185 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790. J sur la délibération relative aux assignats, l’ordre de questions suivant : 1° Remboursera-t-on les créanciers de l’Etat en assignats ou en délégations nationales? 2° Les assignats ou délégations nationales produiront-ils un intérêt, ou non? Si on y attache un intérêt, quels en seront la quotité et le mode? 3° Les titulaires des charges ou offices supprimés seront-ils autorisés à payer avec le papier qu’ils auraient reçu de la nation, ce qu’ils peuvent devoir du prix de leurs charges ou oflices expressément hypothéqués par le vendeur? 4° Remboursera-t-on la dette exigible en totalité ou en partie ? S’il m’est permis d’énoncer d’avance mon vœu sur tous les points, je dirai: il faut des délégations nationales sans intérêts ; les titulaires supprimés pourront payer ce qu’ils doivent du prix de leurs offices hypothéqués avec les délégations nationales qu’ils auront reçues. La dette exigible doit être éteinte en entier. J’ai médité les solutions que je vous soumets; je retiens la parole pour vous en prouver la justice, si elles sont soumises à la discussion ; je vous prédis d’avance sur ma tête les plus grands maux, si vous vous en écartez par des ménagements hors de saison. Je déclare, en finissant, que je ne suis pas de l’avis de M. JDémeunier, qui, après s’être élevé contre les assignats, pense qu’on peut en émettre 800 millions: c’est avec regret que je consentirais à une nouvelle émission pour le service strict et nécessaire du Trésor public, pour la fin de cette année. Dans une question où vous allez jouer le sort de l’Empire à rouge ou à noir, je pense, comme M. Dérneunier, qu’on doit aller aux voix par appel nominal sur la question actuelle. J’en renouvelle la motion. M. de Montesquiou (1). Messieurs, vous avez une dette immense à payer; vous l’avez reconnue avec une loyauté digne de la nation que vous représentez. Mais le caractère dont vous êtes revêtus vous impose une obligation encore plus sacrée, celle de mettre un terme aux maux du peuple. Epuisé par deux siècles de déprédation, va-t-il renaître, ou continuer de languir? La Révolution sera-t-elle heureuse pour lui ? y sera-t-il attaché par son bonheur ? Voilà sur quoi vous avez à prononcer aujourd’hui. Les dépenses indispensables de l’Etat, l’intérêt des dettes constituées et les frais du culte emploieront inévitablement un subside de 450 à 500 millions. Indépendamment de cette somme, si vous continuez d’atermoyer vos anciens et vos nouveaux créanciers, il faut pourvoir aux intérêts de 1,900 millions de dettes exigibles, à l’intérêt de 400 millions d’assignats, et à quelques remboursements annuels. Pouvez-vous faire supporter au peuple français cette double charge? Non, j’ose l’affirmer, vous ne le pouvez pas, et j’en appelle au sentiment intime de tous ceux qui m'entendent. Vous ne devez donc pas l’entreprendre, et vous êtes dans la cruelle alternative, ou de compromettre l’autorité nationale par des ordres inexécutables, ou de manquer à tous vos engagemenls. Cependant vous êtes rentrés en possession d’un domaine immense; vous avez la volonté d’en (1) Le discours de M. de Montesquiou est incomplet au Moniteur. transmettre la valeur à vos créanciers. On vous propose de leur distribuer en payement des lettres de change payables à vue en terres. Ceux qui vous le proposent prétendent qu’en prenant ce parti, vous êtes loyalement jacquittés, et que, par cette mesure, vous épargnez à la nation la honte qui la menace, à vos créanciers le désespoir, et au peuple 120 millions d’impôts. A cette grande et salutaire idée on oppose une foule d’objections parmi lesquelles plusieurs ont pu faire impression. Je vais les reprendre toutes, et, s’il est possible, les analyser avec ordre. Avant d’entrer en matière, je m’expliquerai sur un point de fait dont on se servira pour combattre mon premier calcul. Le revenu des biens ci-devant ecclésiastiques, vous dira-t-on, doit balancer du moins une partie des intérêts de la dette exigible, et ce revenu doit être déduit des 120 millions désignés comme une charge pour le peuple. Ce n’est point par inadvertance que je ne fais pas cette soustraction. Quelque parfait que soit le système des impôts de 1791, il aura le sort des meilleures institutions, quand elles sont nouvelles. Perception, administration, principes, tout sera neuf. Le bénéfice du temps, de la routine même lui manquera. Ilestdonc d’une prévoyante sagesse d’accumuler, pour cette première année, de grandes ressources; et je crois nécessaire d’y destiner le revenu des biens nationaux qui seront encore dans vos mains, ainsique la contribution patriotique de 1791. On ne peut considérer le royaume dans son état intérieur et dans ses relations" politiques, sans être pénétré de l’importance dont il est que nous puissions nous montrer l’année prochaine, d’une manière digne de nous, à nos amis et à nos ennemis. Je passe à la question. L’argent, vous a-t-on dit, disparaîtra entièrement vis-à-vis des assignats, lorsqu’ils seront muitipliés comme on vous propose de le faire, et déjà il est caché devant ceux qui existent, au point de rendre très embarrassant le service du Tfésor public et celui de tous les ateliers qui exigent des payements de salaires. Cette objection, la première de toutes, présente d’abord un fait dont les causes méritent d’être recherchées, et ensuite une prophétie alarmante. Après avoir examiné le fait, je passerai au mérite de la prédiction. Peut-être pourrais-je me dispenser de justifier les assignats du reproche qu’ils essuyent, en prouvant qu’il était impossible de s’en passer. Il suffirait de vous rappeler que, longtemps avant leur émission, le numéraire était de la plus excessive rareté ; que les revenus de l’Etat n’étaient point payés ; que le Trésor public ne subsistait que pat-une ressource extraordinaire, et que cette ressource unique était une monnaie fictive qui ne circulait que dans la capitale, qui la surchargeait excessivement, et qui n’était d’aucun usage pour les provinces. Vous n’avez pas oublié que les anticipations sur les revenus de tout genre, ce fruit empoisonné de l’industrie ministérielle et financière étaient un moyen usé, qu’elles coûtaient, en pure perte, 15,800,000 livres par an, et que le discrédit total ne permettait plus de les renouveler. Vous savez que la caisse d’escompte, qui ne possédait qu’un capital de 100 millions, avait déjà fourni pour 170 militons de ses billets, et qu’incessamment cette somme eût été doublée ; que ces billets appuyés sur unefausse baseétaient un véritable papier-monnaie du genre de ceux qu’on ne peut trop se hâter de proscrire, qu’enfin il était bien heureux de leur pouvoir substituer [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790.] 186 des assignats établis sur le meilleur et le plus solide des gages. Ces assignats vous ont tirés de la plus épouvantable crise ; ils vous ont épargné la honte et le malheur d’une suspension totale de payement. On ne pouvait donc s’en passer. Mais on les accuse d’avoir augmenté ou prolongé la raretés de espèces : c’est ce fait que nous allons examiner. L’argent est le premier besoin des nations formées en société, puisqu’il est l’intermédiaire convenu de tous les échanges ; dès lors, comme toutes les denrées de première nécessité, il devient un objet de sollicitude, toutes les fois que des circonstances alarmantes font naître des craintes, ou réelles, ou imaginaires. Ces craintes et le resserrement qui en est la suite, ont été remarquables dans tous les temps de Révolution. Une Constitution nouvelle, des haines de parti, l’espoir ou l’intrigue des mécontents, l’inquiétude des simples spectateurs, l’incertitude des événements, tout concourt à inspirer des précautions dont l’effet est de receler ce qui, d’un moment à l’autre, peut devenir nécessaire. L’alarme doit être bien plus grande et bien plus générale, lors-quela fortune d’une grande partie des citoyens se trouvant liée à la fortune de l’Etat, les affaires publiques ne présentent que désordre et pénurie. Ainsi l'argent devient nécessairement rare dans un pays où la Constitution est vivement combattue, et’où l’on voit en même temps le Trésor public épuisé, le peuple aux abois, et les créanciers de l’Etat justement effrayés. Telle est, malheureusement notre position. Peut-on s’étonner de l’effet, lorsque la cause est si évidente? Cette cause est très indépendante de l’existence des assignats : ainsi, pour rétablir l’abondance, il s’agit seulement d’affermir la Constitution, d’ôter toute espérance à ses