424 [États gên. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] avait inspirés au tiers-état, ne lui laissaientpaslieu de soupçonner qu’ils dussent former des demandes si onéreuses pour lui et si contraires à ses intérêts les plus légitimes ; le clergé ne croit pas devoir entrer ici dans le détail des motifs qui doivent écarter de pareilles demandes ; il se contentera de remarquer que c’est blesser la propriété d'une manière sensible que d’imposer à un corps des charges qu’il n’a jamais supportées. Il a vu avec le môme étonnement la noblesse ajouter à cette première demande celle de faire payer par les décimateurs les honoraires des maîtres et maîtresses d’école, comme si les biens du clergé étaient une mine inépuisable et un fonds sur lequel on puisse mettre toutes les charges qu’on voudra, et comme si d’ailleurs les pères n’avaient aucun intérêt à l’éducation de leurs enfants. L’intention du clergé n’est pas de mêler dans la doléance aucun sentiment d’amertume, il sera toujours jaloux de conserver l’union et la concorde ; c’est une plainte qu’il dépose dans le sein d’un père commun, persuadé que sa bienveillance pour le clergé et son amour pour la justice ne lui permettront pas de balancer un instant à rejeter les demandes des deux ordres et que, quelqu e sincères, quelque ardents que soient ses désirs de procurer le soulagement des peuples, il n’en cherchera jamais les moyens dans l’oppression du premier ordre de l’Etat. CAHIER Des demandes , plaintes et doléances de l'ordre de la noblesse du Boulonnais (1). Ce sont les très-respectueuses remontrances et doléances qu’ont l’honneur de présenter au Roi, leur très-gracieux souverain, les nobles du comté du Boulonnais, suppliant les Etats généraux du royaume de vouloir bien les adopter, ordonnant à leur député de s’y conformer dans tous les points et de les faire valoir avec tout le zèle dont il sera capable. Ils prient le Seigneur tout-puissant d’accorder de longs jours à notre monarque, afin qu’il puisse jouir du fruit de ses travaux et être témoin du bonheur et de la félicité de ses peuples. Ils ont tout lieu d’espérer que le ciel les exaucera et répandra ses bénédictions sur notre souverain et sur son auguste race qui doit occuper le trône aussi longtemps qu’il y aura des Bourbons; mais comme la Providence a des vues particulières qu’il n’est pas permis aux hommes de pénétrer, la noblesse croit de son devoir de préserver la France de malheurs semblables à ceux que* ce royaumne a éprouvés dans les circonstances désastreuses d’une minorité. Elle demande, [en conséquence, aux Etats généraux qu’il soit porté à jamais une loi dans le cas de vacance du trône et d’une minorité, ordonnant la convocation des Etats généraux du royaume, sans qu’il soit besoin d’une forme nouvelle pour les rassembler. Elle termine cet article en adressant ses vœux au ciel pour qu’il préserve le royaume d’un pareil malheur, qu’il prolonge les jours du Roi régnant jusqu’au plus long terme, et qu’il transmette aux descendants de Sa Majesté l’héritage de ses vertus. Ils forment. aussi les vœux les plus ardents pour que le ministre que le cri de la nation a placé auprès du trône soit maintenu dans sa place, et (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit dos Archives de l’Empire. qu’il continue l’ouvrage qu’il a commencé heureusement. PREMIÈRE SECTION. Religion. Les Boulonnais déclarent qu’ils veulent vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine, qui sera maintenue dans toute l’étendue du royaume; mais comme plusieurs sujets du Roi n’ont pas le bonheur de vivre dans cette religion, ils donnent pouvoir à leurs députés de consentir à toute tolérance tant civile que religieuse, autant néanmoins qu’elle ne nuirait ni aux dogmes ni au culte que nous avons le bonheur de professer. Bénéfices. Quant aux biens ecclésiastiques, l’avantage de l’Etat et la loi de la religion se réunissent pour empêcher que les bénéfices ne puissent être accumulés sur la même tête. Qu’un et l’autre prescrivent aussi que ceux auxquels ils seront accordés aient fait preuve de capacité et de vertu.ou laissent aux Etats généraux le soin de proposer et accepter la loi nouvelle, qui fixera la manière et la forme de leur nomination. 11 est indispensable de demander que les bénéficiers, môme ceux qui n’ont pas charge d’âmes, résident dans la province, leur absence du pays éloignant la consommation et la reproduction. Ce malheur étant aujourd’hui celui de toutes les provinces du royaume, les Etats généraux seuls peuvent apporter du remède à ce mal, et le Boulonnais adoptera avec empressement celui qu’ils prescriront. Une autre réclamation qui sera générale est l’injustice des cures à portion congrue; elle prive les curés de pouvoir secourir leurs paroissiens indigents ou malades, fonctions essentielles à leur ministère. Ces curés ont à peine de quoi vivre en Boulonnais, et l’éloignement des succursales les oblige presque tous à avoir un cheval. Les Etats généraux sont seuls capables de prononcer sur un objet aussi intéressant. Religieux. Nous observerons quant aux religieux que leur consommation se fait dans la province, que leurs aumônes y sont abondantes et que ce serait un malheur pour le pays de les perdre ; mais les Etats généraux sont priés d’aviser aux moyens de les rendre utiles, et surtout à celui d’épargner aux peuples des campagnes les dons qu’ils font aux religieux mendiants. On ne croit pas devoir terminer cet article sans donner de justes éloges aux vertus et à la générosité de M. l’évêque de Boulogne. Ce prélat vient de fonder une institution patrio - tique pour faire élever gratuitement les enfants des gens de la campagne qui montrent des dispositions pour l’état ecclésiastique ; on croit qu’une pareille institution, encouragée par les Etats généraux du royaume, serait imitée dans les autres diocèses de France et remédierait au manque de prêtres dont ils se plaignent aujourd’hui. Dîme eeclésiastique. Nous laissons aux Etats généraux le soin de statuer sur la dîme ecclésiastique et de prononcer sur ceux qui doivent en jouir. Mais il serait à désirer que cette terrible imposition fût à l’avenir assujettie aux réparations de nef, de presbytères et à toutes dépenses qui concernent le culte ou ses ministres, ainsi qu’aux gages des maîtres et maî- [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] 425 tresses d’école, à l’entretien ou fournitures des bâtiments nécessaires à la séparation, des deux sexes dans lesdites écoles ; et qu’enfin les ministres de la religion eussent un traitement qui leur permît de se passer des rétributions qu’ils reçoivent à titre de casuel. Quoique tous les anciens Etats généraux du royaume aient fait des articles de doléances sur l’argent qui passe de France à la cour de Rome, on croit n’en devoir parler ici que pour mémoire, parce que cette somme est modique, etqu’ensuite elle tient à quelques arrangements avec le pape, non comme chef de la religion, mais comme temporel. C’est à la sagesse des Etats généraux à prononcer sur cet article. Hôpitaux , enfants trouvés , incurables , éducation publique et bureaux de charité. 