15 mars 1791. [ 673 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. partement, ordonnée par l’article 21 delà seconde section du décret eu 22 décembre 1789, aura lieu sans aucune convocation : l’époque de cette session ne pourra être ni retardée ni avancée, à moins que, d’après une nécessité reconnue par la majorité des membres du conseil, et sur une pétition qu’ils auraient adressée au roi, le roi n’en eût accordé la permission. Dans le cas où l’époque du rassemblement serait avancée, les directoires de département le notifieraient aux directoires de district, afin que l’infervalle prescrit, entre la tenue des conseils de district et celle de département, soit toujours observée. » M. de Mirabeau. Je demande, avant de statuer sur cet article, que M. le rapporteur nous fasse également lecture de l’article 17 et de l’article additionnel qu’il propose. M. S&émeunier, rapporteur. Voici l’article 17 : Art. 17. « Les conseils de département ne pourront ni discontinuer leurs séances, ni s’ajourner qu’aux époques fixées par la loi, à moins que la nécessité des circonstances n’ait, sur leur demande, déterminé le roi à autoriser cette discontinuation ou cet ajournement. » Voici maintenant l’article additionnel qui deviendrait l’article 18 : Art. 18 (nouveau). « Néanmoins, dans le cas où la sûreté intérieure d’un département serait troublée au point qu'il fût nécessaire de faire agir la force publi-ue de tout le département, le président du irectoire sera tenu de convoquer le conseil, et, à défaut de convocation, le conseil sera tenu de se rassembler, mais toujours en donnant sur-le-champ avis de ce rassemblement extraordinaire à la législature, si elle est réunie, ainsi qu’au pouvoir exécutif -, le conseil ne pourra alors s’occuper que des moyens de rétablir l’ordre, et il se séparera aussitôt que la tranquillité ne sera plus troublée. » (Les articles 16, 17 et 18 nouveau sont décrétés.) M. Oémennier, rapporteur , donne lecture de l’article 18 du projet de décret. M. Pétion de Villeneuve. Au lieu de dire tout simplement que les conseils de département seront tenus d’adresser le procès-verbal de leur session, je voudrais que l’article portât qu’ils seront tenus d’adresser chaque année au roi deux expéditions du procès-verbal de leur session, dont l’une serait déposée aux archives de l’Assemblée nationale. M. Déiueunier, rapporteur. J’adopte l’amendement et je propose la rédaction suivante : Art. 19. {Art. 18 du projet.) « Les conseils de département seront tenus de faire adresser au roi, chaque année, et dans la quinzaine après la clôture, deux expéditions du procès-verbal de leur session, dont l’une sera déposée aux archives de l’Assemblée nationale. » {Adopté.) M. Démeunier, rapporteur , donne lecture des articles 19, 22 et 23 du projet de décret, et dit : Lorsqu’une administration de département aura lro Série, T. XXIII. prononcé sur des discussions relatives ou à la formation d’une assemblée ou aux conditions d’éligibilité, ou enfin aux divers cas désignés dans l’article 19 et dans l’article 22, nous avons pensé que l’on pourrait en appeler au directoire d’un département voisin. Il y a lieu de croire qu’on profitera rarement de cette faculté; mais il est conforme à vos décrets, il nous a paru conforme à la raison d’établir deux degrés pour ceux qui voudraient en profiter. Alors, à l’article 22, il faudrait ajouter ces mots, qui ont été omis : « La partie qui croira pouvoir réclamer contre la décision en appellera à l’une des administrations des trois départements, dont les chefs-lieux seront les plus voisins, laquelle prononcera en dernier ressort. » M. de Mirabeau. Certainement vous avez levé une partie des objections en établissant une voie d'appel. Il est impossible, en matière d’éligibilité, de s’en passer; mais je voudrais encore : 1° qu’on distinguât l’éligibilité pour les corps administratifs et l’éligibilité pour les corps judiciaires; 2° qu’il y eût une loi sur l’appel des décisions de l’éligibilité pour les corps judiciaires : ainsi je proposerais que les corps électoraux, dans leur première session, jugeassent de ces sortes d’appel. {Murmures.) Observez que ie ne fais que substituer le mot électoral à celui de directoire. M. Regnaiidfde Saint-Jean-d'Angêly). Il faut nécessairement que le pouvoir exécutif puisse refuser la commission au sujet dont l’élection à la place de juge sera contestée. Je crois que, pour toutes les autres é!eclions, les contestations doivent d’abord être portées au directoire de département, de là au département voisin qui donnera son avis; enfin, en dernier ressort, au tribunal de cassation. M. Lanjulnais. Vous avez déjà décrété que les assemblées primaires et les assemblé -s électorales jug raient des contestations qui pourraient s’élever dans leur sein; l’appel sera porté