[3 janvier 1791. J 4 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. France si les lois n’y sont plus que des armes, et des armes remises dans les mains de l’inexpérience. Une déposition non écrite n’est point une déposition, n’est pas une preuve légale; et tout accusé, condamné sans cette preuve-là, est condamné illégalement, c’est-à-dire juridiquement assassiné. Voilà où le comité vous conduit, et il appelle cela protéger la liberté ! On répond que les jurés ne peuvent exister avec des preuves écrites. Observez que M. D »port, au mois d’avril, vous a fait décréter les jurés au criminel; on voilait alors les conséquences de cet établissement. Je prétendis qu’avant de les décréter il fallait avoir sous les yeux un aperçu de leur organisation. La proposition fut rejetée, et on soutint qu’il fallait d’abord décréter le principe : maintenant qu’il l’est, on vous dit que la conséquence est qu’il ne peut y avoir de preuves écrites, par ce que des jurés ne seraient pas en état delà combiner. Telle est la constante manière dont on vous fait procéder; on vous met un principe en avant, sans vous dire où l’on veut qu’il vous conduise; et ce principe passé, le comité revient au bout de quatre mois, et vous dit : Vous avez en tel temps, décrété tel principe; pour Jui être fidèle, il faut adopter tel article. Cet article est combattu; mais il y a une tactique d’après laquelle c’est un membre du comité qui parle le dernier ; il a eu le temps de se préparer et de s’armer; et, avec ces deux avantages-là, on va aux voix. Observons que le juré ayant vu les dépositions rédigées devant lui, peut, avec l’intelligence la plus ordinaire, les combiner par écrit; que la rédaction soulage et son attention et sa mémoire : mais les confier à la seule mémoire, c’est écrire sur la neige. Un témoin dont la déposition n’est pas écrite, la fait avec bien moins d’attention; il ne dépose pas, il raconte : premier danger. Il en est un second d’un genre opposé, mais qui n’est pas moins grave : les regards de l’accusé, ceux de son conseil, de ses parents, de ses amis, feront vaciller le témoin; et si l’on n’écrit pas la déposition, le résultat en sera nul. Remettons-nous-en à l’expérience : la loi voulait, elle veut encore qu’en matière légère, au civil, les témoins soient entendus sommairement, et leurs dépositions non rédigées; cependant un usage, fondé sur la nécessité, avait abrogé, dans presque tous les tribunaux, cette déposition; on avait fini par les écrire, parce que l’expérience avait averti du danger de la non rédaction par écrit; avait averti que c’était établir leur haine de l’arbitraire dans le sanctuaire même de la loi. Où est le mortel qui aurait pu juger sur des dépositions non écrites l’affaire de la Pivardière, celle du 6 octobre, et cent autres que l’on pourrait citer? Combien n’y aura-t-il pas de probabilités de plus contre la vérité des témoignages, dès là que le témoin le plus décidément parjure ne pourra être convaincu. Il y avait malheureusement de faux témoins, malgré la possibilité de la conviction; or, combien n’y en aurait-il pas du moment où elle deviendrait impossible? Quel frein y aura-t-il contre cette classe d’bommes assez vils pour vendre leur conscience ? On suppose ensuite aux jurés une finesse de tact, une netteté d'aperçu qui est la chose la plus rare chez les hommes instruits. Ils céderont à la première impression ; mais cette impressiou-là ne trompe-t-elle jamais? L’expression du visage est-elle toujours celle de l’àme? en est-elle, sijepuisle dire, la gravure et l’estampe? est-il bien sûr que de telles indications soient toujours le chemin de la vérité? Cependant, si vos jurés se trompent, nulle ressource ouverte pour réparer leurs erreurs. Le comité veut nousreporter à laposition dans laquelle nousétions avant l’invention de l’écriture. Le non emploi de l’écriture est une institutiondigne de la barbarie. Ainsi, ce n’est pas d’avancer, c’est de rétrograder que l’on parle. Quel essai terrible on vous propose ! il s’agit de conjurer contre les vérités établies, de détrôner la raison publique. Il faut que, depuis l’Hôpital, tous les législateurs aient déliré. On a tant et si bien dit que la preuve vocale était dangereuse, qu’il était malheureux d’être réduit à cette preuve pour les crimes, voulez-vous ajouter à son danger? Lorsque notre opinion chancelle, nous cherchons, pour nous accorder, la statue d’un grand homme. Dites-moi quel est celui qui a prononcé que la preuve testimoniale ne devait pas être écrite, et sur quel homme de génie vous pouvez-vous appuyer? Ce n’est pas sur de vieilles nations que l’on peut faire de telles expériences anatomiques. Prenons garde que l’on ne nous applique ce que Pline disait des médecins de son temps : Discunt peri-culis nostris, et per expérimenta mortes agunt. Craignons d’être avertis par les gémissements de l’innocence, et de n’avoir à lui offrir que d’inn tiles regrets. Comment voulez-vous juger de la bonté de l’établissement des jurés, si vous ne pouvez comparer leur décision avec des dispositions arrêtées. Le peuple croira qu’ils disposent à volonté de là vie et de l’honneur; à quoi ne les exposez-vous pas ? Si les dépositions ne sont pas écrites, ils n’auront plus de frein ; on cherchera à les acheter, et cela sera bien plus facile, puisqu’ils n’auront dans le fait le pouvoir de faire une grâce, sans qu’on puisse les convaincre d’avoir mal décidé. Je demande donc qu’il soit décrété que letémoin sera d’abord entendu devant le juge, que sa déposition sera rédigée par écrit etqu’illa réitérera devant les jurés, sans qu’alors elle ait besoin d’être écrite de nouveau. M. Chabroud. L’institution des jurés nesym-patise pas avec des dépositions par écrit. Je crois donc que les dépositions par écrit ne sont pas admissibles ; je soupçonne même que la plupart des personnes qui sont d’un avis contraire, n’y ont pas sérieusement réfléchi. Marchons avec les principes, et nous verrons que le danger est où nous cherchons le préservatif. On se sert de l’écriture pour conserver la mémoire des choses. Gela posé, l’écriture n’est pas nécessaire là où la mémoire des choses est inutile. On se servait de l’écriture dans le temps où la procédure était discontinuée presque aussitôt que commencée. L’examen par jurés annonce une autre forme. Je soutiens qu’un témoignage peut être plus facilement altéré, s’il passe par la filière de la rédaction, que si tous les témoins étaient rassemblés devant le juré. Je demande donc que si l’on veut conserver l’institution des jurés dans toute sa pureté, la procédure ne soit pas faite par écrit. M. l’abbé Bourdon, curé d'Evaux. Je dénonce à l’Assemblée un imprimé qui contient le prétendu serment de M. l’évêque de Clermont. Il y est dit que ce serment a été adopté par un grand nombre de membres du clergé... Plusieurs membres de la partie droite : Cela est vrai !