254 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. adresser un mémoire sur ce] objet, et m'a ajouté, comme il le dit dans sa lettre : « Ce ne sera pas moi qui craindrai les principes de l'Assemblée nationale », ou, comme je crois l’avoir entendu, « Ce ne sera pas moi qui contrarierai les principes de V Assemblée nationale ». Les deux versions reviennent à peu près au même. Je vois dans l’une et dans i’aqtre la promesse très formelle que je ne serai jugé, ni par la commission, ni par le conseil ; car il est bien certainement impossible que le conseil ou un démembrement du conseil me juge, d’après les principes de l’Assemblée nationale et d’après les cahiers des assemblées élémentaires. Le surlendemain 6 septembre, je reçois, dans la matinée, l’avis très-positif , que la commission doit s’assembler, le mercredi 9 ou le jeudi 10, pour s’occuper de l’échange de Sancerre, et qu’elle s’assemble par l’ordre de M, le garde des sceaux. J’ai dû en conclure que l’ordre avait été donné dans l’intervalle du 4 au 6, c’est-à-dire, le lendemain du jour où M. le garde des sceaux m’avait demandé un mémoire, en me déclarant qu’il ne contrarierait pas , ou qui! ne craindrait pas les principes de l’Asseniblée nationale. M. le garde des sceaux dit que l’attente de mon mémoire ne devait pas le porter à interrompre l'examen de l'affaire. Il ne m’appartient pas de juger ce que M. le garde des sceaux devait faire. Je dirai seulement ce que j’ai dû croire qu’il ferait, d’après ce qu’il m’avait dit le 4 septembre. Je lui demandais l’inaction absolue du conseil, et de la commission sur l’échange de Sancerre, jusqu’à ce que les évaluations fussent consommées. 11 m’a invité à lui présenter un mémoire sur cet objet. Devais-je m’attendre que le lendemain, sans avoir reçu mon mémoire, sans m’avoir donné le temps de le faire, il ajournerait la commission pour s’occuper de mon échange ? Je lui disais que, d’après les principes de l’Assemblée nationale, et d’après ceux des assemblées élémentaires, il était impossible que je fusse jugé, soit par le conseil, soit par une commission du conseil. Il m’a répondu, j’ai cru du moins l’entendre, que ce ne serait pas lui qui contrarierait les principes de l’Assemblée nationale. S’il m’a dit cela, j’ai dû croire que les principes de l’Assemblée nationale étaient aussi les siens. Je n’ai donc pas dû m’attendre que dès le lendemain il se hâterait de donner un ordre contraire aux principes de l’Assemblée nationale. S’il m’a dit, comme il le croit, que ce ne serait pas lui qui craindrait les principes de l’Assemblée nationale, sans doute il n’a pas voulu me dire par là qu’il bravait les principes de l’Assemblée nationale, mais seulementqu’ilnedevaitpaslescraindre, parce qu’ils étaient d’accord avec les siens. Dans ce cas encore, je n’ai pas dû m’attendre que dès le lendemain il ajournerait une commission, dont il savait que la prescription était dans le vœu et dans les principes de l’Assemblée nationale et de la nation entière. Si donc j’ai conclu de la réponse de M. le garde des sceaux, qu’il ne ferait pas ce qu’il a fait, il me semble que ce n’est pas ma faute. M. le garde des sceaux paraît vivement blessé de la première phrase de ma supplique, où il est, dit-il, personnellement taxé de violer , à mon égard, la plus sacrée, la plus importante de toutes les lois. Je ne crois pas avoir exagéré l’importance de la loi, qui veut qu’aucun citoyen ne puisse être jugé que par les tribunaux institués par la loi. Je ne crois pas m’être trompé, lorsque j’ai dit que cette loi était violée par l’attribution d’une (2 ectobre 1789.) juridiction contentieuse, soit au conseil du Roi, soit à toute espèce de commission extraordiraire. Me serai-je trompé, lorsque j’ai attribué à M. le garde des sceaux cette violation de la loi? Je