ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] avec le concours des Assemblées provinciales, ce qui concerne l’administration du royaume, en se conformant aux lois générales qui seront rendues sur cette matière. Art. 28. Le Roi est la source des honneurs : il a la distribution des grâces, des récompenses, la nomination des dignités et emplois ecclésiastiques, civils et militaires. Art. 29. L’indivisibilité et l’hérédité du trône sont les plus sûrs appuis de la paix et de la, félicité publique, et sont inhérentes à la véritable monarchie. La couronne est héréditaire de branche en branche, par ordre et primogéniture, et dans la ligne masculine seulement. Les femmes et leurs descendants en sont exclus. Art. 30. Suivant la loi, le Roi ne meurt jamais, c’esl-à-dire que, par la seule force de la loi, toute l’autorité royale est transmise, incontinent après la mort du monarque, à celui qui a le droit de lui succéder. Art. 31. A l’avenir les Rois de France ne pourront être considérés comme majeurs qu’à l’âge de vingt-un ans accomplis. Art. 32. Pendant la minorité des Rois, ou en cas de démence constatée, l’autorité royale sera exercée par un régent. Art. 33. La régence sera déférée d’après les mêmes règles qui fixent la succession à la couronne, c’est-à-dire qu’elle appartiendra de plein droit à l’héritier présomptif du trône, pourvu qu’il soit majeur ; et dans le cas où il serait mineur, elle passera à celui qui, immédiatement après, aurait le plus de droit à la succession, il exercera la régence jusqu’au terme où elle doit expirer, quand même le plus proche héritier serait devenu majeur dans l’intervalle. Art. 34. Le régent ne pourra jamais avoir la garde du Roi; elle sera donnée à ceux qui auront été indiqués par le testament de son prédécesseur. A défaut de cette indication, la garde d’un Roi mineur appartiendra à la reine-mère; celle d’un Roi en démence appartiendrait à son épouse, et à leur défaut, les représentants de la nation choisiraient la personne à qui cette garde serait confiée. Le régent serait choisi de la même manière, dans le cas où il n’existerait aucun proche parent du Roi ayant droit de lui succéder. Art. 35. Les régents qui seront nommés dans les cas de démence ne pourront faire aucune nomination ou concession, ni donner aucun consentement qui ne puissent être révoqués par le Roi revenu en état de santé, ou par son successeur. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. le comte de Montmorin, ministre des affaires étrangères, et d’une autre lettre de M. le duc de Dorset, ambassadeur d’Angleterre. L’Assemblée autorise son président à accuser réception de ces deux lettres. Cette correspondance est ainsi conçue ; LETTRE de M. le comte de Montmorin à M. le duc de Liancourt , président de V Assemblée nationale. « Versailles, le 27 juillet 1789. « Monsieur le président, M. l’ambassadeur d’An-Ieterre m'a prié instamment d’avoir l’honneur e vous communiquer la lettre ci-jointe. J’ai cru [27 juillet 1789.] 287 d’autant moins pouvoir me refuser à ses instances, qu’il me prévint, en effet, verbalement dans les premiers jours du mois de juin, d’un complot contre le port de Brest. Ceux qui le méditaient demandaient quelques secours pour cette expédition, et un asile en Angleterre ; M. l’ambassadeur ne me donna aucune indication relative aux auteurs de ce projet, et m’assura qu’ils lui étaient absolument inconnus. Les recherches que j’ai pu faire, d’après des données aussi incertaines, ont été infructueuses, comme elles devaient l’être; et j’ai été, dans le temps, obligé de me borner à engager M. le comte de la Luzerne à prescrire au commandant de Brest les précautions les plus multipliées et la vigilance la plus exacte. « J’ai l’honneur d’être avec respect, « Monsieur le Président, votre très-humble et très-obéissant serviteur. « Signé : le comte de Montmorin. » LETTRE de M. l' ambassadeur