[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 novembre 1789.] 37 premiers jours de juillet, époque du départ de M. du Chilleau. On pouvait donc espérer alors de voir reparaître l’abondance si longtemps désirée, lorsque, le 23 du même mois de juillet, le ministre de la marine a eu l’horrible procédé de casser cette ordonnance, dans son cabinet, par un arrêt du Conseil d’Etat du Roi, que le Roi peut-être n’avait jamais lu, que bien certainement au moins Sa Majesté n’avait point rendu sur un rapport impartial discuté avec les députés de la colonie, puisqu’ils n’en ont eu aucune connaissance. Cette ordonnance meurtrière a été mise dans tous les papiers publics, envoyée en grand nombre dans tous les ports, et elle a dû parvenir dans les ports anglo-américains, dès les premiers jours de septembre. Ainsi, dès cette époque, leurs armements ont dû cesser ; ainsi va s’éloigner à jamais d’une terre qui la repousse, une nation que la Providence semblait avoir placée près de nous pour conserver notre existence, et à laquelle nous aurions dû notre salut, si un ministre, à deux mille lieues d’elle, n’avait eu la barbarie de prononcer froidement sa ruine , sa détresse , son désespoir. C’est dans cette position accablante, que des Citoyens utiles sans doute représentent à l’Assemblée nationale dont ils ont l’honneur de faire partie: Que leur consommation désirable étant de 550,000 barils de farine ; Que leurs besoins annuels étant au moins de 150,000 barils; Que leurs importations, cette année, ne s’étant élevées de la part de la France, qu’à un quart de cette valeur ; Que les importations étrangères n’ayant pu égaler leurs besoins, par la gêne dont elles embarrassaient le commerce; Il est absolument indispensable de consacrer sans délai le rétablissement provisoire de l’ordonnance du 27 mai, par le décret suivant: « L’Assemblé nationale, instruite que le commerce de France n’a pu fournir depuis plusieurs mois à la province de Saint-Domingue, la quantité de farines nécessaire à sa subsistance; et , considérant que l’ordonnance rendue le 31 mars 1789, par les administrateurs de la colonie, est insuffisante pour attirer les commerçants étrangers dans les ports de cette île, a décrété et décrète que l’ordonnance rendue le 27 mai dernier, par le sieur marquis du Chilleau, sera provisoirement rétablie, et maintenue suivant sa forme et teneur, pendant sept mois seulement, à compter du jour où le présent décret aura été promulgué dans la colonie. » 3« ANNEXE. Nouvelles réflexions sur la nouvelle division du royaume, par Al. Rabaudde Saint-Etienne, membre du comité de constitution. Tous les Français ont reconnu l’utilité de la nouvelle division du royaume que l’Assemblée nationale a décrété; et rien ne fait peut-être mieux l’éloge de notre nation et de notre siècle, rien ne prouve mieux l’ascendant de la raison sur un peuple rempli de patriotisme et de lumières, que l’universelle adhésion de toutes les parties de l’empire à cette grande et universelle réforme. C’est par une suite de ce discernement rapide, de cette profonde sagacité, qui semblent tenir de l’instinct, et qui caractérisent le peuple français, qu’en un mois de temps, toutes les provinces, toutes les villes, tous les citoyens ont applaudi à ces décrets régénérateurs qui substituant l’égalité politique de toutes les villes et de toutes les portions du royaume au monstrueux et contradictoire amas d’inégalités, dent le temps, le hasard , les abus, les privilèges, la faveur ou le despotisme, avaient composé le chaos. Ce que Louis XIV n’aurait osé entreprendre, ce qu’il n’aurait pas pu exécuter, la nation l’aura conçu, approuvé, exécuté dans l’espace de quelques mois. C’est que l’intérêt de tous est fait pour être senti et reconnu de tous; c’est que le despotisme commande, et que la raison seule persuade. La timidité cependant s’était alarmée. Des citoyens, honnêtes sans doute, mais faibles; cette