sais bien que ce n’est pas lui qui a formé la commission, ni qui a attribué une juridiction contentieuse sur mon échange au conseil royal des finances ; aussi ai-je reporté cette première violation de la loi à M. l’archevêque de Sens, à qui elle appartenait, Mais, depuis la retraite de M. l’archevêque de Sens, la commission et le conseil royal des finances avaient cessé de s'occuper de mon échange ; ils étaient dans une inaction absolue. Par qui ont-ils été remis en activité? Par qui la commission a-t-elle été ajournée ? De qui dépendait-il de leur donner le mouvement, ou de le suspendre? Le pouvoir excitatif n’appartenait certainement qu’à M. le garde des sceaux ; et je le respecte trop, pour croire qu’il puisse dire, que l’ajournement de la commission n’est pas de son fait. Je n’ai donc pu attribuer qu’à lui la seconde violation, la violation actuelle de la loi. M. le garde des sceaux a cru voir dans ma lettre du 19 septembre, que je lui proposais de décider seul la question déférée au conseil du Roi. Me permettra-t-il de lui dire qu’il a mal saisi le sens de ma lettre ? Je n’ai point reconnu qu’il y eût aucune question légalement déférée au conseil du Roi, puisque j’ai, au contraire, dénié au conseil du Roi toute espèce de juridiction me concernant. Je me suis plaint précisément de ce que des questions me concernant, avaient été déférées au conseil du Roi par M. le garde des sceaux ; et c’est en cela que j’ai fait consister la violation de la loi. Je n’ai donc point proposé à M-le garde des sceaux de porter un jugement, soit seul, soit dansleconseil duRoi,sur aucune question me concernant. Je lui ai seulement proposé de réparer un fait qui lui était personnel, et qu’il pouvait réparer alors, sans éclat et sans inconvénient. Il ne l’a pas voulu ; son opinion m’inquiéterait, si je n’étais pas rassuré d'avance par l’opinion publique. Signé : le comte d’Espagnac. SECONDE SUPPLIQUE DU COMTE D’ESPAGNAC, MESTRE DE CAMP DE CAVALERIE, A L’ASSEMBLÉE NATIONALE (1)% (ÉCHANGE DU COMITÉ DE SANCERRE.) (Imprimée par ordre de V Assemblée nationale.) Un arrêt du conseil d’Etat, rendu sous le ministère de M. l’archevêque de Sens, avait établi une commission composée de quatre conseillers d’Etat et d’un maître des requêtes, pour procéder à l’examen de tout ce qui concerne la forme et le fond du comté de Sancerre, etc ..... pour, sur le compte qui en serait rendu au Roi par les commissaires, être par lui statué en son conseil royal des finances, en présence et de l’avis desdits commissaires, ce qu'il appartiendrait. Un second arrêt du Conseil d’Etat, rendu sous le même ministre, avait commis le sieur Lorry, inspecteur général du domaine, pour être procédé, à sa poursuite et diligence, à l’exécution du présent arrêt . Un troisième arrêt du Conseil d’Etat, rendu sous le même ministre, sur la requête de l’inspecteur général du domaine, avait ordonné qu’avant de faire droit sur cette requête, elle me serait (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789,] communiquée, pour y fournir réponse dans le délai du règlement ; pour ce fait, ou faute de ce faire dans ledit délai, dire par le Roi enjon conseil royal des finances fait droit ainsi qu'il appartiendrait. L’inspecteur général du domaine demandait par sa requête que le contrat d’échange de San-cerre, et les arrêts du conseil et lettres patentes qui avaient ratifié l’échange, fussent annulés et révoqués. Que tous les objets qui m’avaient été abandonnés par cet échange fussent réunis au domaine de la couronne. Et dans le cas où le Roi jugerait à propos de ne pas me dépouiller définitivement sans m’entendre, l’inspecteur général du domaine voulait cependant que le Roi me dépouillât provisoirement' sans m’entendre ; car ildemandait que, par provision, il fût fait défense, tanta moi qu’à