552 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 13 Un membre [BARÈRE], au nom du comité de salut public, fait un rapport, à la suite duquel il propose un projet de décret relatif aux rentes viagères. La discussion est ouverte sur ce projet; et après plusieurs observations, il est adopté, sauf rédaction. (Voyez au 8 messid. et au 10 septembre 1792) (1). Barère : Citoyens, le comité de salut public en suivant les intentions de la Convention nationale, ne peut être étranger à aucun genre de réclamation de la part des citoyens. Il a aperçu depuis quelques jours que l’objet des sollicitudes et des plaintes était le décret rendu sur les rentes viagères. Aussitôt il a fait rassembler toutes les pétitions qui y sont relatives; il vient vous en porter le résultat. C’est en vain que le comité des finances s’était occupé des moyens les plus propres à ne pas compromettre les intérêts des vieillards et des citoyens peu fortunés; la loi rendue le... n’a pu prévoir tous les cas, n’a pu statuer sur toutes les hypothèses, n’a pu tranquilliser tous les esprits; il est même des formalités rigoureuses qui ont dû être établies, et des précautions sévères que le législateur n’a pu s’empêcher d’avoir. Cependant, si les formes établies pour le paiement de rentes viagères, si les conditions à remplir par les créanciers sont la sauvegarde de la fortune publique, elles ne doivent pas se transformer en obstacles, en moyens de retard pour les payements légitimes; elles ne doivent pas compromettre ni retarder les intérêts des créanciers de la nation. Elle n’est à leur égard qu’un débiteur ordinaire, soumis à toutes les lois comme les autres citoyens, et il ne lui est permis de prendre pour sa libération que les mesures que la justice rigoureuse et les besoins impérieux de la République commandent. Nous allons parcourir rapidement les questions qui sont nées des réclamations qui se sont fait entendre, réclamations justes, qui doivent être bien distinguées de ces réclamations factices, de ces plaintes hypocrites des ennemis secrets de la Révolution et des agioteurs des rentes viagères. Il est deux classes de citoyens parmi les créanciers de ces rentes : celle des riches et celle des hommes peu fortunés; celle des citoyens qui ont transformé leurs économies en viager pour arriver, sans inquiétude et sans be-(1) P.V., XXXIX, 233. Minute de la main de Barère. Décret n° 9481. Débats, n08 631, p. 381-389; 632, p. 405-408 et 633, p. 416-421; J. Perlet, n° 628; J. Fr., n° 626; Mess, soir, n° 663; J. Sablier, n° 1375; M.U., XL, 396; J. Mont., n° 376; J. Lois, n° 623; Rép. n° 175; C. Univ., 25 prair.; Audit, nat., n° 627; J. Univ., n° 1663; C. Eg., n° 663; J. S.- Culottes, n° 483, 484; Ann. patr., nos DXXVIII et DXXIX. Voir Arch. pari., T. LXXXVII, séances des 2 germ. n° 40 et 9 germ. n° 55; T. XC, séances des 22 flor. n° 48 et 23 flor. n° 59; T. XCI, séances des 13 prair. n° 78 et 24 prair. n° 13; T. XCII, séances des 2 mess. n° 53, 8 mess. n° 50, 17 mess. n° 53. soin, à l’extrémité de la vie, et celle des égoïstes, qui ont voulu doubler leurs jouissances; celle des spéculateurs de bonne foi qui ont placé sur certaines têtes, et celle des agioteurs et des banquiers, qui ont spéculé sur la division et la revente d’un capital viager. Autant les premiers sont dignes de toute la protection de la loi, autant les seconds sont défavorables et méritent toute la sévérité du législateur. Ils viennent de le prouver dans les circonstances actuelles. De quel côté croyez-vous que soient venues réellement les plaintes contre la dernière loi sur les rentes viagères ? C’est de la part des gros rentiers, de la part de ces riches égoïstes qui ne veulent ni abandonner leurs titres royaux, ni se confier aux titres républicains, ni acquérir des biens nationaux, ni voir cesser leurs longues et avares jouissances, placées non sur leur tête, mais sur des têtes étrangères. De la bouche de qui pensez-vous qu’ils ont fait sortir ces plaintes multipliées ? Ils ne sont pas assez maladroits pour se plaindre eux-mêmes; les gros rentiers sentent au fond de leur âme quel sentiment ou quel genre de reconnaissance la République peut leur devoir; aussi ils gardent le silence. Mais ils font exaspérer le peuple, ils exagèrent les craintes des citoyens, ils effraient la médiocrité des fortunes viagères, ils inquiètent le créancier des modiques rentes en lui disant que cette loi est trop formaliste, trop longue dans son exécution et retarde volontairement l’acquittement d’une dette sacrée. Mais vous avez été épiés et entendus, avides rentiers, qui ne trouvez jamais le trésor public assez abordable, et vos rentes viagères assez solides; eh bien, nous éclairerons les bons citoyens sur les effets de cette loi que vous cherchez tant à décrier. Nous ne toucherons pas aux rentes viagères dont le montant n’excédera pas 2,000 francs, et nous laisserons un bénéfice croissant graduellement en faveur de la vieillesse. Les formalités ne se simplifieront que pour les citoyens peu fortunés, pour les vieillards, pour ceux qui méritent les égards de la patrie. Nous dirons donc aux bons citoyens que le comité des finances nous a présenté des vues propres à accélérer l’ouverture prochaine des grands livres de la dette non viagère, avant le délai annoncé par la loi du 19 juillet (vieux style); qu’il travaille à organiser les moyens les plus favorables et les plus faciles pour tous les créanciers. Cambon ne tardera pas à faire ce rapport important. Nous dirons donc aux créanciers républicains que toute rente de 2,000 livres et au-dessous ne sera sujette à aucune diminution, et que, pour parvenir à ce point favorable, le maximum fixé par l’article XXVIII de la loi du 23 floréal, qui n’était que de 1,500 livres pour le premier âge, sera augmenté de 500 livres pour les jouissants actuels, et que le maximum qu’ils conserveront ne pourra éprouver aucune altération. Mais aussi il sera bien consacré comme un principe de justice, et comme un fait intentionnel du créancier viager, que la rente, au lieu d’être assise sur les trente têtes de Genève, ou sur d’autres têtes également jeunes, également étrangères au rentier, sera toujours transportée sur la tête même du propriétaire; c’est le 552 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 13 Un membre [BARÈRE], au nom du comité de salut public, fait un rapport, à la suite duquel il propose un projet de décret relatif aux rentes viagères. La discussion est ouverte sur ce projet; et après plusieurs observations, il est adopté, sauf rédaction. (Voyez au 8 messid. et au 10 septembre 1792) (1). Barère : Citoyens, le comité de salut public en suivant les intentions de la Convention nationale, ne peut être étranger à aucun genre de réclamation de la part des citoyens. Il a aperçu depuis quelques jours que l’objet des sollicitudes et des plaintes était le décret rendu sur les rentes viagères. Aussitôt il a fait rassembler toutes les pétitions qui y sont relatives; il vient vous en porter le résultat. C’est en vain que le comité des finances s’était occupé des moyens les plus propres à ne pas compromettre les intérêts des vieillards et des citoyens peu fortunés; la loi rendue le... n’a pu prévoir tous les cas, n’a pu statuer sur toutes les hypothèses, n’a pu tranquilliser tous les esprits; il est même des formalités rigoureuses qui ont dû être établies, et des précautions sévères que le législateur n’a pu s’empêcher d’avoir. Cependant, si les formes établies pour le paiement de rentes viagères, si les conditions à remplir par les créanciers sont la sauvegarde de la fortune publique, elles ne doivent pas se transformer en obstacles, en moyens de retard pour les payements légitimes; elles ne doivent pas compromettre ni retarder les intérêts des créanciers de la nation. Elle n’est à leur égard qu’un débiteur ordinaire, soumis à toutes les lois comme les autres citoyens, et il ne lui est permis de prendre pour sa libération que les mesures que la justice rigoureuse et les besoins impérieux de la République commandent. Nous allons parcourir rapidement les questions qui sont nées des réclamations qui se sont fait entendre, réclamations justes, qui doivent être bien distinguées de ces réclamations factices, de ces plaintes hypocrites des ennemis secrets de la Révolution et des agioteurs des rentes viagères. Il est deux classes de citoyens parmi les créanciers de ces rentes : celle des riches et celle des hommes peu fortunés; celle des citoyens qui ont transformé leurs économies en viager pour arriver, sans inquiétude et sans be-(1) P.V., XXXIX, 233. Minute de la main de Barère. Décret n° 9481. Débats, n08 631, p. 381-389; 632, p. 405-408 et 633, p. 416-421; J. Perlet, n° 628; J. Fr., n° 626; Mess, soir, n° 663; J. Sablier, n° 1375; M.U., XL, 396; J. Mont., n° 376; J. Lois, n° 623; Rép. n° 175; C. Univ., 25 prair.; Audit, nat., n° 627; J. Univ., n° 1663; C. Eg., n° 663; J. S.