290 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1790.] vage. Ces horreurs s’étaient multipliées sur nous, plus que sur aucune autre portion de l’Empire français, par le ressentiment cruel que nous avaient attiré les généreux, mais inutiles efforts que nous eûmes le courage de déployer, dans le temps, contre la hauteur et l’injustice gratuite d’un ministre despotique, pour défendre notre liberté. « L’amour de cette même liberté, qui jamais ne s’éteignit dans nos cœurs, vous assura les vœux les plus fervents de notre part, dès l’instant où nous vîmes sortir brillant, du milieu de. vos déterminations, un rayon d’un destin plus heureux que vous prépariez à la patrie. Ces vœux se changèrent en enthousiasme d’admiration, en transports de gratitude et de joie, lors-u’applaudissant à nos premiers succès àreven-iquer la liberté corse, vous daignâtes la recevoir sous la protection de la monarchie, l’appuyer de ses forces, et associer notre île aux droits ainsi qu’à la gloire du peuple français. « L’opération par laquelle s’est heureusement achevée, en cette Assemblée, notre régénération à la liberté ; la formation de ce département, par laquelle la Constitution s’est consolidée en Corse, établissant pour nous, sur des fondements inébranlables, la jouissance de vos travaux, rendra immortels et votre bienfait et notre gratitude ; elle doit même vous garantir notre pleine et parfaite adhésion à toutes les mesures, à tous les décrets qui forment la gloire de la Constitution, et la félicité de la monarchie. Assurés de ces sentiments de notre part, vous n’attribuerez point à la Corse, nous avons la confiance de le croire, la résistance qu’ont opposée à quelques-uns de vos plus sages décrets constitutionnels deux d’entre nos députés, qui siègent encore parmi vous, comme représentants des ordres annoblis de la noblesse et du clergé. Révoltés de leur conduite en différentes occasions, et singulièrement de leurs déraisonnables protestations, qui ont mérité l’animadversion de tous nos bons patriotes, et qui leur ont attiré des signes non équivoques de l’indignation publique dans presque toutes les parties de l’île, nous en serions très mortifiés, très affligés; mais nous nous rappelons qu’ils ont dû leur nomination à des manœuvres intrigantes et à l’influence irrésistible et accoutumée du régime despotique ; qu’elle n’a point été l’effet de la volonté libre du peuple corse, et qu’il a éprouvé, au contraire, de vifs rerets de n’avoir pu s’y opposer efficacement ; 'ailleurs, nous avons de justes motifs de consolation et de satisfaction dans la conduite patriotique des deux autres députés, qui, concourant avec constance à toutes vos mesures, à toutes vos opérations, ont si bien mérité de la causé publique, ont si pleinement justifié la confiance de la patrie. « Qu’ils en soient les orgaues auprès de vous dorénavant, comme ils ont mérité de l’être pàr le passé, jusqu’à ce que la Constitution achevée raffermisse la renaissance de la liberté. Cette Constitution forme actuellement l’objet de l’attente la plus impatiente de la nation; son travail vous est journellement recommandé par tous vos commettants, et votre sagesse et votre constance sauront le terminer avant que votre séparation ait lieu. « Tous les vœux des bons Français sont pour vous, toutes les forces de l’Empire seront le soutien de vos travaux patriotiques, du majestueux monument que vous préparez à la vénération des siècles. « Connaissant la faiblesse de nos facultés et leur effet presque insensible pour l’accroissement de celles de la monarchie, nous oserions à peine en joindre l’hommage à celui de nos sentiments, si votre magnanimité ne nous laissait espérerque vous ne dédaignerez point l’offre de la vie et des substances d’un peuple, autant pauvre et peu nombreux, que reconnaissant et loyal, qui tant de fois, dans la série des siècles, a cimenté de son sang la liberté de la patrie, et qui saura le verser tout entier pour la défense des droits ?