mes co-échangistes, de faire aucune nouvelle coupe et exploitation des bois qui m’avaient été donnés en échange; et cependant le Roi aurait continué de jouir par provision de tout ce que je lui avais donné en échange : ce qui était, comme on le voit, souverainement juste. M. le garde des sceaux a voulu consommer l’ouvrage de M. l’archevêque de Sens. II a voulu que le Roi, en son conseil royal des finances, prononçât comme juge sur la demande de l’inspecteur général du domaine contre l’échange de Sancerre. J’ai dénoncé à l’Assemblée nationale cette violation de la loi. J’ai remis ma supplique, le 21 septembre 1789, à M. le comte de Clermont-Tonnerre, alors président de l’Assemblée nationale. Dans la séance du 22 au soir, M. le président a indiqué la discussion relative à ma dénonciation dans l’ordre de la séance du lendemain soir. Le 23, dans la séance du matin, l’Assemblée nationale a continué de s’occuper de la Constitution et de la distinction des trois pouvoirs. L’article qu’elle a décrété sur le pouvoir judiciaire ne me laisse plus rien à craindre du conseil du Roi, ni rien à désirer de l’Assemblée nationale. Ce décret est ainsi conçu : Le pouvoir judiciaire ne pourra, en aucun CAS, ÊTRE EXERCÉ PAR LE ROI, NI PAR LE CORPS LÉGISLATIF ; MAIS LA JUSTICE SERA ADMINISTRÉE AU NOM DU ROI, PAR LES SEULS TRIBUNAUX ÉTABLIS PAR LA LOI, SUIVANT LES PRINCIPES DE LA CONSTITUTION, ET SELON LES FORMES DÉTERMINÉES PAR LA LOI. Si le pouvoir judiciaire ne peut, en aucun cas , être exercé par le Roi , le Roi ne peut donc juger, l’échange de Sancerre dans son conseil des finances; car juger, c’est exercer le pouvoir judiciaire. Le décret de l’Assemblée nationale a donc prononcé la nullité des trois arrêts du conseil, qui attribuent la juridiction au Roi, pour statuer, en son conseil des finances, sur l’échange de Sancerre, car c’est bien au Roi que la juridiction est attribuée par les trois arrêts. On sait d’ailleurs que c’est toujours le Roi qui juge et qui juge seul, au conseil des finances : les membres du conseil y donnent leur avis, mais leurs voix ne sont pas comptées. Or, suivant le décret , le Roi ne peut en aucun cas, juger , exercer le pouvoir judiciaire. Ce décret a donc aussi prononcé ta nullité des trois arrêts du conseil, en ce qui concerne la commission chargée de procéder à l’examen de l’échange de Sancerre au fond et dans la forme : car cette commissionne doit pas yw/er; elle nedoit que préparer le jugement du Roi. C’était le Roi 255 qui devait statuer ce qu’il appartiendrait , en son conseil des finances, en présence et de l'avis des commissaires ; or, suivant le décret, le Roi ne peut, en aucun cas , juger, exercer le pouvoir judiciaire. De plus, le décret aurait encore prononcé la nullité de la commission etde l’attribution de juridiction au conseil royal des finances, quand même les trois arrêts du conseil n’auraient' pas reporté au Roi, en dernière analyse, le droit exclusif de juger : car, suivant ce décret, la justice ne doit être administrée que PAR LES SEULS TRIBUNAUX ÉTABLIS PAR LA LOI. Or, juger, c’est administrer la justice ; et l’on ne peut pas dire que le conseil royal des finances, ni la commission formée par M. l’archevêque de Sens soient des tribunaux établis par la loi, Ce décret peut bien ne pas remplir le vœu de la nation; car, la nation demande, non-seulement que la justice ne soit administrée que par les seuls tribunaux établis par la loi , mais encore que chacun de ces tribunaux établis par laloi soit imperturbablement maintenu dans l’exercice de juridiction que la loi lui aura confiée, qu’aucune commission extraordinaire ne puisse étendre la juridiction des tribunaux établis par la loi au delà des bornes que la loi aura posées. Je connais deux tribunaux, celui de la loi, celui de l’opinion publique. Or, le