SÉANCE DU 28 VENDÉMIAIRE AN III (19 OCTOBRE 1794) - Nos 44-45 283 Article premier. - Le tribunal du département de la Côte-d’Or est autorisé à renvoyer au tribunal révolutionnaire Jean-Baptiste Thibault et Claude Girardin, tous deux tanneurs à Bligny-sur-Ouche, et Benigne Arcelot, ex-noble, tous trois prévenus de délits contre-révolutionnaires, et actuellement détenus dans les prisons du tribunal criminel du département de la Côte-d’Or. Art. II. - Dans les cas où il s’élèvera dans les tribunaux des difficultés sur le caractère des délits, le comité de Législation est chargé de distinguer ceux qui seront de la compétence du tribunal révolutionnaire, et d’autoriser les tribunaux à en renvoyer les prévenus au tribunal révolutionnaire (83). 44 Un membre expose que, lorsqu’il fut envoyé par la Convention nationale dans le département des Pyrénées-Orientales, il s’empara des registres, chez un notaire à Puicerda, qui constatent l’émigration de beaucoup d’émigrés, qu’un grand nombre ont été arrêtés et conduits à Perpignan, que plusieurs autres ont été traduits au tribunal révolutionnaire de Paris, mais que les registres et les preuves de leur émigration ne pouvant être déposés à deux tribunaux en même temps, il demande que tous les émigrés détenus à Perpignan soient traduits au tribunal révolutionnaire de Paris, par les ordres du comité de Sûreté générale. Sur cette motion, la Convention nationale décrète que cette proposition est renvoyée au comité de Sûreté générale, qui est autorisé à statuer sans délai sur cet objet (84). Chaudron-Roussau demande que les arrêtés des représentans du peuple, près l’armée des Pyrénées-Orientales, concernant les prévenus d’émigration rentrés sur le territoire françois soient suspendus. Il se fonde sur ce que la liste de ces émigrés, au nombre de deux mille, qui a été trouvée par l’armée, a été remise au comité de Sûreté générale; qu’il faut un tems considérable pour en faire le dépouillement, et que les états ne peuvent être envoyés aux tribunaux avant que le travail soit terminé. Un membre demande le renvoi de cette proposition au comité de Sûreté générale, qui sera chargé d’y statuer. Adopté (85). (83) P.V., XLVII, 265-266. C 321, pl. 1337, p. 42, rapport et décret imprimé de 3 p., signé de Louvet, rapporteur. Moniteur, XXII, 284; Débats, n° 757, 421; F. de la Républ., n* 29; M. U., XLV, 22. (84) P.V., XLVII, 266. C 321, pl. 1337, p. 43, minute signée de Chaudron-Roussau. Décret anonyme selon C* Il 21, p. 14. F. delà Républ., n 29; Gazette Fr., n° 1022; J. Fr., n° 754; J Perlet, n” 756; Mess. Soir, n° 792; M. U., XLIV, 444-445. (85) J. Paris, n 29. 45 Rapport sur les prisons, maisons d’arrêt ou de police, de répression, de détention, et sur les hospices de santé, fait au nom du comité des Secours publics, par Paganel (86). Un décret du 3 fructidor a chargé votre comité des Secours publics de constater l’état actuel des prisons dans la commune de Paris : le comité, d’avance pénétré des motifs d’humanité qui ont déterminé cette mesure, s’est empressé de répondre à la confiance de la Convention ; il a nommé mon collègue Merlino et moi pour ses commissaires. Nous avons parcouru et visité dans les plus grands détails tous ces établissements divers ; en vous rendant compte de l’état où nous les avons trouvés, nous indiquerons suffisamment ce qui leur manque, et vous ne tarderez pas de satisfaire aux besoins de l’humanité souffrante. Les établissements dont nous venons vous entretenir peuvent être divisés en prisons proprement dites, en maisons d’arrêt ou de police, en maisons de répression, en maisons de détention, en hospices de santé. Prisons. - Il existe des rapports sacrés entre les citoyens prévenus de crime et la société offensée. Dans l’état de détention, les premiers conservent des droits, et celle-ci n’est pas quitte de tout devoir envers eux. La patrie les porte encore dans son sein; elle attache sur ces