11 y a plusieurs autres objets d’utilité publique tels que les hôpitaux, les enfants trouvés, les incurables, l’éducation publique auxquels les Etats généraux pourraient appliquer différentes portions des biens de l’Eglise. On s’en remet à sa prudence sur toutes ces dispositions; ce sera d’après elles que les Boulonnais requerront ce qu’ils croiront avantageux à leur pays. Ils observeront dans ce moment-ci que le collège de Boulogne peut à peine subsister et que ce collège étant tenu par des prêtres de l’Oratoire, il serait facile de venir à son secours par l’union de quelques-uns des bénéfices ecclésiastiques de la province. La ville de Boulogne recueille tant d’avantage de l’établissement de son bureau de charité formé en 1740, qu'on désirerait qu’il en fut établi de pareils dans les campagnes de la province. Nous supposons que les Etats généraux du royaume nommeront des commissaires pour s’occuper du grand objet de la législation. Législation générale. Ils sentiront combien est importante la rédaction du code civil et criminel. On leur demande en ce moment de rapprocher la justice des justiciables. C’est sur ce point que porte la doléance actuelle du pays. La plus petite affaire mène les habitants à Paris; on désirerait donc qu’il fût attaché à la sénéchaussée du Boulonnais un pouvoir plus-ample, et tel que les affaires qui ne passeraient pas 4,000 livres pussent être jugées en dernier ressort par son tribunal ; mais avant de lui donner une compétence plus étendue, il faudrait qu’il fût muni de juges en nombre suffisant ; cet inconvénient est commun aux autres tribunaux inférieurs du royaume. Les députés aviseront entre eux%aux moyens de munir de juges capables les tribunaux inférieurs, et le Boulonnais adoptera ce qui sera réglé à cet effet ; on y parviendra facilement en joignant aux présidiaux les justices d’attributions. Conseils de pacification. On place ici, comme une proposition qu’on croit avantageuse, l’établissement d’un conseil de pacification dans la province du Boulonnais. Ce conseil serait composé de membres des trois Etats, destinés à éclairer les citoyens sur leurs véritables intérêts, et à les empêcher de suivre les mauvais conseils que les praticiens qui courent les campagnes leur donnent souvent, et qui entraînent la ruine de leur fortune. Impôt général. Après avoir assuré Sa Majesté de leur entier dévouement, ses fidèles sujets du Boulonnais se permettront de réclamer sa justice contre les différents abus d’autorité commis par plusieurs ministres des rois ses prédécesseurs ; la propriété des biens et la liberté des personnes en ont également souffert. Il est temps d’y mettre fin et de renouveler la loi, qu’il ne puisse être établi ou prorogé aucun impôt sans le consentement de la nation assemblée, qu’à cet effet la convocation des Etats généraux soit rendue périodique, que l’impôt, qui va être consenti par la nation ne le soit qu’en proportion des besoins de l’Etat et qu’après la vérification la plus approfondie de la dette nationale. ' Que l’impôt une fois accordé soit réparti dans une juste proportion : 1° Entre toutes les provinces du royaume ; 2° Dans chaque province en particulier sur toutes les propriétés sans exception ni exemption quelconque ; toutes exceptions et exemptions devenant un crime aux yeux de la nation, celui qui en aurait obtenu serait dénoncé aux tribunaux comme coupable, et non-seulement il lui serait interdit d’en jouir, mais encore il lui serait infligé une punition. Les Etats généraux fixeront quelle elle doit être. On s’en rapporte également à la décision de la noblesse assemblée aux Etats généraux pour prononcer sur la contribution au logement des gens de guerre; il est même à désirer que le traitement de l’armée soit tel qu’au moyen des appointements attribués à chaque grade, les provinces ou villes particulières ne soient plus assujetties à aucunes charges ni impositions relatives à leur établissement, logement, gratification, fourrages, et qu’enfin le trésor paye les gouverneurs et autres officiers généraux, employés, et que les provinces ne soient plus inquiétées pour ces objets. Capitation. Il est un genre d’impôt qui, dans le Boulonnais, comme ailleurs, reste absolument soumis à l’arbitraire. « On ne peut y procéder (dit M. Necker) « que d’après la connaissance qu’on acquiert, ou « le préjugé qu’on se forme de la fortune des « particuliers, ce qui devient absolument arbi-« traire ». Cet impôt est la capitation. Après une pareille réflexion, il y a tout lieu d’espérer que son auteur indiquera aux Etats généraux les remèdes à un tel abus, et l’on se bornera ici à demander que, quelleque soit la nouvelle forme, la répartition de cet impôt soit faitepar les Etats particuliers de la province. Industrie. Le Boulonnais demande l’anéantissement total de l’impôt sur l’industrie, des péages et de tous les privilèges exclusifs, le commerce devant être libre et protégé, puisqu’il est le nerf de l’Etat. Tabac. Les réclamations sur la ferme du tabac seront générales dans tout le royaume, mais il en est de plus intéressantes à chaque province. Pourquoi, les Etats généraux sont suppliés de prêter une attention particulière aux détails sur cet objet renfermés dans le cahier du tiers-état du Boulonnais. Octroi. On a déguisé sous le nom d’octroi une espèce d’impôt que l’autorité seule se permet de concéder. C’est une attaque à la propriété. Il est de la justice qu’aucun octroi ne puisse être accordé à . M0 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. , [Sénéchaussée du