460 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 119 août 1789.] [Assemblée nationale.] de la province d’Alsace, à raison de la publication d’une lettre écrite par un député sur les événements mémorables de la nuit du 4 août, il s’est élevé quelques débats, pour savoir si l’on ferait la lecture des pièces qui avaient donné lieu à la réclamation. M. le vicomte de Mirabeau, MM. les évêques de Langres et de Saintes, demandent cette lecture ; mais l’Assemblée, après avoir entendu M. Lavie qui a rendu compte des faits, déclare qu’il n’y a lieu à délibérer. Le rapport des affaires particulières étant terminé, M. le comte de Mirabeau fait une motion tendant à ranimer le crédit national. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, il n’est sans doute aucun de nous qui ne sente l’importance du crédit national, et qui ne prévoie combien il sera nécessaire d’en faire usage, pour remplir les engagements que nous avons déclarés inviolables. Nous devions espérer que les revenus publics resteraient du moins ce qu’ils étaient jusqu’au moment où vous les remplaceriez par des contributions plus sagement assises et plus équitablement réparties. Mais, dans le trouble et l’anarchie où les ennemis de cette Assemblée ont plongé le royaume, des perceptions importantes ont disparu, et il est devenu tous les jours plus difficile de pourvoir aux dépenses que nécessitent les besoins de l’Etat. Ce malheur ne les rend ni moins urgentes ni moins considérables. Au contraire, en même temps que de nouveaux déficits se forment, il est chaque jour plus important de se précautionner contre l’anarchie. Nous devons craindre surtout d’exposer le royaume au désespoir qui résulterait d’une longue cessation de payements que fournit le revenu public. La chaîne de ceux qui subsistent par la circulation de ces payements est immense. On y rencontre sans doute des hommes assez riches pour supporter de grandes privations ; mais ces riches sont des agents de la circulation, et si elle s’arrêtait dans leurs mains, la pénurie atteindrait une foule d’individus qui ne peuvent être privés de rien sans sacrifier de leur .plus étroit nécessaire. A ceux-ci se joindrait cette masse d’hommes que la cessation des salaires ou des rentes qu’ils reçoivent immédiatement du Trésor public jetterait aussi dans la misère. Et qui peut calculer les effets d’une telle suspension, dans le moment où tous les citoyens attendent avec inquiétude un meilleur régime, mais où rien encore n’est remplacé ? Cependant nous ne pouvons pas rétablir soudainement les finances. La sagesse et la maturité doivent présider à cet important ouvrage. Quelle est donc la ressource de l’Etat dans des circonstances aussi critiques ? Le crédit national ; et certes, Messieurs, il devrait n’être pas difficile de l’établir. Le royaume reste encore le même. L’ennemi ne l’a pas dévasté. Les pertes que nous avons faites sont calculables. En considérant la nation comme un débiteur, elle est toujours riche et puissante ; elle est loin d'avoir reçu aucun échec qui puisse la rendre insolvable. Que la concorde se rétablisse, et le numéraire caché, de quelque manière que ce soit, reparaîtra bientôt, et les moyens de prospérité reprendront une activité nouvelle, une activité augmentée de toute l’influence de la liberté. 11 est donc nécessaire, il est donc urgent de nous occuper du crédit. Heureusement ce n’est pas une œuvre compliquée. Il suffit de connaître les causes qui le suspendent. Il suffit, du moins en ce moment, de se pénétrer du besoin de les faire cesser; et bientôt le crédit renaîtra ; bientôt il nous fournira les moyens d’attendre paisiblement que le revenu public suffise à toutes les dépenses. Ces considérations m’ont fait un devoir, Messieurs, de vous parler aujourd’hui de l’emprunt que vous avez décrété. Jusqu’à présent on y porte peu d’argent. N’attendons pas qu’on vienne nous dire qu’il ne se remplit point. Apercevons de nous-mêmes que, sans un changement favorable au crédit, cet emprunt ne sera pas réalisé avant que de nouveaux besoins d’emprunter arrivent, et nous trouvent dans les mêmes perplexités. Laissons là les vaines déclamations contre les