[Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [â avril 1790.) 519 M. le marquis de Mont-d’Or, député de Lyon, demande un congé de six semaines pour raison de santé. Ce congé est accordé. M. le Président annonce que l'ordre du jour ramène la discussion sur le privilège de la compagnie des Indes. M. l’abbé Bérardier, grand maître du collège Louis-le-Grand. Vons vous étonnez, sans doute, que je vienne traiter une question qui paraît opposée à mon ministère. Tout ce que je dirai résulte des liaisons que j’ai eues, non avec des gens intéressés, mais avec des officiers qui ont longtemps servi dans l’Inde, et qui sont instruits de tous les détails du commerce de l’Europe avec l’Asie. — Il est démontré que la perte totale de ce commerce serait la suite de la destruction de la compagnie des Indes. L’Angleterre, malgré des impôts énormes sur toutes les marchandises indiennes, n’a pu réussir à prohiber chez elle ces marchandises. Pour nous, il est impossible que nous nous en passions ; ce commerce est lié à nos mœurs et aux besoins que nous nous sommes faits. La compagnie créée par Colbert dans les temps brillants de la France et sous les plus heureux auspices, a été l’objet de la jalousie de toutes les nations. De l’aveu même des Anglais, si nous n’avions pas rappelé MM. Du�Ieix et de Labour-donnaye, nous serions devenus les souverains du commerce de l’Inde. En 1769, lia compagnie des Indes fut presque détruite ; mais ce n’est point à la faiblesse de ses moyens qu’on doit imputer ce moment de détresse, puisque le gouvernement lui devait alors 70 millions. Les spéculations des économistes furent les seules causes de sa chute ; la suspension de son privilège dura 15 ans. Le gouvernement s’aperçut que le commerce perdait considérablement à cette suspension, et que le numéraire allait s’engloutir dans l’Inde; il fut forcé de rétablir la compagnie par des raisons politiques et pour éviter la ruine des particuliers qui avaient entrepris ce commerce. On vous a dit que, sous le règne de la liberté, il ne devait pas exister de privilèges : sans doute, il ne doit pas exister de ces privilèges humiliants qui dégradent l’homme; mais il en est de nécessaires, il en est qu’on doit respecter, puisqu’ils sont fondés sur l’utilité publique. La poste aux lettres, par exemple, ne peut exister que par un privilège. Le privilège de la compagnie' n’en est pas un, puisque chaque particulier peut y participer par le moyen des actions. Une compagnie peut seule rétablir la gloire de la France dans l’Inde ; il serait ignominieux de renoncer à la puissance que nous y avons eue : nous y avons des amis puissants ; nous pouvons compter sur leur secours; le roi de Cochinchine est disposé en notre faveur. — M. l’abbé Bérardier entre dans des détails sur la difficulté de faire le commerce de l’Inde sans compagnie, et conclut: 1° à ce que le privilège dure jusqu'en 1792, époque de son extinction; 2° à ce qu’il soit nommé quatre commissaires pour surveiller les opérations de la compagnie des Indes et en faire le rapport. M. Paul Nairac. Il serait absurde de combattre plus longtemps le privilège de la compagnie des Indes ; il est repoussé par vos principes, il est proscrit par l’opinion publique ; traduit en 1769 devant le parlement de Paris, les faits ont été examinés, les raisons discutées, et la question solennellement jugée* On n’a pas assez dit, dans l’inutile discussion qui vient de s’ouvrir, combien le régime de la compagnie est oppressif, combien il a été nuisible à la France, à laquelle, depuis 1785, il a coûté plus de 15 millions. Laissez M. l’abbé Maury prophétiser des malheurs imaginaires, ne partagez pas ces vaines terreurs; rendez le commerce libre, et vous le verrez s’élever tout à coup à 80 millions. On a voulu vous effrayer en établissant qu’il faisait sortir le numéraire. Le commerce ne se fait point avec des écus, ne se fait point avec des louis, mais avec des piastres que nous recevons de l’Espagne pour des marchandises, et qui deviennent elles-mêmes une marchandise. Ce commerce d'ailleurs peut se faire par échange. J’ai moi-même fait un armement de plus d’un million en étoffes françaises... Le commerce de l’Inde vous est absolument nécessaire ; nos manufactures ne peuvent suffire à notre luxe ; jamais nos colonies ne nous procureront assez de matières premières... Il faut que le commerce dure en France autant que chez les autres nations, autrement nous deviendrions leurs tributaires... Plus instruit et de meilleure foi que M. l’abbé Maury, je ne chercherai nas à vous surprendre. Lorsque le commerce de l’Inde était libre, les manufactures ne se plaignaient pas; les négociants se plaignent auiourd’hui. M. l’abbé Maury en sait-il plus qu’eux 2 Ils réclament avec ardeur la liberté du commerce, et M. l’abbé Maury semble s’armer de leur propre intérêt pour attaquer la liberté... La nation ne peut perdre lorsque le négociant gagne.... Laissez faire librement Je commerce de l’Inde, vous en verrez les effets . Je conclus à ce que l’avis du comité soit adopté. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre (1). Messieurs, c’est une grande et importante question que celle qui vous est soumise ; la solution doit poser sur des principes, mais des faits et des considérations doivent fixer le moment où cette décision sera portée. Votre comité d’agriculture et de commerce vous propose d’annuler, dès ce moment, le privilège exclusif de la compagnie des Indes : il a parcouru toutes les pièces de ce grand procès; toutes les raisons des actionnaires lui ont paru suffisamment détruites, par les attaques du commerce libre ; il ne voit plus de difficultés; il prononce et vous invite à prononcer d’après cet examen rapide. J’avoue que je suis loin d’apercevoir la question sous un point de vue aussi simple que votre comité de commerce. Un examen approfondi de par tous les moyens d’attaque et de défense produits pas les deux partis et la lecture attentive de toutes les pièces que j’ai pu me procurer, ne m’ont pas encore amené au point d’adopter avec confiance une décision définitive. Où votre comité ne voit qu’un principe impérieux, je crains d’apercevoir des exceptions commandées ; où il trouve des réponses satisfaisantes et des faits éclaircis, j’ai peur de ne voir que de nombreuses difficultés et des faits à éclaircir. J’avoue que je rougirais de mon ignorance, si je ne me rappelais que le Parlement d’Angleterre s’est livré, pendant plusieurs mois, à la discussion la plus approfondie, et à l’audition d’un grand nombre de témoins et de personnes instruites, avant de prononcer sur une question semblable à celle où l’on vous invitait, hier matin, à aller aux voix, (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discourt de m. le comte de Clermont-Tonnerre,