d'Angleterre à M. le comte de Montmorin. « Paris, ce 26 juillet 1789. « Monsieur, il m’est revenu de plusieurs côtés qu’on cherchait à insinuer que ma Cour avait fomenté en partie les troubles qui ont affligé la capitale depuis quelque temps ; qu’elle profitait de ce moment pour armer contre la France, et que même une flotte était sur les côtes pour coopérer hostilement avec un parti de mécontents. Tout dénués de fondement que sont ces bruits, ils me paraissent avoir gagné l’Assemblée nationale ; et le Courrier national, qui rend compte des séances des 23 et 24 de ce mois, laisse des soupçons qui me peinent d’autant plus que vous savez, Monsieur, combien ma Cour est éloignée de les mériter. « Votre Excellence se rappellera plusieurs conversations que j’eus avec vous au commencement de juin dernier ; le complot affreux qui avait été proposé relativement au port de Brest ; l’empressement que j’ai eu à mettre le Roi et ses ministres sur leurs gardes ; la réponse de ma Cour qui correspondait si fort à mes sentiments, et qui repoussait avec horreur la proposition qu'on lui faisait; en lin les assurances d’attachement qu’elle répétait au Roi et à la nation. Vous me fîtes part alors de la sensibilité de Sa Majesté à cette occasion. « Comme ma Goura infinimentà cœur de conserver la bonne harmonie qui subsiste entre les deux nations, et d’éloigner tout soupçon contraire, je vous prie, Monsieur, de donner connaissance de celte lettre, sans aucun délai, à M. le président de l’Assemblée nationale. Vous sentez combien il est essentiel pour moi qu’on rende justice à ma conduite et à celle de ma Cour, et de chercher à détruire l’effet des insinuations insidieuses qu’on a cherché à répandre. « Il importe infiniment que l’Assemblée nationale connaisse mes sentiments, qu’elle rende justice à ceux de ma nation, et à la conduite franche qu’elle a toujours eue envers la France depuis que j’ai l’honneur d’en être l’organe. « J’ai d’autant plus à cœur que vous ne perdiez pas un seul instant à faire ces démarches, que je le dois à mon caractère personnel, à ma patrie, 588 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1789.1 et aux Anglais qui sont ici, afin do leur éviter toutes réflexions ultérieures à cet égard. « l’ai l’honneur d’être bien sincèrement, « Monsieur, de Votre Excellence, le très-humble et très-obéissant serviteur. « Signé : ÛORSET. » RÉPONSE de AL le duc de Liancourt , président de V Assemblée nationale , à M. le comte Montmorin. « Versailles, le 27 juillet 1789. « J'ai reçu, monsieur le comte, la lettre que vous m’avez faitl’honneur de m’écrire, et celle de M. l’ambassadeur d’Angleterre, qui y était jointe; et j’ai donné sur-le-champ communication de l’une et de l’autre à l’Assemblée nationale. Elle me charge d’avoir l’honneur de vous dire qu’elle en a entendu la lecture avec une grande satisfaction ; de vous remercier de la lui avoir envoyée, et de vous prier de vouloir bien vous charger de faire parvenir à M. le duc de Dorset ses remer-cîments de la communication que cet Ambassadeur a désiré qui en fût faite à l’Assemblée nationale. « L’Assemblée a arrêté que cette lettre serait envoyée sur-le-champ à Paris, et rendue publique dans tout le royaume, par la voie de l’impression. « J’ai l’honneur d’être, avec un très-parfait attachement, Monsieur le comte, votre très-humble et très-obéissant serviteur, « Le duc de Liancourt. » L’Assemblée ordonne que ces lettres seront rendues publiques par la voie de l’impression. La séance est levée. ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 27 juillet 1789. Projet de déclaration des droits de l’homme en société ; PAR M. Target. Présenté au comité de constitution. Art. leï. Les gouvernements nesont institués que pour le bonheur des hommes ; bonheur qui, appliquée à tous, n’exprime que le plein et libre exercice des droits naturels. Art. 2. L’assurance des droits de l’homme étant la lin, et le gouvernement n’étant que le moyen, il suit que le pouvoir de gouverner n’est point établi pour ceux qui gouvernent, et ne peut être pour eux une propriété; mot applicable seulement aux droits qui sont propres à chaque homme, et dont il use pour lui-même. Art. 3. La vie de l’homme, son corps, sa liberté, son honneur, et les choses dont il doit disposer exclusivement, composent toutes ses propriétés et tous ses droits. Art. 4. Tout homme doit trouver la garantie de ces mêmes droits dans le gouvernement, quelle que soit sa forme. Art. 5. Le corps politique doit à chaque homme l’assurance contre les attentats qui menacent sa vie, et contre les violences qui menacent sa personne. Art. 6. Le corps politique doit à chaque homme des moyens de subsistance, soit par la propriété, soit par le travail, soit par les secours de ses semblables. Art. 7. Tout homme est libre de penser, parler, écrire, publier ses pensées, aller, venir, rester, sortir, même quitter le territoire de l’Etat, user de la fortune et de son industrie, comme il le juge à propos, sous l’unique condition de ne nuire à personne. Art. 8. Il y a des actions permises, qui ne sont pas honnêtes dans l’ordre moral ; mais dans l’ordre civil et politique, tout ce quin’est pas défendu est permis. Art. 9. Rien ne peut être défendu par un homme, mais seulement par la loi. Art. 10. La loi n’est que le résultat exprimé de la volonté générale des membres du corps politique, ou de leurs réprésentants. Art. 11. Tout ce qui n’est pas permis par la loi aux dépositaires des fonctions du gouvernement, leur est défendu. Art. 12. L’exercice de la liberté naturelle de - chaque homme n’a d’autres limites que la vie, la sûreté, la liberté, l’honneur et la propriété des autres. Art. 13. La loi elle-même, et par conséquent le gouvernement, simple exécuteur de la loi, ne peuvent point opposer d’autres bornes à la liberté des hommes. Art. 14. Tous les hommes ont droit à l’honneur, c’est-à-dire à l’estime de leurs semblables, s’ils n’ont pas mérité de la perdre ; et les lois doivent les garantir des effets de la calomnie et des outrages. Art. 15. La propriété est le droit qui appartient à chaque homme, d’user et de disposer exclusivement de certaines choses ; l’inviolabilité de ce droit est garantie par le corps politique. Art. 16. Aucun homme ne doit à personne le sacrilice de sa propriété ; il ne la doit pas même au corps politique, qui ne peut s’en emparer que dans le cas d’une nécessité publique, absolue, et seulement après l’avoir remplacée dans la main du propriétaire, par une valeur au moins égale. Art. 17. Aucun homme ne peut être contraint de livrer une partie de sa propriété pour soutenir les charges publiques, qu’en vertu d’un décret libre et volontaire des membres de la société ou de leurs représentants. Art. 18. Le droit de propriété ne peut exister que sur les choses. Tout pouvoir-qu’un homme exerce sur d’autres hommes, au préjudice de leurs droits naturels, est une usurpation delà force, et ne peut être une propriété : ce n’est pas un droit, mais un délit. Art. 19. Les propriétés dont l’exercice est nuisible au corps politique, ne peuvent être enlevées que par un remboursement au moins égal à leur valeur. Art. 20. La force exécutive et tous les offices publics, n’étant établis que pour le bien de tous, sont une propriété du corps politique, mais non de ceux qui les exercent, et qui ne sont que les mandataires de la nation. Art. 21. Les attentats à la vie, à la sûreté, à la liberté, à l’honneur, à la propriété des hommes, sont des crimes ; et tous les dépositaires de l’autorité qui s’eu rendent coupables, doivent être punis. La personne du Roi, seule dans la monarchie, est inviolable et sacrée. Le Roi n’ayant et ne pouvant avoir d’autre intérêt que celui de la nation, ne peut pas vouloir le mal, mais il peut être souvent et cruellement trompé.