Oiasset est d’avis que la dénomination de la monarchie soit suivie de la définition. Plus de vingt rédactions sont successivement proposées. M. Roussier propose sa rédaction en ces termes : a La France est un Etat monarchique dans lequel la nation fait la loi; le monarque la fait exécuter. La séparation des pouvoirs constitue essentiellement le gouvernement français. » La priorité pour cette motion est réclamée. Après quelques débats il est décidé, par assis et levé, que la rédaction du comité sera mise la première aux opinions. Amendements proposés: Par M. Malouet. « La volonté de la nation française est que son gouvernement soit monarchique. » ParM.de Lubersac, évêque de Chartres, que l’article soit ainsi terminé: « Ce n’est que par l’autorité de la loi qu’il exige l’obéissance. » D’autres amendements sont encore proposés. M. le comte de Croix demande qu’en conformité du règlement, une question aussi importante, et qui n’est pas urgente, soit renvoyée au lendemain pour la décision. (Opposition d’une partie de l’Assemblée, qui veut qu’on délibère. Vive agitation dans les opinions.) M. Mounier demande que la question soumise soit jugée provisoirement, sauf à être confirmée sans discussion pendant deux autres jours. Plusieurs demandent que le premier article ne soit décidé qu’avec le second relatif à la sanction royale. M. le Président récapitule les avis divers, et détermine l’Assemblée à remettre la décision à demain. La séance est levée, et remisé à demain matin pour cet objet, à neuf heures. Une assemblée a été indiquée pour 7 heures du soir, et le comité de subsistances et de finances convoqués pour cinq heures et demie. Séance du soir. La ville d’Amiens a, comme beaucoup d’autres villes du royaume, éprouvé des troubles. La formation d’un comité permanent et d’une milice bourgeoise les a arrêtés. Les membres de ce comité ont écrit à l’Assemblée pour lui faire part des mesures qu’ils avaient prises pour rétablir l’ordre. La lettre a été lue par M. le président, et l’Assemblée l’a chargé de répondre qu’elle voyait avec la plus grande satisfaction tout ce qui était fait pour assurer la tranquillité publique. M. le duc de Luxembourg ayant donné sa démission, son suppléant, M. Irland de Bazoges se présente; il est admis après la vérification de ses pouvoirs, qui sont trouvés valables. Un des secrétaires présente à l’Assemblée un ouvrage de M. Peyssonnel, consul de France à Smyrne ; il est intitulé: Tableau politique de lasi-tuation de la France, dédié à l’Assemblée nationale. M. le prince de Rroglic, membre du comité des rapports, rend compte à l’Assemblée d’une difficulté élevée dans la ville de Nevers, où, comme dans plusieurs autres villes du royaume, l’ancienne municipalité a été destiluée par la nomination d’une nouvelle municipalité nommée par la commune. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. de Latour-du-Pin, qui prie l’Assemblée de vouloir bien accepter sa démission et hâter la vérification des pouvoirs de M. le marquis de Brémond d’Ars, nommé son suppléant par la noblesse de Saintes. Un autre membre du même comité fait un rapport pareil pour la ville de Château-Chinon. Sur l’une et l’autre affaire, la question préalable est demandée; il est décidé pour tous deux qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. le duc du Châtelet demande la parole pour disculper M. le comte d’Esterhazy de l’abus d’autorité qui lui a été reproché dans l’affaire des quatre particuliers emprisonnés à Marien bourg ; il propose de communiquer à l’Assemblée des pièces qui prouvent que M. le comte d’Esterhazy ne s’est mêlé ni indirectement ni directement de cette affaire, et il fait ensuite une motion pour qu’à l’avenir le comité des rapports ne puisse rendre compte à l’Assemblée d’aucune inculpation, sans avoir auparavant connu les moyens de défense de l’inculpé. M. le baron de Marguerites fait un rapport pour engager l’Assemblée à charger son président de faire quelques démarches auprès de M. le garde des sceaux, pour obtenir la commutation de peine de quelques particuliers condamnés pour émeute, àraisou des grains, dans la ville deBagnols.