ennemis, de les enchaîner au nouvel ordre de choses, par leur propreintérêt,eten même temps de diminuer le malheur du peuple, les embarras du Trésor public, et l’inquiétude des créanciers: alors l’argent reparaîtra, parce qu’il existe, parce que son existence est perdue pour ceux qui le possèdent, tant qu’il est oisif, et qu’au moment où les craintes cessent, l’intérêt individuel reprend nécessairement tout son empire. Mais, est-ce dans la plus horrible détresse qu’il fallait attendre ces fruits tardifs du courage et du temps ? Il était nécessaire de pourvoir au moment et de remplacer d’une manière quelconque le numéraire qui, chaque jour, se dérobait à nos besoins. Ce remplacement, inférieur, peut-être, au vide qu’il eût fallu remplir, a peu changé la proportion qui existait entre les espèces circulanteset les denrées decon-sommation ordinaire. Aussi leur prix n’a point éprouvé de variation ; mais lorsqu’il s’est répandu un nouveau numéraire, dont les plus petites pièces étaient de deux cents livres, la monnaie, rare depuis longtemps, est devenue un objet de spéculation. Toutes celles du commerce ont pour base des besoins, et la seule concurrence en prévient l’abus. L' S acheteurs d’argent se sont trouvés aux ordres d’un très pe-tif nombre de vendeurs; ils y ont perdu, cela devait être ; car, pour perdre sur une denrée quelconque, il suffit que le nombre de personnes qui veulent la donner en échange, soit plus grand que celui de ceux qui la recherchent. Il était possible d’opposer à cet inconvénient des mesures qui tendissent à rendre moins fréquente la nécessité de l’échange. Une proportion différente dans la division des assignats eût seule apporté un changement notable dans l’effet de ces négociations, en rendant les appoints plus faciles à payer. Tel qui cherchait soixante-sept écus n’en aurait plus cherché que quatre *. une fabrication de monnaie de cuivre ou de billon, une émission de� petite monnaie d’argent, ni assez bonne pour être resserrée ou exportée, ni assez mauvaise pour tenter les étrangers d’en introduire dans le royaume, et surtout une grande facilité accordée à la circulation des assignats eussent rendu presque impossible le moment de la crise. Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? tout ce que les ennemis delà Révolution eussent conseillé pour décréditer les assignats. Ils n’ont pas été plus tôt créés, que dans toutes les caisses on a défendu de les recevoir, dès qu’on aurait un prétexte pour les refuser; de sorte que le peuple a pu croire que le gouvernement mettait une grande différence entre cette monnaie et les écus, qu’il ne s’en servait même que pour lui enlever son argent. Vous avez été poursuivi ici par un projet de décret qui transformait cet abus en loi; Votre sagesse s’y est constamment refusée et certes, si vous l’eussiez adopté, le mal était sans remède. Que l’on fasse donc le contraire de tout ce qui a été fait jusqu’ici ; que les assignats jouissent partout de la plus grande faveur; qu’une division nouvelle les rende plus propres aux différents échanges et à tous les appoints ; qu’une forte émission de petite monnaie aille au secours du peuple, et alors l’inquiétude se calmera; alors on verra diminuer sensiblement un mal qui n’a pour origine que le défaut de prévoyance ou les plus fausses combinaisons. Les premiers assignats étaient donc indispensables : ils ont rendu un grand service à la chose publique; en suppléant à la rareté des espèces dont jamais ils n’out été la cause, et dont il était si facile de faire disparaître l’effet. Passons à ce qui concerne l’avenir, et suivons le même ordre de raisonnement pour les nouveaux assignats que l’on vous propose de créer. Sont-ils indispensables? Produiront-ils le mal que l’on présage ?Doit-on, aucontraire, en espérer le bien que l’on vous promet? Le premier besoin du peuple est, sans contredit, la diminution des impôts, et il est impossible de les diminuer sans décharger le Trésor public d’une grande partie des intérêts de la dette et des remboursements annuellement promis. Il est également impossible, car cela serait injuste, de modérer les intérêts sans rembourser. Pour être en état de le faire, il faut un moyen qui supplée à l’argent qui vous manque. Vous le trouvez dans la valeur des immeubles dont la nation peut disposer. Cette valeur n’est pas dénaturée être distribuée réellement; mais elle peut être représentée par un signe de convention qui, d’un moment à l’autre, deviendra la chose même.Gette distribution anticipée de valeurs, n’étant que fictive, invite tous ses possesseurs à la réaliser ; on leur en donne les moyens; les immeubles leur appartiennent d’avance; il ne s’agit, pour eux, que de procéder au partage par la voie de l’adjudication, et rien m’est plus essentiellement simple. Mais de semblables valeurs dérivant d’une propriété publique ne peuvent pas être bonnes pour quelques citoyens, sans l’être également pour tous. C’est de la loi qu’elles tiennent leur caractère. La loi appartient à tous et ne peut favoriser exclusivement personne; il faut donc que ces valeurs puissent être transmises sans négociation et sans risque; elles doivent donc être une monnaie, et c’est sous ce rapport qu’il faut les considérer pour en juger l’effet. Examinons [Assemblée nationale.] d’abord s’il eût été possible d’arriver au même but en suivant la route ordinaire, c’est-à-dire en vendant pour payer, au lieu de payer pour vendre. On vous a dit que la vente des anciens domaines de l’Eglise se ferait fort bien sans aucun stimulant ; que c’était un soin superflu de créer un nouveau numéraire pour les acheter; qu’il existait plus de deux milliards en espèces dans le royaume; que cette somme, jointe à 400 millions d’assignats existants et à ceux qu’il faudra y ajouter encore, suffirait et au delà pour acheter les biens du clergé. Mais ceux qui calculent ainsi ont-iis songé que, sur cette somme, il faut prélever celle dont les besoins journaliers de vingt-six millions d’hommes exigent l’emploi, et dont on ne peut, sous peine de la vie, changer la destination ? Ont-ils considéré que la culture emploie d’immenses capitaux; que le commerce en absorbe d’autres presque aussi considérables ; que les manufactures n’existent que par eux; que la seule circulation des peuples au Trésor public par les impôts, et du Trésor public aux citoyens, par mille versements divers, met en mouvement 600 millions qui ne peuvent cesser un seul instant d’y être? S’il était possible de supputer la somme des salaires d’un seul jour, soit dans l’administration, soit dans l’armée, soit dans les ports, soit dans les ateliers, soit même dans la domesticité, pourrait-on assurer qu’il existe un superflu dont il fût possible de détourner le cours pour le porter vers les acquisitions ? Depuis plus de vingt ans, dix raille terres sont à vendre dans le royaume, et personne ue les achète. Pourquoi? Parce que nous manquons de la denrée avec laquelle on acquiert des biens-fonds, et c’est dans cet état de stagnation générale qu’on espérerait vendre, avec quelque avantage, une quotité d’immeubles égale, supérieure peut-être à celle du numéraire, ou réel, ou fictif que nous possédons? Non, Messieurs, vous savez trop bien quelle surabondance il faut pour que, tous les emplois lucratifs étant remplis, on se détermine à venir demander à la terre sa fidèle, mais modique rétribution. Etablissez-ladone cette surabondance, sans laquelle vos ventes se feront mal, se feront lentement, ne se feront peut-être jamais. Songez qu’en attendant, il s’accumulera des intérêts énormes. L’échéance des remboursements arrivera, il faudra les suspendre. Vous vous verrez forcés d’écraser ce malheureux peuple que vous pouviez sauver, et vous n’aurez pas même des consolations dans l’avenir. Rembourser pour vendre, est donc le seul moyen de décider, de hâter les ventes. La nouvelle émission d’assignats est donc d’une nécessité absolue. Vainement on se flatterait d’y suppléer, en admettant les effets publics dans les payements : les tranquilles capitalistes qui les possèdent sont accoutumés à une jouissance paisible. Ils ne renonceront qu’à la dernière extrémité à un revenu trop considérable, trop commode surtout. La seule crainte de la banqueroute peut les engagera s’en défaire, et cette crainte qui nous assiège, porle à tout réaliser en écus, à les enfouir, ou à .disparaître avec eux. Les titres de charges ne présentent pas, il est vrai, les mêmes motifs, mais que de formalités leur échange n’exigerait-il pas ? Gomment purger les hypothèques dont elles sont grevées? Gomment approprier les objets d’acquisition à telle valeur précise ? Que d’entraves, que d’embarras, quel rétrécissement à la concurrence, et pendant ce temps-là que deviendront nos domaines? Ils diminueront tous les jours de valeur. 