- Culottes, n° 483, 484; Ann. patr., nos DXXVIII et DXXIX. Voir Arch. pari., T. LXXXVII, séances des 2 germ. n° 40 et 9 germ. n° 55; T. XC, séances des 22 flor. n° 48 et 23 flor. n° 59; T. XCI, séances des 13 prair. n° 78 et 24 prair. n° 13; T. XCII, séances des 2 mess. n° 53, 8 mess. n° 50, 17 mess. n° 53. soin, à l’extrémité de la vie, et celle des égoïstes, qui ont voulu doubler leurs jouissances; celle des spéculateurs de bonne foi qui ont placé sur certaines têtes, et celle des agioteurs et des banquiers, qui ont spéculé sur la division et la revente d’un capital viager. Autant les premiers sont dignes de toute la protection de la loi, autant les seconds sont défavorables et méritent toute la sévérité du législateur. Ils viennent de le prouver dans les circonstances actuelles. De quel côté croyez-vous que soient venues réellement les plaintes contre la dernière loi sur les rentes viagères ? C’est de la part des gros rentiers, de la part de ces riches égoïstes qui ne veulent ni abandonner leurs titres royaux, ni se confier aux titres républicains, ni acquérir des biens nationaux, ni voir cesser leurs longues et avares jouissances, placées non sur leur tête, mais sur des têtes étrangères. De la bouche de qui pensez-vous qu’ils ont fait sortir ces plaintes multipliées ? Ils ne sont pas assez maladroits pour se plaindre eux-mêmes; les gros rentiers sentent au fond de leur âme quel sentiment ou quel genre de reconnaissance la République peut leur devoir; aussi ils gardent le silence. Mais ils font exaspérer le peuple, ils exagèrent les craintes des citoyens, ils effraient la médiocrité des fortunes viagères, ils inquiètent le créancier des modiques rentes en lui disant que cette loi est trop formaliste, trop longue dans son exécution et retarde volontairement l’acquittement d’une dette sacrée. Mais vous avez été épiés et entendus, avides rentiers, qui ne trouvez jamais le trésor public assez abordable, et vos rentes viagères assez solides; eh bien, nous éclairerons les bons citoyens sur les effets de cette loi que vous cherchez tant à décrier. Nous ne toucherons pas aux rentes viagères dont le montant n’excédera pas 2,000 francs, et nous laisserons un bénéfice croissant graduellement en faveur de la vieillesse. Les formalités ne se simplifieront que pour les citoyens peu fortunés, pour les vieillards, pour ceux qui méritent les égards de la patrie. Nous dirons donc aux bons citoyens que le comité des finances nous a présenté des vues propres à accélérer l’ouverture prochaine des grands livres de la dette non viagère, avant le délai annoncé par la loi du 19 juillet (vieux style); qu’il travaille à organiser les moyens les plus favorables et les plus faciles pour tous les créanciers. Cambon ne tardera pas à faire ce rapport important. Nous dirons donc aux créanciers républicains que toute rente de 2,000 livres et au-dessous ne sera sujette à aucune diminution, et que, pour parvenir à ce point favorable, le maximum fixé par l’article XXVIII de la loi du 23 floréal, qui n’était que de 1,500 livres pour le premier âge, sera augmenté de 500 livres pour les jouissants actuels, et que le maximum qu’ils conserveront ne pourra éprouver aucune altération. Mais aussi il sera bien consacré comme un principe de justice, et comme un fait intentionnel du créancier viager, que la rente, au lieu d’être assise sur les trente têtes de Genève, ou sur d’autres têtes également jeunes, également étrangères au rentier, sera toujours transportée sur la tête même du propriétaire; c’est le SÉANCE DU 24 PRAIRIAL AN II (12 JUIN 1794) - N° 13 553 propriétaire qui a placé, c’est lui qui a cherché à se procurer un revenu plus considérable; c’est lui qui a voulu doubler ses jouissances pour arriver ainsi au terme de la vie; il ne faut donc pas considérer la vie d’une tête étrangère qui, mourant plus tôt que le rentier, le réduit à l’indigence, et qui, mourant plus tard, ne profite pas au rentier qui n’existe plus, et grève le trésor public pour très-longtemps. Nous dirons aussi à tous les citoyens ce que la malveillance seule peut mettre en doute que la République est le meilleur, le plus riche et le plus loyal créancier qu’il y ait eu depuis qu’il existe des sociétés et des gouvernements. La République paie journellement; personne n’éprouve aucun retard. Depuis la loi des rentes viagères, depuis le 23 floréal jusqu’à ce jour, sept mille vingt-sept créanciers ont remis sept mille neuf cent trente-neuf titres ou contrats de rentes viagères. Dans l’intervalle d’un mois, six mille six cent soixante-dix-huit créanciers ont été payés, et la somme de 5 millions 802,536 liv. leur a été divisée; c’est-à-dire qu’il n’y a que les petits créanciers, qu’il n’y a que les citoyens les moins aisés, qui aient obéi à la loi, qui aient renoncé aux titres royaux, et qui aient remis leurs titres de créance. Depuis quelques jours, les moyens ont été pris pour que les payements soient encore plus multipliés, et que chaque jour un plus grand nombre de créanciers soient satisfaits. Agioteurs des rentes viagères, avares qui convoitez le trésor national, dites-nous si, sous la monarchie, si digne de vos viles passions, vous pouviez obtenir des libérations aussi faciles, des payements aussi réguliers, des versements d’intérêts aussi abondants ? Du temps de la monarchie que vous pleurez, on vous payait en bons d’Etat : on suspendait les payements à chaque crise réelle ou factice; au commencement de la révolution, après bien des supercheries ministérielles, on avait arriéré vos payements de deux années. Aujourd’hui on paie tout ce qui est dû : tout est donné, par à-compte ou par avance, en monnaie républicaine. Cette méthode populaire et bienfaisante fut-elle jamais connue sous les rois ? Du temps de la monarchie, à laquelle vous apparteniez par vos vices invétérés, on vous payait en suivant les lettres alphabétiques; vous attendiez en toute saison dans des cours malsaines et aux intempéries des saisons. Aujourd’hui on paie sans lettre alphabétique; les citoyens créanciers de l’Etat sont bien accueillis, bien abrités dans des salles de la trésorerie nationale, et le bon de chaque citoyen n’est ni éludé par des préférences, ni retardé par des lenteurs préméditées. Peut-être croira-t-on difficilement qu’après les ordres du comité, et en suivant le vœu de la Convention nationale, huit cents créanciers ont été payés chacun de ces derniers jours, tandis qu’on n’en payait auparavant que deux cent quatre-vingt-dix au plus par jour. Du temps des rois tout était retardé; pendant la guerre tous les payements étaient suspendus. Aujourd’hui, au milieu des dépenses énormes de la guerre contre toute l’Europe, au milieu des dépenses de l’intérieur pour l’amélioration de toutes les parties, les créanciers de la République sont payés ou remboursés. — Qu’aurait fait la banque d’Angleterre pendant une pareille crise, et que feraient les rois ? Il faut dire au peuple ce qui est, pour qu’il compare les régimes, et qu’il réponde à ses agitateurs, à ces calomniateurs constants du gouvernement nouveau; mais en même temps il faut améliorer le décret rendu sur les rentes viagères; il faut simplifier les formalités sans nuire à l’intérêt de la République; il faut résoudre des questions nouvelles que le législateur n’avait pas prévues, et répondre aux justes réclamations qui se sont élevées. L’exécution est le creuset des lois, et ce n’est qu’en appliquant une loi de ce genre surtout que nous pouvons en perfectionner les dispositions. Première question. — Les articles I et II ordonnent la remise de tous les anciens titres, des titres royaux, à compter de la date du décret jusqu’au 1er vendémiaire prochain, sous peine de déchéance. Les hommes qui ne croient leurs titres assurés que dans la formule Louis, par la grâce de Dieu, ou qui se croient dépouillés quand la foi républicaine et son livre sont subsistués à des parchemins royalistes, ont crié à la dépossession; ils ont réclamé contre cette disposition essentielle qui tend à substituer les formes de la république aux chartes de la monarchie. On avait déjà fait entendre les mêmes plaintes, et fait crier le même intérêt, le même préjugé, contre de pareilles dispositions contenues dans la loi du 24 août dernier sur la dette publique non viagère. Mais le comité n’a pas trouvé ces réclamations bien fondées; elles n’ont d’autre but que de conserver les anciens titres et de rester attaché aux chartes monarchiques. Les dispositions relatives à la remise des titres royaux et à leur liquidation ont été déjà consacrées par plusieurs décrets, et exécutées en vertu de plusieurs arrêtés du gouvernement révolutionnaire : il n’y a que des personnes peu confiantes dans la révolution, ou des ennemis cachés de la révolution républicaine, qui puissent en demander l’abrogation. Or la Convention ne pourrait tolérer de pareils sentiments, ni caresser un intérêt aussi anti-républicain. Seconde question. — L’article III ordonne que les propriétaires joindront à leurs titres les certificats de vie de toutes les têtes sur lesquelles les rentes seront assises, ainsi que les actes de naissance, toutes les fois qu’ils ne seront pas énoncés dans les contrats. Cet article a donné lieu à un grand nombre de réclamations. Elles méritent l’examen de la Convention nationale. On a demandé une exception pour les actes de naissance qui sont transcrits sur des registres non authentiques, de même pour ceux des personnes qui se trouvent dans les pays avec lesquels nous sommes en guerre, de même pour les certificats de vie qui ont été transcrits sur des registres qui ont été brûlés ou adirés, et enfin pour ceux des personnes qui sont aux îles de l’Amérique ou dans l’Inde. Certes la République ne veut pas éluder, mais