classe d’hommes, utiles dans le cours paisible d’une administration sagement ordonnée, mais embarrassants ou dangereux dans la manœuvre d’une révolution générale, s’effrayaient de la tempête; ils croyaient l’Assemblée nationale entourée de débris dont aucune main ne semblait pouvoir relever et mettre en ordre les matériaux ; ils tremblaient en la voyant porter d’un autre côté son bras destructeur ; ils ne concevaient pas comment pourrait s’opérer ce déplacement total des hommes et des choses. L’antique et illusoire solidité des provinces à privilèges, le régime arbitraire des pays d’élection, la chaîne de pouvoirs qui lie tous les administrateurs les uns aux autres, cet entrelacis informe de tribunaux de toute espèce dont la face de l’empire est bizarrement couverte; une multitude d’hommes nés au sein des abus, alimentés par eux et intéressés, ce semble , à les maintenir ; cet empire de l’usage que les hommes respectent aveuglément, comme ils font de tous les anciens pouvoirs; tout cela leur paraissait autant d’obstacles insurmontables. Vous avez assez détruit, nous disaient-ils, c’est assez prononcer de ces décrets faciles, qui n’ont pour but que de renverser. L’Etat est désorganisé, tous les pouvoirs sont suspendus, nulle autorité n’est respectée, la multitude commande, et personne n’obéit; craignez qu’en déplaçant tant d’intérêts depuis si longtemps établis, vous ne les souleviez tous ensemble, et que les mains mêmes que vous avez armées, ne renversent tout votre ouvrage. Mais l’Assemblée nationale, qui, par la correspondance de tous ses membres, connaît l’esprit de la nation entière, ne s’est point effrayée de ces cris, et n’a point écouté ces timides et vulgaires conseils. Frappée de la multitude des abus contre lesquels chacun de nous avait entendu, durant le cours de sa vie entière, de longues et inutiles réclamations, elle a pensé qu’il était indispensable de les couper par la racine; que puisque dans l’histoire de l’empire, dans l’histoire entière de l’univers, il ne s’était jamais présenté une circonstance pareille à celle-ci, il fallait en profiter; que le mai ayant gagné toutes les parties de l’Etat, c’était un crime de se contenter de palliatifs; ce n’était faire autre chose que garder les abus; et que chargée de faire le bonheur d’un peuple, dont tous les établissements existants consommaient le malheur, il fallait renouveler ce peuple même, changer les hommes, changer les choses, changer les mots, et ramener les vrais principes, puisqu’il n’en était aucun dont on ne se fût écarté. Ces mots tant répétés depuis six mois, de régénération, de restauration, ne sont point des mots 38 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 novembre 1789.] vagues et insignifiants : ils tiennent profondément à cette vérité dont tous les Français sont pénétrés, que quand un empire est tombé dans l’avilissement au dehors, quand il est en méprisa ses voisins. quand il est énervé, par la mollesse, affaibli par le luxe, rongé par J’égoïsme, appauvri par le fisc, joué par des volontés arbitraires, méprisé de ceux-là mêmes qui le gouvernent etqui dédaignent et ses plaintes et son courroux ; il faut renouveler ce peuple, le rajeunir, changer ses formes pour changer ses idées, changer ses lois pour changer ses mœurs, et tout détruire, oui, tout détruire, puisque tout est à recréer. Et je le demande aux Français d’aujourd’hui : voudraient-ils être encore les Français d’autrefois? Couverts de l’estime de l’Europe, auraient-ils honte de leur gloire ? Mais puisqu’ils n’ont pu parvenir à cet état de renaissance, que par cette générale destruction dont quelques hommes encore cher-' chent à l’alarmer, puisque ce que l’on a détruit était ce qu’il fallait détruire, qu’ils ferment l’oreille à de vaines clameurs et qu'ils n’aient pas la faiblesse de reculer à l’aspect de leur propre ouvrage. Une observation n’a point échappé à l’Assemblée nationale: c’est