187 Chaque municipalité en disposera. L’habitude d’en jouir se transformera en droit, et c’est alors que les acquéreurs alarmés craindront avec raison de se voir entourés d’ennemis dans chacun des lieux où ils voudraient devenir propriétaires, Les assignats parent à tous ces inconvénients, ou les nréviennent. Ils sont donc indispensables. Une seule objection m’a paru avoir quelque solidité. On se croit incertain de la valeur du gage destiné à être représenté par les assignats; mais du moins cette objection suppose que, si le gage était égal ou supérieur à ce qui le représente, il n’y aurait aucune inquiétude raisonnable à concevoir; peut-être pourrais-je me permettre ici d’adresser quelques représentations aux deux comités chargés des affaires ecclésiastiques, l’un pour la régie, l’autre pour l’aliénation, sur ce qu’ils ne nous ont pas encore fourni la véritable réponse, en nous donnant, non des présomptions, mais des états complets. Il est probable qu’ils s’en occupent; mais du moins, en attendant, nous avons, sur cet objet, des aperçus aussi vraisemblables que satisfaisants. J’ai vu depuis quelques jours dans les bureaux ecclésiastiques, et j'ai entre les mains un travail d’évaluation fait d’après le compte rendu pardouze cent quatre-vingt-six municipalités prises, non dans le Cambrésis, non en Flandre, ni dans les autres provinces connues pour être si riches en biens ecclésiastiques, mais dans le département de Paris, la j ville exceptée, et dans ceux de Seine-et-Marne et de Seine-et-Oise. Il résulte de ce compte une très grande probabilité, pour ne rien dire de plus, que le revenu territorial des domaines nationaux dans tout le royaume s’élève au delàda 132 millions. II faut ajouter à cette somme le prix des possessions que renferment la ville de Paris et les autres grandes villes, la valeur des bâtiments d’habitation, le revenu attaché aux cures dont l’évaluation n’est pas compromise dans l’état dont je parle, et enfin les anciens domaines de la couronne. Je crois donc ne rien exagérer, en portant le capital dont nous avons la disposition, au delà de quatre milliards; les bois y sont dans la proportion du quart au cinquième, ainsi nous pouvons, en les réservant, compter encore au moins sur trois milliards, et vous savez que, pour acquitter la dette exigible, et pour absorber les assignats, il n’en faut pas, à beaucoup près aulant : une raison, qui me semble trè3 forte, vient à l’appui de ce calcul. Si nous nous trompions beaucoup dans nos évaluations, de combien ae preuves ne serions-nous pas accablés par les nombreux intéressés à la conservation des biens ecclésiastiques? Us disent bien que nos calculs sont chimériques; mais ils ne les réfutent pas par d’autres calculs plus positifs, et cependant ils sont à la source. S’ils avaient des faits à citer, répéteraient-ils si souvent que, tôt ou tard, le clergé rentrera en possession de ses biens, et en chassera les sacrilèges usurpateurs ? Ils sentent à merveille que leur éloquence échouera contre l’intérêt des porteurs d’assignats; et qu’eu leur retraçant les horreurs du système, ils ne feraient que les exciter à prendre au plus tôt possession de quelque abbaye, pour se mettre à l’abridetout danger. Leurs citations, au reste, ne sont pas heureuses, ou du moins ne nous sont pas applicables. Est-il une époque dans i’histoire, où des terres que chacun avait sous les yeux, aient été représentées par des valeurs en papier, et où ces valeurs se soient évanouies ? Le Mississipi sera-t-il opposé à l’abbaye de Gîteâu, h l'abbaye de Cluny, et à cette foule de maisons religieuses ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U septembre 1790.] 188 dont l'opulence contrastait si fort avec la misère publique ? La difficulté des ventes, faute de moyens d’acquérir, voilà le seul obstacle que vous ayez à vaincre. Cette impuissance, ou générale, ou prolongée, est le dernier espoir des ennemis de la Constitution; mais il sera déçu comme tant d’autres. L’Assemblée nationale n’aura pas vainement entrepris de sauver l’Etat. Les assignats seront le lien de tous les intérêts particuliers avec l’intérêt générai. Leurs adversaires même deviennent propriétaires et citoyens par la Révolution et pour la Révolution. Ils vivront de cette terre désormais affranchie malgré eux, et ce sera le terme des vaines terreurs par lesquelles ils voudraient nous arrêter. Après avoir prouvé que la nouvelle émission d’assignats est le seul moyen de déterminer, de forcer même, en quelque sorte, la vente des domaines nationaux, et que par conséquent elle est indispensable, faudra-t-il répondre au danger de cette affluence de concurrents qui se présenteront aux ventes, et qui seront tous froissés dans l’étroit passage qui leur sera ouvert; cette hyperbole signifie sans doute que la création des assignats animera beaucoup les enchères et élèvera le prix des domaines nationaux. N’est-ce pas précisément ce que nous cherchons? On sera forcé d’acheter trop cher, vous a-t-on dit, et là l’injustice commence. Ah ! Messieurs, puissions-nous n’avoir à nous reprocher d’autre injustice que celle d’avoir fait fructifier pour la nation le domaine de la nation 1 Chacune des larmes que nous aurons épargnées au peuple, sera notre récompense. Et qu’importe à l’Etat que les terres soient achetées à un prix élevé ! L’industrie en aura plus d’intérêt à s’y exercer. Faut-il donc, pour être justes, que nous appliquions les calculs de la banque à des valeurs territoriales? Elles n’ont point de denier fixe, comme il n’y a point de bornes à leur produit, lorsque des mains économes et libres les cultivent. Nous reviendrons à des goûts plus simples, à des mœurs plus pures : sont-celà les malheurs dont on nous menace? L’avantage des assignats pour la vente des domaines n’est plus douteux; il s’agit à présent d’examiner quelle sera leur influence dans la circulation. Je commencerai par observer que, si leur effet certain est de se précipiter vers les acquisitions des biens-fonds, ils ne feront que le chemin nécessaire pour y arriver, et que l’intervalle sera bien court entre leur sortie du Trésor public et leur disparition dans la caisse de l’extraordinaire. Mais enfin, suivons-les pas à pas, tâchons de ne pas les perdre de vue un seul instant, et dans la route qu’ils doivent parcourir, examinons s’ils feront tout le ravage dont on les accuse à l’avance. C’est sur ce point que l’on a surtout cherché à effrayer l’imagination. Je ne m’arrêterai pas ici à combattre des prestiges ; c’est la raison qui va nous juger, c’est elle seule qu’il s’agit de convaincre. A entendre certains spéculateurs, on croirait que, si l’Assemblée nationale décrète le remboursement de la dette exigible en assignats, tout à coup 1,900 millions de papier vont fondre sur têtes, et courant de main en main, suivant l'empressement que chacun aura de s’en défaire, vont inonder la capitale tt les provinces. Il semblerait que ce papier, représenté par la dixième par tie des propriétés du royaume, aura tout à coup perdu sa valeur en dépit de l’évidence et de l’intérêt très réel que chacun aura à l’employer utilement. De là, on nous peint tous les désastres, arrivant à sa [54 septembre 1790.] suite, les ateliers déserts, les denrées les plus nécessaires doublantdeprix, lecommerce anéanti, le peuple au désespoir et le royaume presque déserté par ses malheureux habitants. A ce tableau fantastique, je n’opposerai que la simple vérité. La fausseté de la supposition me dispensera peut-être d’en discuter les conséquences. L’accumulation des assignats dont on veut nous effrayer, n’est qu’une chimère; leur émission sera successive par le seul mécanisme de leur fabrication; leur distribution sera lente parles formes indispensables de la liquidation. La rapidité de leur écoulement par les ventes surpassera vraisemblablement celle de leur production ; enfin, il sera plus nécessaire de chercher des moyens pour suppléer au retard de leur émission que pour en prévenir l’engorgement, et, - quelque somme que vous en décrétiez, il n’en existera peut-être jamais la moitié. Je ne veux cependant pas éluder la difficulté, et je les suppose tous, non successivement, mais à la fois dans les mains destinés à les recevoir. Alors de deux choses l’une, ou les besoins de la circulation appelleront les assignats dans le