650 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 janvier 1*190.] sont une dette que la société ne peut s’empêcher d’acquitter. Lorsque vous avez prononcé que la loi ne reconnaîtrait plus les vœux monastiques, vous n’avez pas voulu que votre loi eût un effet rétroactif; et certes elle aurait cet effet si elle s’étendait jusque sur des habitudes contractées sous la sauvegarde de la loi. Vous ne pouvez détruire l’effet des vœux, et le sentiment même de votre impuissance ne doit pas borner votre générosité. On a voulu faire un parallèle entre les vicaires et les moines sécularisés, et l’on en a conclu que les premiers n’ayant que 500 livres, les seconds ne pouvaient pas obtenir davantage. J’ai senti toute l’importance de cette observation; mais considérez qu’un vicaire a de grands avantages, qu’il peut arriver à tous ceux que promet la hiérarchie ecclésiastique; considérez aussi que le vicaire n’a pas renoncé à ses droits patrimoniaux, qu'il a conservé tous ceux qu’offre la société, et vous conviendrez avec moi que, ces avantages étant perdus pour le moine, Vous devez l’en dédommager. La latitude qu’a parcourue M. Barnave, entre 800 livres et 1,000 livres, est celle que j’avais voulu vous faire parcourir, parce qu’elle me paraît juste. Une autre observation se présente à mon esprit, et me paraît digne de fixer votre attention : le religieux rendu au siècle, condamné à une pension annuelle et fixe, arrivera dans ce monde dénué de beaucoup de choses de première nécessité. Comment se les procurera-t-41 ? Il ne peut les attendre que de vous, et vous les lui devez. Je proposerais donc de donner aux moines, dès l’instant qu’ils sortiront du cloître, une somme à forfait, par exemple, la moitié de leur pension en argent-monnaie. Quoique nous n’ayons très certainement pas eu l’intention de faire une opération de finance, je demande au préopinant la permission de présenter une observation financière. Accorder un sort plus favorable aux religieux qui sortiront du cloîtré qu’à ceux qui y resteront-, c’est se servir d’un moyen très légitime et très innocent de faire évacuer les monastères, de la disposition desquels nous avons grand besoin. On demande à aller aux voix, et la discussion est fermée. Plusieurs projets de décret envoyés au bureau sont lus successivement. Quelques-uns fixent à 500 livres le premier terme de la proportion du traitement des religieux non rentés. La priorité est accordée au projet du comité. M. Target propose en amendement d’accorder 1,200 livres aux religieux rentés, septuagénaires ou infirmes. M. Prieur demande que les religieux non rentés participent à cette faveur. M. le marquis de Foucault. Les jésuites à qui, dans des temps plus heureux, on a donné une modique pension de 400 livres, doivent obtenir de votre justice un sort égal à celui des religieux. Je fais de cette observation la matière d’un amendement. On demande la question préalable sur tous les amendements. M. l’abbé de Montesquiou. J’ose croire qu’il est de votre humanité de faire les exceptions demandées. La vieillesse et l’intirmité ont des droits à votre respect, et dès lors à votre générosité. Les jésuites en ont à votre justice. Vous ne la refuserez point à celte congrégation célèbre, dans laquelle plusieurs d’entre vous ont fait sans doute leurs premières études, à ces infortunés dont les torts ont peut-être été un problème, mais dont les malheurs n’en sont pas un. Plusieurs membres demandent l’ajournement à huitaine de l’amendement relatif aux jésuites. L’Assemblée décide le contraire. M. Bairnave. Le premier acte de la liberté naissante doit être de réparer les injustices du despotisme. Je propose une rédaction de l’amendement en faveur des jésuites : « Les ci-devant jésuites résidant en France, et qui ne possèdent pas en bénéfices, ni en pensions sur l’Etat, un revenu égal à celui qui est accordé aux autres religieux de la même classe, recevront le complément de ladite somme. » L’amendement, ainsi rédigé, a été adopté. M. le Président met aux voix l’article avec les deux amendements adoptés par l’Assemblée, et il est décrété ce qui suit : « Il sera payé à chaque religieux qui aura fait sa déclaration de vouloir sortir de sa maison, par quartier, et d’avance, à compter du jour qui sera incessamment réglé, savoir : aux mendiants, 700 livres jusqu'à 50 ans; 800 livres jusqu’à 70 ans, et 1,000 après 70 ans; et à l’égard des religieux non mendiants, 900 livres jusqu’à 50 ans, 1,000 jusqu’à 70 ans, et 1,200 livres après 70 ans. Les ci-devant jésuites, résidant en France, et qui ne possèdent pas en bénéfi ces, ou en pensions sur l’Etat, un revenu égal à celui qui est accordé aux autres religieux de la même classe, recevront le complément de ladite somme. » M. le Président lève la séance à 3 heures, après avoir indiqué celle de demain matin pour 9 heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TALLEYRAND, ÉVÊQUE D’AUTüN. Séance du samedi 20 février 1790 , au matin (1). M. Mollien, député de Rouen, ouvre la séance en témoignant ses regrets de ne s’ètre pas trouvé à la séance mémorale du 4 février; il prête devant l’Assemblée le serment qui lie tous ses membres au maintien de la Constitution. M. Gossuin, député du bailliage du Quesnoy, demande et obtient la permission de s’absenter pendant quinze jours. M. le baron de Marguerittes, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. M. Camus. Je rappelle à l’Assemblée son décret sur l’égalité de traitement à faire aux religieux pourvus ou non pourvus de bénéfices et je propose qu’après ces mots « qu’il ne sera point (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] 651 fait de distinction, quant au traitement des religieux qui sortiront du cloître, entre les religieux pourvus de bénéfices et ceux qui n’en sont point pourvus », on ajoute les mots