la connaissance du caractère français, qui s’est montré avec éclat dans l’Assemblée même. Prompt à concevoir, prompt à exécuter, impatient de jouir, le Français n’a pas plutôt vu le but, qu’il brûle d’y atteindre. Les obstacles sont pour lui des moyens, les résistances des motifs, et les digues que l’on oppose à ce torrent, ne servent qu’à accroître son impétuosité. Un tel peuple ne devait pas être conduit comme un autre. La lenteur du conseil et la méditation profonde des moyens, l’auraient endormi dans l’inertie. Trop de" réflexions sont trop d’ennui. L’éloquence est hors de saison. On menait les Athéniens avec des paroles; le Français, actif, veut agir; impatient, il veut des faits ; tout ce qui l’arrête trop longtemps l’aigrit ou le dégoûte, et il passe subitement à d’autres objets qui puissent exercer son infatigable activité. Des observateurs superficiels ont cru qu’il était changeant et volage : je viens d’indiquer la cause de cette erreur. Le Français abandonne l’objet qu’il ne peut pas remplir, lorsque son coup d’œil rapide et sûr lui fait voir qu’il est plus sage d’y renoncer : il s’y attache obstinément, tout le temps où son activité peut y être exercée. Il quitte un objet plutôt qu’un autre peuple, parce qu’il l’a plutôt épuisé : cette différence tient à la promptitude de sa sagacité et à l’impétuosité de son caractère Cette réflexion, qui devrait elle-même me servir de motif à l’abréger, mais que je n’ai pas le temps de resserrer, n’est cependant pas inutile; elle sert à expliquer la conduite de la partie de l’Assemblée qui, dès les commencements, s’est montrée populaire. Elle prouve combien se sont abusés ceux qui ne voulaient pas la Révolution. Elle montrera, dans les provinces, à ceux qui ne savent pas marcher à la cadence commune, qu’ils doivent renoncer à opposer des obstacles à uue révolution très-avancée. Les Français voulaient la liberté ; il fallait la leur laisser prendre. Ce n’est donc pas de ceux qui ont renversé les barrières qu’il faut se plaindre; c’est de ceux qui les ont posées. Sans ces obstacles que la violence a mis à la Révolution, et dont le temps a découvert le ridicule, ceux qui ont opposé des digues au torrent ne se plaindraient pas de ce qui les a emportées. Ils font de grands reproches de ce qu’on a détruit la maison, au lieu de la réparer; mais pourquoi n’ont-ils pas voulu qu’on en fît seulement la visite? L’organisation des assemblées municipales, que l’Assemblée nationale vient de décréter, prouve qu’elle peut créer quand la malveillance veut bien lui en laisser le loisir, et même quand elle ne le veut pas. La nouvelle division du royaume qui vient d’être terminée, est désormais une base solide sur laquelle va s’établir l’égalité des droits de tous les citoyens. C’est dans ces départements d’une étendue modérée, que tous les hommes vont être placés, tous les droits conservés, toutes les plaintes entendues, toutes les fort es distribuées; c’est là que, par une administration facile, dont tout citoyen aura en quelque sorte la surveillance et la censure, et que les opérations du fisc et l’arbitraire des ordonnances ne pourront plus obscurcir, des hommes choisis par le peuple lui-même seront chargés de la gestion de ses intérêts. Qu’il se défie maintenant, ce peuple immense, dont l’Assemblée nationale a toujours eu en vue le bonheur, qu’il se défie des obstacles que l’on chercherait à mettre au cours de ces utiles opérations, et surtout qu’il prenne garde de ne pas y en mettre lui-rnême. Aussitôt que les citoyens ont été instruits de la division prochaine en départements et en districts, ils ont saisi les avantages de cette grande et simple opération; mais bientôt l’intérêt particulier d’une multitude de villes, ou, si l’on veut, leurs droits et les avantages publics qu’elles ont cru voir dans leur situation, leur ont fait souhaiter de devenir chefs-lieux, si ce n’est de département, au moins de district; les