commerce, ou le discrédit les en repoussera. Si la circulation les y appelle, c’est qu’ils y seront utiles; c’est que, sans leur secours, il y aurait pénurie d’espèces; alors ils s’y soutiendront sans peine, ils y conserverontleur valeur, ils ne seront à charge à personne, et les dangers que l’on vous présage ne sont que des rêves de l’imagination. Si, au contraire, la circulation les repousse, on les refusera dans tout marché libre, ils perdront beaucoup contre l’argent et même contre les marchandises; mais alors il me paraît démontré que leurs possesseurs, certains de les placer au pair dans l’acquisition des domaines nationaux, se garderont bien de s’en servir pour tout autre usage. Dans l’alternative d’employer à leur dépense des écus ou des assignats, ils ne pourraient hésiter à consacrer de préférence leurs écus aux besoins de la vie, et à réserver les assignats pour leur véritable emploi. En fin, dans le besoin absolu d'argent, s’ils étaient forcés de s’en procurer à perte, ce ne serait jamais que pour le plus strict nécessaire, et la majeure partie des assignats suivrait toujours sa vraie destination ; car en cela, comme en toute autre chose, l’intérêt est la plus sûre boussole des actions humaines. Mais, vous a-t-on dit, il pourrait arriver que des particuliers n’ayant que de petites sommes en assignats, ne voulussent pas acheter de domaines et ne pussent échanger leurs bilielscontre de l’argent. Je répondrai qu’une somme, quelque modique qu’elle puisse être, est, pour son possesseur, la représentation d’un capital destiné à lui donner du revenu, ou une somme réservée pour ses dépenses. Sous ce dernier rapport, j’ai indiqué les moyens d’administrationnécessairespour faciliter les échanges. Dans la première supposition, celle d’un capital à employer, peut-être ne serait-ce pas un si grand mal que la paresse fût sollicitée par l’intérêt pour l’emploi en terres; mais si la paresse est la plus forte, le propriétaire de l’assignat le prêtera à un acquéreur, et aura une hypothèque au lieu d’une propriété foncière; enfin, il fera ce qu’il ferait avec de l’argent, excepté qu’il n’aura plus la ressource d’agioter des effets sur la place. Cette distinction entre les capitaux destinés à être productifs, et les sommes consacrées aux dépenses, mérite la plus sérieuse attention ; elle est décisive dans la question qui nous occupe. La totalité de ce que vous avez à payer dans ce [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. moment-ci, consiste en capitaux dont le revenu fait vivre ceuxqui les possèdent : ainsi, engénéral (car un objet semblable ne peut être considéré qu’en masse), ces capitaux chercheront à se placer plus ou moins avantageusement suivant les circonstances et les possibilités. Un grand marché en biens-fonds s’ouvre à l’instant même où cette foule d’intérêts est dirigée vers un but commun, celui de placer. Ce marché n’est pas seulement dans un endroit, il est sur toute la surface du royaume, et partout, à tous les jours, à toutes les heures, la monnaie de l’Etat est reçue dans son exacte valeur sans contestation, sans parité avec aucune autre. Un assignat de 1,000 livres vaut 1,000 livres d’un bout du royaume à l’autre : il ne s’agit plus de l’échanger' contre de l’argent; c’est, au contraire, l’argent qui doit solliciter cet échange; ainsi point de baisse à craindre, point de négociation hasardeuse. Le bien est adjugé, le papier, signe d’une dette de l’Etat, est reçu comme il a été donné, et la dette qu’il représentait, et le signe de cette représentation, disparaissent dans le même instant. Telle est, Messieurs, la marche nécessaire et inévitable de tout ce que vous donnerez pour rembourser des capitaux ; jamais vous n’aurez à craindre de les voir affluer dans la circulation. Mais, vous a-t-on dit, avant d’arriver à celui qui fera une acquisition , les assignats auront fait un chemin prodigieux,- et c’est dans ce chemin qu’ils exerceront leur ravage. En passant de créancier à créancier, ils produiront une révolution dans toutes les fortunes. C’est un étrange abus des mots; car, enfin, en quoi consistera cette révolution? L’État, premier débiteur, sera libéré; le second, le troisième, le quatrième débiteur et ainsi de suite seront libérés de même de ce qu’ils se trouveront en état de payer. Un assignat ne sortira jamais d’une main sans acquitter une dette, et sans l’acquitter loyalement, puisqu’il sera toujours donné et reçu pour la même valeur. Au lieu de toutes ces injustices et de tous ces malheurs que l’on nous annonce, je vois au contraire la solution du plus étonnant problème politique, une libération presque générale de toutes les fortunes, par un moyen neuf, doux, rapide, et, en dernière analyse, je vois des terres immenses passer dans des mains industrieuses et porter un nouvel accroissement à la fortune et à la prospérité publique. Tous ces avantages sont dus à l’emploi des assignats pour rembourser des capitaux. 11 n’en est pas ainsi de la profusion de ces mêmes signes, lorsqu’on les emploie à des dépenses. C’est là qu’une proportion juste est difficile à connaître et importante à saisir. Là, tous les inconvénients se trouvent attachés à l’excès. Vous avez été forcés de destiner 400 millions à cet objet; il en pouvait résulter un renchérissement dans les denrées; heureusement cela n’est pas arrivé, parce que les assignats n’ont, en en effet, remplacé que le numéraire qui manquait, et que, par cette raison, ils n’ont pas excédé les besoins de la circulation. Il est possible même que le nombre en fût encore augmenté, sans grand inconvénient; mais il serait dangereux de suivre sans réserve ce premier exemple, et de pousser plus loin une tentative que la plus urgente nécessité justifie sans doute, et dont la vente des domaines est le correctif. Mais s’opposer à la fois à des remboursements inévitables de capitaux, et vous proposer une nouvelle émission pour des dépenses, c’est renverser tous les principes; c’est, dans une détermination qui présente des avan-|24 septembre 1790.J •tages et des inconvénients, ne conserver que les inconvénients et repousser les avantages. Sans doute, Messieurs, il faut pourvoir au déficit dans les revenus; mais toute émission nouvelle de billets pour cet usage doit être proscrite, surtout quand vous ne pouvez la faire sans affaiblir le gage des créanciers ;îsans renouveler, par là, les justes craintes qui, dans ce moment-ci, repous-seut le numéraire; sans risquer de renchérir tous les échanges, et sans intervertir peut-être les proportions entre le numéraire circulant et les denrées. Il faut pourvoir au déficit de nos revenus; mais avant tout, il faudrait le connaître avec quelque précision. Il est impossible que 200 millions, 150 même nous soient nécessaires ; et sans doute vous ne les accorderez pas, sans vous être fait remettre un état bien circonstancié des revenus sur lesquels on aurait eu tort de compter, et des dépenses qu’on n’avait pu prévoir; mais si ce secours est indispensable, si vous êtes condamnés à prendre un parti de circonstance, le plus fâcheux de tous, un emprunt serait préférable à une émission de billets. Des étrangers, dit-on, vous ont offert 70 millions, et vous les offrent encore de la manière la plus favorable aux circonstances, puisque le quart doit être fourni en numéraire effectif. Vous n’avez pas écouté celte proposition, vous ne deviez pas l’écouter alors; vous étiez loin de penser que les besoins viendraient encore vous affaiblir. Si ces besoins existent, je vous invite à accepter cette ressource, et à voter une taxe quelconque pour l’annuité qui l’acquittera. Si 70 millions ne vous suffisaient pas, ou si, par d’autres raisons, cette offre ne vous convenait point, jamais un moment plus favorable ne se sera présenté pour ouvrir ici un emprunt de plus forte somme à l’intérêt de 3 1/2 ou de 4 0/0. Je sais qu’il sera rempli en assignats; mais ce sera du moins avec ceux qui existent, et le nombre n’en sera pas accru. Je ne saurais trop vous le répéter, la somme d’assignats pour le remboursement des capitaux est indifférente; la somme d’assignats pour le payement des dépenses ne peut être trop resserrée. Vous êtes au moment d’établir l’impôt, et l’on a toujours été frappé de la difficulté d’atteindre les capitalistes. Quel moyen plus sûr de les atteindre, que de les transformer en propriétaires? Ces richesses' de portefeuille remboursées en assignats, ou s’évanouiront, ou seront changées en propriétés foncières. Le mouvement de toutes les affaires prendra une direction nouvelle. L’oisiveté