[Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [H septembre 1789.J 612 sont l’essence constitutive de tout Etat? Dans le fait, si nous demeurons d’accord que le Roi ne puisse faire seul la loi ; que d’nn autre côté, nous lui accordions le droit d’annuler celle que ferait la nation, nous n’aurons donc plus de pouvoir législatif, et par cela même de pouvoir exécutif à défaut de lois ? Que nous resterait-il donc de notre ancienne monarchie ? Un peuple sans lois, ou un peuple sans Roi; car ne serait-il pas à craindre, disons plutôt ne serait-il même pas juste que la nation cessât de regarder pour son Roi le Roi qui cesserait de rendre à la nation ce qu’il lui doit? et voilà par quelle affreuse gradation nous parviendrions bientôt à une dissolution totale, et où nous aurait conduit le veto intolérable que le Roi n’a jamais eu, qu’il ne demande point, mais que des gens inconsidérés veulent absolument lui attribuer. Un grand peuple, un grand Etat comme la France, doit, nous dit-on, donner à son Roi de grands droits. Sans doute ; mais quel autre plus précieux (et dont tout souverain serait jaloux), quel autre, dirons-nous, plus grand, plus beau, plus digne d’un Roi, que celui de ne pouvoir jamais faire le mal, de partager la gloire ou les erreurs de son peuple! Nous avons un Roi, vrai présent des cieux ; fassent-ils que la sagesse, l'humanité, cet accord si parfait et si rare des plus belles vertus qui décorent son trône, puissent être le domaine de ses successeurs, être héréditaires comme sa couronne 1 Nous n’aurions besoin ni de lois, ni de Constitution ; nous u’aurions qu'à jouir du bonheur que nous procurerait sa tendre sollicitude ! Mais s’il est des Rois qui honorent leur siècle, il en est aussi qui en font la honte et le tourment. La loi seule est alors le soulagement du peuple ; chacun peut y être ramené tour à tour ; il nous faut donc des lois, et ce serait eu détruire jusqu’à l’idée que de les confondre dans la personne à qui l’exécution en est confiée. Il faut que ces deux pouvoirs soients distincts et toujours en mesure; que nul ne puisse se prévaloir de l’absence de l’autre. Le désordre s’introduit encore dans l’Assem-bléé. M. Chasset fait la motion que l’Assemblée ne se sépare pas qu’elle n’ait jugé les deux questions du veto et de sa nature. Cette motion passe par acclamation. Sur la première question, c’est-à-dire sur le veto, il a été résolu d’abord, à la grande majorité, qu’on irait aux voix par assis et levé ; mais les réclamations ont forcé l’Assemblée à revenir sur ce décret et à le révoquer. Il était quatre heures lorsque les débats se sont terminés, et quand on a commencé le premier appel nominal. Le veto a passé à la très-grande majorité. Sur l’autre question, c’est-àdire : Le refus du Roi sera-t-il suspensif? la majorité a été pour l'affirmative de 573 voix contre 325, et 11 voix perdues. Ainsi le veto suspensif a passé. La séance est levée à huit heures et demie du soir. M. le président a indiqué la séance à demain, et l’ordre sera d’examiner la quatrième question proposée par M. Guillotiu ainsi qu’il suit : Pendant combien de temps durera la suspension? si ce sera pendant une ou plusieurs législatures ? ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 11 septembre 1789. RAPPORT fait au Roi, dans son Conseil , par le premier ministre des finances. Votre Majesté connaît les débats qui ont lieu depuis quelque temps à l’Assemblée nationale sur la sanction royale. La division de sentiments à cet égard semble annoncer que la supériorité de suffrages en faveur du veto indéfini entre les mains du Roi est au moins fort incertaine. Cependant la chaleur contre un semblable résultat est telle, qu’une grande scission parait à craindre, si le veto absolu ne l’emporte que faiblement sur l’opinion contraire, et il en résulterait peut-être une commotion dangereuse. La plus petite majorité dans une délibération nationale suffit avec raison pour faire loi, mais elle n’assure pas la tranquillité publique lorsqu’elle décide des questions auxquelles tous les sentiments, tous les intérêts et toutes les passions s'associent. On ne doit pas non plus se dissimuler que ce mot vague le veto, le veto absolu peut devenir une arme entre les mains des gens mal intentionnés ; car auprès de la multitude, il ne serait pas difficile de présenter ce droit d’opposition comme un moyen ménagé au gouvernement pour tout arrêter, et pour détruire en un jour les espérances de la nation et le fruit de ses efforts. 11 n’est rien de si propre à échauffer les esprits du vulgaire qu’une expression susceptible de diverses interprétations , lorsque cette expression est destinée à rappeler une idée qui n’est pas encore familière ; et il serait à désirer que la controverse dont les esprits sont occupés eût toujours été présentée dans le public sous cette forme simple : Le consentement du Souverain aux lois qu’il doit faire exécuter , est-il ou non nécessaire ? Quoi qu’il en soit, c’est sous l’aspect général et commun, c’est d’après le cours des opinions que les ministres de Votre Majesté ont dû fixer leur attention sur la question du veto absolu et du veto suspensif ; et d’abord ils ont été frappés d’une grande et malheureuse vérité : c’est qu’en ce moment la tranquillité du royaume doit être le principal objet de la sollicitude du gouvernement ; car, au milieu des circonstances qui nous environnent, il faudrait peu de choses pour amener un trouble dont les funestes effets seraient incalculables. L’espèce de calme qui subsiste encore avec tant de moyens d’insurrections, ce calme si nécessaire, si difficile à maintenir, n’est dû qu’à la puissance de la raison, de la morale et de l’espérance, et il faut soigner cette puissance avec le plus extrême ménagement, si l’un ne veut pas mettre en péril le salut de l’empire français. Je ne déterminerai point l’étendue des sacrifices qu’il faudrait faire à ces grandes considérations ; on peut supposer un terme où ils devraient s’arrêter ; mais j’espère, pour le bonheur de la France, que Votre Majesté ne sera jamais appelée à le fixer. Conduit par ces réflexions, j’ai été entraîné à considérer s’il ne pouvait pas exister un veto suspensif propre à concilier les diverses opinions qui agitent l’Assemblée nationale ; et voici celui