au département. Il ne faut donc pas permettre d’interjeter un troisième appel, qui embarrasserait la marche des élections. M. Chapelier. Je pense qu’en matière d’élection on ne peut pas aller aussi soudainement, de manière qu’un directoire de département puisse être maître absolu des élections. Je crois même qu’il y a une distinction remarquable à faire à ce sujet. II peut y avoir, sur les élections, deux manières de les attaquer. La première, parce que l’Assemblée a été tenue irrégulièrement, et que l’élection ne s’est pas faite suivant la forme prescrite par la Constitution. Celte question-là est une pure question d’administration et qui doit être jugée par le directoire de département. L’autre partie de la distinction est celle-ci. Lorsqu’il est question des difficultés ordinaires à l’occasion des élections, ce sont de véritables questions d’Etat. Elles portent sur la faculté d’être ou de n’ôtre pas éligible. Or, ce n’est pas là du tout une affaire d’administration, c’est une question d’Etat, un droit de citoyen qu’il faut faire juger par les tribunaux. Il n’y a qu’eux qui puisseut juger cela dans les cas spécifiés par vos lois. {Applaudissements.) 43 674 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 mars 1791.] Je demande donc que cette distinction soit établie par cet article; et je fais observer ensuite, sur le recours au pouvoir exécutif, qu'il faut être, surtout en matière d’élection, extrêmement sobre sur ce recours ; car si le pouvoir exécutif pouvait une fois, sous un prétexte quelconque, annuler des élections, s’en emparer, écarter à son gré ceux qui auraient été élus et conserver les autres, il est certain que cela attaquerait les bases de notre liberté publique, et que la Constitution serait perdue. M. Thouret. Je soutiens que dans aucun cas une question de qualité ou de capacité, f our être représentant de la nation ou pour être administrateur, ne peut être portée dans un tribunal. Si on portait ces questions-là devant un tribunal, on rendrait donc les corps judiciaires arbitres, en dernière analyse, des droits politiques des citoyens ; car il ne faut porter dans les tribunaux que ce qui concerne les droits civils des citoyens, relativement à leurs possessions, relativement à leurs propriétés ; mais, quand on rentre dans la grande sphère du corps politique, il ne faut jamais qu’ils s’en mêlent. Il faut renvoyer la décision à des corps qui sont dans la ligne de la juridiction et des pouvoirs politiques. Je conclus donc que l’Assemblée veuille bien renvoyer les articles au comité pour être rapportés demain et rédigés dans cet esprit. M. Robespierre. C’est un principe incontestable que les droits politiques des citoyens, et par conséquent les droits de la naiion, ne peuvent point êtr-1 soumis ni au pouvoir exécutif, ni au pouvoir administi atif, parce que si l’un ou l’autre avait droit de prononcer sur le droit politique d’un citoyen et, par une conséquence nécessaire, sur la souveraineté du peuple, il s’ensuivrait u’il dépendrait de ces corps d’attaquer les droits u peuple dans leurs principes et la Constitution dans ses fondements. 11 faut bien se garder, Messieurs, de confondre le pouvoir des corps administratifs avec le pouvoir du Corps législatif. Les corps administratifs ne sont pas les représentants du peuple, ils ne sont que ses délégués ; ils ne peuvent juger des qualités polis iques et individuelles de chaque citoyen. Ils ne peuvent que prévenir le vœu du peuple. Le Corps législatif au contraire doit juger des qualités politiques et individuelles, parce que ce sont là les véritables intérêts du peuple. Je conclus de cela que lorsqu’il s’élève une contestation sur le droit qu’a un citoyen de paraître à une assemblée primaire ou électorale, le sort de ce citoyen ne peut être soumis ui au pouvoir exécutif, ni au pouvoir judiciaire, ni au pouvoir administratif, mais que la contestation doit être décidée d’abord par la majorité des citoyens qui composent l'Assemblée, et qu’elle doit être exécutée provisoirement, sauf ensuite le recours au corps des représentants de la nation, au Corps législatif. M. Rriois - Reaumetz. La théorie des principes qui vient d’être développée par le préopinant me paraît la seule qui soit dans la rigueur des principes. Cependant j’avoue qu’il me paraît difticile de ramener ce principe à son application et de faire le Corps législatif juge de toutes les questions del'iUégihilité personnelle qui peut s’appliquer à chaque citoyen. Ces contestations consumeraient un temps précieux au détriment de la chose publique. Or, il me semble que dans l’embarras de donner celte attribu - tion à un corps politique quelconque, je crois qu’il y a moins de danger de la donner aux corps judiciaires. Le pouvoir judiciaire est absolument indépendant du pouvoir exécutif, qui n’a