ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [23 juin 1789.1 j40 [Élats généraux.] et connaissant vos cahiers, connaissant l’accord parfait qui existe entre le vœu le plus général de la nation et mes intentions bienfaisantes, j’aurai toute la confiance que doit inspirer une si rare harmonie, et je marcherai vers le but auquel je veux atteindre avec tout le courage et la fermeté qu’il doit m’inspirer. Réfléchissez , Messieurs , qu’aucun de vos projets, aucune de vos dispositions ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale. Ainsi, je suis le garant naturel de vos droits respectifs ; et tous les ordres de l’Etat peuvent se reposer sur mon équitable impartialité. Toute défiance de votre part serait une grande injustice. C’est moi, jusqu’à présent, qui fais tout le bonheur de mes peuples ; et il est rare peut-être que l’unique ambition d’un souverain soit d’obtenir de ses sujets qu’ils s’entendent enfin pour accepter ses bienfaits. Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin chacun dans les Chambres affectées à votre ordre, pour y reprendre vos séances. J’ordonne, en conséquence, au grand-maître des cérémonies de faire préparer les salles. Après le départ du Roi, les députés de la noblesse et une partie de ceux du clergé se retirent, tous les membres de l’Assemblée nationale et plusieurs curés restent immobiles à leur place. M. le comte de Mirabeau, élevant Ja voix le premier dit, (1) : J’avoue que ce que vous venez d’entendre pourrait être le salut de la patrie si les présents du despotisme n’étaient pas toujours dangereux. Quelle est cette insultante dictature? l’appareil des armes, la violation du temple national, pour vous commander d’être heureux? Qui vous fait ce commandement? Votre mandataire. Qui vous donne des lois impérieuses ? Votre mandataire, lui qui doit les recevoir de vous, de nous, Messieurs, qui sommes revêtus d’un sacerdoce politique et inviolable ; de nous enfin, de qui seuls vingt-cinq millions d’hommes attendent un bonheur certain, parce qu’il doit être consenti, donné et reçu par tous. Mais la liberté de vos délibérations est enchaînée, une force militaire environne l’Assemblée. Où sont les ennemis de la nation? Catilina est-il à nos portes? Je demande qu’en vous couvrant de votre dignité, de votre puissance législative, vous vous renfermiez dans la religion de votre serment -, il ne nous permet de nous séparer qu’après avoir fait la constitution. Quelque temps après, le marquis de Brézé s’approche du président, et dit : Messieurs, vous avez entendu les intentions du Roi. » M. ïe comte de Mirabeau se lève avec le ton et les gestes de l’indignation, et répond ainsi : Oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au Roi ; et vous, qui ne sauriez être son organe auprès des Etats généraux ; vous, qui n’avez ici ni place, ni droit de parler, vous n’êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter tout équivoque et tout délai, je déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car (1) Le discours de M. le comte de Mirabeau n’a pas été inséré au Moniteur, nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes (1), D’une voix unanime les députés se sont écriés: Tel est le vœu de l’Assemblée. Le grand-maître des cérémonies se retire. Un morne silence règne dans l’Assemblée. M. Camus. Le pouvoir des députés composant cette Assemblée est reconnu ; il est reconnu aussi qu’une nation libre ne peut être imposée sans son consentement. Vous avez donc fait ce que vous deviez faire: si, dès nos premiers pas, nous sommes arrêtés, que sera-ce pour l’avenir! Nous devons persister, sans aucune réserve, dans tous nos précédents arrêtés. M. Barnave. Votre démarche dépend dq votre situation ; vos arrêtés dépendent de vous seuls. Vous avez déclaré ce que vous êtes ; vous n’avez pas besoin de sanction : l’octroi de l’imJ t pôt dépend de vous seuls. Envoyés par la nation* organes denses volontés pour faire une constitut tion, vous êtes obligés de demeurer