assurer ses payements; ainsi, il ne s’agit que de prendre des sûretés, non pas des sûretés inexécutables, mais indispensables et possibles à remplir. SÉANCE DU 24 PRAIRIAL AN II (12 JUIN 1794) - N° 13 553 propriétaire qui a placé, c’est lui qui a cherché à se procurer un revenu plus considérable; c’est lui qui a voulu doubler ses jouissances pour arriver ainsi au terme de la vie; il ne faut donc pas considérer la vie d’une tête étrangère qui, mourant plus tôt que le rentier, le réduit à l’indigence, et qui, mourant plus tard, ne profite pas au rentier qui n’existe plus, et grève le trésor public pour très-longtemps. Nous dirons aussi à tous les citoyens ce que la malveillance seule peut mettre en doute que la République est le meilleur, le plus riche et le plus loyal créancier qu’il y ait eu depuis qu’il existe des sociétés et des gouvernements. La République paie journellement; personne n’éprouve aucun retard. Depuis la loi des rentes viagères, depuis le 23 floréal jusqu’à ce jour, sept mille vingt-sept créanciers ont remis sept mille neuf cent trente-neuf titres ou contrats de rentes viagères. Dans l’intervalle d’un mois, six mille six cent soixante-dix-huit créanciers ont été payés, et la somme de 5 millions 802,536 liv. leur a été divisée; c’est-à-dire qu’il n’y a que les petits créanciers, qu’il n’y a que les citoyens les moins aisés, qui aient obéi à la loi, qui aient renoncé aux titres royaux, et qui aient remis leurs titres de créance. Depuis quelques jours, les moyens ont été pris pour que les payements soient encore plus multipliés, et que chaque jour un plus grand nombre de créanciers soient satisfaits. Agioteurs des rentes viagères, avares qui convoitez le trésor national, dites-nous si, sous la monarchie, si digne de vos viles passions, vous pouviez obtenir des libérations aussi faciles, des payements aussi réguliers, des versements d’intérêts aussi abondants ? Du temps de la monarchie que vous pleurez, on vous payait en bons d’Etat : on suspendait les payements à chaque crise réelle ou factice; au commencement de la révolution, après bien des supercheries ministérielles, on avait arriéré vos payements de deux années. Aujourd’hui on paie tout ce qui est dû : tout est donné, par à-compte ou par avance, en monnaie républicaine. Cette méthode populaire et bienfaisante fut-elle jamais connue sous les rois ? Du temps de la monarchie, à laquelle vous apparteniez par vos vices invétérés, on vous payait en suivant les lettres alphabétiques; vous attendiez en toute saison dans des cours malsaines et aux intempéries des saisons. Aujourd’hui on paie sans lettre alphabétique; les citoyens créanciers de l’Etat sont bien accueillis, bien abrités dans des salles de la trésorerie nationale, et le bon de chaque citoyen n’est ni éludé par des préférences, ni retardé par des lenteurs préméditées. Peut-être croira-t-on difficilement qu’après les ordres du comité, et en suivant le vœu de la Convention nationale, huit cents créanciers ont été payés chacun de ces derniers jours, tandis qu’on n’en payait auparavant que deux cent quatre-vingt-dix au plus par jour. Du temps des rois tout était retardé; pendant la guerre tous les payements étaient suspendus. Aujourd’hui, au milieu des dépenses énormes de la guerre contre toute l’Europe, au milieu des dépenses de l’intérieur pour l’amélioration de toutes les parties, les créanciers de la République sont payés ou remboursés. — Qu’aurait fait la banque d’Angleterre pendant une pareille crise, et que feraient les rois ? Il faut dire au peuple ce qui est, pour qu’il compare les régimes, et qu’il réponde à ses agitateurs, à ces calomniateurs constants du gouvernement nouveau; mais en même temps il faut améliorer le décret rendu sur les rentes viagères; il faut simplifier les formalités sans nuire à l’intérêt de la République; il faut résoudre des questions nouvelles que le législateur n’avait pas prévues, et répondre aux justes réclamations qui se sont élevées. L’exécution est le creuset des lois, et ce n’est qu’en appliquant une loi de ce genre surtout que nous pouvons en perfectionner les dispositions. Première question. — Les articles I et II ordonnent la remise de tous les anciens titres, des titres royaux, à compter de la date du décret jusqu’au 1er vendémiaire prochain, sous peine de déchéance. Les hommes qui ne croient leurs titres assurés que dans la formule Louis, par la grâce de Dieu, ou qui se croient dépouillés quand la foi républicaine et son livre sont subsistués à des parchemins royalistes, ont crié à la dépossession; ils ont réclamé contre cette disposition essentielle qui tend à substituer les formes de la république aux chartes de la monarchie. On avait déjà fait entendre les mêmes plaintes, et fait crier le même intérêt, le même préjugé, contre de pareilles dispositions contenues dans la loi du 24 août dernier sur la dette publique non viagère. Mais le comité n’a pas trouvé ces réclamations bien fondées; elles n’ont d’autre but que de conserver les anciens titres et de rester attaché aux chartes monarchiques. Les dispositions relatives à la remise des titres royaux et à leur liquidation ont été déjà consacrées par plusieurs décrets, et exécutées en vertu de plusieurs arrêtés du gouvernement révolutionnaire : il n’y a que des personnes peu confiantes dans la révolution, ou des ennemis cachés de la révolution républicaine, qui puissent en demander l’abrogation. Or la Convention ne pourrait tolérer de pareils sentiments, ni caresser un intérêt aussi anti-républicain. Seconde question. — L’article III ordonne que les propriétaires joindront à leurs titres les certificats de vie de toutes les têtes sur lesquelles les rentes seront assises, ainsi que les actes de naissance, toutes les fois qu’ils ne seront pas énoncés dans les contrats. Cet article a donné lieu à un grand nombre de réclamations. Elles méritent l’examen de la Convention nationale. On a demandé une exception pour les actes de naissance qui sont transcrits sur des registres non authentiques, de même pour ceux des personnes qui se trouvent dans les pays avec lesquels nous sommes en guerre, de même pour les certificats de vie qui ont été transcrits sur des registres qui ont été brûlés ou adirés, et enfin pour ceux des personnes qui sont aux îles de l’Amérique ou dans l’Inde. Certes la République ne veut pas éluder, mais assurer ses payements; ainsi, il ne s’agit que de prendre des sûretés, non pas des sûretés inexécutables, mais indispensables et possibles à remplir. 554 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le comité a pensé que les propriétaires de rentes viagères qui ne pourront pas produire les actes de naissance exigés par l’article III, soit parce que ces actes se trouvaient transcrits sur des registres qui sont en pays étrangers, avec lesquels nous sommes en guerre, ou qui sont dans les Indes ou aux îles, soit parce que les registres n’ont pas un caractère légal et authentique, ou qu’ils ont été brûlés ou adirés, pourront y suppléer par un acte de notoriété, qui sera fait sans frais devant le juge de paix de leur canton, certifié par trois témoins qui affirmeront que le citoyen est dans l’impossibilité de fournir son acte de naissance pour un des cas exprimés, et ils déclarerons les nom, prénoms, le lieu et l’époque de la naissance. Cet acte de notoriété sur la vie d’une personne est facile à obtenir, et la République ne peut être accusée d’éluder un payement qu’elle hasarde à la faculté de l’obtention des actes de notoriété. Cependant nous ne devons pas laisser impunis ceux qui abuseraient de la facilité de ces dispositions; ceux-là doivent être regardés comme des voleurs publics, comme des dilapida-teurs de la fortune nationale, qui auront abusé des dispositions de cet article de la loi. Troisième question. — Plusieurs réclamations ont porté sur l’impossibilité où quelques citoyens se trouvent de fournir les certificats de vie des expectants : 1° soit parce qu’on ignore le lieu de leur résidence; 2° soit parce qu’ils sont en mer; 3e ou dans les armées de la République; 4' ou prisonniers de guerre; 5e ou aux Indes; 6e ou enfin dans les pays avec lesquels la République est en guerre. Ces motifs s’appliquent également aux propriétaires jouissants : il faut répondre à leurs craintes et statuer sur les réclamations qui nous paraissent justes. Le certificat de vie est indispensable pour constater la dette viagère, parce que, si la personne sur la tête de laquelle la rente est assise est morte, la nation est libérée. Il faut cependant convenir que plusieurs réclamations méritent l’attention du législateur, et qu’elles tiennent aux circonstances militaires dans lesquelles nous sommes. H faut aplanir ces difficultés qui entravent l’opération des rentes viagères. Il a paru au comité nécessaire de décréter que les certificats de vie des militaires qui sont en activité de service leur seront délivrés par le conseil d’administration de leur bataillon, et visés par le commissaire des guerres de la division. Quant aux défenseurs de la patrie qui ont été faits prisonniers de guerre, ou qui se trouvent dans une position qui rend toute communication impossible, les propriétaires de rentes viagères pourront être représentés pat leurs pères, mères, femmes ou enfants, qui percevront les arrérages échus en