nulle force pour reformer les jugements du pouvoir judiciaire; et si ces jugements, lorsqu’ils sont dm ctement contraires à la loi, peuvent subir une cassation, il n’est pas moins vrai que le pouvoir exécutif ne peut jamais le réformer ni substituer un jugement qui! improuve. C’est donc cette indépendance dn corps judiciaire qui me ferait préférer de leur remettre le jugement des droits pohliques du citoyen. Et, après tout, ces droits politiques ne sont-ils pas la propriété la plus précieuse des citoyens? Ne sont-il-pas sa première propriété? Et à quoi sont destinés les corps judiciaires, si ce n’est pour être les juges de nos propriétés? Je leur remettrai donc en dernière analyse le jugement de cette i Toprieté personnelle. Je conclus donc à ce que les articles soient renvoyés au comité de Constitution pour être amendés, et particulièrement dans le sens de M. Le Chapelier, pour les contestations personnelles. M. d’André. La proposition la plus conforme aux principes est celle qui donne l’attribution an Corps legislatif; mais l’exécution m'en paraît impossible. Il faudrait qu’un citoyen auquel on ferait quelque difficulté attendit cinq ou six mois la solution du Corps législatif, et cej eudant il resterait privé de ses droits; il reste donc à statuer entr.' deux questions, l’attribution aux corps administratifs et aux tribunaux. Comme c’est purement sur une question d’Etat qu’il s’agit de statuer, que c’est évidemment un procès qu’on fait au citoyen qu'on attaque, il doit être porté aux tribunaux. Je suppose qu’on conteste l’éligibilité à un citoyen, soit parce qu'on prétend qu’il a fait faillite, soit parce qu’étant fils de famille il n’a pas payé les dettes de son père, je demande comment porter cette cause aux corps administratifs. L’âge, le domicile, la va'eur de telle ou telle personne, tout cela est vraiment de la compétence des tribunaux, et eux seuls peuvent en être juges. M. Ruzot. Les opinions se sont partagées en deux systèmes nouveaux, et cependant tous ont été d’accord avec M. Robespierre sur les principes auxquels il est remonté pour appuyer son avis. Ils n’ont différé qu’à cause des difficultés de l’exécution. Moi, je n’aperçois ià aucune difficulté et n’aperçois ailleurs que dangers pour la Constitution et la liberté. Les administrateurs ne sont que les délégués du peuple et n’ont pour fonctions que ce qui regarde le percepteur des deniers publics et la surveillance générale sur leur arrondissement. Le droit politique des citoyens ne peut, sans danger, être soumis à leur jugement, parce que les contestations politiques ne peuvent être de leur ressort. Des tribunaux offriraient encore plus d’inconvénients, s’ils avaient droit de prononcer sur les droits les plus essentiels du peuple. Ils sont établis pour décider sur les droits civils, et s’ils passaient outre, ce serait une prévarication punissable. D’ailleurs les jugements de ceux qui doivent prononcer sur le droit d’éligibilité doivent être à l’abri de toute influence étrangère, et (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 mars 1791.] je ce trouve de véritable sûreté pour les citoyens qui réclament un droit contesié, aussi cher, étant bon citoyen, que celui d’éligibilité, dans les décisions du seul corps qui a droit de prononcer. Le droit de citoyen est un droit commun et public, et les tribunaux et les corps administratifs n’ont qu’une délégation particulière, et il ne faut donc pasleur attribuer cetteétendueimmense de pouvoir qui ne peut leur appartenir. Il n’est pas à craindre que, dans la suite, les contestations soient aussi fréquentes qu’on se l’imagine. Il ne s’agit ici que do balancer les avantages et tes inconvénients des divers systèmes que l’on propose, et choisir avec prudence ce qui est le plus avantageux au peuple et à ses droits. Je demande la priorité pour l’opinion de M. Robespierre ou 1 ajournement à demain. M. Démeunier, rapporteur. Si l’Assemblée veut ajourner à demain la discussion, je ne demande pas la parole. M. Tronchet. Cette question se réduit à une réflexion fort simple, et que je vais avoir l’honneur de vous proposer. Il est sans doute incontestable que, pour être représentant du peuple, il faut avoir le vœu du peunle ; mais on n’a point le vœu du peuple lorsque l’on n’a point été élu régulièrement, soit parce que l’élection pèche en la forme, soit parce qu’elle est contraire à la loi, qui a exigé telles conditions pour que le peuple puisse vous donner son vœu. Or, toutes les fois qu’il est question de déclarer si, conformément à la loi, j’ai ou je n’ai pas eu le vœu du peunle, il me semble qu’il n’y a que celui qui, par la Constitution même, est chargé de faire l’application de la loi qui puisse prononcer sur cette question Pour cette raison, j’insiste dès à présent pour que, en renvoyant l’article