Boulonnais.] l’avenir que sur la demande des Etats particuliers de chaque province et pour son bénéfice seulement, réservant aux Etats généraux seuls le droit de discuter un octroi qui, établi par le consentement d’une province, nuirait et porterait préjudice à une autre. Arrêts d'évocation. Les droits de propriété sont encore violés par les arrêts d'évocation et de surséances ; on ne connaît aucune raison capable de distraire les particuliers des.tribunauxdeleur ressort, et quant aux arrêts de surséances, aucun ne doit émaner du conseil, la loi ayant fixé et devant fixer à jamais le cas où les juges doivent les accorder our l’intérêt commun des créanciers et des dé-iteurs. Banqueroutes. Tout le royaume, les villes de commerce surtout, demandent une prompte législation sur les banqueroutes. Les projets d’une loi sur cet objet seront remis aux députés du commerce, plus en état de proposer un remède aux malheurs que les banqueroutes répétées font éprouver à tous les ordres de la société. Notaires, Il serait à désirer qu’on ne reçût à l’avenir aucun notaire qui ne fût versé dans l’étude du droit, et qui n’eût pris ses grades dans cette faculté. L’impéritie d’un grand nombre ne donnant que trop souvent lieu à des procès ruineux pour les familles, ils devront être obligés d’écrire leurs actes d’une manière lisible et correcte, et à se servir de bonne encre; plusieurs de ces actes contiennent des dispositions sur lesquelles reposent la fortune et l’état d’un grand nombre de citoyens, ils sont destinés par leur nature à passer à la postérité, et ne parviendront pas à la quatrième génération sans devenir indéchiffrables. Lettres de cachet. On a tâché de pourvoir à la sûreté des propriétés; celle des personnes violées depuis longtemps par l’usage et l'abus des lettres de cachet est plus importante encore. Il faut qu’elles soient supprimées entièrement et que nul sujet de Sa Majesté ne puisse être arrêté que sur un décret prononcé par les juges ordinaires. Si pourtant ce qu’on appelle raison d'Etat exigeait que l’autorité prévînt la justice ordinaire et fit arrêter un citoyen, ce ne pourrait être que par un ordre signé par tous les membres du conseil de Sa Majesté. Les ministres resteront responsables envers la nation de leur conduite, et les Etats ou commissions intermédiaires de la province à laquelle appartiendrait le détenu devraient être avertis, non de là cause, mais de la détention, afin qu’aucun sujet ne puisse plus disparaître de la société qu’on ne sache comment il en a été soustrait. Quant aux intérêts particuliers des familles qui croiraient devoir solliciter de pareils ordres de l’autorité, on s’en remet en entier à la prudence et à la sagesse des Etats généraux du royaume, les priant instamment de prendre cette affaire en considération, et de pas oublier qu’un préjugé très-enracinô dans la nation rend les familles responsables de la conduite d’un individu. Ce préjugé portant plus sur la noblesse que sur aucun autre corps, il est nécessaire que le député de la noblesse du Boulonnais en confère avec les députés de la noblesse du royaume. Liberté des nègres. Cet objet, des plus essentiel à la conservation de la culture, des colonies doit être traité particulièrement par le commerce. Nous nous bornerons à exprimer ici le vœu de l’humanité, que l’esclavage des nègres fait gémir depuis longtemps. Liberté de la presse. Si la liberté de la presse avait eu lieu, la nation aurait été éclairée plus tôt sur ses véritables intérêts. Le député de la noblesse opinera donc pour que cette liberté soit accordée en France, pourvu toutefois que les ouvrages imprimés soient souscrits du nom de fauteur et à son défaut de celui de l’imprimeur, qui pour lors deviendra responsable de ce qui pourrait être inséré contre la religion dominante, les lois de l’Etat, le respect dû à la majesté du trône et l’honneur des citoyens. Opinions. La question d’opiner par tête ou par corps devant être la première agitée par les Etats généraux, le représentant de la noblesse du Boulonnais ne prendra d’autre parti que celui qui sera jugé le meilleur par la pluralité des voix de son ordre, et s’il y avait partage de voix, il se rangerait du parti qui serait d’opiner par corps, cette méthode ayant été la dernière usitée dans les assemblées nationales. SECTION II. Les demandes générales et qui intéressen t également tous les sujets du Roi une fois formées et établies, les soussignés vont s’occuper plus particulièrement du pays qu’ils habitent et en réclamer les droits et privilèges. Tous ies monuments historiques attestent que le Boulonnais s’est assemblé dans tous les temps en Etats. Il demande en ce moment à être réintégré dans ce droit. Demande d’Etats pour la province. Qu’il soit formé des Etats particuliers de cette province assemblés tous les ans ; que tous les individus et toutes les propriétés y soient complètement représentés. Qu’à des époques fixes et invariables, l’universalité de la province soit convoquée comme . elle est aujourd’hui, soit pour examiner la conduite de ses représentants, soit pour en élire de nouveaux, soit enfin pour députer aux Etats généraux du royaume. Si l’on objectait qu’une assemblée aussi générale est nécessairement bruyante et tumultueuse, on répondrait que sa force n’est que dans le nombre, et que le nombre étant inséparable du bruit, il est nécessaire d’éprouver cet inconvénient, que pour le diminuer on ferait par la suite les règlements les plus sages, qu’enfin l’habitude de ces sortes d’assemblées leur donnera la tranquillité nécessaire pour opérer le bien public. Le Boulonnais se loue de l’administration qui le régit aujourd’hui; il désire qu’elle continue ses fonctions jusqu’après les premiers Etats généraux du royaume, époque à laquelle il espère se former en Etats sur le modèle des autres provinces, et de telle manière qu’il ne puisse plus rien s’opérer dans toute son étendue que de l’avis et du consentement desdits Etats, sans qu’aucune autre autorité puisse s’y immiscer. La pluralité des voix aux Etats généraux devant prononcer sur la composition des Etats de [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] 427 chaque province, sur la durée et la présidence, ou d’une manière uniforme pour tout le royaume, ou d’une manière relative à la constitution et aux privilèges de chaque province en particulier, le Boulonnais souscrira à la règle qui en résultera. 