infortunés des yeux de pitié et d’espérance ; elle aspire à leur rendre tout son amour. Mais si la prison est devenue elle-même un supplice, quelle réparation peut en faire oublier l’horreur et la durée au citoyen dont le magistrat proclamera l’innocence? Et si le crime est reconnu, sera-t-il permis de traîner le coupable à l’échafaud après qu’il a expié son délit par des tourments journaliers dont la lenteur et la durée lui firent mille fois désirer la mort. Si l’homme criminel est un objet d’intérêt et de pitié, au moment même où le glaive de la loi s’appesantit sur sa tête, souffrirez-vous que les regards consolateurs du gouvernement se détournent de celui qui n’est encore que prévenu de délit? Mérite-t-il cet abandon cruel, l’homme un instant égaré, que sa propre faute éclaire, et que les remords rendent à la vertu? A-t-il dû perdre en un moment ses amis et ses frères, celui qui, succombant sous l’oppression du plus fort, doit incessamment recouvrer avec la liberté les droits de l’innocence qu’il n’eût jamais dû perdre? Non, les privations cruelles, la misère profonde, l’isolement épouvantable, le lent et douloureux dépérissement auquel sont condamnés des hommes prévenus de crime, n’appartiennent pas à la loi, ne sont pas commandés par (86) Moniteur, XXII, 394-397. M. U., XLV, 76-78, 91-95; mention dans Ann. Patr., n° 657; Ann. R.F., n 28; C. Eg., n° 792; J. Fr., n” 754; J. Paris, n” 29; J. Mont., n” 7 ; J Perlet, n° 756; J. Univ., n” 1789; Mess. Soir, n° 792; M. U., XLIV, 446; Rép., n 29. 284 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE la justice. Les organes de la justice et de la loi vous dénoncent au contraire ces attentats de l’ancien régime contre la société et la nature. Législateurs de la famille des Français, faites disparaître du sol de la liberté ce qui reste encore du régime monstrueux de la tyrannie; nous avons vu des milliers d’hommes courbés sous son sceptre de fer; la royauté semble s’être réservé son empire sur les prisons de la République. Tout forfait doit être expié par un supplice ; ainsi le veut le salut de tous. C’est la seule considération qui puisse justifier le sacrifice de la vie d’un citoyen, et celui de la liberté, plus précieuse encore que la vie. Mais une longue suite de supplices doit-elle être interposée entre la prévention et la reconnaissance du délit? Mais la probité, l’innocence, sur qui pèse trop souvent cette pénible prévention, seront-elles forcées de boire goutte à goutte, jusqu’à la lie, le calice amer de tous les maux réunis dans l’étroite enceinte des cachots! Il est superflu d’affliger votre sensibilité par un tableau plus détaillé des prisons de la Conciergerie, de la Grande-Force, de Bicêtre : il suffit de dire aux représentants du peuple qui honorent le malheur que l’homme le plus coupable expie autant de fois son forfait qu’il compte d’heures dans ces tombeaux ténébreux. Lorsqu’il y descend, il a le droit de dénoncer la société à la nature, et d’invoquer contre les hommes son éternelle loi; car les hommes doivent juger avant de punir ; car la détention ne doit pas être une peine ; car le droit de s’assurer des personnes n’est pas celui de les torturer avant de les juger. Eh bien, l’homme qui attend son arrêt dans les prisons de la Conciergerie eût béni, sur son seuil épouvantable, la main bienfaisante qui lui aurait donné la mort. De tels cachots suffiraient à la vengeance du plus cruel despote contre des esclaves qui auraient tenté de briser leurs fers en plongeant dans son sein le poignard de Brutus. Là des hommes respirent éternellement un air infect et saturé de miasmes mortels qui s’exhalent d’un sol pourri, de murailles humides et de leurs propres immondices. Là une nourriture insuffisante ajoute le tourment d’une faim progressive à mille autres tourments : 8 sous paient chaque jour ce que chaque prisonnier y consomme. Là une poignée de paille ou un mince matelas est la couche où