décret n’a pas pourvu à ce dernier point. Il a seulement énoncé que l’Assemblée nationale se réservait d’y pourvoir. La justice, dit le décret, sera administrée par les seuls tribunaux établis par la loi, suivant les principes de la Constitution. II annonce donc d’autres principes constitutionnels à établir sur l’administration de la justice. Ils seront développés sans doute dans le chapitre de l’organisation du pouvoir judiciaire. Mais je n’ai pas besoin de ces développements ultérieurs. Le décret du 23 me suffit. Il annule tout ce que M. l’archevêque de Sens a fait contre moi. Il me rassure et me protège contre tout ce que M. l’archevêque de Bordeaux voudrait faire* Sans doute, M. le comte de Clermont-Tonnerre aura senti, comme moi, que le décret du 23 au matin remplissait l’objet de ma réclamation ; et c’est probablement par cette raison que ma supplique n’a pas été mise en discussion dans la séance du 23 au soir, quoiqu’elle fût dans l’ordre du jour. Cette question était cependant restée dans le procès-verbal comme objet à discuter. Elle était dans l’ordre du soir avec deux autres questions qui me sont étrangères. On a demandé, dans la séance du soir du vendredi 2 octobre, quelle était celle ties trois questions qui devait avoir la priorité. L’Assemblée nationale a décidé que la question de l’échange du comté de Sancerre aurait la priorité. Un député des communes du bailliage de Blois a saisi ce moment. Il a dénoncé mon échange à l’Assemblée, comme abusif, onéreux et dommageable à l'Etat. Et, si l’on m’a rapporté fidèlement la substance de son discours, il a aussi dénoncé ma personne. Il a dit que j e convoitais depuis longtemps la superbe forêt deRussv. Il a parlé des manœuvres par moi pratiquées pour me T approprier, ou du moins pour m’en approprier la moitié. Il a dit que je dégradais cette moitié de forêt par des coupes extraordinaires, et surtout par le choix que je faisais des plus beaux arbres, indistinctement. dans tous les climats. Son discours tendait à prouver que l’Assemblée [2 octobre 1789.] [Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. nationale devait annuler l'échange, et, en attendant cette annulation , m’interdire toute nouvelle coupe et exploitation dans la forêt de Russy. L’Assemblée nationale a décrété « qu’il serait nommé un comité de trente-cinq personnes, savoir , une par généralité, pour la recherche et l'examen de tous les engagements, échanges , concessions et aliénations quelconques des biens et domaines de la couronne, et spécialement du comté de Sancerre. L'honorable membre qui m’a dénoncé à l’Assemblée nationale, le 2 octobre, m’avait aussi dénoncé à M. le garde des sceaux dans les derniers jours d’août et au commencement de septembre. Il voulait, au commencement de septembre, que le Roi jugeât en son conseil royal des finances, ce qu’il veut aujourd’hui faire juger par l’Assemblée nationale. Peu lui importe quelle que soit la main qui me frappera, pourvu que je périsse, et surtout pourvu que ce ne soit pas le tribunal de la loi qui me juge. Que sait-on même, s’il ne se propose pas, dans l’espoir que je serai plus sûrement écrasé, de me faire juger tout à la fois par le Roi et par l’Assemblée nationale ? J’ai lieu de le croire, puisque je suis averti, qu’aujourd’hui lundi, 5 octobre, le Roi doit s’occuper de l’échange de Sancerre dans son conseil royal des finances. L’honorable membre doit pourtant savoir que, suivant le décret du 23 septembre, à la formation duquel il a sans doute concouru par ses lumières et par son suffrage, mon échange ne peut être jugé, ni par le Roi, ni par l’Assemblée nationale. Ce décret dit : «Le pouvoir judiciaire ne pourra , en aucun cas , être exercé par le Roi ». Le Roi ne peut donc pas juger l’échange. Ce décret dit : « Le pouvoir judiciaire