justifiant du départ et du service du propriétaire de la rente. Il en sera de même des enfants sur la tête desquels la rente est assise, et qui sont dans les armées de la République. Vous devez autoriser leurs pères, mères ou femmes à percevoir leurs rentes en justifiant des mêmes faits que les rentiers précédents. Les droits des personnes qui sont aux Indes et aux îles se trouvent conservés par l’article LXVIII, il est inutile de s’occuper de cette réclamation; on n’a qu’à revenir à la loi du 21 frimaire, à laquelle l’article LXVIII renvoie les créanciers. La question relative à ceux qui habitent les pays qui sont en guerre avec la République ne peut être décidée d’une manière favorable aux réclamants quelque vives, quelques amères que soient leurs réclamations. On ne peut se décider à leur accorder ce qu’ils demandent : 1° Parce qu’il est impossible que la République puisse avoir confiance dans le certificat d’un officier public qui est sous la dépendance des gouvernements coalisés, officier public qui ne manquerait pas de saisir cette occasion pour faire payer par la République des sommes qui ne seraient pas dues. 2° Si la personne qui habite en pays ennemi est française, elle ne mérite pas une protection ni une faveur particulière, puisqu’elle ne peut être considérée que comme émigrée; si elle est étrangère, elle ne doit pas nous intéresser, puisque les biens des personnes qui vivent sous la dépendance des gouvernements coalisés ont été séquestrés; ainsi ces personnes sont des émigrés ou des ennemis, et dans tous les cas indignes de nos regards en législation. Quatrième question. — Une autre question, qui doit bien plus vous occuper, est celle des rentes assises sur les têtes des frères et cousins du tyran Capet et de ses neveux. On plaçait sur leur tête, non qu’ils fussent plus vivaces que les autres hommes, mais parce que la notoriété publique de leur existence étant plus facile à acquérir, les créanciers n’avaient pas besoin d’autant de formalités pour percevoir leurs rentes viagères. D’autres avaient placé leurs rentes sur des têtes d’empereur ou de roi dans l’Europe, et ces rentes étaient payées sans exiger le certificat de vie, et seulement sur la notoriété de leur existence. Ainsi les créanciers, les riches surtout, avaient imaginé une sorte de flatterie envers les tyrans en plaçant sur leur tête des capitaux considérables, ou comme espérant d’eux une plus longue vie, ou comme leur donnant une sorte d’immortalité par leur intérêt. Or, comment voulez-vous considérer aujourd’hui la question des rentes viagères assises sur les têtes royales ou impériales ? Pour les hommes ordinaires, rien n’est moins notoire que l’existence des têtes ci-devant privilégiées; les ci-devant Monsieur, d’Artois, Condé, Angoulême et autres émigrés de cette caste, sont errants dans le monde, et mendient des aumônes royales dans les cours d’Allemagne, d’Angleterre et d’Italie. Pour les hommes attachés aux principes, rien ne serait plus imprudent et plus dangereux que de conserver à de pareils êtres le plus léger vestige des anciens privilèges, même en faveur de leurs créanciers. Mais pour les hommes attachés à la révolution et dévoués à la République, la mort de ces individus est à la fois un fait et un principe incontestable, soit mort civile, car ils sont émigrés; soit mort politique, car ils sont du sang du tyran; soit mort physique, car ils n’existent plus depuis longtemps pour les français. Ainsi, ceux qui ont uni leur sort à l’existence d’un 554 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le comité a pensé que les propriétaires de rentes viagères qui ne pourront pas produire les actes de naissance exigés par l’article III, soit parce que ces actes se trouvaient transcrits sur des registres qui sont en pays étrangers, avec lesquels nous sommes en guerre, ou qui sont dans les Indes ou aux îles, soit parce que les registres n’ont pas un caractère légal et authentique, ou qu’ils ont été brûlés ou adirés, pourront y suppléer par un acte de notoriété, qui sera fait sans frais devant le juge de paix de leur canton, certifié par trois témoins qui affirmeront que le citoyen est dans l’impossibilité de fournir son acte de naissance pour un des cas exprimés, et ils déclarerons les nom, prénoms, le lieu et l’époque de la naissance. Cet acte de notoriété sur la vie d’une personne est facile à obtenir, et la République ne peut être accusée d’éluder un payement qu’elle hasarde à la faculté de l’obtention des actes de notoriété. Cependant nous ne devons pas laisser impunis ceux qui abuseraient de la facilité de ces dispositions; ceux-là doivent être regardés comme des voleurs publics, comme des dilapida-teurs de la fortune nationale, qui auront abusé des dispositions de cet article de la loi. Troisième question. — Plusieurs réclamations ont porté sur l’impossibilité où quelques citoyens se trouvent de fournir les certificats de vie des expectants : 1° soit parce qu’on ignore le lieu de leur résidence; 2° soit parce qu’ils sont en mer; 3e ou dans les armées de la République; 4' ou prisonniers de guerre; 5e ou aux Indes; 6e ou enfin dans les pays avec lesquels la République est en guerre. Ces motifs s’appliquent également aux propriétaires jouissants : il faut répondre à leurs craintes et statuer sur les réclamations qui nous paraissent justes. Le certificat de vie est indispensable pour constater la dette viagère, parce que, si la personne sur la tête de laquelle la rente est assise est morte, la nation est libérée. Il faut cependant convenir que plusieurs réclamations méritent l’attention du législateur, et qu’elles tiennent aux circonstances militaires dans lesquelles nous sommes. H faut aplanir ces difficultés qui entravent l’opération des rentes viagères. Il a paru au comité nécessaire de décréter que les certificats de vie des militaires qui sont en activité de service leur seront délivrés par le conseil d’administration de leur bataillon, et visés par le commissaire des guerres de la division. Quant aux défenseurs de la patrie qui ont été faits prisonniers de guerre, ou qui se trouvent dans une position qui rend toute communication impossible, les propriétaires de rentes viagères pourront être représentés pat leurs pères, mères, femmes ou enfants, qui percevront les arrérages échus en justifiant du départ et du service du propriétaire de la rente. Il en sera de même des enfants sur la tête desquels la rente est assise, et qui sont dans les armées de la République. Vous devez autoriser leurs pères, mères ou femmes à percevoir leurs rentes en justifiant des mêmes faits que les rentiers précédents. Les droits des personnes qui sont aux Indes et aux îles se trouvent conservés par l’article LXVIII, il est inutile de s’occuper de cette réclamation; on n’a qu’à revenir à la loi du 21 frimaire, à laquelle l’article LXVIII renvoie les créanciers. La question relative à ceux qui habitent les pays qui sont en guerre avec la République ne peut être décidée d’une manière favorable aux réclamants quelque vives, quelques amères que soient leurs réclamations. On ne peut se décider à leur accorder ce qu’ils demandent : 1° Parce qu’il est impossible que la République puisse avoir confiance dans le certificat d’un officier public qui est sous la dépendance des gouvernements coalisés, officier public qui ne manquerait pas de saisir cette occasion pour faire payer par la République des sommes qui ne seraient pas dues. 2° Si la personne qui habite en pays ennemi est française, elle ne mérite pas une protection ni une faveur particulière, puisqu’elle ne peut être considérée que comme émigrée; si elle est étrangère, elle ne doit pas nous intéresser, puisque les biens des personnes qui vivent sous la dépendance des gouvernements coalisés ont été séquestrés; ainsi ces personnes sont des émigrés ou des ennemis, et dans tous les cas indignes de nos regards en législation. Quatrième question. — Une autre question, qui doit bien plus vous occuper, est celle des rentes assises sur les têtes des frères et cousins du tyran Capet et de ses neveux. On plaçait sur leur tête, non qu’ils fussent plus vivaces que les autres hommes, mais parce que la notoriété publique de leur existence étant plus facile à acquérir, les créanciers n’avaient pas besoin d’autant de formalités pour percevoir leurs rentes viagères. D’autres avaient placé leurs rentes sur des têtes d’empereur ou de roi dans l’Europe, et ces rentes étaient payées sans exiger le certificat de vie, et seulement sur la notoriété de leur existence. Ainsi les créanciers, les riches surtout, avaient imaginé une sorte de flatterie envers les tyrans en plaçant sur leur tête des capitaux considérables, ou comme espérant d’eux une plus longue vie, ou comme leur donnant une sorte d’immortalité par leur intérêt. Or, comment voulez-vous considérer aujourd’hui la question des rentes viagères assises sur les têtes royales ou impériales ? Pour les hommes ordinaires, rien n’est moins notoire que l’existence des têtes ci-devant privilégiées; les ci-devant Monsieur, d’Artois, Condé, Angoulême et autres émigrés de cette caste, sont errants dans le monde, et mendient des aumônes royales dans les cours d’Allemagne, d’Angleterre et d’Italie. Pour les hommes attachés aux principes, rien ne serait plus imprudent et plus dangereux que de conserver