des grandes villes fera piace à l’industrie active des campagnes, et c’est ainsi qu’en ne paraissant que céder aux lois de la nécessité, vous aurez effectivement suivi toutes celles de la morale. J’ai prouvé qu’autanl les premiers assignats étaient nécessaires pour suppléer au déficit des revenus, autant les nouveaux le sont pour suppléer au déficit des capitaux ; que, par un concours de circonstances extraordinaires, les premiers n’ont pas influé sur le prix des denrées, et que, par la seule nature des choses, les seconds ne nous exposent même pas à ce risque. Je crois avoir parcouru les principales raisons dont on se sert pour combattre le système des assignats ; mais lorsque ceux qui l’attaquent sont obligés de mettre quelque chose à leur place, que vous conseillent-ils de leur substituer ? Les esprits les plus fertiles en inventions ne vous ont proposé, jusqu’ici, que des quittances de finance. Les divers projets ne diffèrent que sur la somme des intérêts, qui a varié depuis 5 jusqu'à 3 0/0. Dans cette dernière hypothèse, la moins onéreuse de 190 [Assemblée nationale.] toutes pour TEtat, 1,900 millions de remboursement vous coûteraient 57 millions d’intérêts, que les assignats vous épargnent; mais j’ai peine à concevoir, je l’avoue, que l’on vous propose sérieusement de rembourser des effets au porteur à 5 0/0’par d’autres effets au porteur à 3 0/0, et que cela s’appelle un remboursement. Autant voudrait [déclarer que les intérêts ci-devant à 5 0/0 sont réduits à 3 0/0, et je répondrais à ceux qui feraient cette étrange proposition, par la lecture de votre décret du 27 septembre 1789, qui contient rengagement formel de ne faire aucune réduction ni retenue sur les rentes. Une idée semblable n’étant ni admissible, ni même présentable, il serait plus simple et plus franc surtout, de dire qu’on trouve les choses très bien comme elles sont, qu’il est désirable de demeurer dans le même état, et que, pour l’uniformité seulement, il est bon de convertir toutes les créances exigibles en quittances de finance à 5 0/0. Alors ce n’est plus 57 millions d’intérêts qu’il vous en coûterait ; c’est 95 millions, sans compter l’intérêt des premiers assignats, à moins que, suivant le conseil d’un géomètre célèbre, qui, dans cette occasion, nous a fait part de ses lumières, vous ne vous débarrassiez des intérêts en ne les payant pas, et vous réservant d’en tenir compte au moment des acquisitions. Gomme je ne crois pas que ce moyen commode d’épargner les impôts vous paraisse digne de votre loyauté, je ne m’attacherai pas à le réfuter, et je me bornerai à observer que, si vous adoptiez des quittances de finance à 5 0/0, vous ne pourriez contraindre vos créanciers à les recevoir qu’à ce taux, et votre opération se bornerait à avoir fait changer de nom à votre dette; ce qui ne présente pas un grand avantage ; et que, par l’intérêt attaché aux créances sur l’État, vous auriez rendu parfaitement invraisemblable la vente des biens nationaux. J’observerai encore à ceux qui désirent des q uittances de finance, etqui les disent si bonnes pour toute la nation, qu’elles seraient mauvaises pour ceux qui ne les auraient pas, puisqu’ils contribueraient à en payer les intérêts, et qu’elles seraient encore plus mauvaises pour ceux qui les auraient, si, par malheur, ils se trouvaient forcés à s’en défaire par voie de négociation; ce qui arriverait souvent, leur transmission ne pouvant être forcée. Il existe aujourd’hui pour environ 7Ü0 millions d’effets publics. Ils perdent jusqu'à 20 0/0 dans leur négociation libre contre des assignats. L’emprunt de septembre 1789, ce premier emprunt national à 5 0/0, est presque dans ce cas. Si la masse des effets était plus que triplée, si l’intérêt était à 3 0/0 au lieu de 5 0/0, peut -on prévoir à quel degré les quittances de finance tomberaient ? Ainsi ruine pour l’Etat, constamment chargé du payement des intérêts ; ruine pour les particuliers surchargés d’une marchandise trop commune, et redoublement de richesses pour ceux qui, vivant de la détresse publique, mettraient eux-mêmes le prix aux quittances de finance, et par-là se rendraient maîtres de la valeur de nos domaines. G’est augmenter tous les maux sans pouvoir espérer aucün bien. Profitons du moins de notre propre expérience. Au mois de décembre dernier, par toutes les raisons qu’on vous allègue aujourd’hui, car ce sont exactement les mêmes que l’on disait alors, et que l’on a répétées au mois d’avril, on vous engagea à repousser l’idçe des assignats-monnaie, et à uécréter des assignats libres à 5 0/0. La caisse d’escompte devait recevoir ainsi les 170 millions qui lui étaient dus. Elle a reçu, en effet, de ces assignats; et dans [8 septembre 1790.] l’espace de quatre mois, elle n’a pu eu placer que pour 1,400,000 francs. Changez le mot, et vous retrouverez dans les assignats libres les quittances de finance. Réduisez l’intérêt, et vous aurez celles que l’on vous propose. Alors M. Dupont m’accusait de proposer la banqueroute ; il annonçait, comme aujourd’hui, le pain à six sols la livre. Heureusement son zèle pour le bien public l’a trompé cette fois, et j’espère qu’il le trompe encore. J’ai cependant proposé moi-même au comité l’admission des quittances de finance dans le remboursement de la dette exigible; mais je les proposais en concurrence avec les assignats, en laissant aux créanciers le choix d’être remboursés d’une manière ou d’une autre; et cette liberté nous mettait à l’abri de tout reproche. G’est ainsi que je pense encore que vous devez décider la question, puisqu’il existe un partage réel dans les opinions. Par là vous modérez l’usage de votre autorité; vous laissez aux esprits le temps de se rasseoir. Vous ménagez tous les intérêts. Les quittances de finance seront prises par ceux qui ne seront pas pressés d’acquérir.L’inlérêt modique, ou une prime que je vous propose de leur attacher, est uq sacrifice que vous ferez à l’opinion; avec cette mesure vous êtes certains que 8 ou 900 millions d’assignats suffiraient à tout, au moyeu de leur émission, et de leur rentrée successive, et puisque personne ne sera contraint de prendre des quittances de finance, il n’y a plus d’injustice. Quant à vous, Messieurs, vous ne pouvez préférer exclusivement au seul moyen régénérateur une ressource vaine qui n’est favorable, ni au Trésor public qu’elle n’allège pas, ni aux créances qu’elle n’acquitte point, ni à la circulation qu’elle ne peut ranimer, ni surtout à la vente des domaines qu’elle rend presque impossible. Pour entraîner votre décision, l’on met en avant l’intérêt du commerce, comme si le commerce pouvait prospérer lorsque toutes les parties de l’Etat sont languissantes et obstruées! essayons encore d’apprécier ces craintes. Sous quel rapport le commerce serait-il fondé à redouter l’émission des assignats ? Est-ce au commerce intérieur qu’elle pourrait nuire? Mais le commerce intérieur ne peut avoir lieu qu’autant que les signes représentatifs des échanges sont abondants et multipliés, et ce plan est le seul qui remplisse cet objet important. La rareté des signes représentatifs est telle encore* malgré les assignats, que les meilleures lettres de change ne se négocient qu’avec beaucoup de difficulté et de perte contre des assignats. Est-ce le commerce extérieur que ce projet doit alarmer, en lui faisant craindre une plus grande rareté des espèces? Mais le commerce extérieur n’est avantageux et désirable pour une nation, qu’aulant que la soulte est en sa faveur, comme elle l’a toujours été pour la France, dans les temps de sa prospérité, et jusqu’à cette soulte ce commerce ne se fait que par des échanges de marchaudises.Qu’importe donc auxnations étrangères que les espèces deviennent momentanément rares dans le royaume, et que les payements s’y fassent d’une manière on d’une autre, si ces nations sont toujours en définitive débitrices de la France, c’est-à-dire si la masse de nos productions territoriales et celle de nos ouvrages manufacturés surpassent constamment de 30 à 40 millions au plus bas ce que nous fournissent les nations étrangères. La détresse affreuse qu’éprouvent tous les genres de commerce depuis dix-huit mois que toute circulation est interrompue, est une preuve malheureusement trop évidente de ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790.] 