ne pourra, en aucun cas, être exercé par le Corps législatif». L’Assemblée nationale ne peut donc pas juger l’échange. Ce décret dit enfin : « La justice sera administrée par les seuls tribunaux établis par la loi, suivant les principes de la Constitution ». L’Assemblée nationale ne peut donc pas juger l’échange; car elle n’est certainement pas tribunal établi par la loi, suivant les principes de la Constitution. Ni le Roi, ni l’Assemblée nationale, ne peuvent donc juger, même provisoirement ; car juger provisoirement, c’est juger, c'est exercer le pouvoir judiciaire, c'est administrer la justice. Aussi le comité des trente-cinq n’a-t-il point été chargé de juger ni de préparer le jugement de l’Assemblée nationale, soit définitif, soit provisoire, sur l’échange de Sancerre; mais seulement de faire la recherche et l'examen de cet échange. Et quel sera le résultat de cette recherche, de cet examen? Ou l’Assemblée, sur le rapport du comité des trente-cinq, croira voir dans l’échange des nullités ou des présomptions de fraude : et, dans ce cas, elle renverra au pouvoir judiciaire pour juger la fraude ou la nullité. Ou elle ne verra dans l’échange ni nullités, ni présomptions de fraude : et, dans ce cas, elle renverra au pouvoir exécutif, non pour annuler l’échange, mais pour en consommer l’exécution. On me connaîtrait mal si l’on concluait de ma double réclamation contre la juridiction contentieuse du Roi et contre celle de l’Assemblée nationale, que je crains d’être jugé. Je connais deux tribunaux, celui de la loi, celui de l’opinion publique. Je ne reconnaîtrai jamais comme tribunal de la loi, que celui qui aura été institué par la loi, auquel tous mes concitoyens seront soumis comme moi. Que ce soit le Roi, que ce soit l’Assemblée nationale, qui veuille exercer une juridiction contentieuse sur moi, fût-ce la nation entière, j’aurais le courage de méconnaître tous ces tribunaux, tant qu’ils ne seraient pas avoués par la loi constitutionnelle de mon pays, tant qu’on n’aurait créé ces tribunaux que momentanément et contre moi. La nature m’a dit depuis longtemps, et l’Assemblée nationale a déclaré depuis peu, que mes droits étaient égaux à ceux de tous les autres hommes. Quant au tribunal de l’opinion publique, comme l’estime de tous mes semblables est un besoin pour moi, je ne récuse personne; et je serai prêt, à tous les instants de ma vie, à rendre compte de ma conduite au Roi, à l’Assemblée nationale, et à la nation entière, soit collectivement, soit individuellement. Si, après m’avoir entendu, on doute encore de ma loyauté, qu’on me renvoie au tribunal de la loi, et je jure de ne pas goûter de repos jusqu’à ce que je sois définitivement jugé. Sous quelque rapport que F Assemblée nationale croie devoir examiner l’échange de Sancerre, elle ne voudra pas le juger sans doute, sans m’avoir entendu. L’honorable membre qui m’a dénoncé ne le voudrait pas lui-même. Sans doute on ne croira pas non plus que je puisse être valablement défendu, sans connaître les faits dont on m’accuse et les preuves qu’on m’oppose. Je supplie donc l’Assemblée nationale: 1° de vouloir bien engager l’honorable membre qui m’a dénoncé, à signer le discours qu’il a lu contre moi dans la séance du soir du 2 octobre, et à m’en donner communication; 2° De me donner une place, d’où je puisse entendre mes autres délateurs; car iis sont plusieurs, et je les connais tous; 3° De vouloir bien entendre ma défense à la barre. Je crois ne demander rien qui ne soit juste, et si je l’obtiens, j’ose dire que je ne crains aucun de mes délateurs. Il en est même plusieurs parmi eux que j'estime assez pour ne pas les craindre, s’ils avaient le courage d’être mes juges après avoir été mes détracteurs. Gomme je n’ai pas entendu l’honorable membre qui m’a dénoncé ; comme je ne