à de pareils êtres le plus léger vestige des anciens privilèges, même en faveur de leurs créanciers. Mais pour les hommes attachés à la révolution et dévoués à la République, la mort de ces individus est à la fois un fait et un principe incontestable, soit mort civile, car ils sont émigrés; soit mort politique, car ils sont du sang du tyran; soit mort physique, car ils n’existent plus depuis longtemps pour les français. Ainsi, ceux qui ont uni leur sort à l’existence d’un SÉANCE DU 24 PRAIRIAL AN II (12 JUIN 1794) - N° 13 555 Capet ou d’un empereur doivent en supporter les clauses défavorables; ainsi la juste punition de Capet a anéanti 400,000 liv. de viager; celle de la femme Capet, 200,000 liv.; et d’Orléans a fait cesser, par son supplice, les 247,000 liv. de viager que divers créanciers avaient assis sur sa tête coupable. Cette question frappe également les têtes impériales de l’Europe et les têtes émigrées de France; soit que les rentes viagères soient constituées sur leurs têtes, soit que la propriété appartienne à des Français habitant en France, les rentes sont éteintes et la nation libérée; c’est bien le moindre des dédommagements que les fléaux des empires puissent donner à la République, qu’ils ont voulu détruire, avilir et ruiner. Je ne connais qu’une seule exception, et c’est encore plutôt un acte de bienfaisance qu’une exception; c’est en faveur des citoyens peu fortunés, ou chargés d’enfants, qui, ayant cédé à la contagion de l’exemple, se trouveraient ruinés par la perte de leurs rentes viagères; quant à ceux-là, la République doit avoir égard à leur triste position et leur donner un ample dédommagement; les riches, les égoïstes et les étrangers ne méritent rien d’une république qu’ils ont voulu renverser. Cinquième question. — Il est une question qui a excité de bien justes plaintes : c’est celle relative aux certificats de vie des têtes expectantes; elle mérite toute l’attention de la Convention; car il ne serait pas juste qu’un citoyen fût en souffrance parce qu’il ne prouverait pas l’existence de son survivancier. La mesure indiquée par le décret sur les rentes viagères a été nécessitée pour parvenir à une liquidation et à une répartition juste. Le décret n’a prévu qu’en partie le cas dont on se plaint, puisque par l’art. VIII il est dit que le défaut de présentation des titres par quelque tête n’empêchera pas la liquidation des co -intéressés. A la vérité, par l’article X, les arrérages échus ne pourront être payés dans ce cas qu’à l’époque du 1er vendémiaire. Ce retard peut sans doute être préjudiciable à plusieurs citoyens, et il convient de prendre un autre parti... Le comité a pensé que, pour faciliter la liquidation des rentes viagères et la remise des titres à la trésorerie, les propriétaires jouissant actuellement de ces rentes n’auront à produire, relativement au droit des expectants, que leur acte de naissance ou l’acte de notoriété pour y suppléer. Il a pensé encore que la répartition du capital se fera toujours suivant les bases fixées par l’article XXXIV de la loi du 23 floréal, et que la portion de l’expectant sera considéré comme lui appartenant, pourvu qu’il se présente dans les délais prescrits, faute de quoi il encourra la déchéance, et sa portion appartiendra dans ce cas à la République. Quant aux arrérages échus, ils seront payés sans retard aux jouissants actuels qui se présenteront. Sixième question. — Les mesures de sûreté générale que vous avez été obligés de prendre contre les citoyens suspects, contre les riches contre-révolutionnaires, et contre les ennemis intérieurs et secrets de la liberté, ont peuplé nos prisons et nos maisons d’arrêt. Cependant des rentes viagères sont assises sur la tête des personnes détenues : on demande de toutes parts comment on constatera la vie des détenus, avec qui la loi défend de communiquer. C’est encore là une question qui a trait à ceux qui s’intéressent aux Capet détenus en France, et aux ennemis de la révolution mis dans des maisons d’arrêt, mais sur ce point il est facile de calmer ces inquiétudes vraies ou simulées. Il suffira de décréter que les certificats de vie des personnes détenues pourront être délivrés par le concierge du lieu de la détention, dont la signature sera légalisée par le juge de paix de son arrondissement, jointe aux extraits de l’écrou, et l’attestation de l’existence du détenu suffira. Septième question. — Un principe de vanité bien plus que d’économie avait donné lieu au placement de rentes viagères sur la tête de tel pu tel enfant d’une famille sujette, par la loi ou coutume locale, à l’égalité des partages. Une mère voulait-elle favoriser un enfant chéri; un père désirait-il accumuler une plus grande fortune sur la tête d’un de ses fils; l’orgueil des familles ou les préjugés aristocratiques tendaient-ils à faire un homme riche : les pères et mères, trompant les lois de la nature, et fraudant la coutume des lieux, telle que celle de Paris, qui établissait des partages égaux, plaçaient sur la tête d’un de leurs enfants une rente viagère. C’était là établir l’inégalité, et faire une injustice aux autres enfants. La même méthode pour éluder la loi a été suivie par d’autres pères de famille qui, rougissant de tromper leurs enfants et d’être orgueilleusement injustes, plaçaient les rentes sous le nom de personnes inconnues; ainsi la rente était constituée à tel enfant par un inconnu. Il s’agit aujourd’hui de leur liquidation. Les pères ont réclamé la propriété remboursable; les enfants veulent aussi jouir de l’injuste collocation faite par leur père, ou par l’inconnu qui est encore le père. Des mémoires ont été remis de part et d’autre. L’intérêt personnel cède rarement quelqu’une de ses prétentions. Qu’a fait le décret ? Il a établi que la fortune ou le capital des rentes assises sur la tête des enfants par des pères et mères devait revenir à la source commune, pour se distribuer ensuite avec égalité à tous les enfants, lors de la mort des parents. Le comité a pensé qu’il fallait décider de même pour les rentes asises sur la tête des enfants par des inconnus : 1° parce que ces inconnus sont toujours les parents déguisés ainsi; 2° parce que les biens reviennent ainsi se réunir au patrimoine commun; 3° parce que c’est rétablir l’égalité des partages que de replacer dans la main du père des sommes injustement et obscurément portées dans les mains d’un enfant préféré et enrichi. Mais aussi, pour rendre cette décision bien juste, il faut décréter que cela n’aura lieu que pour les rentes assises sur la tête des enfants non mariés, et qui, à l’époque du contrat, n’avaient pas atteint l’âge de vingt et un ans. — Ceux qui sont mariés ont fait leur établissement sur la foi de ce contrat viager : ceux qui avaient vingt et un ans à l’époque du contrat ont pu posséder un pécule, ou faire un état qui les mettait à même de placer. La présomp-SÉANCE DU 24 PRAIRIAL AN II (12 JUIN 1794) - N° 13 555 Capet ou d’un empereur doivent en supporter les clauses défavorables; ainsi la juste punition de Capet a anéanti 400,000 liv. de viager; celle de la femme Capet, 200,000 liv.; et d’Orléans a fait cesser, par son supplice, les 247,000 liv. de viager que divers créanciers avaient assis sur sa tête coupable. Cette question frappe également les têtes impériales de l’Europe et les têtes émigrées de France; soit que les rentes viagères soient constituées sur leurs têtes, soit que la propriété appartienne à des Français habitant en France, les rentes sont éteintes et la nation libérée; c’est bien le moindre des dédommagements que les fléaux des empires puissent donner à la République, qu’ils ont voulu détruire, avilir et ruiner. Je ne connais qu’une seule exception, et c’est encore plutôt un acte de bienfaisance qu’une exception; c’est en faveur des citoyens peu fortunés, ou chargés d’enfants, qui, ayant cédé à la contagion de l’exemple, se trouveraient ruinés par la perte de leurs rentes viagères; quant à ceux-là, la République doit avoir égard à leur triste position et leur donner un ample dédommagement; les riches, les égoïstes et les étrangers ne méritent rien d’une république qu’ils ont voulu renverser. Cinquième question. — Il est une question qui a excité de bien justes plaintes : c’est celle relative aux certificats de vie des têtes expectantes; elle mérite toute l’attention de la Convention; car il ne serait pas juste qu’un citoyen fût en souffrance parce qu’il ne prouverait pas l’existence de son survivancier. La mesure indiquée par le décret sur les rentes viagères a été nécessitée pour parvenir à une liquidation et à une répartition juste. Le décret n’a prévu qu’en partie le cas dont on se plaint, puisque par l’art. VIII il est dit que le défaut de présentation des titres par quelque tête n’empêchera pas la liquidation des co -intéressés. A la vérité, par l’article X, les arrérages échus ne pourront être payés dans ce cas qu’à l’époque du 1er vendémiaire. Ce retard peut sans doute être préjudiciable à plusieurs citoyens, et il convient de prendre un autre parti... Le comité a pensé que, pour faciliter la liquidation des rentes viagères et la remise des titres à la trésorerie, les propriétaires jouissant actuellement de ces rentes n’auront à produire, relativement au droit des expectants, que leur acte de naissance ou l’acte de