11 se borne à dire qu’il a toujours été régi par des Etats séparés et qu’il demande à rentrer dans ses droits. Législation de la province. Les députés de la province aux Etats généraux ne négligeront rien pour obtenir de la bienfaisance du Roi que quelle forme que son administration puisse subir, elle soit organisée de manière à ce que la gestion des choses publiques soit aussi authentique dans ses détails que dans ses résultats. Qu’il soit rendu public chaque année par la voie de la presse un état nominatif et circonstancié de la recette et de la dépense. Qu’il soit formé un cadastre de toutes les propriétés foncières, afin de les imposer en raison de leur valeur réelle et non tictive, et toujours relativement à l’importance de l’impôt. Qu’un abonnement semblable à celui qui existe soit sollicité avec instance. Que non-seulement la durée accordée à l’octroi de la province complète sa révolution, mais qu’elle soit même illimitée. Que le produit dudit octroi ait toujours une destination authentique adaptée à des objets d’utilité générale, et sanctionnée par le vœu des trois ordres exprimés par leurs représentants. Les franchises du Boulonnais ont été reconnues par tous les rois depuis Louis XI qui en fit dresser un procès-verbal avant l’échange de cette province. Et depuis ce temps toutes ies lettres des souverains déclarent les Boulonnais exempts de toute taille, taillons, aides , gabelles et impositions mises et à mettre dans le royaume. Les Boulonnais se gardent bien de conclure de là qu’ils ne doivent contribuer en rien aux dépenses du royaume ; au contraire ils donnent pouvoir à leurs députés d’accorder en leur nom les subsides que les Etats généraux du royaume jugeront être indispensables, mais comme ils croient ne devoir point être soumis aux taxes qui seraient imposées aux autres provinces à titre de substitution des aides, gabelles, et autres charges dont ils ont été exempts jusqu’à ce jour ; ils enjoignent à leurs députés d’avoir grande attention, lors de la discussion de ces subsides, à se refuser à toute imposition établie pour tenir lieu dans les autres provinces de ce gui est actuellement franchise dans le Boulonnais. Droit de franc-fief. Cette réclamation sera générale dans tout le royaume ; mais la province du Boulonnais observe que ce droit est contraire à ses privilèges confirmés par l’arrêt du 30 décembre 1664, et autres arrêts du conseil postérieurs et confirmatifs ; mais l’autorité n’a pu mettre un frein aux poursuites des premiers. Haras. La liberté, l’âme de tout commerce, est encore plus nécessaire à celui des chevaux qu’à aucun autre ; le Boulonnais en a joui entièrement jusqu’à l’année 1740, où M. le comte de Maurepas, par pure bonté, donna des étalons étrangers qui n’eurent point le succès qu’il s’en était promis. Cette vue patriotique fut cause de la création d’une charge d’inspecteur avec appointements. On cessa de se servir d’étalons étrangers, mais la charge d’inspecteur subsista, son autorité s’accrut, de nouvelles lois furent introduites, et depuis quelques années le commerce clés chevaux, qui 'est presque l’unique de cette province, dépérit sensiblement. On demande que le Boulonnais soit rétabli dans son ancienne liberté, que la charge, les appointements, l’autorité et ies fonctions d’inspecteur soient annulés, et qu’on remette aux Etats de la province le soin d’encourager et protéger les haras comme ils le jugeront à propos. Le Boulonnais demandant à être continué dans son droit de contribuer aux charges de l’Etat par forme d’abonnement et les autres provinces du royaume devant former la même demande , il est inutile de s’étendre ici sur le vice des impositions actuelles, puisqu’il n’affecte point la province en particulier et qu’on doit y porter un remède général pour tout le royaume. Quartier d'hiver et hôpila%ioc. Il réclame contre le maintien de l’imposition, appelée quartier d�hier qui, comme son nom l’indique, avait été accordée dans les guerres anciennes et devait cesser à la paix. Celle des hôpitaux n’avait aussi été établie que pour un temps, et les moyens de soulager le pays de cette dernière ne sont pas difficiles à trouver. Gerbées et charbon. L’on demande ici l’abolition du droit de ger-bées, droit perçu sans autorité légale, et continué par l’usage, au profit du gouverneur de la province, droit pour lequel on ne donne pas quittance, quoique le receveur des vingtièmes en porte la note sur le rôle ; le gouverneur actuel a même notifié qu’il y renonçait. Enfin l’on désire que tous les droits illégaux disparaissent pour ne plus se montrer sous aucune forme, nommément ceux qui gênent le commerce, ceux perçus sur l’exploitation des mines. Et en outre que les droits sur Rentrée des charbons anglais dans la province ne soient pas plus considérables que ceux des autres ports du royaume. Contrôle et insinuation Le Boulonnais remet aux Etats généraux le soin de discuter les avantages ou les inconvénients des droits de contrôle et insinuation, ou se borne à demander que, s’ils laissent subsister ces droits, ils fassent en même temps publier un tarif qui mette les sujets du Roi à fiortée de juger par eux-mêmes de ce qu’ils devront dans-toute occasion, et que l’homme le plus simple puisse le juger par lui-même et ne plus courir le risque d’être trompé ou abusé par aucun préposé du fisc. Huissiers-priseurs. Le Boulonnais demande la suppression des offi ¬ ces d’huissiers-priseurs, tant parce que ces charges troublent les familles dans leurs affaires particulières, parce que les pourvus de ces offices exigent souvent ce qui ne leur est pas dû, et qu’il est impossible au peuple de connaître, enfin parce que le Boulonnais avait déjà remboursé ces charges les 15 avril 1738 et 29 novembre 1740. Droits d'échange. Le fisc s’est attribué les droits seigneuriaux en cas d’échange. L’article 49 de la coutume affranchit de tous droits, sauf du relief, les échanges faits sans 428 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Sénéchaussée du Boulonnais. bourse délier, et il veut que s’il y a des deniers déboursés le droit seigneurial ne se perçoive que sur la soulte. La prétention du domaine est donc directement contraire au texte de la coutume. Elle n’est pas moins nuisible à l’agriculture. Les terres d’une ferme