191 lanécessité d’adopter un plan qui seul peut rétablir promptement la circulation. Quant aux manufactures et fabriques de toute espèce, elles périssent faute de pouvoir se procurer des secours. Et comment en trouveraient-elles? Leurs magasins sont remplis, et les acheteurs manquent faute des moyens de payer. Les prêteurs manquent également par le défaut de confiance qui résulte de ce que les manufactures n’ont aucun débit; et s’il s'en trouve, ce n’est qu’à un intérêt si exorbitant, qu’il absorbe et au delà le bénéfice que les fabricants ont pu se promettre de leur spéculation. Les ouvriers sont partout sans ouvrage, et se voient réduits à l’affreuse alternative ou de mourir de faim, ou de devenir des brigands. Aussi les assignats qu’on vous représente comme le fléau des ateliers, sont-ils vivement sollicités par beaucoup de ceux qui les dirigent. Quelle est donc l’espèce de commerce qui pourrait fleurir, ou même se soutenir tant que les fabriques nationales seront dans cet état d’oppression ? Ils prospéreront tous, au contraire, lorsqu’une grande abondance de valeurs représentatives des objets à échanger fera reparaître les acheteurs et baisser l’intérêt de l’argent. Il est cependant un genre de commerce qui disparaîtra devant les assignats, mais je necrois pas que l’Assemblée nationale entreprenne de le relever, lorsque ses détails èt ses éléments lui seront bien connus, et il faut enfin les lui faire connaître ; c’est celui qui a pour base et pour objet de spéculation la pénurie générale, et le discrédit des effets publics. Ce commerce a un grand avantage sur tous les autres : c’est qu’il n’exige aucune mise de fonds, et que cependant il rapporte beaucoup plus que ceux qui obligent aux plus fortes avances. Ceux qui l’exercent ne sont pas sans relation avec les places du commerce, mais c’est à Paris surtout qu’ils résident, et c’est là qu’ils ont Part de présenter leur intérêt très personnel, sous le nom respecté de l’intérêt du commerce. Les banquiers qui travaillent dans ce genre n’ont besoin que d’être accrédités à la caisse d’escompte, c’est-à-dire que leurs lettres de change à trois mois y soient acceptées à l’escompte ordinaire de 5 0/0. Un particulier possesseur d’effets publics, qui a un besoin momentané d’argent, et qui ne voudrait pas se défaire de ses effets lorsqu’ils perdent beaucoup, s’adresse à ses banquiers, et leur demande, par exemple, 100,000 francs pour trois mois. Ils y consentent sur un nantissement en effets publics de 125 ou 130,000 francs, plus ou moins, suivant le cours de la place. Au moment du dépôt fait pour trois mois avec faculté de vendre au bout de ce terme en cas de non payement, l’obligeant prêteur ne donne pas d’argent, mais il tire une lettre de change à trois mois et en envoie recevoir le montant à la caisse d’escompte, sur le pied ordinaire de l’escompte de 5 0/0. Il retient ensuite au moins 1 0/0 par mois, et remet le reste, c’est-à-dire 97.000 livres, à l’emprunteur ; au bout de trois mois on lui rapportent 100.000 livres, il acquitte sa lettre de change, et rend le dépôt. De cette manière, sa seule signature lui vaut 12 0/0, moins l’escompte, c’est-à-dire 7. Or, comme cela se répète tous les jours, et pour des sommes fort considérables, comme cela se fait sans aucun déboursé, il est aisé de concevoir que ceux qui ont adopté cette façon de vivre désirent la conserver, et voient la ruine de leur commerce dans l’anéantissement des effets publics, et dans la prolongation de la pénurie générale. Ce n’est pas tout encore : comme la loi n’autorise pas cette manière de prêter sur dépôt, et que tous les dépositaires ne sont pas également délicats, il leur arrive quelquefois d’user pendant leurs trois mois des effets qu’ils ont en gage, S’ils imaginent un moyen de les faire hausser, ils les vendent à leur profit. Au moment de les rendre, ils manœuvrent en sens contraire, et en rachètent. Ce manège rapporte à ceux qui le font habilement 8 à 10 0/0 au delà de l’intérêt qui leur est assuré par leur marché. Voilà la cause souvent ignorée des variations de prix sur la place. C’est, comme vous le voyez, le chef-d’œuvre de l’agiotage. Les quittances de finance seraient particulièrement propres à l’entretenir; aussi les gens du métier disent-ils beaucoup de mal des assignats. Le véritable commerce, cette profession si ho-Dorable et si utile, voit avec horreur, et ces manœuvres obscures, et ces gains illicites. Le remboursement des effets publics en est le terme, et les assignats seuls peuvent l’opérer. Dans cette occasion, comme dans toutes celles où l’esprit de parti joue un grand rôle, on croit fortifier son opinion en empoisonnant les motifs de ses adversaires, et en les présentant sous un jour odieux. Ceux qui combattent les assignats ne se lassent pas de répéter qu’ils ne sont défendus que par des hommes accablés de dettes, et qui comptent se sauver par ce moyen. On aura, disent-ils, à vil prix beaucoup d’assignats, et on forcera ses créanciers à les prendre. Mais comment les aura-t-on à vil prix ? Quel est le motif qui pourra engager un propriétaire d’assignats à les donner à moitié de leur valeur, lorsqu’il sera toujours le maître de les employer pour leur valeur entière dans l’acquisition des domaines nationaux? Est-ce le besoin absolu du numéraire? Mais ce besoin ne peut engager qu’à l’échange d’un assignat de la plus petite somme. Spéculera-t-on sur des ventes de terres ou de maisons particulières qui s’élèveront à un prix excessif? Mais cette spéculation est-elle probable au moment où trois milliards de biens-fonds de toute espèce présenteront leur concurrence. Vous le voyez, Messieurs, l’injure est ici plus absurde encore que le raisonnement. Le fait est, il faut le dire nettement, que par l’entremise des assignats les biens du clergé seront vendus vite, et seront bien vendus, et que c’est là précisément ce que l’on voudrait empêcher. Il vous a été recommandé de vous méfier de ces inventions par lesquelles on prétend s’affranchir, d’un tour de main, de tous les embarras accumulés par des circonstances inouïes. Sans doute, il faut examiner si ces inventions vous trompent ; si elles vous promettent de vous affranchir, et ne le font pas ; mais assurément ce n’est pas parce qu’une conception est simple, qu’elle est mauvaise. Vous voyez où nous ont conduits les opérations compliquées, vous voyez les résultats de cette sagesse pusillanime, qui, par ses irrésolutions, paralyse tout, et nous menace de mourir dans les angoisses, après nous avoir fait traîner une vie languissante. Une résolution hardie, hasardeuse même, vaudrait mieux que cette longue agonie; du moins le parti que l’on vous propose vous assure une vente avantageuse de vos domaines, qui, sans cela, dépériraient dans vos mains; du moins, il anéantit des engagements exigibles ou prêts à le devenir, et il épargne au peuple l’intérêt de deux milliards trois cents mil- 192 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (24 septembre 1790.] lions outre les sommes de remboursement. Le peuple qui payera cent vingt millions de moins, ne vous accusera certainement pas d’imprudence. Il ne haïra pas ces assignats qui l’auront sauvé. C’est contre cette économie de cent vingt millions d'impôts que viendront se briser tous les efforts de ceux qui repoussent les assignats. Le calcul en est trop simple pour qu’on puisse en imposer à la nation sur ce point. Si vous ne remboursez pas deux milliards trois cents millions que vous devez (et vous ne pouvez les rembourser que par des assignats) il ne vous est pas libre d’en réduire l’intérêt, encore moins de ne pas le payer ni même de le suspendre : et si l’excès de l’impôt légitimait une fois la résistance des contribuables, qui peut nous répondre que même la somme sur laquelle vous avez droit de compter rentrerait au Trésor public ? La confusion, l’anarchie, voilà les fruits inévitables des conseils timides que l’on vous donne. Le courage, Messieurs, est, dans certaines occasions impérieuses, la véritable sagesse ; mais il n’exclut pas la prudence. La sagesse courageuse consiste ici à entreprendre un plan libérateur; la prudence à y ajouter toutes les précautions convenables. Ainsi, tandis que vous ordonnerez le remboursement général en assignats et en quittances de linance, il faut en même temps faire les dispositions nécessaires pour varier les divisions des assignats de manière à les rendre propres à tous les appoints, il faut multiplier les caisses patriotiques pour l’échange des petits assignats contre le monnaie; il faut faire frapper beaucoup de petites pièces, il faut abréger les formalités des ventes; il faut déclarer que si des vues d’utilité publique vous ont engagés à retenir une partie des bois du domaine national, vous en sacrifierez ce qui sera nécessaire à l’acquittement