notoriété pour y suppléer. Il a pensé encore que la répartition du capital se fera toujours suivant les bases fixées par l’article XXXIV de la loi du 23 floréal, et que la portion de l’expectant sera considéré comme lui appartenant, pourvu qu’il se présente dans les délais prescrits, faute de quoi il encourra la déchéance, et sa portion appartiendra dans ce cas à la République. Quant aux arrérages échus, ils seront payés sans retard aux jouissants actuels qui se présenteront. Sixième question. — Les mesures de sûreté générale que vous avez été obligés de prendre contre les citoyens suspects, contre les riches contre-révolutionnaires, et contre les ennemis intérieurs et secrets de la liberté, ont peuplé nos prisons et nos maisons d’arrêt. Cependant des rentes viagères sont assises sur la tête des personnes détenues : on demande de toutes parts comment on constatera la vie des détenus, avec qui la loi défend de communiquer. C’est encore là une question qui a trait à ceux qui s’intéressent aux Capet détenus en France, et aux ennemis de la révolution mis dans des maisons d’arrêt, mais sur ce point il est facile de calmer ces inquiétudes vraies ou simulées. Il suffira de décréter que les certificats de vie des personnes détenues pourront être délivrés par le concierge du lieu de la détention, dont la signature sera légalisée par le juge de paix de son arrondissement, jointe aux extraits de l’écrou, et l’attestation de l’existence du détenu suffira. Septième question. — Un principe de vanité bien plus que d’économie avait donné lieu au placement de rentes viagères sur la tête de tel pu tel enfant d’une famille sujette, par la loi ou coutume locale, à l’égalité des partages. Une mère voulait-elle favoriser un enfant chéri; un père désirait-il accumuler une plus grande fortune sur la tête d’un de ses fils; l’orgueil des familles ou les préjugés aristocratiques tendaient-ils à faire un homme riche : les pères et mères, trompant les lois de la nature, et fraudant la coutume des lieux, telle que celle de Paris, qui établissait des partages égaux, plaçaient sur la tête d’un de leurs enfants une rente viagère. C’était là établir l’inégalité, et faire une injustice aux autres enfants. La même méthode pour éluder la loi a été suivie par d’autres pères de famille qui, rougissant de tromper leurs enfants et d’être orgueilleusement injustes, plaçaient les rentes sous le nom de personnes inconnues; ainsi la rente était constituée à tel enfant par un inconnu. Il s’agit aujourd’hui de leur liquidation. Les pères ont réclamé la propriété remboursable; les enfants veulent aussi jouir de l’injuste collocation faite par leur père, ou par l’inconnu qui est encore le père. Des mémoires ont été remis de part et d’autre. L’intérêt personnel cède rarement quelqu’une de ses prétentions. Qu’a fait le décret ? Il a établi que la fortune ou le capital des rentes assises sur la tête des enfants par des pères et mères devait revenir à la source commune, pour se distribuer ensuite avec égalité à tous les enfants, lors de la mort des parents. Le comité a pensé qu’il fallait décider de même pour les rentes asises sur la tête des enfants par des inconnus : 1° parce que ces inconnus sont toujours les parents déguisés ainsi; 2° parce que les biens reviennent ainsi se réunir au patrimoine commun; 3° parce que c’est rétablir l’égalité des partages que de replacer dans la main du père des sommes injustement et obscurément portées dans les mains d’un enfant préféré et enrichi. Mais aussi, pour rendre cette décision bien juste, il faut décréter que cela n’aura lieu que pour les rentes assises sur la tête des enfants non mariés, et qui, à l’époque du contrat, n’avaient pas atteint l’âge de vingt et un ans. — Ceux qui sont mariés ont fait leur établissement sur la foi de ce contrat viager : ceux qui avaient vingt et un ans à l’époque du contrat ont pu posséder un pécule, ou faire un état qui les mettait à même de placer. La présomp- 556 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE tion est en leur faveur, et se réunit à la force du titre. Mais avec cette précision l’article en faveur des pères et mères, dans les contrats passés au nom d’inconnus, est à l’abri de tout reproche d’injustice ou d’imprévoyance. Hutième question. — Quand on connaît les ruses employées par les manipulateurs avides de la fortune nationale dans les effets publics, on n’est pas étonné d’apprendre que la faculté de rémérer s’était glissée jusque dans la vente des contrats ou des délégations de rentes viagères. L’art des voleurs publics, vulgairement appelés agioteurs, est un des arts les plus perfectionnés à Paris : aussi, empruntant des contrats de bonne foi la faculté de rachat ou de rémérer, les agioteurs ont couvert de ce nom le jeu le plus désastreux pour les citoyens qui ont besoin de vendre un contrat de viager, et le plus dévorant pour la fortune et le crédit de la nation. Un débiteur veut se libérer; un citoyen éprouve des besoins ou des malheurs : il cherche à vendre son contrat de rente viagère. Il serait odieux et répréhensible l’acheteur qui offrirait à ce malheureux un prix inférieur à la valeur du contrat de rente viagère. Que fait-il ? il insinue qu’avec la faculté de rachat ou de rémérer, le débiteur pourra reprendre un jour, ou dans un délai fixe, son contrat en rendant la somme donnée en échange. Cet espoir trompe le vendeur, et colore l’avilissement du contrat et la diminution du prix. Le débiteur est dans l’impuissance de reprendre son contrat, et l’agioteur a produit du même coup le succès d’un voleur, la ruine d’un citoyen et l’avilissement des effets nationaux. Quelquefois même deux agioteurs, et plusieurs successivement, se sont entendus pour faire perdre de leur valeur aux contrats de rente, en couvrant ainsi leur marché honteux du nom de réméré Le comité vous propose de punir cet agiotage infâme par la perte du prétendu bénéfice de l’agioteur, en décrétant que les personnes qui ont acquis des rentes viagères avec la condition de réméré n’auront droit qu’à un capital qui ne pourra excéder celui qu’elles justifieront avoir fourni. Il vous paraîtra également juste de faire restituer aux vendeurs cette portion de bénéfice ou de vol fait par l’agioteur. Mais comme nous pourrions, par ce moyen vague et général, récompenser des hommes qui n’ont vendu avec la faculté de rémérer que d’accord avec des agioteurs, et pour favoriser leurs procédés, il est nécessaire aussi de ne porter cette restitution que sur la tête des citoyens peu fortunés qui auront été la victime de ces manœuvres. Vous chargerez donc les comités de salut public et des finances d’examiner les pétitions des citoyens indigents qui auraient vendu leurs contrats viagers avec faculté de rémérer, et d’y statuer en rendant aux indigents le bénéfice résultant pour la nation, en réduisant la restitution faite aux acheteurs au seul prix qu’ils ont fourni. Omissions. Après s’être occupé des réclamations qui se sont élevées contre quelques dispositions du décret du 23 floréal, le comité s’est fait rendre compte des omissions remarquées dans cette loi. La première omission consiste en ce que le décret n’a pas fixé une époque pour déterminer l’âge des rentiers. Le comité propose de décréter que l’époque précise pour déterminer l’âge des rentiers viagers demeure fixée au 1er germinal de l’an 3e. La seconde omission consiste en ce que les inscriptions sur le grand livre de la dette consolidée, que les créanciers viagers opteront, doivent être reçues en payement des domaines nationaux; mais, par la loi du 24 août dernier, elles doivent être calculées : Par 20 fois sur le montant jusqu’au 1er janvier 1794; Par 18 fois jusqu’au 1er juillet; Et par 16 fois jusqu’au 1er janvier 1795. Les créanciers viagers n’ont pu employer leurs inscriptions en calculant par 20 fois leur montant puisqu’elles ne leur sont pas encore délivrées à peine même pourront-ils les employer par 18 fois, puisque le terme est près d’expirer; il serait juste de faire un article particulier pour rétablir leurs droits. Nous proposons donc de décréter que les inscriptions provenant de la dette viagère seront délivrées jusqu’au 1er pluviôse de l’an 3e, et seront reçues en payement des domaines nationaux, jusqu’à ladite époque, en en calculant par 20 fois le montant en conséquence, elles feront mention de cette condition. Il existe des difficultés pour constater la propriété et les mutations survenues; quoiqu’il n’y ait pas de réclamations à ce sujet, c’est notre devoir de le prévenir et de donner au créancier toutes les facilités compatibles avec l’intérêt de la République. On parviendrait en décrétant que les payeurs ci-devant de l’hôtel-de-ville de Paris, pour suppléer aux titres de propriété que les créanciers viagers seraient tenus de produire, donneront en marge des contrats des certificats des décès et des autres mutations qui leur auront été notifiés; ces certificats seront fournis sans frais. Enfin la loi sur la dette viagère offre beaucoup de difficultés dans les calculs, ce qui empêche un grand nombre de citoyens d’en apprécier les résultats, et facilite à la malveillance le moyen de calomnier la loi sur les rentes viagères, et d’exciter les cris de quelques intéressés. Nous pourrions obvier à cet inconvénient en chargeant expressément le bureau des