SÉANCE DU 18 BRUMAIRE AN III (8 NOVEMBRE 1794) - N° 31 549 Citoyens Représentans, Je vous envoie le citoyen Ducheiron, mon adjudant général, pour vous prévenir que Maëstricht a capitulé hier au soir; la garnison sortira le 17 avec les honneurs de la guerre; les troupes qui la composent poseront les armes sur les glacis ; elles se rendront prisonnières de guerre, elles seront conduites jusqu’aux premiers postes ennemis, et ne pourront porter les armes contre la République qu’après avoir été échangées. Cette place, une des plus fortes et des plus en état de défense, n’a tenu qu’onze jours de tranchée ouverte. On doit sa prompte réddition à la bonne intelligence qui a régné entre le général Kléber qui commandoit les troupes, le général Bollemont qui commandoit l’artillerie, et le général Marescot qui commandoit le génie. Les troupes ont travaillé avec une ardeur incroyable, et les travaux ont été poussés avec une rapidité étonnante. Notre perte est d’environ 150 hommes tués ou blessés. Je ne connois pas encore la force de la garnison, mais on la porte à 7 à 8 000 hommes, et la place est pourvue d’une artillerie formidable. Tous les détails, de même que les drapeaux, seront remis aux représentans du peuple aussitôt que la garnison sera sortie. Salut et fraternité. Signé, Jourdan (84). Ces lettres, ainsi que le rapport de Richard, excitent le plus vif enthousiasme (85). Sur la proposition du même membre [RICHARD], au nom du comité de Salut public, la Convention décrète que l’armée de Sambre-et-Meuse ne cesse de bien mériter de la patrie (86). L’Assemblée se lève toute entière, par un mouvement spontané, et décrète cette proposition au milieu des acclamations générales (87). 31 RICHARD : L’armée de Sambre-et-Meuse n’est pas la seule qui remporte des victoires signalées ou des avantages éclatans : ( Applaudissemens .) L’armée de la Moselle, qui a si bien mérité de la patrie par sa marche victorieuse contre les Prussiens et en les forçant (84) Bull., 18 brum. Débats, n° 776, 685 ; Moniteur, XXII, 457-458 ; C. Eg., n° 812 et 813 ; Ann. Patr., n° 677 ; Mess. Soir, n° 813 ; Ann. R. F., n° 47; J. Fr., n° 774; J. Perlet, n° 776; M. U., XLV, 306; J. Univ., n° 1808; Gazette Fr., n° 1041; J. Paris, n° 49 ; Rép., n° 49 ; J. Mont., n° 26. (85) Débats, n° 776, 685. (86) P.-V., XLIX, 55. C 322, pl. 1368, p. 36, minute de la main de Richard, rapporteur selon C* II 21, p. 24. Bull., 18 brum. ; Débats, n° 776, 685. (87) Débats, n° 776, 685. de repasser le Rhin, vient de s’emparer de l’importante place de Rheinfeld. ( Vifs et longs applaudissemens). RICHARD lit les nouvelles qui suivent (88) : Toujours au nom du comité de Salut public, le même membre [RICHARD] annonce que l’armée de la Moselle continue ses glorieux succès et donne lecture des dépêches des représentans du peuple près de cette armée, datées de Coblentz, le 11 brumaire. Elles contiennent les détails de la prise du fort de Rheinfeld, à la défense duquel la nature et l’art ont également contribué. Ils observent que le général Vincent, à qui l’ordre avoit été donné de s’emparer de ce poste avantageux, se dépouilla de l’uniforme de général, prit celui de soldat et feignit d’être la sentinelle perdue et suppléa par cette ruse à la foiblesse de sa vue, reconnut la position du fort et celle où l’on pourroit établir des batteries. Il se retira après avoir essuyé plusieurs coups de carabine auxquels l’ennemi eût plus d’attention s’il eût cru fusiller un général; il fit les dispositions pendant la nuit et le plus grand succès a été le résultat de cette sage mesure (89). Bourbotte, réprésentant du peuple près les armées du Rhin et de la Moselle, au comité de Salut public. Coblentz, le 11 brumaire, l’an troisième de la République française une et indivisible. Après avoir chassé l’armée prussienne toute entière au delà du Rhin; après nous être rendus maîtres de la rive gauche de ce fleuve, depuis Mayence jusqu’à Coblentz, et avoir fait tomber ce principal repaire des brigands royaux et des émigrés, il nous restoit encore, chers collègues, à forcer les Autrichiens de nous céder, avant le poste de Mayence, celui qu’ils occu-poient sur la même ligne, entre Dopper et Baccarat, et qui coupant nos communications dans cette partie de la rive gauche du Rhin, nous causoit une gêne fatigante. Le fort de Rheinfeld, à la defense duquel la nature et l’art ont également contribué, ce fort protégé d’ailleurs par des batteries nombreuses établies sur la rive droite du Rhin, donnoit encore à l’ennemi la faculté de s’étendre sur la rive opposée, de faire des incursions dans le pays d’où nous l’avions repoussé, et de communiquer librement d’un bord à l’autre, au moyen d’un pont volant qu’il avoit établi sur cette partie du Rhin. Le général Vincent, auquel l’ordre de s’emparer de ce fort avoit été donné, prit, pour en aller faire la reconnoissance, un moyen que je ne crois pas devoir vous laisser ignorer. Ce général n’ayant pas la vue très bonne et voulant s’approcher d’assez près pour (88) Débats, n° 776, 685-686. (89) P.-V., XLIX, 55. 