se laissent tomber, mais où jamais ne reposent les corps mourants des prisonniers. Si de temps en temps ils en sont retirés pour respirer un peu d’air dans une cour commune, ce rapide soulagement ne fait qu’aigrir et prolonger leur tourment. Un soin qui recule leur trépas leur paraît une perfidie ; il leur semble qu’on ne leur fait recueillir un peu de force que pour les faire vivre plus longtemps dans le tombeau : en y rentrant, ils se rappellent avec horreur le moment où ils y furent plongés pour la première fois. Là nous avons trouvé de nombreux enfants, précoces pour le crime, mais que des soins paternels restitueraient à la société. Abandonnés par elle, ils végètent sans crainte et sans espérance; et dans l’excès des vices auxquels ces êtres dignes de pitié s’abandonnent, la vigueur du corps s’épuise, la raison s’affaiblit, leur conscience s’éteint; bientôt ils seront un fardeau pour la société, sans en avoir jamais été l’espérance. Vous pouvez épargner cette douleur à la patrie, qui les regarde avec une tendre sollicitude, et cette perte à l’agriculture et à la marine, qui vous promettent de les rendre dignes d’elles et de la liberté. La leçon du travail peut encore ouvrir ces tendres âmes aux leçons de la vertu. Là enfin le plus criminel des hommes cesse bientôt de redouter l’échafaud, et l’innocent est réduit à le désirer. Représentants du peuple, parlez, et que les satisfactions dues à la société lui soient acquittées sans offense pour l’humanité, sans outrage pour la nature. Maisons d’arrêt ou de police. — Les maisons d’arrêt ou de police présentent un tableau moins hideux. Les privations que les prisonniers y éprouvent leur semblent d’abord plus tolérables, parce que leur séjour dans ces lieux ne doit être qu’un passage rapide; mais, soit qu’il faille l’attribuer aux circonstances, soit qu’on doive en accuser la négligence des juges, cette espérance si chère, si nécessaire au malheur, s’est bientôt évanouie. Bientôt l’avenir n’a plus pour eux que des terreurs, et, fatigués par les fantômes que leur imagination enfante, ils cherchent la solitude dans les ténèbres des prisons. Là beaucoup de malheureux ont cessé d’attendre un jugement qui devait être prononcé dans l’intervalle de vingt-quatre heures. Leur sort est décidé : c’est d’être oubliés de la nature entière. Ces maisons sont en général malsaines ; l’air extérieur y circule avec une extrême difficulté ; l’avarice et la cruauté ont refusé à ces établissements toutes les précautions qu’exigent des rassemblements nombreux; presque toutes reçoivent ou retiennent plus ou moins les vapeurs méphitiques qu’exhalent des fosses intérieures, étroites et mal soignées. La santé et la vie des hommes détenus, sont placées sous la sauvegarde de la loi, et dans cet état elles doivent être mieux garanties que lorsqu’ils y veillent eux-mêmes. Le logement, la couche et la nourriture des citoyens détenus dans les maisons d’arrêt ou de police appellent la sollicitude de la Convention nationale. Notre présence a porté dans ces tristes lieux l’espérance et la consolation : un de vos décrets y portera les soins fraternels et les jouissances qui tempèrent le regret amer de la liberté. Maisons de répression. — Les maisons de répression exigent des réformes promptes et non moins hautement réclamées par la morale que par l’humanité : nous y avons vu l’effronterie et l’impudeur repousser la pitié et ce tendre intérêt que le malheur inspire; mais aussi nous y avons entendu les accents du remords et de la douleur. Des soins bien dirigés obtiendraient une victoire facile, et des filles aujourd’hui abandonnées à leurs souvenirs dépravés pas- SÉANCE DU 28 VENDÉMIAIRE AN III (19 OCTOBRE 1794) - N° 45 285 seraient de la honte de leurs égarements au désir de l’estime publique : l’état d’abandon comble le malheur et souvent la perversité. Quel triste et humiliant tableau s’offre ici au législateur philosophe qui a