connais que très-peu de mots de son discours, je ne puis lui répondre dans ce moment que fort superficiellement et en très-peu de mots. 11 dénonce mon échange comme abusif . L’échange ne peut être abusif, qu'autant qu’il serait contraire à la loi ; et mes plus cruels ennemis conviennent qu’il est de tout point conforme à la loi. 11 le dénonce comme onéreux et dommageable à l’Etat. On ne peut savoir s’il est onéreux et dommageable que par le résultat des évaluations ; et l’on ne veut pas laisser achever les évaluations! Il dit que j’ai longtemps convoité la forêt de Russy, ou du moins la moitié de cette forêt. J’ai pu l’avoir toute sous la première administration deM.Necker; le Roi me l’avait donnée en échange, et je ne l’ai pas voulue. Il dit que je la jardine, que je la dégrade par des coupes extraordinaires. G’est un fait facile à vérifier, et sur lequel celui de nous deux qui n’aura [3as dit vrai sera inexcusable; car l’honorable membre connaît tout aussi bien que moi l’état actuel de la forêt. Or je déclare que le fait [2 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 287 qu’il m’impute est faux ; et je mets sur ce fait mon honneur contre le sien. RAPPORT FAIT A L’ASSEMBLÉE NATIONALE PAR SON COMITÉ DES FINANCES SUR LES DÉPENSES ACTUELLES DU DÉPARTEMENT DE LA GUERRE (1). (. Imprimé par ordre de l'Assemblée nationale.) Le département de la guerre se trouve aujourd’hui, dans le rapport de ses finances, ce qu’il est dans tous ses autres rapports, entre un système ancien à peu près totalement détruit, et un système nouveau incomplet, déjà modifié dans ses ordonnances depuis son établissement, et dérogeant par la force des circonstances à plusieurs dispositions du conseil de guerre qui l’a créé. Il serait donc impossible de donner une idée récise des dépenses actuelles de ce département. 'on est forcé de se réduire à en présenter l’état suivant le régime et les projets récents, dont une courte pratique a déjà démontré les imperfections. Les fonds de la guerre, qui jadis arrivaient à leur destination militaire par les mains de quatre trésoriers, ont été réunis dans la main d’un seul dispensateur en 1779 ; mais ces quatre divisions n’en avaient pas moins conservé jusqu’à l’année dernière leur dénomination particulière. Ainsi dans le projet de fonds de 1789, qui a été remis par M. Melin, premier commis des finances de la guerre, et qui s’élève à 96,703,851 livres, l’extraordinaire des guerres devait fournir de cette somme totale, celle de 75,531,130 livres; l’ordinaire des guerres, 6,231,677 livres; l’artillerie et le génie 11,200,000 livres; les maréchaussées 3,741,044 livres. Ces quatre divisions distinctes par leurs noms, avaient aussi leurs attributions particulières. Les fonds de l’extraordinaire des guerres étaient appliqués à la solde et entretien des troupes de ligne; ceux de l’ordinaire des guerres ou taillon, à la solde et entretien des troupes de la maison du Roi, au traitement des maréchaux de France, aux gages des commissaires des guerres; ceux de l’artillerie et du génie, à la solde de ces deux corps, et à l’acquittement de tous les travaux dont ils sont chargés ; enfin les fonds de la maréchaussée étaient attribués à la solde de ce corps et au traitement des divers officiers des tribunaux qui en dépendent. C’est d’après cette ancienne forme des comptes que sont établis les états fournis par M. Melin, qui portent la dépense de la guerre en 1787 à 105,792,920 livres ; ceux de 1788 à 95,256,460 et enfin le projet de fonds pour 1789, qui n’élevant la dépense qu’à 96,703,851 livres présente une diminution d’à peu près 9 millions depuis 1787. Il est nécessaire d’observer que cet état n’est qu’un projet et qu’il est fait en novembre 1788 pour 1789, d’après l’exposé du conseil de guerre dont les calculs ont éprouvé