assemblés aussi longtemps que vous le croirez nécessaire à l’intérêt de vos commettants. Il est de votre dignité de persister dans le titre d 'Assemblée nationale. M. Gleizen, député de Rennes, ayant parlé des applaudissements indiscrets de cpielques membres des deux premiers ordres, ajoute : Le pouvoir absolu est dans la bouche du meilleur des Rois, dans la bouche d’un souverain qui reconnaît que le peuple doit faire ses lois. C’est un lit de justice tenu dans une Assemblée nationale: c’est un souverain qui parle en maître, quand il devrait consulter. Que les aristocrates triomphent; iis n’ont qu’un jour : le prince sera bientôt éclairé. La grandeur de notre courage égalera la grandeur des circonstances. Il faut mourir pour la patrie. Vous avez pris, Messieurs, des délibérations sages : un coup d’autorité ne doit pas vous effrayer. M. l’Abbé Sieyès. Messieurs, nous sommes aujourd’hui ce que nous étions hier. Délibérons. MM. Pétion de Villeneuve, Buzot, Garat l’aîné et l'abbé Grégoire appuient avec énergie le parti proposé. ! M. l’nbbé Siéyès (2). Messieurs, quelque orageuses que paraissent les circonstances, nous avons toujours une lumière pour nous guider: Demandons-nous quels pouvoirs nous exer-i çons et quelle mission nous réunit ici de tous les points de la France. Ne sommes-nous que des mandataires, des officiers du Roi? nous devons obéir et nous retirer. Mais, sommes-nous les envoyés du peuple, remplissons notre mission, librement, courageusement. Est-il un seul d’entre nous qui voulût abjurer la haute confiance dont il est revêtu et retourner vers ses commettants, leur dire : j’ai eu peur, vous aviez remis dans de trop faibles mains les destinées de la France ; envoyez à ma place un homme plus digne de vous représenter ? (1) Le recueil des discours de Mirabeau, publié par M. Barthe donne la variante suivante : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la puissance du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la force des baïonnettes. » (2) Le discours de M, Sieyès n’a pas été inséré au Moniteur, [24 juin 1789.] 147 [États généraux.] 'ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Nous l’avons juré, Messieurs, et notre serinent ne sera pas vain, nous avons juré de rétablir le peuple français dans ses droits. L’autorité qui vous a institués pour cette grande entreprise, de laquelle seule nous dépendons, et qui saura bien , nous défendre, est, certes, loin encore de nous I crier : c’est assez ; arrêtez-vous. Au contraire, / elle nous pousse, et nous demande une consti-' Jtution. Et qui peut la faire sans nous? qui peut jla faire, si ce n’est nous ? Est-il une puissance sur terre qui puisse vous ôter le droit de représenter vos commettants? ' (Ce discours est couvert d? applaudissements) . On prend les voix par assis et levé, et l’Assemblée nationale déclare unaniment qu’elle persiste dans ses précédents arrêtés. i M. le comte de Mirabeau. C’est aujourd’hui que je bénis la liberté de ce qu’elle mûrit de si beaux fruits dans l’Assemblée nationale. Assurons notre ouvrage, en déclarant inviolable la personne des députés aux Etats généraux. Ce n’est pas manifester une crainte : c’est agir avec prudence; c’est un frein contre les conseils violents qui assiègent le trône. Après un court débat, cette motion est adoptée à la pluralité de 493 voix contre 34 ; et l’Assemblée, se sépare après avoir pris l’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale déclare que la personne de chaque député est inviolable ; que tous particuliers, toutes corporations, tribunal, cour ou commission qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député, pour raison d’aucunes propositions, avis, opinions, ou discours par lui faits aux Etats généraux; de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu’ils fussent ordonnés, sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crime capital. L’Assemblée nationale arrête que, dans les cas susdits, elle prendra toutes les mesures