calculé l’influence des vices et des vertus des femmes sur les moeurs en général, et qui a médité sur les devoirs d’un gouvernement libre envers un sexe dont la faiblesse a besoin de tout son appui; dont les charmes, exposés à tous les pièges de la force et de l’adresse, sollicitent avec pudeur toute sa puissance; dont enfin les fautes sont presque toujours les effets des passions d’autrui, comme ses vertus sont plus souvent le résultat de l’éducation que de la mesure de raison que la nature lui a départie. Tout ce que l’oisiveté engendre de vices, tout ce que les vices ont de plus révoltant, tout ce que la licence inspire de plus effréné se trouve réuni dans ces maisons où sont entassées des femmes déjà corrompues, et dont la société a dû réprimer les débauches, en même temps qu’elle en a voulu prévenir les suites mortelles. Mais ce n’est pas assez de rendre la santé à ces victimes du vice; il faut arracher de leur coeur le vice lui-même. Ne nous contentons pas d’ordonner ce que l’humanité réclame; séchons les larmes de la pitié, en faisant triompher la vertu. Qu’importe d’effacer les traces de la débauche, si vous n’en avez pas éteint la brûlante passion? Que de sages institutions régénèrent dans ces femmes la nature dépravée; qu’elles puissent rentrer au sein de leurs familles pour y réparer par une vie utile les scandales d’une vie licencieuse; et le gouvernement aura pleinement acquitté sa dette tant envers elles qu’envers la société. Rendez heureux ceux que vous voulez rendre sages ; le travail étanche la soif du vice, et les doux soins de la bonté, en pénétrant dans les âmes, y fécondent les germes des vertus. Nous devons relever ici un abus bien déplorable et particulier à la maison de la Salpêtrière : là sont de jeunes filles nées dans la maison, ou que l’établissement reçut dès leur enfance ; ne diriez-vous pas qu’elles y sont comme dans un asile qui les défend du torrent des vices jusqu’à l’âge où le travail, une vie active et les fruits d’une instruction soutenue permettront de les laisser sous leur propre garantie ? Eh bien, ces filles vivent dans l’oisiveté, ne respirent que l’indépendance, ne sont passionnées que pour la débauche. Elles en sont, dans un âge tendre, l’image la plus effrayante ; et, à l’époque de leur sortie, elles ont presque toutes mérité une perpétuelle réclusion. Celles-ci transmettent à des enfants plus jeunes le poison qu’ont versé dans leur coeur des compagnes plus âgées. Dans tous ces établissements la parcimonie et un régime insouciant fixent la permanence des désordres et de la corruption : celui qui murmure contre la faim et la nudité est peu sensible aux leçons de la morale; elle est impuissante sur un être forcément occupé de ses premiers besoins. En introduisant dans les maisons de correction un travail constant, on diminuerait les dépenses nationales, et l’on tarirait la source des plus grands vices. Nous avons été sans doute douloureusement affectés par ce tableau des misères humaines; mais nous nous sommes convaincus d’une vérité bien consolante pour les fondateurs de la hberté, d’une vérité dont la législation doit se saisir pour le perfectionnement des moeurs publiques. La sensibilité change d’objet et se déprave dans son choix; mais dans ses écarts mêmes elle conserve un penchant pour les objets que lui indique la nature. Des passions viles, l’habitude de l’immoralité, peuvent obscurcir la lumière de la raison, mais elle n’est jamais totalement éteinte. Ces femmes nous ont elles-mêmes indiqué le remède au mal politique que nous vous dénonçons. Oisivement entassées sur leurs couches, elles n’ont cessé de nous dire, tant qu’elles ont pu se faire entendre : donnez-nous du travail; nous ne demandons que du travail. Maisons de détention. - Nous avons peu de choses à dire sur les maisons de détention; presque toutes sont vastes, saines et commodes : ce n’est plus le temps où la terreur planait sur