suivants : c mais le sort de tous sera le même. » Cette addtion a uniquement pour but d’indiquer le sens de l’article avec plus de clarté. La proposition de M. Camus est adoptée et il est décidé que le décret sera ainsi corrigé dans le procès-verbal de la veille. M. le Président. L’ordre du jour ramène la suite de la discussion sur le projet de décret présenté par le comité ecclésiastique sur le traitement a faire aux religieux. M. Treilhard, rapporteur , propose l’article suivant : * Les frères donnés, lais ou convers qui auront fait des vœux solennels, et qui voudront sortir de leurs maisons, auront, par quartier et d’avance, savoir : 300 livres jusqu’à 50 ans, 400 livres jusqu’à 70 ans, et 500 livres après 70 ans. » M. l’abbé Latyl. Les frères donnés ne font pas de vœux; ils donnent une somme déterminée à un monastère, à condition qu’ils y resteront toute leur vie. Vous devez cependant les dédommager de ce sacrifice. On trouvera peut-être le dédommagement porté dans le projet de décret trop considérable : mais considérez leur vieillesse et ne craignez pas une longue surcharge. Je propose un léger changement dans la rédaction. « Les frères lais ou convers qui auront fait des vœux solennels, et les frères donnés qui rapporteront un engagement contracté en bonne forme entre eux et leur monastère, jouiront annuellement, quand il sortiront de leurs maisons, à compter du jour qui sera incessamment réglé, de 300 livres jusqu’à 50 ans, 400 livres jusqu’à 70 ans, et 500 livres après 70 ans; lesquelles sommes leur seront payées par quartier etd’ avance. M. le Président met aux voix l’amendement proposé par M. l’abbé Latyl. Il est adopté. M. Treilhard. En permettant aux religieux de sortir des cloîtres, vous n’avez pas entendu porter le trouble dans les familles. Le comité ecclésiastique vous propose, en conséquence, le projet de décret suivant : « Les religieux, qui sortiront de leur maison, n’en resteront pas moins incapables de toutes successions et dispositions entre-vifs et testamentaires ; ils pourront seulement recevoir des pensions ou rentes viagères. » M. Mougins de Roquefort demande qu’on accorde aux religieux la faculté de profiter des dispositions testamentaires de toutes autres personnes que de leur parents M. Goupil de Préfeln. Les motifs de l’incapacité qui avait été prononcée contre les religieux sont la crainte que les fortunes ne s’accumulent dans les cloîtres, et qu’ainsi des biens trop considérables ne soient enlevés à la circulation. Vous devez maintenir aujourd’hui cette incapacité, pour ne pas troubler les familles, pour assurer les espérances sur lesquelles beaucoup d’engagements ont été contractés ; mais il faut prévoir tous les cas, et je propose d’excepter les cas où il né se trouverait aucun parent, et où les religieux sécularisés seraient en concurrence avec le fisc. M. Camus. Les religieux pouvaient recevoir des libéralités, soit par des legs, soit par des donations! On doit leur laisser cette faculté hors du cloître ; mais il faut leur refuser tout droit de succéder à titre universel. M. Martineau. Votre décret ne doit avoir d’autre objet que de ne pas détruire les arrangements faits dans la famille des religieux ; mais il ne peut ôter aux religieux sécularisés le droit de succéder, s’ils sont seuls héritiers de leurs pères. Il faut leur laisser la plénitude de tous les droits de citoyens actifs, tant que l’exercice de ces droits ne peut nuire à aucun individu. Ce serait inutilement que vous les déclareriez incapables d’hériter s’il leur est possible d’accepter les donations testamentaires et entre-vifs. Un des motifs du traitement que vous leur accordez, est l’impossibilité de succéder concurremment avec leurs frères; il ne faut pas leur donner une faculté qui équivaudrait à la successibilité. M. Camus propose un article rédigé dans cet esprit. M. Bouche. Je m’élève contre la proposition par laquelle M. Camus refuse seulement aux religieux le droit de succéder à titre universel, mais leur accorde celui de succéder à titre particulier. Tous les députés des pays de droit écrit se joindront à moi. Dans ces provinces, on peut donner les trois quarts de ses biens à titre particulier. M. de Colbert-Seignelay, évêque de Rodez. Si vous ôtez le droit de succéder aux religieux que vous rendez à l'état civil, vous faites une loi qui créera des prévaricateurs ; vous faites une loi contraire à la nature. Le père ne pourra pas disposer en faveur du fils que vous lui avez rendu, il ne pourra pas améliorer le sort de ce fils, augmenter sa fortune, si des infirmités accroissent ses besoins. Vous accorderez la faculté de recevoir des pensions; mais voulez-vous forcer ce père à dénaturer son bien? Je propose de décréter que jamais un religieux sécularisé ne pourra hériter ab intestat , mais a testato. Alors vous n’avez plus à craindre de troubler les familles, et vous assurez les droits de la nature. M. Target. Il y a deux manières d’envisager la question : sous le rapport du principe et sous celui de la tranquillité de la société. Sous le rapport du principe, vous leur accordez tous les droits civils; sous celui de la tranquillité publique, il faut distinguer les successions et donations directes des successions et donations collatérales ; je ne crois pas que des espérances puissent être fondées sur des successions collatérales qui peuvent échapper à tout le monde. M. Prieur. Dans le traitement des religieux sécularisés, vous avez fait entrer la perte du droit de succéder; Vous pouvez donc sans injustice continuer cette incapacité, soit en ligne directe, soit en ligne collatérale ; mais vous devez conserver aux religieux la faculté de recevoir, par des dispositions bénévoles, des pensions alimentaires et modérées. On ferme la discussion. La priorité est demandée pour l’avis du comité.