quelque altération par les circonstances, et que cette diminution est due en partie à des objets de dépense tirés de l’état de la guerre, pour être reportés sur celui des finances, comme celles des gages des trésoriers généraux, taxations, etc., montant ensemble à 1,263,989 livres. Il a paru, avec raison, plus simple au conseil il) Ce rapport. n’a pas été inséré au Moniteur. ire Série, T. IX. de la guerre, de détruire tous ces différents titres de caisse dont la réalité n’existait plus, de les réunir sous la même dénomination de fonds de la guerre, et d’attribuer à chaque partie de ce département la part de ces fonds qui leur serait nécessaire. C’est d’après cette intention que sont formés les états qu’a fournis M. de Gharrin, commissaire des guerres attaché au ci-devant conseil de la guerre. Il est encore nécessaire d’observer, que quoique ces fonds soient versés dans la caisse de la guerre par le Trésor royal, qui cependant en paye directement quelques sommes légères à des parties prenantes, leur somme générale ainsi versée ne remplit pas toutes les dépenses de la guerre ; car les provinces supportent encore des dépenses attribuées à ce département, et les payent, soit en sommes versées dans le Trésor de la guerre, soit en fournitures de toute espèce, ou abonnements qui les remplacent. Ces états étant cependant établis sur le dernier système de guerre à peu près arrêté, c’est d’après eux que le comité des finances croit devoir rendre compte à l’Assemblée nationale des dépenses de ce département. Il n’en peut pas garantir l’exactitude, il est même assuré que leur estimation est au-dessous de la vérité, et qu’ainsi elle ne pourrait pas même servir de base certaine d’appréciation de dépenses pour les années ultérieures, quand, ce qui n’est pas probable, le système établi par le conseil de la guerre subsisterait ; mais enfin ces états bien divisés peuvent faire connaître parfaitement l’ensemble et la nature des dépenses du département, et fixer à un certain point les idées sur les détails. Ces états portent la dépense totale, c’est-à-dire celle payée par le département, à 96,883,645 livres. Ils annoncent aussi une diminution de dépenses éventuelles de l,445,3o3 livres, par l’extinction successive de traitements, appointements et autres dépenses actuelles. Cette diminution est trop peu considérable pour pouvoir être prise en considération, et les calculs du conseil de la guerre, qui l’établissent, ont tellement été contrariés par les événements, qu’il est impossible de croire solidement à leur certitude. Le comité, par les renseignements divers qu’il a pris, est autorisé à penser que les dépenses de la guerre passeront de plusieurs millions l’estimation. L’examen des états fournis par le département de la guerre, dont le comité des finances doit rendre compte, pourrait seul donner connaissance des différents détails de la machine compliquée du département de la guerre. Le comité des finances ne peut que se borner à en rendre un compte succinct, et l'Assemblée nationale voudra bien se rappeler que comme cet état n’est qu’en projet, au moins pour un grand nombre de ses parties, il ne peut être appuyé d’aucunes pièces probantes qui, s’il était un compte, seraient nécessaires à son apurement. Un état général des sommes fournies par le Trésor royal et les provinces a été aussi remis au comité des finances par M. Dufresne, directeur du Trésor royal ; il élève les dépenses réelles à 99,091,594 livres et porte à 3,577,506 livres celles supportées directement par les provinces : il en sera rendu compte dans quelques moments. La division très-simple et très-claire des dépenses de la guerre, que présente l’état remis par ordre du ministre de ce département, les classe en quinze titres. Le premier titre , sous le nom de maison mili-17