ces demeures, où les cris de mort retentissaient, d’heure en heure, dans les coeurs de ceux qui les habitaient; où, sous le nom de concierge, un atroce geôlier, d’un signal effroyable rassemblait dans une cour les détenus, pour choisir une à une les victimes que Robespierre avait désignées au poignard d’un tribunal docile à consulter ses craintes, à étudier ses caprices. Le triomphe de la justice sur la tyrannie a fait succéder dans ces lieux l’espérance à la terreur. Les maux que vous avez fait cesser présagent les biens que vous devez faire ; déjà des regards accoutumés à contempler l’idole que vos mains ont brisée cherchent, avec l’inquiétude du désir, la sainte image de la liberté ; déjà des coeurs nourris d’orgueilleuses illusions s’essaient aux biens réels de l’égalité. Embrassons nos frères dans tous les Français dont les coeurs s’offriront avec les nôtres sur l’autel de la patrie ; mais que la détention réponde à la patrie de celui qui chancelle; que le glaive des lois frappe celui qui la trahit. Le 25 vendémiaire, vous décrétâtes l’unité du gouvernement : qu’aucun asile ne se rouvre jamais pour l’ambitieux qui a fomenté des factions, pour l’intrigant qui les a organisées, pour le dilapidateur de la fortune publique, pour les copartageants des fortunes privées, pour ces héros vandales qui dispersent les arts, persécutent le génie et assassinent la vertu ; qu’enfin un sort semblable soit réservé à tous les brigands qui déchirent le sein de la république, et aux émigrés qui l’assiègent au-dehors. Ceux qui haïssent la révolution en sont moins les ennemis que ceux qui la font haïr. Mais les mesures de sûreté n’ayant pu être prévues, le gouvernement doit s’empresser de rectifier tout ce qu’elles présentent d’irrégulier et de contraire à la politique et à la justice. La sagesse doit corriger les fautes ou les erreurs d’une précipitation nécessaire. Pour- 286 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE quoi, par exemple, renfermer des personnes suspectes dans les mêmes lieux qui recèlent des hommes prévenus de crimes ? Cette confusion est immorale ; les règles de l’équité la réprouvent. Hospices de santé. — Les hospices de santé ont également dû fixer notre attention. Au nom de la patrie, nous appelons la vôtre sur ces immenses établissements, monuments fastueux de l’orgueil des rois, vastes tombeaux où la tyrannie ensevelissait ses victimes et ses forfaits. C’est là que l’apparence du bienfait couvre la réalité du supplice; c’est là que le malheureux est conduit par l’espérance, et qu’il vit dans les regrets : le frontispice promet des secours à l’indigence; l’avarice les lui arrache dans l’intérieur. Une perfide libéralité, bien digne des despotes, n’a élevé des asiles à l’infortune que pour y étouffer ses plaintes, pour cacher au peuple l’excès de ses maux, et pour épargner au gouvernement la nécessité de répondre à la censure publique. L’infirme et l’indigent n’y sont retenus que par les chaînes de la nécessité et par l’effroi d’une plus malheureuse destinée. Nous avons principalement observé deux abus qui offensent l’humanité et contrarient la saine morale. Le premier est relatif au régime intérieur des malades, des infirmes et des vieillards. Nous le dirons avec courage : leur nourriture est plus propre à exciter leurs besoins qu’à les satisfaire. Une homicide parcimonie les entraîne lentement à la mort, qu’ils ont cru fuir en se jetant dans les bras de la bienfaisance nationale. De longs détails sur cet objet seraient une injure pour la Convention, dont l’intérêt envers les indigents de la République s’est déjà hautement prononcé. Les hospices de santé, les hôpitaux, ne furent, sous les rois, qu’une sorte de piège que le gouvernement tendait à la misère confiante, à l’infortune crédule; vous en ferez un séjour de consolation et de bonheur, jusqu’à l’époque où les résultats d’une législation démocratique en auront rendu