SÉANCE DU 16 VENDÉMIAIRE AN III (7 OCTOBRE 1794) - N° 61 385 rieuses, la France veut que tous les coupables soient punis, que tous les gens de bien soient protégés. Tel était le but du rapport que Lin-det nous a fait, au nom des trois comités. Songez, citoyens, que la loi, pour être juste, pour être égale, ne doit faire acception de personne. Je demande que les articles proposés par le comité soient mis aux voix (96). TALOT : Partout où il y a le même délit, il doit y avoir la même peine : il ne seroit pas plus doux, sans doute, de voir la liberté renversée par des plébéiens que par des nobles, et je n’ai pas moins d’horreur pour Robespierre et Dumouriez, que pour Bouillé et La Fayette (97). BOURDON (de l’Oise) : Nous serions tous d’accord si l’on voulait faire attention qu’il ne s’agit point ici d’une loi, qui, sans doute, doit être égale pour tous et ne faire acception de personne, mais d’un règlement pénal contre ceux qui ont excité ou favorisé la guerre faite à la patrie par des enfants dénaturés. Lorsqu’on rencontre la caisse d’un parti avec lequel on est en guerre, ne s’empresse-t-on pas de la saisir? Eh bien ! nous sommes en guerre avec les émigrés, leur caisse est ici, ce sont les biens de leurs pères et mères; confisquons la caisse, qu’elle nous indemnise des dépenses énormes que nous ont occasionnées les hostilités de ces assassins de leur pays, et accordons seulement des pensions alimentaires. On s’élève contre cette dénomination de nobles; mais quand on punit un homme d’un délit qui tient à des préjugés de naissance autant qu’à la méchanceté de son coeur, il faut bien dire qu’il est ci-devant noble, si vraiment il est né noble. CLAUZEL : Si l’on s’obstine à vouloir faire admettre la distinction qu’on propose, je demanderai aussi la confiscation des biens de tous ces négociants, dont on ne parle pas, qui ont été les banquiers et les caissiers des révoltes dont quelques départements ont osé lever l’étendard. Je vous demande, citoyens, si, lorsque nos braves guerriers rencontrent aux frontières des émigrés, ils leur demandent s’ils sont nés nobles ou roturiers? CAMBACÉRÈS : La Convention ne veut ni commettre d’injustice, ni accorder l’impunité au crime. Je demande que ces articles soient renvoyés à un nouvel examen des comités, qui pourront présenter un projet qui concilie toutes les opinions, et qui ne blesse ni l’intérêt de la patrie, ni celui de l’humanité. - Le renvoi est décrété (98). (96) Moniteur, XXII, 180 ; Débats, n° 746, 268. (97) J. Perlet, n 744. (98) Moniteur, XXII, 180; Débats, n° 746, 268; J. Paris, n” 17. 61 Le représentant du peuple Grégoire lit une lettre qui lui a été écrite par des colons, et qui contient quelques inculpations contre lui; il expose que le zèle qu’il a toujours montré pour les gens de couleur est l’unique cause des reproches dirigés contre lui, il assure qu’il n’en soutiendra pas moins de tout son pouvoir la cause de la liberté et de l’humanité. Un membre demande l’ordre du jour, motivé sur ce que, si l’assemblée faisoit quelqu’attention à ces réclamations, elle auroit souvent à retirer des membres de ses comités, parce qu’il se trouve toujours des gens qui redoutent l’oeil de l’homme de bien, où qu’il soit placé, et sur ce que le crime de Grégoire, aux yeux de certaines gens, c’est l’ardeur avec laquelle il a toujours défendu la cause de la liberté et de l’humanité. L’assemblée passe à l’ordre du jour (99). GRÉGOIRE : Citoyens, j’ai défendu successivement les juifs, les anabaptistes, les Suisses fribourgeois condamnés aux galères, et les gens de couleur. Ces actes de courage ont attiré sur moi un déluge de calomnies et de libelles. Mais ce qui m’a valu les outrages les plus multipliés, les persécutions les plus atroces, c’est ma constance à réclamer en faveur des habitants de l’Afrique, despotisés en Amérique par quelques habitants de l’Europe, qui se disent amis de l’égalité et de la liberté, et qui veulent être propriétaires d’hommes. A l’ouverture des séances de la commission des colonies, je débutai par l’offre de ma démission, parce que, dis-je, à mes collègues, ayant autrefois pris part à la discussion des affaires coloniales d’après les principes qui ne sont pas ceux de certaines personnes, ma participation à votre travail pourrait y jeter de la défaveur aux yeux des hommes prévenus ou malveillants. A ce motif se joignent l’étendue d’autres occupations relatives au bien public, et l’altération de ma santé par l’excès du travail. Après une discussion, mes collègues pensèrent que ma délicatesse était exagérée, et qu’honoré de la confiance dont vous m’aviez investi, je devais rester avec eux. Le même jour, un colon vint demander à me parler en particulier pour m’engager à me retirer, attendu, me dit-il, qu’il avait des preuves matérielles contre moi; je lui répondis que je me réjouissais de voir ses preuves matérielles, pour les discuter d’une manière très-formelle, et je l’engageai à venir annoncer hautement ce fait à la commission; il refusa. (99) P.-V., XLVII, 26. Débats, n” 746, 268-269; J. Paris, n” 16.