calculs, établis à la trésorerie nationale, d’instruire gratuitement les citoyens, porteurs de contrats viagers, du résultat de l’opération prescrite par le décret pour ce qui les concerne. Ce n’est pas assez de faire des lois, il faut les faire bien connaître pour les faire exécuter; et le législateur doit, en matière de finances prendre les moyens propres à rendre leurs dispositions intelligibles à tous les citoyens; l’intérêt personnel est ombrageux et inquiet, il faut l’éclairer et le tranquilliser. Après vous avoir exposé les diverses plaintes des citoyens, il est nécessaire de dévoiler devant vous la cause secrète qui fait naître une partie de ces réclamations, et vous verrez qu’elles n’ont d’autre source que dans cette épidémie de l’agiotage qui a tout gangrené : c’est des mains de la banque que nous recevons encore cette secousse. Vous n’ignorez pas que le système machiavélique de l’Angleterre s’était rattaché en France 556 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE tion est en leur faveur, et se réunit à la force du titre. Mais avec cette précision l’article en faveur des pères et mères, dans les contrats passés au nom d’inconnus, est à l’abri de tout reproche d’injustice ou d’imprévoyance. Hutième question. — Quand on connaît les ruses employées par les manipulateurs avides de la fortune nationale dans les effets publics, on n’est pas étonné d’apprendre que la faculté de rémérer s’était glissée jusque dans la vente des contrats ou des délégations de rentes viagères. L’art des voleurs publics, vulgairement appelés agioteurs, est un des arts les plus perfectionnés à Paris : aussi, empruntant des contrats de bonne foi la faculté de rachat ou de rémérer, les agioteurs ont couvert de ce nom le jeu le plus désastreux pour les citoyens qui ont besoin de vendre un contrat de viager, et le plus dévorant pour la fortune et le crédit de la nation. Un débiteur veut se libérer; un citoyen éprouve des besoins ou des malheurs : il cherche à vendre son contrat de rente viagère. Il serait odieux et répréhensible l’acheteur qui offrirait à ce malheureux un prix inférieur à la valeur du contrat de rente viagère. Que fait-il ? il insinue qu’avec la faculté de rachat ou de rémérer, le débiteur pourra reprendre un jour, ou dans un délai fixe, son contrat en rendant la somme donnée en échange. Cet espoir trompe le vendeur, et colore l’avilissement du contrat et la diminution du prix. Le débiteur est dans l’impuissance de reprendre son contrat, et l’agioteur a produit du même coup le succès d’un voleur, la ruine d’un citoyen et l’avilissement des effets nationaux. Quelquefois même deux agioteurs, et plusieurs successivement, se sont entendus pour faire perdre de leur valeur aux contrats de rente, en couvrant ainsi leur marché honteux du nom de réméré Le comité vous propose de punir cet agiotage infâme par la perte du prétendu bénéfice de l’agioteur, en décrétant que les personnes qui ont acquis des rentes viagères avec la condition de réméré n’auront droit qu’à un capital qui ne pourra excéder celui qu’elles justifieront avoir fourni. Il vous paraîtra également juste de faire restituer aux vendeurs cette portion de bénéfice ou de vol fait par l’agioteur. Mais comme nous pourrions, par ce moyen vague et général, récompenser des hommes qui n’ont vendu avec la faculté de rémérer que d’accord avec des agioteurs, et pour favoriser leurs procédés, il est nécessaire aussi de ne porter cette restitution que sur la tête des citoyens peu fortunés qui auront été la victime de ces manœuvres. Vous chargerez donc les comités de salut public et des finances d’examiner les pétitions des citoyens indigents qui auraient vendu leurs contrats viagers avec faculté de rémérer, et d’y statuer en rendant aux indigents le bénéfice résultant pour la nation, en réduisant la restitution faite aux acheteurs au seul prix qu’ils ont fourni. Omissions. Après s’être occupé des réclamations qui se sont élevées contre quelques dispositions du décret du 23 floréal, le comité s’est fait rendre compte des omissions remarquées dans cette loi. La première omission consiste en ce que le décret n’a pas fixé une époque pour déterminer l’âge des rentiers. Le comité propose de décréter que l’époque précise pour déterminer l’âge des rentiers viagers demeure fixée au 1er germinal de l’an 3e. La seconde omission consiste en ce que les inscriptions sur le grand livre de la dette consolidée, que les créanciers viagers opteront, doivent être reçues en payement des domaines nationaux; mais, par la loi du 24 août dernier, elles doivent être calculées : Par 20 fois sur le montant jusqu’au 1er janvier 1794; Par 18 fois jusqu’au 1er juillet; Et par 16 fois jusqu’au 1er janvier 1795. Les créanciers viagers n’ont pu employer leurs inscriptions en calculant par 20 fois leur montant puisqu’elles ne leur sont pas encore délivrées à peine même pourront-ils les employer par 18 fois, puisque le terme est près d’expirer; il serait juste de faire un article particulier pour rétablir leurs droits. Nous proposons donc de décréter que les inscriptions provenant de la dette viagère seront délivrées jusqu’au 1er pluviôse de l’an 3e, et seront reçues en payement des domaines nationaux, jusqu’à ladite époque, en en calculant par 20 fois le montant en conséquence, elles feront mention de cette condition. Il existe des difficultés pour constater la propriété et les mutations survenues; quoiqu’il n’y ait pas de réclamations à ce sujet, c’est notre devoir de le prévenir et de donner au créancier toutes les facilités compatibles avec l’intérêt de la République. On parviendrait en décrétant que les payeurs ci-devant de l’hôtel-de-ville de Paris, pour suppléer aux titres de propriété que les créanciers viagers seraient tenus de produire, donneront en marge des contrats des certificats des décès et des autres mutations qui leur auront été notifiés; ces certificats seront fournis sans frais. Enfin la loi sur la dette viagère offre beaucoup de difficultés dans les calculs, ce qui empêche un grand nombre de citoyens d’en apprécier les résultats, et facilite à la malveillance le moyen de calomnier la loi sur les rentes viagères, et d’exciter les cris de quelques intéressés. Nous pourrions obvier à cet inconvénient en chargeant expressément le bureau des calculs, établis à la trésorerie nationale, d’instruire gratuitement les citoyens, porteurs de contrats viagers, du résultat de l’opération prescrite par le décret pour ce qui les concerne. Ce n’est pas assez de faire des lois, il faut les faire bien connaître pour les faire exécuter; et le législateur doit, en matière de finances prendre les moyens propres à rendre leurs dispositions intelligibles à tous les citoyens; l’intérêt personnel est ombrageux et inquiet, il faut l’éclairer et le tranquilliser. Après vous avoir exposé les diverses plaintes des citoyens, il est nécessaire de dévoiler devant vous la cause secrète qui fait naître une partie de ces réclamations, et vous verrez qu’elles n’ont d’autre source que dans cette épidémie de l’agiotage qui a tout gangrené : c’est des mains de la banque que nous recevons encore cette secousse. Vous n’ignorez pas que le système machiavélique de l’Angleterre s’était rattaché en France SÉANCE DU 24 PRAIRIAL AN II (12 JUIN 1794) - N° 14 557 à deux grands agents pour opérer la subversion de la fortune nationale : la banque et le notariat. Le gouvernement britannique faisait la contre-révolution dans l’intérieur par-devant notaire, par des transactions simulées, par des ventes feintes, par des contrats déguisés, et par des opérations frauduleuses avec les émigrés; le gouvernement de Georges faisait la contre-révolution dans l’intérieur par les banquiers et agents de change, qui étaient chargés d’avilir nos assignats et de faire filtrer nos trésors, notre mobilier précieux et nos moyens de circulation, dans les mains de nos ennemis. Aussi la banque, qui, par le décret des rentes viagères est frappée d’un coup mortel, s’agite en tout sens; elle n’ose pas porter des plaintes directes, elle combat la loi par des réclamations indirectes; elle n’ose pas murmurer pour son compte, elle agiote encore sur les murmures du peuple; mais nous allons vous proposer un article qui imposera silence à ces hommes qui mettent le patriotisme en banque et en commerce. Voici le fait. Plusieurs banquiers avaient placé sur 30 têtes génevoises des sommes considérables en viager, et vous connaissez l’immoralité profonde de ces collocateurs de rentes, qui vont cherchant dans un pays salubre et de mœurs sages des jeunes filles échappées aux premières chances des maladies, qui, vouées au célibat, étrangères aux rentiers et à leur fortune, semblent ne vivre que pour donner l’immortalité à l’usure et des richesses à l’avarice. Eh bien, ces banquiers ont revendu ces contrats en parcelles à des citoyens peu fortunés, à des sans-culottes; ils ont déposé pour sûreté les contrats chez un notaire, et ont délivré aux nouveaux propriétaires des délégations; ils se sont réservé de percevoir annuellement les intérêts viagers en masse, pour les répartir en détail aux délégataires, en retirant un salaire qui leur assurait 10, 20 ou 30.000 livres de rente annuelle. La loi du 23 floréal dépouille ces banquiers de ce bénéfice, et reconnaît les délégataires comme créanciers