l’existence inutile. Les hôpitaux sont un remède aux maux que vous devez détruire; qu’il soit efficace tandis qu’il est nécessaire. Le second abus que nous vous dénonçons nuit essentiellement aux progrès des moeurs répubhcaines ; vous ne serez pas moins prompts à le faire disparaître. Dans tous les grands établissements de Paris, tels que Bicêtre et la Salpêtrière, l’ancien régime a rassemblé avec une cruelle affectation toutes les misères humaines. Dans l’un, des hommes dégradés par jugement ou prévenus de crimes sont placés à côté de la vieillesse honorée, de la respectable infirmité; dans l’autre, des citoyennes estimables, des mères de famille, assaillies par des infirmités précoces, ou succombant sous le poids des années, voient près d’elles des filles déshonorées, et qui, pour la plupart, conservent dans ce lieu de répression le ton, les manières et les discours de la plus scandaleuse licence. Nous ne pensons pas que, dans un gouvernement libre, l’on doive réunir ainsi les objets du mépris général et de la vénération publique, et placer sous le même aspect le malheur et le vice, l’impudeur et la vieillesse. La durée des abus dérive souvent des embarras que rencontrent dans la loi même les autorités à qui l’exécution en est confiée. Une surveillance trop divisée est nulle, et ne produit aucun résultat : la confusion des pouvoirs en paralyse l’exercice : c’est ainsi que le régime des prisons s’est perpétué avec tous ses vices. Le décret des 22 germinal et 14 fructidor en a confié la réforme à plusieurs autorités, sans fixer avec précision leur attribution respective : simplifiez l’administration ; que ses agents marchent sans jamais se heurter, et vous aurez atteint le but de la loi. La composition du corps politique, comme l’organisation du corps humain, recèle des causes de désordre et de dissolution. Des lois sages, et basées sur la sainte égalité des droits, sont au premier ce que le régime préservatif est pour l’autre; l’harmonie est, dans tous les deux, le résultat de la prévoyance. La détention et les tribunaux, la pharmacie et la médecine sont des ressources extrêmes dont l’appbcation, quelque habile que soit la main qui la fait, altère, épuise quelquefois les forces du corps, et le précipite vers le terme de sa vie. Le despotisme ouvrit des hôpitaux à la paresse servile : que le travail honoré, que l’industrie encouragée les changent en ateliers utiles; l’ignorance et la misère, fruits corrupteurs de l’inégalité, nécessitèrent les prisons : que l’instruction publique en ferme les portes; c’est alors que la prospérité générale et le bonheur privé attesteront à l’univers étonné que la législation du peuple français a pleinement répondu aux voeux de la nature. Telles sont, citoyens collègues, les observations générales que nous avons cru devoir vous présenter. Si les réformes que demandent les moeurs et la salubrité, dans les prisons de Paris, sont importantes par le nombre et les détails, elles sont d’une exécution facile et peu dispendieuse ; mais ce que vous devez ordonner pour cette commune, l’humanité le réclame pour toute la France. Le tableau que nous venons de vous tracer a déchiré vos âmes ; chacun de vous tend une main secourable aux infortunés dont les douloureux accents retentissent encore dans cette enceinte. Avec quel empressement vous mettrez un terme à tant de misères, lorsque nous vous aurons dit que depuis longtemps la mesure en est comblée dans tous les départements de la République; lorsque nous vous aurons dit que les prisons y sont plus voraces de la vie des hommes que ne l’est la Conciergerie de Paris, et qu’un régime plus barbare s’y joue plus brutalement de tous les droits et de tous les devoirs. Hâtez-vous de proscrire les prisons du despotisme, et que celles de la république attestent notre respect pour le malheur; qu’elles soient élevées par la justice, administrées par la fraternité. Voici le projet de décret.