[ui lui sont communs avec ses généreux frères rançais, et pour le maintien de la Constitution, qui le réunit à eux sous la protection d’un roi citoyen, du restaurateur de la liberté corse, ainsi que de la liberté française. « Nous sommes avec le plus profond respect, Messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs. « Les membres de rassemblée électorale du dé* partement de la Corse , et pour eux, « De Paoli, président, Arena, secrétaire. « Orezza, le 23 septembre 1790. » M. le Président répond : « Il ne m’appartient pas de préjuger l’opinion et la volonté de l’Assemblée nationale, et de caractériser celles de vos expressions qui ont été l’objet, dans son sein, d’une discussion contradictoire. Mais je puis et je dois vous dire, comme aux représentants de la Corse, que parmi les hommages que l'Assemblée nationale a reçus des différentes parties de l’Empire, aucun ne lui a paru plus touchant que celui de votre patrie. C’est à vous d’apprécier la liberté, car vous avez souffert pour elle, vous avez combattu pour elle, et le jour de son triomphe doit être celui de votre bonheur. « La nation française, digne aujourd’hui de sentir le prix de vos vertus, est impatiente d’effacer jusqu’au souvenir des maux que son gouvernement vous avait fait subir, et l’Assemblée nationale se plaît à dire avec vous, que si la force des armes avait donné des sujets à la France, c’est à l’influence des lois de lui donner de nouveaux citoyens. » VERSION DU « MONITEUR.» Députation du corps électoral de l’île de Corse. L’orateur de la députation : « Nous avons été les premiers à donner l’exemple de la liberté. Nous venons renouveler nos serments et rendre un hommage à l’estime et à la reconnaissance. Lorsque le patriotisme des habitants de Pari3, après avoir renversé les tours de la Bastille, donna le signal d’une fête civique, notre empressement fut une preuve éclatante de nos sentiments; la neuvième aurore vit arriver à Paris nos députés. . . Yous avez glorieusement conquis votre liberté, vous nous avez associés à votre triomphe; c’est vous qui nous avez conquis, non pas par la force, mais par des bienfaits. Puisse notre exemple éclairer les rois, et leur apprendre que, si la guerre fait des sujets, les bonnes lois seules font les citoyens... Deux de nos députés sont demeurés fidèles aux vœux de leurs commettants ; nous les trouvons toujours dans le chemin de l’honneur et sur la ligne des meilleurs patriotes ; mais les deux autres. . . » (Une partie du côté droit interrompt l’orateur, quitte les sièges, et demande que les députés corses soient chassés de la salle. — Le côté gauche (Assemblée nationale.] répond par des applaudissements. — - M. de Lachèze s’élance vers la barre ; les membres du côté droit entourent le président.) M. de Lachèze. J’ai lieu de penser que l’Assemblée ne souffrira pas qu’on vienne ici injurier ses membres. Elle a déjà donné un exemple de sévérité en la personne de M. de Guilhermy ; à plus forte raison ne peut-elle pas souffrir la conduite des gens qu’elle veut bien admettre à la barre. Je demande s’il est une inculpation plus grave que de dire que des représentants de la nation ne marchent pas dans le sentier de l’honneur : l’honneur est notre patrimoine le plus précieux. Vous ne pouvez pas avoir deux poids et deux mesures. Je demande que vous pünissiez les députés de la Corse avec la plus grande sévérité. (R s'élève des murmures.) Je fais expressément la motion qu’en attendant que l’Assemblée prenne un parti définitif, M. le président soit autorisé à donner des ordres à l’officier de garde pour s’assurer de la personne du chef de la députation. (Il part de presque tous les côtés de la salle des éclats de rire.) M. Rewbell. Il paraît étonnant que ceux-là mêmes qui combattaient avec tant d’obstination le principe adopté par vous que les députés réunis en Assemblée nationale n’ont plus de commettants particuliers ; il me paraît, dis-je, singulier que les membres s’élèvent aujourd’hui contre les députés corses qui ne sont répréhensibles que pour s’être écartés de ce principe. Les commettants particuliers de chaque député ne sont que des individus, les députés sont les mandataires de la nation entière. Des particuliers n’ont pas le droit d’injurier publiquement les représentants de la nation. Je demande que le président soit chargé de dire à ces messieurs qu’ils ne peuvent exercer dans l’Assemblée nationale le droit de censure contre aucun de ses membres. M. l’abbé Maury. Sans dottte, vous regarderez l’honneur comme le premier de tous lesbiens, • comme la première propriété du citoyen. Il n’est personne qui ne regarde les représentants de la nation comme les juges de l’honneur. Vous n’avez que trois moyens de procéder : il faut ou que vous jugiez'j vous-mêmes la contestation qui s’est élevée, ou que vous nommiez des juges, ou que vous autorisiez les citoyens inculpés à se faire justice par eux-mêmes. (Il s'élève de violents murmures.) Le