pour être rédigé, il soit déclaré, comme principe, que ce seront les tribunaux judiciaires qui recevront l’appel du premier jugement rendu par le corps électoral. M. Rewhell . Vous rétablirez l’ancien despotisme des tribunaux judiciaires, aussitôt que vous ne les renfermerez pas à ne juger que les différends des particuliers : alors l’intérêt général ne peut jamais être compromis. Il faut restreindre les tribunaux aux intérêts purement privés. Ainsi, Messieurs, l’amendement de M. Tronchet serait le plus dangereux de tous les amendements, il est contraire a ce que vous avez décrété. M. de Mirabeau. Toutes les fois qu’on nous parle, nous voyons toujours ces grands spectres, qui, grâce à Dieu, ne sont plus que des spectres: les parlements, les tribunaux, les bailliages. Eh! Messieurs, les tribunaux d’autrefois n’étaient composés que des commis inamovibles du pouvoir exécutif, et certes, si c’était encore là nos tribunaux, nos teneurs seraient infiniment justes. Mais aujou d’hui ce sera au contraire les délégués amovibles du peuple; et certes, entre les délégués inamovibles dn pouvoir exécutif et les délégués amovibles du peuple, il y a une très grande diffère ce. Ou oublie toujours que le pouvoir judiciaire, étant une émanation du peuple, est aussi pur que l’émanation du pouvoir administratif. Quoi qu’il en soit, il y a au moins une cho-e dont nous sommes obligés de convenir dans la discussion du moment, c’est que, dans tous les systèmes, nous nous écartons jusqu’à un certain point des principes dans l’application. 675 Quoique nous trouvions après un mûr examen (car j’avoue que ia question que nous traitons depuis ce matin est une des plus importantes, est une des plus grandes questions politiques que nous ayons eu encore à traiter) que nous ferions infiniment mieux de suspendre, le comité trouvera, du moins je le crois, que dans l’ajournement à demain il y a plus de zèle que de réflexion. Je demande l’ajournement avec les préopinants; mais ce n’est pas une nouvelle rédaciion que je demande, c’est un éclaircissement de théorie, et que le comité nous représente les articles 19, 22 et 23, sous la forme et dans le mode qu’il aura trouvé le meilleur. (La discussion est fermée.) (L’Assemblée décrète le renvoi des articles 19, 22 el 23 au comité et l’ajournement, ainsi que l’impression des nouveaux articles que le comité de Constitution présentera, d’après les développements qui ont été donnés dans l’Assemblée et les observations qui ont été faites.) M. le Président annonce l’ordre du jour des séances de ce soir et de demain. L’Assemblée décrète ensuite qu’il y aura une séance extraordinaire lundi soir pour entendre la continuation du rapport du comité militaire sur les engagements et dégagements. M. le Président. La parole est à M. de Montesquieu pour faire un rapport , au nom du comité des finances , sur la demande faite par la municipalité de Paris d'une avance de fonds. M. de Montesquiou, au nom du comité des finances. Messieurs, la ville de Paris a présenté à l’Assemblée nationale l’état de ses besoins. Avant d’en faire le rapport, le comité des tioances a demandé l’avis du département, ainsi que toutes les pièces et renseignements qui pouvaient servir à éclairer la détermination de l’Assemblée. C’est après les avoir examinés que nous vous en apportons le résultat. Il s’agit de disposer des deniers publics; il s’agit de le3 appliquer à des objets auxquels, dans l’ordre ordinaire des choses, ils n-> doivent pas être destinés : c’est donc jusqu’à l’évidence qu’il faut démontrer la justice ou la nécessité d’un pan il emploi. Paris a été le berceau de la Révolution. C'est là que le despotisme avait ses forteresses, ses arsenaux, son code, sa magnificence ; du centre de sa force et de ses séductions est parti le signal qui, à la fois, a été entendu et répété d’une extrémité du royaume à l’autre. Paris, à cette époque, avait une fortune particulière, suffisante à ses besoins; au milieu de la déprédation générale, ses revenus avaient été administrés avec assez de sagesse pour suffire à tous ses engagements, et même pour qu’il pût destiner une réserve annuelle à sa future libération. Le 13 juillet 1789, jour célèbre dans notre histoire, au moment où les électeurs prirent possession de la maison commune, ils y trouvèrent en caisse 2,854 676 livres et peut-être devons-nous à cette faible ressource le succès des grandes choses qui se sont opérées depuis. Dans ce moment critique, les calculs de l’économie n’étaient plus de saison. La nécessité des circonstances les plus impérieuses devint tout à coup la seule mesure des efforts de tout genre. Armer et nourrir un peuple immense, protéger les amis de la Révolution, surveiller ou combattre ses ennemis, former, en un instant, le plus vaste plan de défense, voilà qutdle fut la