tiennent rarement ensemble, elles sont presque toujours mêlées parmi d’autres propriétés, et dans le nombre, il s’en trouve souvent de fort éloignées où il n’est pas possible de porter des engrais, à cause de leur distance et de la difficulté des chemins ; communément aussi des terres dépendantes d’une ferme sont continguës à une ferme voisine qui en a d’autres à portée de la première. Il est sensible qu’on ne peut mettre ces terres en valeur, qu’en faisant des échanges ; mais l’assujettissement aux droits seigneuriaux s’oppose à ces arrangements de convenance, surtout en ce E, où les lods et ventes sont d’un quint pour iefs et d’un quart pour les rotures. C’est donc le cas de solliciter l’abolition du droit d’échange comme n’étant pas dû, et étant d’ailleurs préjudiciable au bien public. Forêts. La cherté du bois met les habitants de cette province dans le cas de réclamer, avec les plus vives instances, de rentrer en possession des démembrements faits à ses forêts par des usurpations ou concessions. La noblesse insiste pour que ce soit une commission composée des trois ordres de la province qui devienne juge sur cette partie et non les commissaires payés par le Roi. Moulins à l'eau. Cet article intéressant également tout le royaume, le Boulonnais réclame l’autorité des ordonnances des eaux et forêts sur cet objet dont l’inexécution porte plus de préjudice à cette province qu’en aucune autre, ce qui est prouvé par l’instance qu’elle a présentée au conseil. Police et justice seigneuriales. Dans les campagnes du Boulonnais on se plaint que la police n’est point exercée parce que les justices de tous les seigneurs ne sont point en règle. Cette plainte pourra être générale dans le royaume. Les seigneurs du Boulonnais s’en rapportent sur cet article à la décision des Etats généraux qui sera sûrement telle que les seigneurs n’en seront pas lésés, et ne pourra avoir force de loi dans la province qu’autant que les Etats auront été consultés. Communes. S’il existe encore d’anciens abus, reste de la féodalité, les communes des villages méritent bien à cet égard la plus grande attention de la part des Etats généraux ; tout est perle dans ces terrains vagues, incultes et immenses. Au lieu d’être la ressource des pauvres des paroisses et de contribuer à l’aisance de leurs habitants, ils en deviennent aujourd’hui le détriment et ravissent à l’Etat une somme considérable de rapports. Les communes anciennement plantées en bois taillis lieront plus revêtues que de souches usées dont les unes sont broutées à mesure que leur jets paraissent, et les autres de temps en temps écartées ; celles qui étaient destinées au pâturage sont actuellement couvertes de bruyères, de mousses et de fougères, et les bestiaux n’y trouvent plus la moindre nourriture. Une partie cle ces communes a perdu d’ailleurs sa vrai destination, des vagabonds sont venus s’y établir et y arrivent encore tous les jours, et quoiqu’on ait le pouvoir de les en chasser, ils se rendent redoutables au point qu’on craint avec raison leur vengeance, et que les fermiers voisins sont obligés de les ménager pour arrêter leurs pillages. Le Boulonnais désirerait que les communes d’une étendue considérable fussent affermées et le tiers au moins de leur produit destiné aux pauvres habitants des villages, suivant l’ordre inverse des impositions, et non en argent mais en nature. Qui ne gémirait sur cette perte immense de terrains abandonnés dont la culture mettrait sûrement plus d’aisance dans les campagnes et fournirait au gouvernement un remplacement de ces droits onéreux dont on désire l’abolition ! Les Etats généraux voudront bien ne pas oublier que le numéraire de ces nouvelles productions doit d’abord circuler dans le pays d’où on l’a tiré. Que des compagnies éloignées ou des particuliers étrangers qui s’en rendraient adjudicataires enlèveraient aux paroisses les avantages qu’elles auraient dû en attendre, en portant, au loin et dans le gouffre de la capitale les profits de ces défrichements. Le moyen le plus sûr de diminuer les pauvres des campagnes et d’y faire luire un rayon de bonheur, c’est de faire en sorte que les’ changements des terres, des productions de la terre puisse y circuler en partie, et rien ne peut mieux y contribuer que la résidence des bénéficiers, qu’on a déjà demandée, et celle des seigneurs dans leurs terres. Gens sans aveu. Qu’il soit donc prononcé une amende de 3, 0U0 livres contre toute communauté, le seigneur et le curé compris, qui aura souffert que des quidams sans aveu et souvent échappés au dernier supplice par leur évasion du lieu de leur naissance, viennent former sur les communes des établissements arbitraires, illégitimes et dangereux. Chasse. Le Boulonnais demande que, si le gibier se reproduisait avec une abondance destructive, les seigneurs puissent être pris à partie par les habitants et condamnés à des dommages qJ intérêts par le juge, d’après le rapport d’un commissaire de chaque ordre nommé par la province pour reconnaître le dommage et sa cause, et que les ordonnances sur la chasse soient suivies à la diligence de la partie publique. Gardes des seigneurs. Considérant les abus qui se commettent dans le tribunal des eaux et forêts et les vexations inséparables des charges vénales, on demande que les gardes des seigneurs Boulonnais soient reçus gratuitement en prêtant leur serment à leur sénéchaussée. Oyats. La mer borde le Boulonnais depuis Etaples jusqu’à Wissent, sur une longueur de 15 à 16 lieues. Toute cette côte est couverte de sables dont la finesse et la mobilité sont extrêmes ; ils forment [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] 439 en divers endroits des montagnes fort élevées. Les vents d’Ouest et de Sud-Ouest qui régnent habituellement en ce pays les transportent dans l’intérieur des terres. Deux villages y ont été ensevelis, et il n’en reste plus que les noms, la plupart des maisons de Wissent ont essuyé le même sort. Les sables poussés par les vents gagnent de proche en proche, ils ont déjà couvert de vastes terrains; ils ont pénétré dans la forêt d’Hardelot, appartenant au Roi, chaque jour ils font des progrès effrayants et, si l’on n’y remédie efficacement, plusieurs paroisses du Boulonnais sont menacées d’une ruine entière. Les oyats sont la seule digue qu’on puisse opposer à ces sables. La