demandes, les réclamations se sont multipliées; les adresses, les députés sont arrivés en foule de toutes les parties du royaume; en sorte que, si le comité eût accueilli chaque demande sans examen, il n’y aurait plus eu de mesure dans la distribution, plus d’égalité dans les parties : les départements et les districts se seraient multipliés à l’infini, sans règle et sans proportion, et le comité serait devenu injuste par l’excès même de la justice. Tels sont donc les heureux effets de la liberté et de l’égalité : telle est l’émulation qu’elles excitent. Tous veulent profiter des avantages communs; et plusieurs lieux, qui gémissaient ci-devant dans l’obscurité ou qui languissaient sous une autorité arbitraire, renaissent à cette vie nouvelle et réclament hautement ce qu’ils estiment être leurs droits. Tous, cependant, ont été entendus; toutes les localités ont été scrupuleusement étudiées, toutes les convenances consultées, tous les droits soigneusement pesés; et l’on peut dire, avec assurance, qu’il n’est pas une petite ville, pas un village, dont on n’ait tâché d’établir les rapports avec ses voisins, avec autant d’exactitude, que s’il eût été le seul dont on eût dû s’occuper. Deux mois entiers, d’un travail continué bien avant dans la nuit, ont été consacrés à cet examen; et, malgré l’urgence des circonstances, malgré l’impatience de la nation elle-même, malgré cette apparence de jalousie qui semblait naître entre des villes voisines, malgré les fausses terreurs que l’on cherchait à faire naître sur les suites de ces rivalités, on a cru ne devoir jamais s’écarter de ce principe : que, puisque cette grande opération se faisait pour le bonheur des peuples, il fallait examiner toutes les demandes; que, puisqu’on la faisait pour la postérité et pour le bonheur des enfants, il fallait écouter les pères. Enfin, la division a été définitivement arrêtée; [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 novembre 1789.] 39 mais ce n’est pas, sans doute, avec une telle rigidité que, pour, quelques détails de circonstances locales, il n’y ait lieu d’entendre les réclamations qui pourraient être portées aux législatures suivantes. Si les peuples, qui ont chargé leurs députés du glorieux emploi de rompre leurs fers et de leur donner une constitution nouvelle, s’ils ont observé les pénibles circonstances où nous avons été placés; s’ils considèrent combien est vaste la carrière qu’ils nous ont eux-mêmes ouverte, et combien de travaux à la fois sont imposés à leurs représentants, ils nous sauront gré peut-être de la confiance et du zèle, qu’au milieu de tant d’autres méditations, nous avons mis à cette opération particulière, ou du moins ils en supporteront les imperfections passagères, et qu’il est si facile de redresser avec le temps. Mais, pour ces imperfections, pour quelques droits à réclamer, pour quelques convenances ou quelques prétentions qui seront aisément jugées par nos successeurs, que les peuples ne cherchent pas à troubler l’ordre immense qui, dans peu, va s’établir partout à la fois! Qu’ils se délient de ceux qui, pour déranger cette vaste opération, voudraient exciter des jalousies particulières! Qu’ils se rappellent les victoires qu’eux-mêmes ont remportées sur la malveillance, et l’adresse avec laquelle ils ont évité les pièges qui déjà leur ont été tendus. Placés au centre des événements, au rendez-vous de tous les rapports politiques, au foyer d’où se répandent la chaleur et l’activité générales, nous pouvons avertir les peuples de tous les obstacles qu’on voudrait mettre encore à leur liberté; ils ne nous ont pas seulement chargés de travailler pour eux, mais encore de veiller pour eux. Eh bien ! qu’ils nous écoutent avec cette confiance que notre vigilance nous a, sans doute, méritée. Peuples, on vous attend à l’organisation des municipalités, à la distribution des départements et des districts. C’est là qu’on espère de