de la dette; enfin, il faut accélérer les liquidations, et surtout ne souffrir aucune émission nouvelle d’assignats pour solder les dépenses. Alors, Messieurs, laissez gronder autour de vous la malveillance et l'impéritie; déployez votre grand caractère et comptez sur la seule récompense des hautes entreprises, le succès et le jugement de la postérité. RÉSUMÉ. Je crois, Messieurs, que la question des assignats a été considérée sous toutes ses faces ; je crois vous avoir prouvé que leurs avantages sont certains, et leurs inconvénients imaginaires; mais je pense que votre sagesse prévoyante et modératrice doit ménager les préjugés, quels qu’ils soient, lorsqu’ils peuvent influer sur le succès d’une opération oe confiance. Il est aisé de faire évanouir ce fantôme de 2 milliards d’assignats qui n’eût jamais été créé par des esprits observateurs. Permettez-moi de vous présenter des bases sur lesquelles il me semble que vous pouvez avec certitude asseoir votre opération. La dette qu’il faudra rembourser est effectivement de 1799 millions; mais vous n’êtes pressés, dans ce premier moment, par aucun des objets qui exigent ou une liquidation ou un apurement de compte, puisque ni l’un ni l’autre ne sont faits; c’est dans cette classe que sont toutes les charges, offices et cautionnements, ainsi que les dîmes inféodées et les rentes constituées par l’ancien clergé. Mais il est de la plus grande importance de ne pas perdre un moment pour faire disparaître tous les effets négociables sur la place, dont le nombre et la variété alimentent l’agiotage, et dont le haut intérêt détourne de l’idée d’acquérir; d’ailleurs, c’est le seul moyen d’écarter pour l’avenir les embarras attachés aux remboursements promis à jour fixe, et d’éviter, dès l’année prochaine, l’imposition pour cet objet, ou l’infidélité à vos engagements. Vous pouvez donc vous borner actuellement à ordonner : 1° Le remboursement immédiat de tous les effets suspendus et échus. . . 107,856,925 liv. 2° Le remboursement de tous les effets à échéance prochaine Qu éloignée ..... .... 562,600,819 3° L’arriéré des départements 120,000,000 Total ..... 790,457,744 liv Je vous propose, d’après ce calcul, de décréter la fabrication d’une somme de 800 millions d’assignats-monnaie sans intérêt, et une somme pareille de quittances de finance, avec intérêt fixe de 3 0/0 et une prime qui ne sera réalisée que dans le cas et au moment de leur emploi à l’acquisition des domaines nationaux. Je propose que les 790 millions ci-dessus soient déclarés remboursables d’ici au 1er janvier 1791, et leur circulation, ainsi que leurs intérêts finis à cette époque ; le remboursement serait fait en assignats ou en quittances de finance, au choix des créanciers porteurs desdits effets. S’il est pris beaucoup plus d’assignats que de quittances de finance dans ce premier remboursement, c’est qu’on aura l’intention de les employer tout de suite à acquérir, ou de les transmettre. Dans ce dernier cas, pour que ceux qui recevront les assignats de leur débiteur ne puissent ,se trouver lésés, je propose qu’ils soient admis à les rapporter à la caisse de l’extraordinaire, et à les échanger contre des quittances de finance. Je ne propose pas qu'il soit réciproquement permis de changer les quittances de finance contre des assignats, pour que le nombre de ces derniers ne puisse pas augmenter d’un jour à l’autre, et pour éviter la multiplication des détails de comptabilité qui résulteraient des fractions d’intérêts. De cette manière, il est vraisemblable que Jes 800 millions d’assignats ne seront pas employés dans la première opération, ou qu’il en rentrera bientôt une partie. Pendant ce temps-là, on travaillera aux liquidations des charges, de cautionnements, de dîmes inféodées; et à la lin de chaque liquidation, après les formalités nécessaires à la sûreté des hypothèques, on procédera sur les mêmes principes au remboursement des objets liquidés, en laissant aux créanciers le choix d’être payés en quittances de linance ou en assignats, et permettant toujours le retour des assignats pour les changer contre des quittances de linance, dont les intérêts ne courront que du jour où elles auront été délivrées, soit en remboursement, soit en échange. En supposant que la moitié de la dette à rembourser le soit en quittances de finance, c’est un sacrifice de 36 millions que vous ferez sur le revenu des domaines nationaux, et ce sacrifice n’est pas à regretter, s’il rassure les esprits. Pendant l’opération, l’état de situation de la caisse de l’extraordinaire serait mis continuellement sous vos yeux; il y rentrera tous les mois par les adjudications, des assignats et des quittances de finance; il est très probable qu’il cq [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLE.UE.N TAIRES. [24 septembre 1790.] J 93 rentrera plus qu’il n’en faudra pour fournir aux remboursements successifs, et alors vous n’auriez jamais besoin de rien ajoutera la première émission de 800 millions. Mais si le contraire arrivait, l’Assemblée nationale sera du moins bien sûre que la somme des assignats n’augmentera jamais sans un nouveau décret, qui lui sera dicté par l’état des affaires et par sa propre expérience. J’ai en conséquence l'honneur de lui proposer le projet de décret suivant : PROJET DE DÉCRET. Art. 1er. La partie de la dette de l’Etat, actuellement exigible ou devant successivement le devenir, consistant dans les différents emprunts à termes ou échus ou à échoir, acquisitions à termes, annuités, et dans l’arriéré des départements, sera liquidée d’ici au 1er janvier 1791, et remboursée en assignats-monnaie ou quittances de finance, au choix des créanciers. Art. 2. Les assignats auront cours de monnaie de l’Etat et ne porteront point intérêt; les quittances de finance ne seront transmissibles que de gré à gré. Elles auront un intérêt fixe de 3 0/0 et une prime de 1 0/0, de laquelle prime il ne sera tenu compte que dans le cas et au moment de leur emploi en acquisition des domaines nationaux. Art. 3. Il sera libre à ceux qui auront reçu de leurs débiteurs un payement en assignats, de venir les échanger à la caisse de l’extraordinaire contre des quittances de finance; mais la caisse de l’extraordinaire, dans aucun cas, ne changera des quittances de finance contre des assignats. Art. 4. L’intérêt de 3 0/0, accordé aux assignats de la première création, cessera au 15 avril, et tous les coupons d’intérêt seront enlevés au moment du payement de la première année. Art. 5. Les assignats anciens et nouveaux, les quittances de finance et l’argent monnayé seront reçus sans distinction en payement des domaines nationaux . Art. 6. La vente et adjudication des domaines nationaux sera ouverte devant le directoire de tous les districts du royaume, le 1er novembre prochain, suivant les formes qui seront déterminées par un règlement et une instruction dont le comité d’aliénation présentera incessamment le projet à l’Assemblée. Art. 7. Il sera procédé sans délai à la liquidation et à l’apurement des comptes de toutes les charges, offices et cautionnements, et à la liquidation des dîmes inféodées, ainsi que de la dette de l’ancien corps du clergé ; et les comités des finances, de judicature, militaire et ecclésiastique, chacun en ce qui le concerne, présenteront à l’Assemblée, dans la quinzaine, un plan définitif de liquidation, ainsi que les moyens d’exécution les plus faciles et les plus prompts. Art. 8. Le comité des finances présentera incessamment à l’Assemblée un projet de décret général pour l’exécution entière et prochaine des présentes dispositions, ainsi que pour la fabrication, émission et distribution de nouveaux assignats et des quittances de finance. Art. 9. Les propriétaires de charges comptables et de cautionnements seront autorisés à transporter sur un immeuble national le prix de leurs charges ou cautionnements, avant l’apurement de leurs comptes. Les titres desdites charges et cautionnements seront reçus pour comptant à la caisse de l’extraordinaire. ire Série. T. XIX. Art. 10. Il sera présenté un plan d’organisation de la caisse de l’extraordinaire, qui la rende propre à tous les détails d’administration dont elle sera chargée en exécution du présent décret. La surveillance des opérations de ladite caisse sera confiée au comité d’aliénation, qui présentera tous les mois à l’Assemblée le résultat desdites opérations et la situation des ventes; et à raison dp cette augmentation de travail, le comité d'aliénation sera augmenté de six membres. Divers membres demandent l’impression du