financiers, les gens d’affaires, les banquiers, les capitalistes. A quoi serviraient les plaintes qui s’élèveraient contre eux dans cette Assemblée, si ce n’est à augmenter les alarmes ? Quand il ne serait pas souverainement injuste de revenir sur des contrats revêtus de toutes les sanctions, qui depuis deux siècles obtiennent notre obéissance, chercherons-nous à travers des mutations journalières le créancier que nous voudrions trouver trop riche de nos prodigalités? Si nous le trouvions, qui de nous oserait le punir de n’avoir pas repoussé des gains séduisants et offerts par des ministres restés impunis! Mais si les difficultés d’une aussi odieuse recherche nous la rendent impossible, frapperons-nous en aveugles sur les propriétaires d’une dette respectable sous tous ses aspects? Car vous n’avez pas oublié, Messieurs, que c’est la fidélité du Roi envers les créanciers de l’Etat qui nous a conduits à la liberté, et que si, écoutant les murmures dont je parle, il eût voulu se constituer débiteur infidèle, il n’était pas besoin qu’il nous délivrât de nos fers ? Loin donc d’inquiéter les citoyens par des opinions que uous avons solennellement flétries, appliquons-nous à maintenir sans cesse sur la dette publique une sécurité sans laquelle les difficultés deviendront enfin insurmontables. Nous avons voulu déterminer l’intérêt de notre emprunt; nous nous sommes trompés. Le ministre des finances ne pouvait pas lui-même le fixer avec aucune certitude. Il comptait sur un mouvement patriotique; son opinion nous a entraînés. Mais lorsque des mesures sont indispensables, faut-il faire dépendre leur succès d’un sentiment généreux? Ce sentiment ne pouvait agir que par une entière confiance dans l’Assemblée nationale. Mais tout en méritant cette confiance par nos intentions et par notre dévouement sans bornes à la chose publique, ne lui avons-nous donné aucune atteinte involontaire? On s’éclairera de plus en plus sans doute sur les circonstances qui ont hâté vos arrêtés du 4 de ce mois, et avec le temps vous n’aurez pas même besoin d’apologie : il n’en est pas moins vrai que si ces arrêtés eussent paru lentement, si les discussions qui les ont suivis les eussent précédés, il n’en serait résulté aucune inquiétude sur les propriétés. Certainement elles n’ont reçu aucune atteinte; mais, pour reconnaître cette vérité, il faut que l’on s’accoutume à distinguer ce qui appartient à la nation d’avec ce qui appartient aux individus, et ces abstractions ont à lutter contre l’habitude. Je vous ai dit, Messieurs, que nous avions voulu contre la force des choses fixer l’intérêt de l’emprunt. Cette fixation n’a pas été seule- j Assemblé'1 nationale.] ARCHIVES PA RLEMENTA1RES. [20 août 1789.] 461 ment intempestive; elle a produit un autre mal. Nous avions mis la dette publique sous la sauvegarde de l’honneur et de la loyauté nationale, et en fixant l’intérêt de notre emprunt à quatre et demi pour cent, sans égard au prix actuel des effets royaux, lequel rapporte un intérêt beaucoup plus considérable, il a paru que nous voulions établir une différence entre la dette contractée et celle que nous résolvions de contracter. Nous avons semblé dire que l’une nous sera plus sacrée que l’autre : contradiction malheureuse ! Elle était loin de notre intention. Mais la défiance raisonne peu, et les formes de cet emprunt ont ainsi donné des alarmes sur la dette publique, tandis qu’il devait être considéré comme un moyen d’en assurer le remboursement. Peusé-je donc que nous devions décréter un emprunt à un iutérêt égal à celui que rend le prix actuel des fonds publics? Non, Messieurs; mais, en autorisant l’emprunt, nous devions laisser au ministre, dont les intentions ne sont pas suspectes, le soin d’en régler les conditions selon l’exigence des conjonctures. Tout ce que je viens d’avoir l’honneur de vous exposer est très-simple, et vous y auriez pourvu si nous avions en général plus de temps pour nous consulter sur les questions importantes, si nos délibérations étaient plus tranquilles, si, ne pouvant rien sans la réflexion, on nous laissait plus de moyens pour réfléchir. Je ne saurais trop le répéter, Messieurs : le