vous diviser contre vous-mêmes; on compte que l’intérêt particulier vous fera oublier l’intérêt public. On croit que les rivalités des villes désuniront les citoyens; que celles qui se croiront méprisées arrêteront, par jalousie, l’organisation générale ; on se flatte de vous voir vous déchirer réciproquement. Ces armes que vous avez prises pour la liberté, on croit que vous vous en servirez pour favoriser la licence ou l’intérêt particulier; on compte que, dans l’intérieur de vos villes, ceux qui avaient la douce habitude de l’autorité favoriseront ces tumultes; que les fausses et injurieuses alarmes de ceux qui avaient acheté le droit de vous gouverner ajouteront au désordre ; que ceux qui se croient injustement dépouillés se jetteront dans la mêlée, ou vous travailleront sourdement pour vous brouiller et vous détruire, et que de cette multitude de tempêtes locales naîtra un bouleversement général. Vaine espérance ! triste et déplorable ressource de l'aristocratie au désespoir ! Quand vous auriez la faiblesse de vous étonner de ces terreurs, vos représentants ne l’auront pas, et ils persévéreront avec courage à remplir l’honorable tâche que vous leur avez prescrite. Ce ne sont pas eux, cependant, qui douteront de votre persévérance, et qui pourront craindre que vous renonciez au fruit de leurs travaux, au moment même de le cueillir. L’esprit public s’est emparé de tous les Français; le titre de citoyen, mot nouveau dans notrelangue, comme les idées qu’il représente sont nouvelles dans cet empire, le titre de citoyen fait maintenant votre gloire : dans cette désorganisation apparente de tous les pouvoirs, au sein de ces terreurs d’esprits, ou animés ou inquiets, qui cherchent autour d’eux l’autorité égarée, au milieu de celte apparence de désordre, il règne un ordre cependant ; une autorité réelle domine et fait entendre ses lois ; c’est l’autorité sainte du bien public; c’est le sentiment et le besoin de l’ordre ; c’est la voix sacrée de l’intérêt général et l’espoir de la liberté. Si les peuples sont animés de ces espérances, celles de l’Assemblée nationale ne seront pas déçues. Mais que les citoyens aient soin de se garder d’eux-mêmes, de leurs passions, de leurs rivalités, et de ces intérêts particuliers, le plus souvent mal entendus, que l’on pourrait appeler l’amour-propre des villes. Elles ont toutes adhéré à la destruction des corps; qu’elles prennent garde de ne pas devenir corps elles-mêmes. Elles ont rompu la jalousie et l’esprit des provinces, qu’elles ne leur substituent pas la jalousie des cités. Elles ont voulu qu’il n’y eût plus eu France que des Français, qu’elles ne descendent pas de la dignité de ce nom devenu glorieux par elles, pour borner leurs vues à la petite enceinte de leurs murs. Un empire aussi vaste ne pouvait être gouverné par une volonté simultanée; il fallait une division de ses parties; mais la division n’est pas une scission ; les membres d’un corps lui appartiennent toujours, quoique distincts les uns des autres ; les départements, séparés par la nature, sont réunis par l’intérêt commun; administrés par le même régime, objets des mêmes soins, contribuant également à la représentation la plus parfaite qui fut jamais, aucune partie de l’empire ne pourra échapper à la vigilance générale, ni redouter d’être sacrifiée. Peut-être portons-nous trop loin des précautions qui véritablement sont bien plus grandes que nos craintes. Mais nous devons compte de tout aux peuples qui nous ont commis, de tout, même de nos plus légères sollicitudes ; et il nous est permis peut être, en les invitant à élever l’édifice dont l’Assemblée nationale leur a tracé le plan, de nous défier de tout ce qui pourrait arrêter l’exécution de cet ouvrage. Les plus petites villes ont présenté des adresses ; toutes avaient l’ambition louable d’attirer dans leur sein quelque branche de l’administration ; plusieurs seront trompées dans leurs