dépense à faire à ce sujet sera très-forte, mais elle est indispensable. Le corps d’administration du Boulonnais a offert d’y contribuer selon ses facultés et a sollicité le gouvernement de venir à son secours. Depuis plusieurs aimées que cette demande a été faite, nombre de terres précieuses ont été ensablées et sont perdues à jamais pour l’Etat. Dans ce moment heureux où le Roi a daigné inviter le nation à concourir avec lui au bien général, l’ordre de la noblesse insiste parliculiè-ment sur la nécessité d’une plantation d’oyats, tout le long des forêts du pays, et propose lé règlement projeté depuis longtemps pour la conservation des oyats, La province entreprendrait volontiers ce travail, si le Roi, qui y est interressé à cause de sa forêt d’Hardelot et la conservation des villages qui ont été envahis par les sables, voulait y contribuer de moitié ; on estime qu’il faudrait employer à cette dépense environ 4,000 livres par an. Port de Boulogne. Le port de Boulogne est la mère nourrice du pays; l’état de dégradation d’une partie des quais, l’encombrement dont il est menacé par les sables, mettent la province du Boulonnais dans le cas de solliciter avec instance les secours du gouvernement. La province ne demande pas mieux que d’y contribuer en proportion de ses facultés, mais elle a peu de moyens ; la dépense peut être considérable, et elle n’ose l’entreprendre sans être assurée des concours que l’administration doit fournir au commerce. SECTION III. Mendicité. Le Boulonnais demande que la mendicité soit proscrite d’un village à l’autre, afin que dans chacun d’eux on sache si la pauvreté a pour cause la paresse ou des malheurs. Enfin que la mendicité soit détruite en entier si l’on trouve des moyens d’y parvenir. Que partout où il y a des communes et un sol qui ne se refuse pas à la culture des pommes de terre, il soit assigné un quartier de terrain à chaque maison de pauvres pour en cultiver, et que ceux qui s’y refuseront ne reçoivent aucune charité dans la paroisse. Glanage. S’il n’y avait que les enfants et les gens hors d’état de travailler qui glanassent, cette espèce de dîme serait regardée par les propriétaires des champs comme une charité à laquelle ils seraient bien éloignés de s’opposer; c’est actuellement une profession pour les fainéants et vagabonds; non-seulement ils n’attendent point que les grains soient pliés et rentrés, mais ils prennent aux javelles et aux gerbes, et vont nuitamment en enlever ; le propriétaire et les fermiers ne sont plus maîtres de leurs champs lors de la récolte; tandis que les bras manquent à l’agriculture, les glaneurs, qui en sont les parasites, sont en nombre et en force, ils ne s’embarrassent ni des plaintes ni de la surveillance, rien n’arrête leur déprédation ; sans foi comme sans honneur, ils préfèrent ce métier à celui de moissonneur parce que le profit de ce dernier est moindre et exige plus de travail que celui de glaneur. Ces gens ne connaissent d’autres lois que l’intérêt et le brigandage ; la crainte est le seul moyen capable de les arrêter. Il serait donc à souhaiter qu’à cet effet on augmentât la maréchaussée, ce corps si utile pour la sûreté des villes et des campagnes, que les cavaliers se dispersassent dans le temps de la moisson, qu’ils se montrassent dans les champs qu’on recueille, qu’ils punissent les déprédateurs et ceux qui glaneront avant le moment prescrit par les ordonnances, et qu’ils ne permissent le glanage qu’aux enfants, aux vieillards et aux personnes incapables de travailler, qui seront reconnues telles par un certificat du curé et du syndic. Droits de parcours. Le droit de parcours est vraiment un reste de cette ancienne indifférence sur l’agriculture, de cet abandon des propriétés et de cette ignorance qui caractérisait les premiers siècles. Ce droit est aussi abusif par sa nature que destructif dans ses effets ; au lieu de nourrir et d’accroître l’industrie, il l’affaiblit et l’arrête. Il est abusif parce que rien n’en arrête les désordres. 11 est injuste parce qu’il enlève aux cultivateurs une partie de leurs récoltes et du fruit de leurs travaux. Le fermier n’a plus le droit de recueillir la seconde moisson que ses soins et son intelligence active lui ont procurée. Sesprairies, tant naturelles qu’artificielles, sesgrainsd’automne, les différentes nourritures qu’ila semées pour ses bestiauxpcndant l’hiver deviennent la proie du premier occupant. Si la première récolte a manqué, il ne peut plus prétendre à une autre, et ce qui aurait pu remplacer ses pertes devient absolument nul et dispendieux pour lui. Il est donc de l’intérêt général et du particulier de demander aux Etats généraux la suppression de ce droit abusif qui n’a été fondé que par une ignorante insouciance, et qui ne s’est maintenu que par une inconséquence. Le tort qu’il fait à l’agriculture en arrêtant l’industrie et empêchant l’accroissement des rapports est d’une importance infiniment supérieure à la ressource que peuvent en tirer les habitants peu fortunés des campagnes. Une plus grande masse de production la remplacera bientôt en faisant baisser le prix des fourrages. Le Boulonnais réclame d’autant plus fortement sur ce droit qu’il est inconnu dans les provinces qui l’avoisinent. Chirurgiens dans les campagnes. Un fléau des campagnes est l’incapacité et l'impéritie des chirurgiens ; leur ignorance est destructive des tempéraments et de la population. Les députés s’adresseront avec confiance aux Etats généraux pour y porter remède. A la suite du vœu que la noblesse du Boulonnais adresse aux Etats généraux pour la répartition légale des impôts, qu’il lui soit permis de leur rappeler un article du rapport fait au Roi par le ministre de ses finances. « Votre Majesté désire ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] 430 [Etats gén. 1789. Cahiers.] (dit M. Necker) que dans l’examen des droits et « des faveurs dont jouissent les ordres privilégiés, « on montre des égards pour cette partie de la « noblesse qui cultive elle-même ses champs, et « qui souvent, après avoir supporté les fatigues « de la guerre, après avoir servi le Roi dans ses « armées, vient encore servir l’Etat, en donnant « l’exemple d’une vie simple et laborieuse et en « honorant par cette occupation les travaux de « l’agriculture. » Le ministre à qui la pauvre noblesse du royaume a