550 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE bien connoître par lui-même les points par lesquels on pourroit attaquer, se dépouilla de l’uniforme de général, prit celui de soldat, et feignit d’être en sentinelle perdue [(avec un fusil de munition au bras)] (90). L’ennemi tira sur lui plusieurs coups de carabine, mais ne s’attachant point à sa personne avec autant d’acharnement que s’il eût cru fusiller un chef, le général Vincent eut le temps de bien recon-noître, et la position du fort et celle où l’on pourroit établir des batteries. Il profita de la nuit pour faire tous les ouvrages nécessaires à l’attaque de cette place. Son artillerie de position, augmentée de quatre obusiers et de quatre pièces de douze, fut amenée devant la citadelle, contre laquelle avoit aussi marché la division du général Lebrun. Vainement l’ennemi voulut-il faire usage des batteries, tant du fort que de celles placées sur la rive droite, où il avoit un nombre considérable de pièces de gros calibre; les moyens développés par le général Vincent lui parurent si décisifs, que les troupes qui com-posoient la garnison du fort, se sont précipitées sur la rive droite; et cette place, où il paroît par tout ce qu’on y a laissé, qu’on avoit l’intention de la défendre longtems, est tombée de cette manière au pouvoir de la République. Nous y avons trouvé 39 bouches à feu, dont la majeure partie en bronze et de gros calibre, des mortiers, des fusils, 250 tentes presque toutes d’officiers, des munitions de guerre et de bouche de toutes espèces et en très grande quantité, particulièrement en poudre, et en outre un château dont tous les appartemens, meublés d’une manière distinguée, donnent à penser que l’ennemi ne s’attendoit pas à en être sitôt délogé. Il croyoit bien, en nous abandonnant cette place, qu’il nous alloit faire regretter de nous en être approchés; il y avoit préparé tous les moyens de la faire sauter aussitôt que nous y serions entrés. On a trouvé dans un des souterrains une mèche allumée, qui devoit communiquer le feu au magasin à poudre, et à plusieurs bombes dont l’explosion alloit avoir lieu, quand le génie tutélaire qui veille sur tous les républicains, nous l’a fait appercevoir assez tôt pour l’empêcher. Les magistrats de Giwerbs que le fort de Reinfelds défend, sont venus nous apporter les clefs de la ville : je vous les envoie avec celles de Coblentz qui n’avoient pas été remises aussitôt l’entrée de nos troupes dans cette place, dont les habitans paroissent ne pas s’habituer facilement à nos figures, et moins encore à nos moeurs républicaines. Salut et fraternité. Signé, Bourbotte (91). (90) Moniteur, XXII, 458. (91) Bull., 18 brum. Débats, n° 776, 686-687; Moniteur, XXII, 458; C. Eg., n° 812; Ann. Patr., n° 677; Mess. Soir, n° 813; Ann. R. F., n° 47 et 48; J. Fr., n° 774; J. Perlet, n° 776; M. U., XLV, 307-308; J. Univ., n° 1808; Gazette Fr., n° 1041; J. Paris, n° 49; Rép., n° 49; J. Mont., n° 26; F. de la Républ., n° 49. Sur la proposition [de RICHARD, au nom] du comité de Salut public, la Convention nationale décrète que l’armée de la Moselle ne cesse de bien mériter de la patrie. Sur celle d’un membre, elle décrète qu’il sera fait mention honorable et insertion au bulletin de l’action héroïque du général Vincent (92). Ces propositions sont décrétées au milieu de la joie générale qui se manifeste de la manière la plus éclatante et se prolonge longtemps (93). 32 RICHARD : Le comité de Salut public est occupé en ce moment d’une opération importante, sur laquelle l’intérêt public lui commande de garder le secret; il a besoin ici d’un grand témoignage de confiance de la Convention : il est important, indispensable qu’il envoie deux représentans pour cette opération. Il demande que vous l’autorisiez à les envoyer, et même les désigner particulièrement. Décrété. RICHARD : Le comité demande à être autorisé à les choisir, même parmi ceux qui ne seraient pas revenus de mission depuis trois mois. Décrété (94). Un membre [RICHARD], au nom du comité de Salut public, propose le décret suivant, qui est adopté. La Convention nationale, sur la demande de son comité de Salut public, l’autorise à envoyer en mission, pour une opération secrète, deux représentans du peuple à son choix. Ils pourront être pris même parmi ceux qui sont de retour de mission depuis moins de trois mois (95). 33 RICHARD : Le comité vous a fait distribuer, il y a quelques jours, un projet de décret pour les nominations aux emplois vacans dans l’armée. Nos braves frères d’armes servent trop bien la patrie, pour que vous ne vous empressiez pas de vous occuper d’eux. (On applaudit.) (96). (92) P.-V., XLIX, 55-56. Débats, n° 776, 687 ; Moniteur, XXII, 458 ; Bull., 18 brum. (93) Débats, n° 776, 687 ; Moniteur, XXII, 458. (94) Débats, n° 776, 687-688; Moniteur, XXII, 458; C. Eg., n° 812; Ann. Patr., n° 677; Mess. Soir, n° 813; Ann. R. F., n° 47; J. Fr., n° 774; J. Perlet, n° 776; M. U., XLV, 299; F. de la Républ. n° 50 ; Gazette Fr., n° 1042 ; J. Paris, n° 49 ; Rép., n° 49; J. Mont., n° 26. (95) P.-V., XLIX, 56. C 322, pl. 1368, p. 38, minute de la main de Richard; rapporteur anonyme selon C* II 21, p. 24. Bull., 18 brum. ; Débats, n° 776, 687-688; Moniteur, XXII, 458. (96) Débats, n° 776, 688.