dernier expédient répugne à vos principes ; le Corps législatif ne peut l’adopter ; mais je déclare que si j’étais l’offensé, je le prendrais pour moi. (On interrompt l'opinant pour demander qu’il soit rappelé à l'ordre; il continue.) Vous n’êtes pas juges ; mais l’offense a été faite en votre présence. Je réclame pour mes collègues le droit de poursuivre les calomniateurs par-devant les tribunaux. Je demande que le président soit autorisé à renvoyer de la barre les députés qui ont abusé de la faculté que vous leur aviez donnée de parler devant vous, parce qu’il est impossible que ceux qui se sont mis dans le cas d’une poursuite criminelle paraissent devant vous; ils profanent la majesté de cette Assemblée. Je requiers qu’il soit donné acte aux deux députés inculpés de l’injure qu’ils ont reçue. Les députés extraordinaires de la Corse ont dit que les légitimes, les seuls véritables représentants de -cette île se sont écartés du sentier de l’honneur. (Plusieurs voix s'écrient : Nonl ils n’ont prononcé à leur égard que ces seuls mots : mats les deux autres.) Dû moins (6 novembre i790.J Î91 ont-ils commencé une dénonciation. Je demande qu’ils soient tenus de déclarer s’ils y étaient autorisés par leurs commettants. Je saisis cette occasion pour vous avertir qu’au delà de cette Assemblée, il existe Une autorité infiniment respectable, celle de l’opinion publique. (On applaudit.) C’est à ce tribunal que je demande que les députés corses soient renvoyés... C’est cette autorité, que chacun invoque à son gré qui sera notre juge commun. (On applaudit encore .) Soyez contents de vos triomphes ; pour moi, je vous déclare que nous sommes très contents de notre part... Dans un mémoire apologétique de M. d’Orléans... {On demande l’ordre du jour.) Dans ce mémoire une partie de cette Assemblée est appelée le parti ântipatriotique. (La partie gauche applaudit.) Or, il faut que vous sachiez qu’il est beaucoup de bons et de mauvais citoyens. (Mêmes applaudissements.) Nous nous fions dans la justice du tribunal de l’opinion publique; mais c’est à Un autre tribunal plus sévère que doivent être poursuivis les calomniateurs. (Un grand nombre de députés entourent la tribune; l’un d'eùx veut prendre la parole. — M. l'abbé Maury le pousse hors de la tribune près de laquelle deux huissiers seplàcent par ordre de M. le président.) (Quelques moments s’écoulent dans de vives agitations.) M. l’abbé IVVaury. Ce serait donner trop d’espérances de succès à la calomnie que de lui fermer l’entrée des tribunaux où elle doit être accusée. C’est parce qu’elle attaque les représentants de la nation que je demande que vous nommiez un tribunal ad hoc , où elle puisse être poursuivie... Vous êtes dépositaires de l’outrage qui vient d’être fait à vos collègues. Des législateurs à qui on demande des juges ne peuvent pas les refuser. C’est là, c’est par le tribunal que vous nommerez, qu’on verra quel est le parti le plus digne de la confiance publique; là, le peuple verra que ces dénonciations fanatiques qui retentissent dans cette enceinte ne sont faites que pour le tromper, pour lui désigner des victimes ; là, il verra si les partisans de la monarchie, si ceux qui exécutent leurs mandats sont ses ennemis. Un autre tribunal auquel nous confions notre justification, c’est la postérité. Mais si vous nous refusez les juges que nous vous demandons, nous entendrons parfaitement les conséquences de vos refus. M. Salicetti, député de Corse. Mes compatriotes n’ont point entendu insulter les représentants de la nation; ils viennent vous dénoncer formellement deux de vos collègues qui certainement sont très coupables. Vous avez depuis longtemps décrété qu’aucun député ne pourrait être traduit devant les tribunaux sans un jugement préalable de l’Assemblée nationale, qui déclare s’il y a lieu à l’inculpation; il faut donc que vous entendiez les charges de l’accusation. Je vais vous lire une lettre écrite en corse par M. l’abbé Peretti; elle est traduite de l’italien. L’original... M. de Mirabeàti.... est dans mes mains... J’ai été on ne peut pas plus étonné d’entendre un homme d’esprit comme M. l’abbé Maury venir à la tribune réciter plusieurs phrases du mémoire deM. de Galonné... Je n’ai pas éprouvé un moindre étonnement quand j’ai entendu un prêtre venir invoquer la vengeance individuelle pour juge dans le sanctuaire des lois. Je n’attendais, pouf mettre fin à ce débat tumultueux jusqu’au scan-ARCHIVES PARLEMENTAIRES.