espérances. Mais l’Assemblée nationale a toujours eu pour but de vérifier avec égalité toutes les parties du royaume, de semer partout les germes de la liberté, de former des hommes partout, en appelant à concourir à la chose publique le plus grand nombre possible de citoyens. Tous seront rapprochés de leurs administrateurs ; on n’ira plus chercher au loin la justice, c’est-à-dire la répartition du droit de chacun. Avec quel scrupule n’a-t-on pas calculé les dépenses et les pas qu’on voulait épargner aux peuples, vérifié l’existence des communications, étudié les difficultés, évité les obstacles, consulté les mœurs et les habitudes, et rassemblé les lumières qu’ont dû fournir un si grand nombre de représentants arrivés de toutes les parties du royaume! Si, malgré tant de soins, il est encore des lieux qui gardent leurs prétentions et qui se plaignent d’avoir été négligés, qu’ils rendent justice aux hommes impartiaux chargés de ce pénible travail ; qu’ils se soumettent aux décrets de l’Assemblée ; qu’ils réservent à des temps plus 40 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 novembre 1789.] calmes, à une législature moins traversée, des représentations qui seront toujours entendues; et qu’ils se gardent bien, pour des intérêts qu’ils s’exagèrent peut-être, et pour leur avantage particulier, de troubler l’organisation générale, et de s’exposer à en perdre eux-mêmes les fruits. Tel est cependant l’avantage de la nouvelle division, qu’il n’est point de ville un peu importante, qui n’y ait obtenu quelque administration, ou qui n’ait ‘lieu d’espérer quelque établissement propre à réveiller son activité. Quatre-vingt-cinq villes porteront incontestablement le titre de chefs-lieux de département. Les localités ou l’égalité des avantages feront peut-être accorder à quelques autres la faculté d’alterner. La liberté de ne pas placer les autres établissements dans les mêmes lieux, appellera plusieurs villes à les recevoir. Cinq ou six cents autres villes moins importantes, deviendront chefs lieux de district ; quelques autres recevront des sièges de justice ; les communautés réunies en cantons auront vraisemblablement des juges de paix ; et l’administration et les lois faisant couler leur influence jusque dans les campagnes, tous les citoyens utiles qui les cultivent, s’apercevront qu’ils ont été l’objet de l’attention de l’Assemblée, et que c’est d’eux précisément qu’on a voulu se rapprocher. Peuples, jetez les yeux derrière vous, rappelez-vous ce que vous étiez naguère, et voyez si vous voulez profiter' des avantages qu’on vous destine ; et jugez ceux qui, par des insinuations artificieuses, chercheraient à vous en priver 1 4e ANNEXE. Opinion de M. le duc d’ Aiguillon sur l’affaire de la Chambre des vacations du parlement de Rouen (1). Messieurs, avant d’examiner le parti que doit prendre l’Assemblée dansl’affaire qui nousoccupe, il me semble qu’il faut se rendre un compte exact des faits. Lundi dernier, M. le président reçut une lettre de M. le garde des sceaux, qui, de la part du Roi, rendait compte à l’Assemblée que la Chambre des vacations du parlement de Rouen, en enregistrant notre décret relatif aux parlements, s’était permis des expressions peu convenables ; que le Roi avait sur-le-champ assemblé son conseil et cassé l’arrêté de la Chambre des vacations. L’Assemblée désira le connaître : M. le président le demanda à M. le garde des sceaux. Ce ministre, pendant la durée de la même séance, l’envoya à M. le président. La lecture en fut faite, et l’on peut dire qu’il excita une juste indignation dans tous les bons esprits. La discussion fut commencée sur le parti que devait prendre l’Assemblée en cette circonstance, et fut continuée au lendemain. Elle fut reprise en effet le mardi. Elle dura longtemps ; ceux qui voulurent parler furent entendus : on écouta quelques magistrats du (1) Cette opinion n’a pu être prononcée. Au milieu du tumulte