l’obligation de cette réflexion, saisira sûrement l’occasion d’inspirer au Roi et aux Etats généraux assemblés un moyen de lui en faire ressentir les effets, ainsi qu’à faire accorder quelques faveurs distinctives à tout particulier qui fera valoir par lui-même et fera des sacrifices personnels pour des essais avantageux à l’agriculture. Troupes Boulonnaises. Par une suite du droit des Francs dont la province a toujours joui, elle se garde elle-même depuis 1477, privilège précieux dont elle reclame la continuation, puisqu’il fait partie de saconsti-tion. Sa situation dans une étendue d’environ seize lieues de côtes l’exposant aux incursions des corsaires les plus fréquentes dès que la guerre est déclarée avec l’Angleterre, elle s’en garantit en mettant des troupes sur pied. Ces troupes consistent en : 6 régiments d’infanlerie ; 5 régiments de cavalerie ; 2 compagnies de dragons ; 1 idem de carabiniers. Les annales du règne de Louis XIV font foi de la distinction avec laquelle elles ont toujours servi le Roi, et de quels secours elles ont été à l’Etat depuis 1477. En 1491, elles empêchèrent, sous la conduite de leur gouverneur, que l’armée navale d’Edouard, roi d’Angleterre, ne descendit dans le pays, pendant que Charles VIII et son armée étaient occupés aux guerres de Bretagne. Leur valeur empêcha Henri VIII, roi de la Grande-Bretagne, d’envahir leur pays en 1513 à la tête d’une armée de quarante-cinq mille hommes. Ils citeront le siège de Boulogne sous François 1er; elles servirent en 1677 au siège de Saint-Omer et gardaient les lignes pendan t que Monsieur, frère du Roi, gagnait la fameuse bataille de Mont-Cassel. Elles furent ensuite envoyées à Aire, Saint-Omer, Gand, Arras, Béthune, le Havre-de-Grâce, Abbeville, Calais, Gravelines, Dunkerque, et pendant ce temps le reste de la province en armes empêchait encore les ennemis d’y pénétrer. Ces troupes ont encore servi en 1735 jusqu’en 1748 et depuis 1756 jusqu’en 1761. Elles tiennent lieu en Boulonnais des milices provinciales du royaume, qui n’ont été créées qu’à leur instar. L’ordonnance de Louis XIV en 1672 les forme en régiments et leur donne rang dans l’infanterie française immédiatement après le régiment de Languedoc, aujourd’hui n° 69. Elles ne sont pas levées par le sort. Chaque manoir ayant labour d’une charrue et demie est marqué par un cavaliey ou un dragon. Un manoir n’ayant qu’une charrue reçoit un aide et ceux au-dessous fournissent un fantassin. Les officiers supérieurs sont d’anciens militaires pris parmi la noblesse de la province. Les autres officiers sont pris également parmi les gentilshommes de la province qui ont servi et dans la jeune noblesse, Les uns et les autres brevetés et commissionnés par le Roi, comme les officiers des troupes réglées, excepté les lieutenants qui se font par les gouverneurs. Dès que ces troupes sont sur pied elles reçoivent la solde du Roi, et leur habillement, leur armement et leur entretien sont pris sur des masses faites aussi par le Roi. Chaque homme en Boulonnais en état de porter les armes est donc soldat de la province ; aussi y est-il défendu d’y afficher ou de faire battre la caisse pour recruter. ( D’où résulte la conséquence qu’il est injuste d’obliger les officiers de la province, qui servent dans les troupes de ligne, à faire pendant leur semestre les hommes dè recrues que l’ordonnance exige, et de leur en faire la retenue sur leurs appointements quand il ne les font pas. La noblesse du Boulonnais ose réclamer à cet égard la justice de Sa Majesté. Elle ose également la réclamer pour que les officiers de ses troupes obtiennent la croix de Saint-Louis aux mêmes époques de service que les régiments provinciaux qui leur sont assimilés. On la leur accordait jadis, mais depuis quelque temps on la refuse ; la loi, pour être juste, doit être égale. Il est encore un objet sur lequel la noblesse du Boulonnais réunit sa réclamation à celle de toute la noblesse du royaume. Béclamations particulières de la noblesse du Boulonnais . On distingue en France, par un préjugé inique sur les fortunes, la noblesse en deux classes. L’une, noblesse de cour, l’autre, noblesse de province, quoique la naissance soit la même, car la noblesse de cour serait bien fâchée de na pas tirer son origine des provinces et de ne pas y contracter des alliances, de ne pas y avoir des parents, des branches établies encore. Enfin l’histoire lui apprend, elle a sous les yeux des exemples qui prouvent que les faveurs de la cour sontdes distinctions passagères, qui peuvent lui manquer et l’obliger de rentrer dans les foyers de ses ancêtres. Cependant la noblesse de cour absorbe toutes les grâces de l’Etat, tant honorifiques que pécuniaires. La noblesse de province, non moins zélée pour la défense de la patrie et le service de Sa Majesté, gémit, pour ainsi dire, sous l’oppression de scs égaux qui lui ferment tout accès, non-seulement aux grades et aux distinctions, mais à toute espèce de récompense de ses longs et bons services. Les derniers règlements ou ordonnances ne lui laissent plus aucun espoir de parvenir au gracie d’officier général. Un'lieutenant-colonel et un major ne peuvent guère être faits maréchaux de camp avant soixante-six ans ; ils seront alors accablés d’infirmités et hors d’état de servir ; ce sera une raison de ne, pas les employer pendant la paix, on fera des promotions militaires, et ils seront privés d’avancement pour n’avoir servi que pendant la guerre, c’est-à-dire pour avoir mérité et n’avoir point obtenu les récompenses. Pourquoi un colonel peut-il l’être à quarante et un ans. Serait-ce qu’il a ou que ses ancêtres ont eu des charges à la cour ? Ainsi la faveur du prince tiendrait lieu de mérite, et une grâce suffirait pour avoir droit à une autre. Un colonel ne sert que quatre mois et demi par an ; major en second, il ne sert pas davantage ; [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée du Boulonnais.] 