respect pour la foi publique est notre sauvegarde, et le crédit national est dans ce moment l’unique moyen de remplir les devoirs qu’elle nous impose. Quand, par impossible, nous voudrions suivre la détestable maxime qu’il n’est point de morale en politique, avons-nous dans les mains une force publique qui se chargeât de contenir la juste indignation des citoyens? Nous ne pouvons compter ni sur le crédit du Roi, ni sur celui du ministre des finances. Quand tout est remis par le roi, par ses serviteurs, par la force des événements, dans la main de l’Assemblée nationale, est-il possible de pourvoir à la chose publique par un autre crédit que celui de la nation? Et si les volontés ne se réunissent pas dans l’Assemblée nationale, où se formera le crédit public? A quel état de confusion ne marcherons-nous pas? Je propose donc d’arrêter que l’Assemblée nationale, persévérant invariablement dans l’intention la plus entière de maintenir la foi publique, et considérant la nécessité urgente des fonds de l’emprunt décrété le 9- août, à l’intérêt de quatre et demi pour cent, autorise Sa Majesté à employer les moyens que la situation des affaires et les besoins impérieux du moment lui paraîtront exiger, pour assurer à l’emprunt un succès plus prompt, lors même que ces moyens apporteraient quelques modifications à l’article 4 de l’arrêté du 9 août. La publicité de cet arrêté suffira pour dissiper les fausses craintes que des fatalités imprévues ont fait naître , et les personnes qui dépendent du maintien de la foi publique sentiront de plus en plus qu’il est de leur intérêt de seconder les intérêts de l’Assemblée nationale, puisqu’elles tendent au rétablissement de l’ordre public, sans lequel les mesures les plus sages ne peuvent avoir aucun succès . La motion de M. le comte de Mirabeau est mise sur le bureau. — Quelques membres représentent qu’il n’y a pas encore assez de temps écoulé pour que les ordres aient pu parvenir chez l’étranger, et même dans nos provinces éloignées ; que si les capitalistes de Paris veulent pressurer l’Etat, il faut s’adresser aux provinces, y créer des caisses d’escompte. L’Assemblée, après avoir ordonné l’impression de la motion et le renvoi aux bureaux, se sépare de dix à onze heures, avec indication au lendemain matin. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE . Séance du jeudi 20 août 1789 (1). M. le Président, à l’ouverture de la séance, a rendu compte de la lettre qu’il avait reçue de M. le marquis de Montesson, député du bailliage du Mans, qui lui envoyait sa démission, et a proposé qu’il fût remplacé par M. le comte de Praslin, son suppléant, dontles pouvoirs avaient été remis au comité de vérification : ce qui a été agréé. Un de MM. les secrétaires a fait lecture de la liste des membres qui composent les comités des affaires du clergé et de judicature. Le résultat du scrutin a donné pour membres du Comité des affaires ecclésiastiques : MM. Lanjuinais. D’Ormesson. Grandit). Martineau. Delalande. Le prince de Robecq. Sallé de Choux. Treillhard. et pour membres du MM. Gossin. Dinocheau. Dufraisse-Duchey. Jouye des Roches. Lofficial. Meunier-du-Breuil. De Mortemart. Henri de Longuève. M. le Président, conformément à l’arrêté de la veille, a soumis à la discussion de l’Assemblée je projet de déclaration du sixième bureau. M. Anson, député de Paris. Si ce bureau existait encore, je serais bien surpris de voir la préférence que l’on a donnée à cette déclaration. Ce n’était qu’un simple canevas que chacun des membres de ce bureau se proposait de remplir ; l’on avait cru d’abord devoir en exclure tous les détails, en faire ensuite un corps plus méthodique et plus complet ; enfin il faut le rendre capable de recevoir un tissu plus fort et d’une ordonnance plus digne de l’Assemblée. M. Target. Cette déclaration ne contient pas des principes contestés ; elle est courte, simple MM. Legrand. Vaneau. Durand de Maillane. L’évêque de Clermont. Despatys de Courteilles. L’évêque de Luçon. De Ëouthillier. Comité de Judicature : MM. Milscent. Piffon. L’évêque de Saintes. Target. Tellier. De Sillery. Girauld Duplessis. (1) Cette séance est incomplète an Moniteur.