qui agitait les esprits, j’ai demandé vingt fois la parole sans pouvoir être entendu. Malheureusement je n’ai point été le seul à subir la rigueur de l’Assemblée. Beaucoup de ses membres avaient certainement de meilleures choses à dire que moi; mais ainsi que moi, ils n’ont pu se faire entendre. Je crois en conséquence devoir rendre compte au public et surtout à mes commettants, de mon opinion sur une affaire qui me semble importante. (Note de M. le duc d' Aiguillon.) parlement de Rouen. Enfin l’Assemblée nationale décréta « que le Roi serait remercié ; que l’arrêté de la Chambre des vacations du parlement de Rouen serait envoyé au tribunal chargé de poursuivra les crimes de lèse-nation, pour le procès être fait aux magistrats auteurs d’un tel arrêté; que le Roi serait supplié de nommer une autre Chambre des vacations à Rouen, afin que le cours de la justice ne fût pas interrompu. » Je ne me rappelle pas précisément, Messieurs, les termes du décret de l’Assemblée; mais il me semble qu’on y trouve des expressions qui indiquent combien vous avez cru coupables les magistrats du parlement de Rouen, qui composaient la Chambre des vacations. Aujourd’hui, Messieurs, vous venez de recevoir une lettre du Roi, qui contient de nouvelles assurances de la confiance de Sa Majesté pour l’Assemblée; qui vous annonce qu’il a nommé une autre Chambre des vacations à Rouen, et vous invite, en vous assurant que l’arrêté des magistrats du parlement de Rouen n’a pas été publié, à user, en cette occasion, de clémence et d’indulgence. Je ne suis point étonné de l’elfet que la lecture de cette lettre a produit parmi vous. Vos sentiments pour la personne du Roi, le premier mouvement de l’humanité, le bonheur de pouvoir faire grâce, ont excité en vous un enthousiasme bien naturel et que tous les membres de cette Assemblée ont partagé ; mais devons-nous nous abandonner à ce premier mouvement? devons-nous suivre cette impulsion? Législateurs impassibles, la voix de l’indulgence doit-elle dicter nos décrets? je ne le pense pas, Messieurs; un devoir rigoureux nous commande, nous devons lui obéir sans réserve. Je crois que nous écarter, dans ce moment, d’un de nos décrets, d’une de nos résolutions les plus sages, ce serait compromettre notre caractère et transgresser tous nos pouvoirs. Je vais entreprendre de le prouver. Personne ne peut nier que pour suivre en cette circonstance les projets de décret proposés par plusieurs honorables membres de cette Assemblée, il faut revenir sur vos pas, il faut détruire par un décret contraire celui que vous avez rendu avant-hier, et cela vous est impossible, Messieurs. Vous avez déjà décidé que, dans le cours de cette session, aucune de vos décisions ne pourrait être annulée par une décision opposée. Votre marche est donc invariablement tracée; vous ne pouvez en cette occasion ni revenir sur une résolution déjà prise, ni en éluder l’effet. Gela me paraît démontré jusqu’à l’évidence et je ne m’étendrai point sur un principe que je regarde comme incontestable. Mais en supposant que vous pussiez revenir sur vos décrets précédents, n’y aurait-il pas un danger évident aie faire? Ne serait-il pas possible que les ennemis du bien public (et malheureusement il en est encore beaucoup) , abusassent de cette dangereuse facilité pour jeter quelques doutes sur les lois sages que vous avez faites, et dont l’immuable consistance peut seule assurer le bonheur de la patrie Cette considération est d’un grand poids, et je vous prie, Messieurs, de la peser aans votre sagesse. Je suppose pour un moment, et que vous puissiez altérer vos décrets, et qu’il n’y ait aucun inconvénient à le faire, il me semble que dans cette circonstance vous ne le pouvez sans compromettre votre caractère de représentants de la nation, et sans passer les bornes de votre pouvoir. En effet, de quoi est-il question dans ce moment? Des magistrats sont prévenus d’un crime de lèse-