nécessaires pour rechercher, poursuivre et punir ceux qui en seront les auteurs, instigateurs ou exécuteurs ( l). » : Sur le surplus, l’Assemblée a continué la séance b demain neuf heures. Ces arrêtés ont été pris en présence de plusieurs de MM. du clergé. Ceux dont les pouvoirs étaient vérifiés ont donné leur voix lors des opinions ; et les autres ont demandé qu’il fût fait mention de leur présence. | fl) Il a été imprimé diverses versions de l’arrêlé pris par l’Assemblée nationale, le 23 juin 1789, après la séance royale. Nous avons reproduit le texte du procès-verbal, comme le seul authentique. Néanmoins, nous insérons ici, à titre de document, un paragraphe que nous trouvons dans Tune des versions dont nous yenons de parler. Il est ainsi conçu : a Arrête pareillement que toutes poursuites civiles et criminelles, contre iesdits députés, seront interdites ft toutes personnes, en quelque qualité qu’elles soient, et à tous tribunaux pendant la session, si elles ne sont expressément autorisées par l’Assemblée nationale. » ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du mercredi 24 juin 1789. CLERGÉ. Les membres du clergé se sont rendus à neuf heures dans la salle où ils avaient coutume de s’assembler. On a proposé de commencer par la lecture de la déclaration du Roi. La plus grande partie des membres s’y sont opposés, et ont demandé qu’on allât auparavant aux voix pour savoir si la majorité avait été pour la vérification commune ou non. L’autre partie a objecté que ce qui avait été fait postérieurement à la séance du 19 de ce mois était inconnu à l’Assemblée; que l’ordonnance du Roi cassant et annulant tout ce qui s’était fait, il ne fallait plus s'occuper des actes précédents, mais recommencer toutes les opérations, à dater de la séance royale. On a insisté, d’un côté, sur la lecture de la déclaration du Roi, et de l’autre, sur la clôture du procès-verbal de la séance du vendredi 19. Les différents partis n’ayant pu s’accorder, les membres qui avaient voté pour la vérification commune se sont retirés de la salle, et se sont rendus dans celle des communes. Les membres du clergé restant dans la salle, au nombre de 132, en l’absence des secrétaires, ont nommé MM. de Barmond et Goster pour en remplir les fonctions. On a mis aux voix si l’on ferait la lecture de la déclaration du Roi, ce qui a été accepté et exécuté. On a ensuite délibéré sur ce qu’il y avait à faire dans les circonstances présentes ; l’arrêté suivant a été pris à la majorité de 118 voix. Les membres du clergé assemblés dans la salle affectée à l’ordre, pour y reprendre leurs séances conformément à la volonté du Roi, lecture faite des discours et de la déclaration de Sa Majesté concernant la présente tenue des Etats généraux, et en conséquence des articles 1 et 11 de ladite déclaration, sont convenus de reconnaître comme valides tous les pouvoirs déjà légalement vérifiés des membres tant absents que présents, sur la députation desquels il ne s’est point élevé de contestations. Us ont en conséquence déclaré qu’ils se constituaient dès à présent en Assemblée active de l’ordre du clergé aux Etats généraux ; et ladite Assemblée a arrêté, à l’égard de la communication des pouvoirs entre les ordres, et les jugements à porter sur les pouvoirs contestés , de se conformer aux articles 2 et 10 de ladite déclaration. » MM. Delomieu et de Saint-Albin ont déclaré que sur la vérification des pouvoirs ils adoptaient les formes proposées par le Roi ; mais que sur la constitution de la Chambre; ils ne pouvaient, d’après leurs mandats, consentir à ce que le clergé se constituât, et qu’ils en demandaient acte, ce qui leur a été accordé. On a procédé ensuite à l’élection d’un président. M. le cardinal de la Rochefoucauld a obtenu la majorité des suffrages, et a été proclamé en cette qualité. La séance a été levée à cinq heures. NOBLESSE. M. le Président a donné lecture de la lettre suivante, qui lui a été adressée par la minorité de la noblesse ;