directs de la République, en représentant leur titre de délégation, et en faisant remettre le titre original : par ce moyen, les délégataires évitent des frais, et ont leur rente distincte et séparée. Aucun banquier n’a encore déposé ses titres; il serait sans doute convenable d’instruire les délégataires qui ignorent la disposition de la loi qui leur est favorable, et qui reçoivent l’impulsion défavorable que les banquiers leur donnent, en multipliant des difficultés qui n’existent pas, ou qui,, s’il en existe une partie, peuvent disparaître à la voix du législateur, mais sans les murmures des citoyens et sans les attaques portées dans l’opinion à une opération morale, soit sous le rapport de l’économie publique, soit sous le rapport des intérêts particuliers des familles. Si l’on ne faisait que ce que les riches veulent en matière de finances, aucune des trois assemblées nationales n’aurait fait aucune opération utile sur la fortune publique, ou bien il n’y aurait eu que des opérations fausses ou tronquées. L’avare, le gros rentier, le riche, veulent toujours dormir sur le même oreiller; l’intérêt des familles ne les touche point, l’intérêt de la République n’est rien; l’égoïsme est la seule vertu qu’ils connaissent, et leur coffre-fort est leur seule patrie. Tournons nos regards sur des citoyens qui inspirent un autre genre d’intérêt. Une dernière disposition du décret que nous allons vous proposer est digne des principes que vous avez déjà établis sur les secours à accorder aux familles des défenseurs de la patrie. Sans doute la Convention nationale a fait un don de secours aux familles des volontaires, tel qu’aucun peuple, aucun gouvernement, aucun monarque n’ont jamais pu en soupçonner la possibilité. Mais nous pouvons encore ajouter à cette munificence nationale; nous pouvons joindre une fiction honorable à l’acquittement d’une dette sacrée. A Rome, celui qui mourait pour la patrie était censé vivre, et les bénéfices qui tenaient à son existence étaient continués dans sa famille. Adoptons de si généreux usages : le volontaire qui meurt pour défendre son pays, celui qui a péri sur les frontières pour affermir la République, est présent dans nos places publiques, par les monuments élevés à leur gloire, dans nos théâtres par les chants civiques célébrés en leur honneur, dans nos fêtes, par des poésies chantées en leur souvenir, dans le temple des lois, par les décrets que vous rendez pour leurs familles; pourquoi ne seraient-ils pas aussi présents dans le temple de la fortune publique. Pourquoi les volontaires sur la tête desquels sont assises des rentes viagères ne les transmettraient-ils pas en mourant à leurs pères, à leur mères, à leurs femmes et à leurs enfants ? La République ne doit pas s’enrichir de la mort de ses défenseurs; ils sont censés vivre, étant morts pour elle, et leurs rentes viagères ne sont pas éteintes; leurs parents trouveront encore présents dans leurs familles les volontaires morts pour la liberté : ils y seront présents par leur gloire et par leurs bienfaits. Décrétez le transport des rentes viagères dans leurs familles, et du moins leur souvenir ne sera mêlé ni des larmes de l’indigence, ni des cris de desespoir. Voici le projet de décret (adopté) (1). 14 [Etat des dons, (suite)] (2). a Le citoyen Pierre Leroi, agent national de la commune de Sermaise, district de Vitry-sur-Marne, a donné, pour les frais de la guerre, 4 écus de 6 liv. b Le citoyen Durand-Maillane, député, a remis un brevet de chevalier de Saint-Louis, et celui de porte-étendard des gardes du ci-devant roi. (1) Mon., XX, 702. (2) P.V., XXXIX, 408. SÉANCE DU 24 PRAIRIAL AN II (12 JUIN 1794) - N° 14 557 à deux grands agents pour opérer la subversion de la fortune nationale : la banque et le notariat. Le gouvernement britannique faisait la contre-révolution dans l’intérieur par-devant notaire, par des transactions simulées, par des ventes feintes, par des contrats déguisés, et par des opérations frauduleuses avec les émigrés; le gouvernement de Georges faisait la contre-révolution dans l’intérieur par les banquiers et agents de change, qui étaient chargés d’avilir nos assignats et de faire filtrer nos trésors, notre mobilier précieux et nos moyens de circulation, dans les mains de nos ennemis. Aussi la banque, qui, par le décret des rentes viagères est frappée d’un coup mortel, s’agite en tout sens; elle n’ose pas porter des plaintes directes, elle combat la loi par des réclamations indirectes; elle n’ose pas murmurer pour son compte, elle agiote encore sur les murmures du peuple; mais nous allons vous proposer un article qui imposera silence à ces hommes qui mettent le patriotisme en banque et en commerce. Voici le fait. Plusieurs banquiers avaient placé sur 30 têtes génevoises des sommes considérables en viager, et vous connaissez l’immoralité profonde de ces collocateurs de rentes, qui vont cherchant dans un pays salubre et de mœurs sages des jeunes filles échappées aux premières chances des maladies, qui, vouées au célibat, étrangères aux rentiers et à leur fortune, semblent ne vivre que pour donner l’immortalité à l’usure et des richesses à l’avarice. Eh bien, ces banquiers ont revendu ces contrats en parcelles à des citoyens peu fortunés, à des sans-culottes; ils ont déposé pour sûreté les contrats chez un notaire, et ont délivré aux nouveaux propriétaires des délégations; ils se sont réservé de percevoir annuellement les intérêts viagers en masse, pour les répartir en détail aux délégataires, en retirant un salaire qui leur assurait 10, 20 ou 30.000 livres de rente annuelle. La loi du 23 floréal dépouille ces banquiers de ce bénéfice, et reconnaît les délégataires comme créanciers directs de la République, en représentant leur titre de délégation, et en faisant remettre le titre original : par ce moyen, les délégataires évitent des frais, et ont leur rente distincte et séparée. Aucun banquier n’a encore déposé ses titres; il serait sans doute convenable d’instruire les délégataires qui ignorent la disposition de la loi qui leur est favorable, et qui reçoivent l’impulsion défavorable que les banquiers leur donnent, en multipliant des difficultés qui n’existent pas, ou qui,, s’il en existe une partie, peuvent disparaître à la voix du législateur, mais sans les murmures des citoyens et sans les attaques portées dans l’opinion à une opération morale, soit sous le rapport de l’économie publique, soit sous le rapport des intérêts particuliers des familles. Si l’on ne faisait que ce que les riches veulent en matière de finances, aucune des trois assemblées nationales n’aurait fait aucune opération utile sur la fortune publique, ou bien il n’y aurait eu que des opérations fausses ou tronquées. L’avare, le gros rentier, le riche, veulent toujours dormir sur le même oreiller; l’intérêt des familles ne les touche point, l’intérêt de la République n’est rien; l’égoïsme est la seule vertu qu’ils connaissent, et leur coffre-fort est leur seule patrie. Tournons nos regards sur des citoyens qui inspirent un autre genre d’intérêt. Une dernière disposition du décret que nous allons vous proposer est digne des principes que vous avez déjà établis sur les secours à accorder aux familles des défenseurs de la patrie. Sans doute la Convention nationale a fait un don de secours aux familles des volontaires, tel qu’aucun peuple, aucun gouvernement, aucun monarque n’ont jamais pu en soupçonner la possibilité. Mais nous pouvons encore ajouter à cette munificence nationale; nous pouvons joindre une fiction honorable à l’acquittement d’une dette sacrée. A Rome, celui qui mourait pour la patrie était censé vivre, et les bénéfices qui tenaient à son existence étaient continués dans sa famille. Adoptons de si généreux usages : le volontaire qui meurt pour défendre son pays, celui qui a péri sur les frontières pour affermir la République, est présent dans nos places publiques, par les monuments élevés à leur gloire, dans nos théâtres par les chants civiques célébrés en leur honneur, dans nos fêtes, par des poésies chantées en leur souvenir, dans le temple des lois, par les décrets que vous rendez pour leurs familles; pourquoi ne seraient-ils pas aussi présents dans le temple de la fortune publique. Pourquoi les volontaires sur la tête desquels sont assises des rentes viagères ne les transmettraient-ils pas en mourant à leurs pères, à leur mères, à leurs femmes et à leurs enfants ? La République ne doit pas s’enrichir de la mort de ses défenseurs; ils sont censés vivre, étant morts pour elle, et leurs rentes viagères ne sont pas éteintes; leurs parents trouveront encore présents dans leurs familles les volontaires morts pour la liberté : ils y seront présents par leur gloire et par leurs bienfaits. Décrétez le transport des rentes viagères dans leurs familles, et du moins leur souvenir ne sera mêlé ni des larmes de l’indigence, ni des cris de desespoir. Voici le projet de décret (adopté) (1). 14 [Etat des dons, (suite)] (2). a Le citoyen Pierre Leroi, agent national de la commune de Sermaise, district de Vitry-sur-Marne, a donné, pour les frais de la guerre, 4 écus de 6 liv. b Le citoyen Durand-Maillane, député, a remis un brevet de chevalier de Saint-Louis, et celui de porte-étendard des gardes du ci-devant roi. (1) Mon., XX, 702. (2) P.V., XXXIX, 408.