dis" cours de M. de Montesquiou. (L'impression est ordonnée.) M. Regnauld-d’ISpercy. Vous avez chargé votre comité d’agriculture et de commerce de vous rendre compte de l’opinion des diverses places de commerce, sur la question que vous agitez aujourd’hui; je viens vous en rendre compte : non seulement, comme on l’a prétendu, les villes de commerce ne sont point de l’avis des assignats, mais sur trente-trois adresses, vingt-six ont été contre, et sept seulement ont été pour. Les villes qui ont voté en faveur de l’émission sont : Bordeaux, Louviers, Saint-Malo, Lorient, Rennes, Tours et Auxerre; celles qui sont contre sont : Lyon, Nantes, le Havre, la Rochelle, Rouen, Lille, Dunkerque, Niort, Reims, Montmorency, Valenciennes, Angers, Abbeville, Elbeuf, Sedan, Caen, Orléans, Granville, Laval, Saint-Quentin, le Mans, Montpellier, Dieppe, Marseille, Romorantin et le département de la Saône. M. Dubois-Crancé. Je suis porteur du vœu contraire de la plupart des villes que vous venez d’entendre nommer ; je suis prêt à le déposer sur le bureau. M. de Mirabeau. Je demande la parole. {Non! non ! s’écrie-t-on dans la partie droite.) Je suis contraire en fait avec le rapporteur du comité, voilà pourquoi je demande la parole. M. le Président. Je vais consulter l’Assemblée pour savoir si l’on peut interrompre le rapporteur. Plusieurs voix s’élèvent dans la partie gauche : Dites: l'interrompre sur un fait. M. le Président. Gomme un rapport n’est qu’une suite de faits, si l’on interrompt.. . Plusieurs voix s’élèvent : Vous plaidez, Monsieur le Président . M. le Président. Que ceux qui veulent accorder la parole à M. de Mirabeau, pour interrompre M. le rapporteur sur un fait, veulent bien se lever. M. de Mirabeau. Vous avez posé astucieusement la question, Monsieur le Président. (L’Assemblée décide que M. Riquetlide Mirabeau sera écouté.) M. de Mirabeau. Ce que j’ai à dire est si court et si simple, que je regrette que cela ait interrompu M. le rapporteur : je voudrais dire que, si j’avais jamais pu croire que cette question pût être jugée par le poids des autorités et non par celui des raisons, je me serais récrié contre la longue série des villes qu’on vous a citée, pour vous alléguer que je suis porteur d’un grand 13 394 [Assemblée nationale.] ARCHIVES RARLEMEJSTAJRES. [24 septembre 1790. nombre de pétitions de ces mêmes villes, qui sont absolument contraires. Cette contradiction n’est qu'apparente et d’aucune importance, car heureusement ce dissentiment n’est dans ces villes, comme dans l’Assemblée nationale, que celui de la minorité. La majorité cherche toujours à éloigner la contre-révolution ; je dis Ig contre-révolution, car la plus grande importance que nous apportons à la mesure que nous pro-- posons, c’est que nous la croyons faite pour anéantir toute espèce d’espoir de contre-révolu-ti.on. (On applaudit ,) M. d’Aubergeon de Murfnais, On entraîne l’Assemblée par ces applaudissements. M. Duval, ci-devant ’d’Eprémesnil. M, le Président, engagez, M. de Mirabeau à exposer des faits. M. de Mirabeau. Voici le fait que j’aurais exposé plus tôt, si je n’avais été aussi fréquemment interrompu par les murmures. Demain j’apporterai la iiassé des pétitions qui m’ont été adressées de la plus grande partie des villes du royaume ; j’en lirai le dossier à l’Assemblée, et si, contre mou avis, elle donne autant de poids à cette espèce de récolte qu’à, des raisonnements sages et justes, elle verra que, sans exception, il n’est pas une des villes dont vous venez d’entendre les noms, dont nous ne puissions présenter les vœux contradictoires. De deux choses l’une, ou l’on donnera beaucoup, ou l’on donnera trop peu d’importance à ces pétitions. Si l’on attache beaucoup d’importance au nombre des pétitions..,., M. Duval s’écrie : régulières. M-de Mirabeau ..... . je consens à faire rentrer dans la balance celles dont je suis porteur, sans compter Paris, que je m’étonne un peu de n’entendre pas nommer; si au contraire on n’en donne qu’au poids des raisons, alors il ne faut ni s’étonner, ni s’indigner de toutes ces lectures. Je voulais done dire à M. le rapporteur que nous sommes munis de pièces comme lui, et que c’est à raison de ces pièces que nous sommes contraires en faits . M. d’Aubergeon. Je sais qu’à Lyon, que l’on vous dit être pour les assignats, on a mendié et calqué des signatures ; voilà les pétitions dont M. de Mirabeau est porteur. M. Ea Réveillère de Eépentix. Parmi les villes que l’on vous dit être contraires aux assignats, j’ai entendu nommer celle d’Angers. J’ai remis sur le bureau, dans une des dernières séances, une adresse de la municipalité d’Angers, qui, dans les derniers troubles, s’est montrée avec tant d’énergie ;• elle désavoue la première pétition, au bas de laquelle se trouvent cinquante signatures mendiées, et parmi lesquelles l’on ne compte, pour ainsi dire, que des négociants qui ne font pas pour mille écus d’affaires. Les dix-neuf vingtièmes de la ville demandent l’émission des assignats et désavouent cette première adresse, afin que cette ville ne soit pas soupçonnée d’avoir manqué de patriotisme.! M. le Président consulte l’Assemblée, qui dér eide que M. Regnauld-d’Epercy fera le rapport dont il a été chargé par le comité d’agriculture et de commerce. M. ReguauJd-d’Epercy (1). Messieurs, YOUS avez renyoyé à votre comité d’agrjeulture et de commerce l’opinion des négociants de Bordeaux relativement à la nouvelle émission d'assignats qui vous a été proposée. L’opinion et le vœu des autres places sur cette question importante lui ont été successivement adressés, et il vient aujourd’hui vous offrir le résultat de l’e�a? men qu’il a fait de ces différentes pièces. Votre comité a pensé. Messieurs, que si les lumières et les talents réunis dans cette Assemblée peuvent suffire pour jeter le plus grand jour sur un problème aussi difficile à résoudre, il n’en est point peut-être sur lequel il soit aussi indispensable de consulter l’opinion des différentes places de commerce, puisque, dans cette circonstance, surtout, le succès ou la ruine dg vos opérations dépend entièrement de cette opinion. Mais ce qui doit encore augmenter yotre confiance, ce qui doit la justifier, c’est l’identité des principes qui ont dirigé ces diverses opinions, conçues à la fois dans tous les points de l’Empire, adoptées par ceux qui sont les premiers intéressés au succès de vos opérations, exprimées avec cette simplicité qui caractérisé le langage de la persuasion et de la vérité ; ce qui doit augmenter votre confiance, c’est l’impossibilité absolue où les places de commerce ont été de s’entendre et de correspondre entre elles; c’est la certitude que l’esprit de partis n’a pu avoir part à leurs délibérations ; c’est l’expression louchante de leur patriotisme et du dévouement respectueux qu’elles ont pour la sagesse de vos décrets. Op vpus a dit, Messieurs, qu’elles n’étaient point d’accord entre elles ; on vous a dit aussi que la majorité de leurs opinions était en faveur des assignats. L’une et l’autre assertion est également fausse, Il serait difficile de trouver une identité de principes plus marquée, que celle qu’on aperçoit d’abord dans toutes les adresses qui vous sont parvenues ; dans toutes, le développement des motifs est presque le même, et, lorsqu’on remarque quelques différences, elles tiennent à des lopalités qui ne peuyent pas se ressembler, où à dep conséquences éloignées tirées des mêoms principes. Vous vous convaincrez aussi, Messieurs, si vous daignez prêter quelque attention au rapport de votre comité, que non seulement la majorité des opinions du commerce n’est, point, favorable à une nouvelle émission d’assignats, mais encore que la presque totalité y est directement opposée. Eu effet, Messieurs, votre comité a reçu trente-trois adresses de places de commerce, dont sept Semblent favorables à l’émission des assignats et vingbsix lui sont contraires (2), Les sept premières sont : Bordeaux, Louviers, Saint-Malo, Lorient, Rennes, Tours et Auxerpe, Les vingt-six places qui émettent un vœu contraire, sont: Lyon, Nantes, le Havre, la Rochelle, Marseille, Rouen, Lille, Valenciennes, Amiens, Abbeville, Elbeuf, Reims, Sedan, Granville, Caen, Orléans, Laval, Saint-Quentin, Angers, Troyes, le Mans et Montpellier. Votre comité vous offrira d’abord lep observa-(1) Ce rapport n’a pas été inséré au Moniteur. (21 Depuis la rédaction de ce rapport, Louviers, qui d’abord n’avait point émis de vœu positif, s’est décidé formellement contre le prpjet d’émission d’assignats ; il en sera rendu compte ci-après.