431 capitaine de remplacement, il sert encore moins : ses services partiels sont déjà un vice de constitution militaire. S’il a une charge à la cour, il obtient de fréquents congés pour l’exercer, parce qu’il sait toujours éluder les ordonnances. Quand il est fait maréchal de camp, sensé avoir vingt-cinq ans de service, il n’en a souvent pas six effectifs. Tandis qu’un lieutenant-colonel et un major, n’ayant tous les deux ans qu’un semestre de sept mois et demi, ont bien effectivement de trente-cinq à quarante ans de service plus actif et bien plus assidu que celui des colonels et que l’habitude la plusgrande de voir les troupes doit les rendre bien plus capables deles commander. On en juge autrement ; car si, par hasard, iis parviennent au grade de maréchal de camp, ils ne sont plus employés, on les traite d’officiers de fortune parce qu’ils ont été obligés d’avoir du mérite pour obtenir des grades, "on ne leur donne ni gouvernement ni commandement, et à peine ont-ils en pension de retraite de quoi subsister et s’acheter un uniforme, enfin les récompenses militaires ne sont pas faites pour eux. Cette distinction, la noblesse du royaume ose l’assurer au Roi, est non seulement humiliante pour elle, mais prive Sa Majesté des services que rendraient à l’Etat les officiers les plus zélés, les plus instruits et les plus exacts, qui sauraient apprécier les récompenses accordées au méritej que la noblesse de cour croit dues moins encore à son nom qu’à sa fortune. La noblesse du Boulonnais ose encore représenter à Sa Majesté que, par une suite des guerres qui en quinze ans ont ravagé et pillé cette province, les titres de la noblesse lui furent alors en levés; aussi se trouve-t-elle dans l’impossibilité de faire des preuves de quatorze cents pour être présentées. Henri II, par ses lettres patentes du mois de février 1551, daigne entrer dans cette considération pour remettre la province en jouissance de tous ses privilèges et exemptions, dont les titres lui avaient également été enlevés. La noblesse du Boulonnais ose supplier Sa Majesté de rendre un édit par lequel la noblesse de cette province qui ne pourrait établir ses preuves que par une filiation suivie jusqu’à l’époque de l’éditd’Henri II, ci-dessus cité, soit reconnue noble d’ancienne race et admise à être présentée. Elle observe que si les titres d’une province entière ont été reconnus perdus, les titres des familles particulières ont eu bien moins de moyens de se préserver de ce malheur. Par là la noblesse du Boulonnais pourra jouir de l’avantage inestimable, et de se rapprocher de Sa Majesté, et de pouvoir posséder des emplois dans sa maison militaire dont elle se trouve exclue et qui sont les seuls qu’elle ambitionne. Une doléance commune à toute la noblesse du royaume est les retenues sur les pensions. La noblesse ose supplier Sa Majesté d’ordonner qu’elle ne soit point imputée sur les pensions de retraite qu’un officier a méritées par son grade et ses années de service, telles qu’ellesont été fixées par les ordonnances depuis le grade de capitaine jusques et compris celui de lieutenant colonel, attendu que ces pensions sont souvent les seuls moyens de subsistance qui restent à ces officiers, la pauvre noblesse du royaume n’ayant d’autre profession de père en fils que celle des armes. Elle ose supplier Sa Majesté de ne jamais se départir du privilège exclusif que les ordonnances lui accordent pour remplir les places d’officier qui sont son unique ressource. En demandant d’être maintenue exclusivement dans le droit de servir Sa Majesté, la poblesse n’entend pas demander qu’on prive les soldais distingués des récompenses que leurs services auront méritées ; elle verra avec plaisir Sa Majesté leur rendre justice en les élevant au grade d’officier et ensuite à toutes les dignités auxquelles le mérite a droit de prétendre, les obstacles qu’éprouvent aujourd’hui les officiers parvenus par les grades pour arriver à celui d’officier général devant absolument disparaître. Le vœu général de la noblesse du royaume est aussi que les Etats généraux supplient Sa Majesté de décider que l’emploi d’un officier à son service ne puisse dans aucun cas lui être retiré que sur le jugement d’un conseil de guerre. La noblesse du Boulonnais supplie Sa Majesté de continuer sa bienveillance aux écoles militaires et de Saint-Cyr, ainsi qu’à tous les chapitres et autres établissements relatifs à la noblesse du royaume, ne pouvant que contribuer à l’illustration de" son règne. Sa Majesté est suppliée de permettre encore à la noblesse du Boulonnais de joindre sa réclamation à celle de toute la noblesse du royaume contre la discipline actuelle de l’armée. Elle tend au détriment de son service, puisqu’elle n’a plus pour base ce principe du point d honneur qui fut de tous les temps le premier mobile des Français, et dont Turenne, fondé, le maréchal de Saxe et Yïl-lars ont su tirer un si grand parti pour l’avantage de la nation et leur propre gloire. Que Sa Majesté daigne faire attentionà la réclamation de sà noblesse sur cet objet. Les suites peuvent en être d’une grande conséquence pour le soutien de la couronne, la gloire de son règne et la défense de l’Etat. La première preuve de justice sur cet objet que Sa Majesté pourrait accorder à la nation, serait une ammistie aux malheureux que cette discipline fait gémir hors de leur patrie. Telles sont, Sire, les respectueuses remontrances et doléances de votre noblesse du Boulonnais. Elle ose assurer à Votre Majesté qu’elle persistera éternellement dans les sentiments que lui ont transmis ses aïeux, de la fidélité la plus inviolable à l’égard de Votre Majesté, ainsi qu’à son empressement à concourir au rétablissement de l’ordre, de la tranquillité si désiréedans le royaume. Fait et arrêté ledit cahier par nous, commissaires de la noblesse du Boulonnais soussignés. A Boulogne-sur-Mer ce 30 mars 1789. CAHIER. Des remontrances plaintes et doléances du tiers-état de la sénéchaussée du Boulonnais (1). Le tiers-état, qui a vu avec le plus grand attendrissement que le Roi a daigné prévenir les vœux de ses sujets en leur accordant de son propre mouvement ce qu’ils pouvaient principalement attendre de sa bienfaisance, sent aujourd’hui tout le prix de cette faveur qui, dans les circonstances présentes , abrège ses représentations et doléances. Cependant, malgré cet acte de bonté et de justice d’un souverain qui aime a se dire le père et l’ami de ses sujets, il reste encore bien des maux de toutes parts, et que Sa Majesté demande à les connaître à l’effet d’y remédier efficacement. Le tiers-état, pour répondre à ses vues paternelles, se propose de présenter ici les objets qui méri-(1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire .