[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j ® Membre "iSS 485 peuple, ses armes victorieuses leur sont un sûr garant de ce que peut le génie de la liberté. Dans le département du Bas-Rhin, j’ai fait exécuter les mesures révolutionnaires; les gens suspects ont été mis en arrestation; les autorités constituées ont été épurées; l’esprit public régénéré; je suis parvenu à rétablir la confiance dans les assignats. Partout, j’ai rétabli l’ordre, -et Strasbourg est maintenant à la hauteur de la Révolution. Qu’il me soit permis d’ajouter un mot sur ce -qui me concerne en mon absence. J’ai été attaqué dans cette tribune; l’on m’a accusé d’avoir eu des rapports avec des hommes traités comme suspects; l’on a dit que j’avais été lié avec Dubuisson, Pereyra et Proly. Quant à Dubuisson et Pereyra, je les ai vus quatre à ■cinq fois avant qu’ils fussent prévenus d’avoir des vues qui les fît soupçonner d’être liés avec les ennemis de la République; quant à Proly, je l’ai vu plus souvent parmi quantité de patriotes, mais beaucoup moins que d’autres; je n’ai ja¬ mais remarqué en lui de sentiments qui fussent contraires à l’intérêt de ma patrie. Si j’en eusse .aperçu de semblables, certes, je n’aurais pas balancé aie dénoncer. Mais j’observerai que j’ai, durant cette année, à peu près été six mois dans le département du Mont-Blanc et deux dans le département du B as-Rhin. Je n’ai donc pu, durant ces huit mois, avoir des relations avec les individus auxquels on veut que je sois lié. On les accuse par la chaleur ou l’exagération de leurs opinions, d’être ultra-révolutionnaires; mais dans le comité de Salut public et dans tous les lieux où je me suis trouvé je ne me suis jamais écarté de cette chaleur républicaine qui hâte et mûrit la raison, sans la compromettre. O toi, immortel Lepeletier, toi dont je fus l’ami, le compagnon, dès l’âge Je plus tendre; toi, dont je ne me séparai jamais dès l’âge de six ans, et qui fus, comme toi, victime des persécutions parlementaires; toi, qui mourus pour ta patrie, comme toi aussi, je me précipiterai, s’il le faut, à ton exemple; mais fallait-il que je fusse assassiné par le poignard d’un républicain ! J’ai reçu le jour d’une caste privilégiée; voilà mon crime. S’il est quelqu’un de mes collègues qui pense que je ne doive pas rester au comité de Salut public, je demande à être remplacé et que ma conduite, durant ma vie entière, soit examinée. Toutes mes affections, mon existence, ma vie, sont attachées ici; et il faudrait que je fusse le plus lâche et le plus stupide des hommes, si je pouvais avoir une seule idée, un seul sentiment, qui ne fut pas pour ma patrie. (Vifs applaudis¬ sements.) ANNEXE N° ® A la séance de la Convention nationale du 9 nivôse an 11 (Dimanche 39 décembre 4793.(1). 'Rapport de Hérault, député, sur sa mission dans le Haut-Rhin. (Imprimé par ordre de la Convention nationale (2). Des représentants du peuple avaient parcouru (1) Voy. ci-dessus, même séance, p. 464, le rapport verbal fait par Hérault de Séchelles sur sa mission dans le Haut-Rhin. (2) Bibliothèque nationale, 42 pages in-8° Le3” récemment le Haut-Rhin : les principales opé¬ rations de ces estimables montagnards avaient été toutes militaires. L’approvisionnement des places et la défense du pays réclamaient, en effet, leurs premiers soins. Bientôt la guerre les appela dans la contrée inférieure : le Haut-Rhin fut abandonné à lui-même. On y sentit alors la République s’affaiblir. Les symptômes étaient inquiétants : nulle vigueur dans l’exécution des lois; reçues tard, traduites lentement dans l’idiome du pays, distribuées avec négligence, appliquées avec mollesse, peut-être n’existait-il point de dépar¬ tement pour lequel il pressât davantage que le comité de Salut public proposât à la Conven¬ tion ce mode qui va répandre d’un bout de l’empire à l’autre, et vivifier partout les décrets, presqu’au même instant où ils émanent de la représentation nationale. A cette première cause, ajoutez la lutte funeste de la cupidité. Le maximum et la taxe étaient méconnus. Les denrées manquaient, on ne voulait point d’assi¬ gnats, si ce n’est à des conditions exorbitantes ; partout la disette entre les amas du besoin et les accaparements de l’avarice. L’agiotage des Juifs dévorait les campagnes. Le devoir sacré d’entretenir nos braves défenseurs sur les bords du Rhin, la nécessité de tout porter à deux armées, épuisait jusqu’aux départements d’alen¬ tour. Les manœuvres extérieures, la conjuration intérieure minaient sourdement : l’Autriche et Pitt, plus exercés aux perfidies qu’aux victoires, redoublaient d’activité. L’ancien ré¬ gime faisait intriguer par ses valets restés sur lés lieux. Le fanatisme faisait tourmenter les familles par la religion constitutionnelle. La liberté s’éteignait de toutes parts; et, contre tant de maux, quels remèdes? Des adminis¬ trations faibles, inférieures aux dangers; des comités de surveillance manquant dans beau¬ coup d’endroits, illégalement établis dans d’autres, et substituant trop souvent leurs méprises à la volonté de la loi. Enfin, des patriotes en minorité, dans la solitude, déses¬ pérés. Dans cette extrémité, quelques Sociétés populaires élevèrent la voix; une députation partit pour le comité de Salut public. Envoyé pour prendre toutes les mesures de sûreté géné¬ rale dans le département du Haut-Rhin, j’ai senti que si je'n’ étais point, comme les députés en mission dans le Bas-Rhin, appelé au bonheur de repousser avec les volontaires, nos braves frères d’armes, ces hordes ennemies qui infes¬ taient le sol de la liberté depuis Landau jusqu’à Strasbourg, depuis le Fort-Vauban jusqu’à Saverne, je n’avais pas à faire une guerre moins active à la conspiration qui pouvait aliéner le pays, et livrer à l’Autriche le reste de la ci-devant Alsace, de cette belle contrée que la nature et l’art ont fortifiée de concert, et qui, de l’aveu des plus habiles militaires, est capable d’opposer à nos ennemis une telle résistance, qu’il n’y a que les intelligences criminelles et les viles trahisons qui puissent la compromettre. Séparé de la partie militaire, par mon objet qui tenait uniquement à la Révolution et à la sûreté, j’ai cependant vécu sans cesse au milieu des détails de l’administration militaire; n° 52. Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de l'Oise), t. 7, n° 12. 486 (Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. \ Sécemb“ 1793 ü eet peu de jours où je n’aie été forcé de leur consacrer une grande partie de mon temps, et j’eusse été coupable de m’y refuser. Moins nombreuse que l’armée du Bas-Rhin, celle du Haut-Rhin avait peu de communications avec elle; composée principalement de troupes agricoles, tandis que les bataillons d’ancienne levée volaient aux lignes de Wissembourg; distribuée dans les places et dans les cantonne¬ ments pendant que la force du B as-Rhin agissait en masse; exposée à de fréquents besoins de vivres, de fourrages, d’habillements, de chaus¬ sures, parce qu’il fallait bien que les premiers secours allassent aux guerriers qui versaient lenr sang dans le département voisin; cette armée avait le droit d’attendre de moi, comme représentant du peuple, les soins partiels et d’urgence que je n’ai cessé de lui donner en l’acquit et de l’aveu de mes collègues. Nous travaillons tons pour la même patrie, malheur aux républicains qui, revêtus d’un grand pou¬ voir national compromettraient par de puériles compétences la cause auguste de la liberté ! J’ai donc surveillé l’armée du Haut-Rhin dans beaucoup de détails; j’ai tenu un œil attentif sur les hôpitaux, ces respectables asiles de la valeur mutilée, où les abus sont trop souvent prêts à renaître à mesure qu’on les détruit. J’ai répondu aux réclamations de tout genre que les défenseurs de la patrie dont j’étais entouré venaient journellement m’adresser : J’ai sou¬ vent admiré la patience de ces dignes hommes, sachant se passer de ce qu’ils ne pouvaient obtenir, et attendant les jours de T abondance, non avec l’abattement d’une résignation pusil¬ lanime, mais avec cette énergie qui décide des prospérités nationales. Tel est le caractère du soldat français; il n’y a point de dévouement sublime dont il ne soit capable avec ses repré¬ sentants.- Un représentant est toujours pour lui un frère, un ami puissant; il entre dans la confidence de ses besoins et de ses peines; il est l’espoir et l’encouragement de l’armée; mais il faut dire aussi qu’il en paralyserait l’adminis-'■«ration, s’il n’avait l’attention constante de faire marcher chacun des fonctionnaires dans son emploi; tontes les affaires, jusqu’aux plus minu¬ tieuses, vont le chercher et, en général, les com¬ missaires des guerres, pour éluder la responsa¬ bilité, s’occupent trop d’échapper à leurs devoirs, renvoient trop aux représentants. Ceux d’entre nous qui ont été près des armées doivent avoir fait eette remarque. Il est une seule mesure de guerre que j’ai prise à l’instant même de mon arrivée dans le département du Haut-Rhin. Cette mesure était trop urgente, elle tenait trop à la sûreté inté¬ rieure pour ne pas appartenir à ma mission. Peu de jours après, le général Pichegru, com¬ mandant en chef l’armée du Rhin, envoya le directeur des fortifications pour l’exécuter. Nous nous étions rencontrés dans le même pro¬ jet, c’était d’établir un camp retranché à Belfort. La position de Belfort est, en effet, d’une grande importance; c’est la clef qui ferme les départements du Rhin, et qui ouvre ceux de la Haute-Saône et du Doubs; c’est le refuge d’une armée qui éprouverait un échec dans le dépar¬ tement du Haut-Rhin. Considéré comme place, Belfort présente quelques désavantages; ses fortifications sont dominées et enfilées des montagnes environ¬ nantes; mais les fortifications de son château, à quelques défauts près, sont dans une position bien plus favorable. Un site vraiment militaire, qui soumet à ses vues tous les accès à plus de quinze cents toises, a fait penser que pour mettre à l’abri de toute attaque Belfort, nee plue -ultra de la ci-devant Alsace, et entrepôt naturel des approvisionnements de tonte espèce qu’on peut tirer des parties méridionales de la République, il fallait sortir de son enceinte, et occuper par un camp retranché les hauteurs qui dominent la place et la plongent de toutes parts. J’ai établi ce camp retranché, il devenait plus nécessaire que jamais depuis l’éehee de Wissembourg; il était réclamé par les autorités constituées, par les Sociétés populaires, par tous les défenseurs de la patrie; quatfe bataillons agricoles y ont travaillé sans relâche; je leur ai fourni tons les moyens d’exécution; la victoire mémorable que la République a remportée depuis à Wissembourg, à Landau, au Fort-Vau-ban, a pu rendre cette mesure moins importante; mais alors elle était indispensable, elle eût été une des grandes ressources. Le même sentiment m’animait lorsque j’ai tourné mon attention et mes efforts vers la conservation d’Huningue, de cette place essen¬ tiellement précieuse à la République, dont die est la dernière frontière, et dont la municipalité renfermait encore dans son sein plusieurs membres extrêmement suspects. Ma conduite à cet égard se trouvait naturellement tracée par celle des deux représentants patriotes, Lacoste et Guyardin qui, peu de temps avant moi avaient passé dans cette commune et qui, frappés de son incivisme et de ses dangers, avaient mis Huningue en état de siège, pour mettre les municipaux dangereux hors d’état de nuire; mesure qu’ils eussent étendue aux autres places frontières du département, si elle eût été purement militaire. J’ai suspendu en conséquence la municipalité; je l’ai remplacée par une Commission municipale énergiquement prononcée dans le sens de la Révolution; j’ai mis en état d’arrestation les mauvais citoyens avérés; à la place des hommes douteux qui formaient ie comité de surveillance, j’ai nommé tout ce que le patriotisme me présentait de plus pur et de plus ardent; j’ai fait faire les visites domiciliaires les plus exactes; en exécu¬ tion d’un décret rendu déjà depuis quelque temps, j’ai chargé une Commission militaire, composée d'excellents révolutionnaires, de re¬ chercher les auteurs et les complices du fameux incendie d’Huningue, arrivé plusieurs mois auparavant, à une époque où nous étions avertis que nos ennemis, redoublant de scélératesse, devaient multiplier tous les moyens de nous détruire. Cette Commission a rempli sa tâche avec un zèle et une activité dignes d’éloges; elle a découvert les causes que l’on s’était constamment obstiné à cacher; et j’ai remis en son nom au tribunal révolutionnaire de Paris, qui ne tardera pas sans doute à s’en occuper, un grand nombre de pièces d’où sortira la vérité ; en même temps, j e n’ai rien négligé, soit pour raviver à Huningue les couleurs et les signes sensibles d’un patriotisme qui s’éteignait aux yeux ainsi que dans les cœurs, suit pour constater avec plus d’exactitude que jamais l’état de cette place, récemment approvisionnée par les représentants mes collègues, mais où il était nécessaire de vérifier si leurs sages dispo¬ sitions avaient été effectuées et maintenues. J’ai redonné une nouvelle énergie aux lois contre la [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, i J �cembr" H93 487 reddition des places, en les faisant inscrire et attacher à l’arbre même de la liberté, en les affichant dans les hôpitaux, en renouvelant leur lecture chaque jour de parade et à chaque séance de la Société populaire; j’ai vengé l’armée par le supplice de quelques traîtres saisis les armes à la main, justice nationale que des soldats républicains réclamai entdepuis long¬ temps. Une douzaine de patriotes, remplis d’ardeur, travaillant avec moi les jours et les nuits, ont prouvé en combien peu de temps il est possible de venir à bout d’une besogne immense, quand toutes les volontés sont d’accord et que l’amour de la République anime et presse les démarches : peu de jours, en effet, ont suffi pour retourner entièrement une commune qui avait besoin des plus grands moyens de vigueur. Le succès a répondu à mes efforts, et j’ai recueilli dans cette circonstance le prix le plus doux que puisse obtenir un représentant du peuple, après le bonheur d’avoir bien servi la République, je veux dire l’assentiment des patriotes, et l’intérêt d’estime et d’amitié que les Sociétés populaires, et notamment celle d’Huningue, rendue à toute son énergie, n’ont cessé de me témoigner dans le reste de ma mission. Un orateur avait prononcé, peu de temps avant mon départ, à la tribune des Jacobins de Paris, ce mot fameux, le seul qui nous ait délivré de nos ennemis, que la terreur soit à l’ordre du jour. Ce qu’il a dit, je l’ai fait. En arrivant à Belfort, j’ai fermé les portes delà ville, et au même instant j’ai envoyé fermer pareille¬ ment celles de Colmar. Prévenu que ces deux endroits surtout recélaient les individus les plus dangereux, j’ai suspendu tous les passe¬ ports, fait faire les visites les plus scrupuleuses, enlevé les armes cachées, renouvelé, changé les comités de surveillance, arrêté, renfermé tous les êtres suspects. J’ai fait plus : à la frontière, ce n’est pas assez d’incarcérer; vous ne remplissez que la moitié de votre objet, en séquestrant de la société les individus capables de la troubler, et d’apporter des obstacles à l’établissement de la République. Il leur reste mille moyens de conspirer, de communiquer avec le dehors, et de préparer les fermentations de l’intérieur. Il est donc de toute nécessité de mettre un terme à ces fatales correspondances ; et ce ne peut être qu’en reversant les détenus dans quelque autre département, où la distance et le défaut de moyens découragent leurs intrigues. C’est dans cet esprit que j’ai engagé plusieurs communes, et entre autres celle de Langres, où de chauds patriotes vont au-devant de tout ce qui peut intéresser la cause de la liberté, à recevoir les prisonniers suspects du Haut-Rhin. Que ces dignes collaborateurs révolutionnaires reçoivent ici le remerciement que je leur dois; par le secours qu’ils nous ont prêté, ils ont épargné bien des maux à leurs frères et à la patrie. C’est principalement sur les administrateurs, sur les fonctionnaires publics, sur les autorités constituées, qu’il importe de fixer la plus active surveillance. Qui ne sent en effet que la destinée d’un pays est toujours en rapport avec le mérite 'et la vigueur des hommes placés à la tête des affaires? Lorsque j’arrivais dans une commune, j’avais pour méthode, après avoir pris les renseignements nécessaires, et conféré avec tous ceux qui pouvaient m’éclairer ou sur les autres, ou sur eux-mêmes, de rassembler le peuple entier dans quelque vaste édifice, et là de le consulter non seulement sur les intérêts et sur les besoins, mais encore sur toutes les personnes dont la domination et le crédit pou¬ vaient peser sur lui. Beaucoup de représentants ont employé dans la France ce moyen qui sou¬ vent a produit les plus heureux effets, mais j ’ ai été forcé de l’abandonner après plusieurs épreuves; je me suis convaincu, non sans un vif regret; qu’il ne convenait point à un pays où le peuple trop souvent en puissance des ambitieux qui veulent l’asservir, ne s’énonce point sur leur compte tant qu’il les craint, et prodigue des désespérantes acclamations à des êtres qui sont évidemment ses ennemis. C’est ainsi que plu¬ sieurs fois il m’a fallu prendre l’inverse des applaudissements, et lorsque j’avais mis en prison quelqu’un de ces administrateurs puis¬ sants que l’on eût cru soutenu de ses conci¬ toyens, je recevais ensuite les bénédictions de ce même peuple, et souvent les dénonciations les plus précises sur le compte du dominateur écarté. En général, soit que les extrémités d’une République soient naturellement plus froides que les points centraux où se forge la révolu¬ tion, soit que le souvenir d’une longue obéis¬ sance, ou le caractère des habitants de ce pays, porté à une patience plus longtemps concentrée avant l’explosion, semble émousser et suspendre les armes avec lesquelles on se poursuit ailleurs, il est certain que la dénonciation est presque nulle, ou du moins qu’elle n’existe point assez dans le Haut-Rhin. C’était là mon plus grand obstacle. Un état d’agitation m’eût moins embarrassé que cet état d’ignorance et de ténèbres où vous ne savez sur quoi ni sur qui marquer les exemples libérateurs. Placé parmi les écueils, j’ai senti qu’en politique comme dans les sciences et les arts, le plus puissant moyen d’action était de se créer des instruments, à l’imitation de ces suppléments que l’homme ajoute à son intelligence et à ses bras, et qui atteignent avec précision à de grandes dis¬ tances. Telle a été ma pensée lorsque j’ai com¬ posé des patriotes les plus recommandables que j’eusse encore été porté de connaître, un comité que j’ai appelé d’activité révolutionnaire. Je n’avais vu nulle part le modèle de cette ins¬ titution simple, dont j’ai retiré constamment de grands avantages. Ce 11’était poit un comité central, comme il en a été formé dans quelques départements, établissement vicieux, et que la Convention nationale a justement proscrit; car un représentant ne doit jamais laisser échap¬ per de ses mains, ni transmettre, par une oisive et indigne délégation, le pouvoir national dont il a l’honneur d’être investi. D’ailleurs, la cen¬ tralité d’un grand nombre de détails ayant été attachée, par les décrets de la Convention, à son comité de Salut public et de sûreté géné¬ rale, il fallait se garder d’intervertir cet ordre, et d’isoler une portion de la France du pouvoir surveillant qui plane sur le tout. En évitant cette erreur; je puis dire avoir pressenti et pré¬ venu le décret récent qui a supprimé les comités centraux. Le comité dont je parle n’eût point été dans le cas de la suppression, parce qu’il n’avait rien de commun avec l’institution que l’Assemblée a détruite. Ce n’était, à proprement parler, qu’une sorte de secrétariat, un dépôt commun où toutes les affaires recevaient un pre¬ mier examen, soit que je les y renvoyasse, soit qu’on les y portât d’abord. Versés dans les con¬ naissances locales, les estimables citoyens qxd composaient cette Commission recueillaient 488 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { décembre 179 tout, me faisaient part quelquefois de leur opi¬ nion, je l’appréciais avec une sévère impartia¬ lité, je prononçais, et c’est ainsi que, sans être revêtus d’aucun pouvoir, impuissants pour nuire, organisés seulement pour être utiles, ces hommes laborieux ont fait terminer en deux mois plus de quatre cents affaires ou opérations de tout genre, révolutionnaires, administra¬ tives, judiciaires; leur activité bienveillante à la fois et sévère s’étendait à tout, et par elle je faisais marcher, chacune dans leur sphère, jus¬ qu’aux autorités les moins influentes dans des jours de révolution, ou qui, trop souvent entra¬ vées et primées par quelque pouvoir supérieur, sont exclues à tort de participer à la régénéra¬ tion commune. A cet établissement, j’ai lié celui de commis¬ saires civils, que j’ai choisis avec le plus grand soin, ou plutôt qui m’étaient désignés par l’opi¬ nion publique. Chacun de ces commissaires, muni d’instructions détaillées, dirigeait dans les campagnes et dans les communes une force révolutionnaire que j’avais empruntée de l’ar¬ mée. Je le dirai encore, dans cette mesure j’avais eu le bonheur de pressentir un autre décret que la Convention nationale a rendu six semaines après. Quoique ayant sous ses yeux l’exemple d’armées révolutionnaires créées par plusieurs représentants dans les départements où ils étaient envoyés, je n’ai pas voulu former dans celui du Haut-Rhin une armée de ce genre. Vainement, dira-t-on que ceux de mes collègues -qui en ont fait usage n’avaient, comme j’en suis convaincu, que de très bonnes intentions, et que le succès n’a pas cessé de répondre à la pureté de leurs intentions; toujours est-il que l’existence d’une armée révolutionnaire, indé¬ pendante des autres armées, rappelle trop sen¬ siblement le souvenir de ce fédéralisme, de ces fatales divisions qui ont manqué nous coûter naguère la force, la puissance, la grandeur de la France, la sûreté et le bonheur de la Répu¬ blique. A quels maux ne se verrait pas encore exposé ce vaste empire, si chaque département renfermait dans son sein le moyen de faire la guerre à ses voisins? 11 importait de prévenir un aussi grave inconvénient, et d’un autre côté cependant jamais les lois n’eussent repris leur autorité, jamais les subsistances n’eussent reparu, jamais les assignats n’eussent remonté à leur valeur, jamais enfin le Haut-Rhin ne fût redevenu semblable aux autres départe¬ ments de la République, sans une force active se transportant partout à la fois et déconcertant par sa présence le conspirateur, l’aristocrate, l’agioteur, l’accapareur. Je pense qu’il n’y avait d’autre parti que celui que j’ai pris, de détacher des divers cantonnements de l'armée du Haut-Rhin une certaine quantité de volon¬ taires répandus d’abord dans chaque district et distribués ensuite par petites parties, d’où il suit qu’il n’existait point d’armée révolu¬ tionnaire, mais seulement une force requise pour certaines opérations, toujours prête à rentrer dans la masse de l’armée, au moment où elle pouvait y devenir nécessaire. En effet, je n’ai fait mouvoir momentanément ces différents détachements qu’ après m’être assuré auprès du général Schérer, qui commande la division du Haut-Rhin, et au zèle duquel je me plais ici à rendre justice, qu’ils ne lui étaient pas rigou¬ reusement nécessaires pour la défense du pays. Plusieurs fois, des mouvements de l’ennemi, ou au moins des tentatives qu’il ne fallait pas négli¬ ger, m’ont mis dans le cas d’en renvoyer un cer¬ tain nombre à leur poste, aussitôt que le général les redemandait. Par là tout a été concilié, la sûreté et les principes; par là j’ai opéré pres-qu’à la fois, dans le Haut-Rhin, la guérison révolutionnaire : hommes et choses, tout a plié sous la loi. Nous avons saisi les prêtres conspi¬ rateurs qui intriguaient au lieu de se faire déporter, les barons alsaciens qui pleuraient la monarchie et leurs trente-six quartiers. Nous avons connu les besoins du pauvre, les cachettes du riche. Je n’ai point imposé de taxes, parce qu’on était revenu de cette mesure et que je me fusse écarté de l’esprit de sagesse qui dirige les combinaisons du comité de Salut public et les décrets de la Convention hationale; mais j’avais établi un tribunal révolutionnaire, ainsi qu’ont fait plusieurs représentants, et les amendes qu’il prononçait contre les riches coupables, contre les juifs agioteurs, en un mot contre les ennemis de la prospérité publique, m’ont fourni souvent l’occasion de servir le peuple et de réparer ses malheurs. Je ne puis mieux rendre compte de ma mis¬ sion qu’en plaçant ici les deux arrêtés que j’ai pris, l’un pour l’établissement du comité d’acti¬ vité révolutionnaire, l’autre pour l’instruction des commissaires civils destinés à diriger les mouvements de la force requise. Ces deux pièces, qui ont été comme les deux pivots sur lesquels a roulé ce qui s’est passé de plus remar¬ quable (car je dois omettre ici une multitude de mesures de détails), ces deux pièces, dis-je, feront connaître plus positivement que tout ce que je pourrais ajouter, et l’état du Haut-Rhin, et les maux dont il était la proie, et les remèdes que j’y ai employés. Je me suis attaché à réunir dans ces deux actes tout ce qui pouvait concer¬ ner l’ensemble et les localités du Haut-Rhin; ils en sont, pour ainsi dire, l’histoire générale et particulière. Arrêté du représentant du peuple envoyé dans le département du Haut-Rhin, pour y prendre les mesures de sûreté générale. Le représentant du peuple envoyé dans le département du Haut-Rhin, Considérant que le département du Haut-Rhin, voisin de l’ennemi, renferme d#ns son sein un grand nombre de contre-révolution¬ naires, de fanatiques, d’accapareurs, d’agioteurs, d’hommes cupides et égoïstes; Que leurs trames perfides mettent journel¬ lement en danger la subsistance du peuple, portent des atteintes funestes à la fortune publique, en discréditant et avilissant les assi¬ gnats par toutes sortes de moyens; Que les lois sur le maximum des grains, l’ap¬ provisionnement des marchés et la taxe des denrées sont souvent méconnues ou faiblement exécutées ; Que le défaut d’établissement des comités de surveillance dans plusieurs communes, ou leur composition illégale, protège les hommes sus¬ pects et favorise leurs complots ; Que les signes de la féodalité et de la supers¬ tition souillent encore les regards de l’homme libre; Que les patriotes ont besoin d’être soutenus et encouragés par toute la puissance nationale; Qu’il est temps de déployer l’énergie du gou¬ vernement révolutionnaire, pour élever le dé¬ partement à la hauteur de la République; 492 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { on décembre 17'Vi veillé à la culture des terres des défenseurs absents ; 4° Si les contributions sont exactement payées, si les rôles de 1793, et les déclarations de l'emprunt forcé sont faits; 5° Si les biens immeubles des émigrés ont été séquestrés et mis en vente, si le mobilier a été vendu, s’il y a eu des fraudes dans la vente, soit des biens des émigrés, soit dans la vente des autres biens nationaux : ils recueilleront les noms des particuliers ou des fonctionnaires publics qui auraient commis ou favorisé des fraudes ; 6° Si le service des hôpitaux se fait exacte¬ ment. Art. 14. Pour détruire à la fois et sans retour les intel¬ ligences que l’ennemi ne cesse d’entretenir sur cette frontière, intelligences qui ont perdu l’esprit public du département du Haut-Rhin, et qui mettent en danger le salut de la Répu¬ blique, la force révolutionnaire fera rapidement la chasse et la capture de tous les mauvais citoyens. Au nombre de ceux qui appellent la surveil¬ lance la plus sévère, sont spécialement indiqués : 1° Les Juifs qui n’ont aucun métier, et qui ne feignent d’être soumis aux lois que pour exercer avec plus de sécurité un infâme agiotage; 2° Les ex-nobles, presque toujours inacces¬ sibles à la philosophie, à l’humanité, et néces¬ sairement ennemis d’une révolution qui les dépouille, lorsqu’ils n’y ont point coopéré par des actes positifs et non équivoques; 3° Les gardes des forêts, la plupart valets des ex-nobles, des ci-devant conseillers, des ci-devant princes, soupçonnés de recéler des émi¬ grés, des déportés, et de faciliter dans les bois des communications dangereusés; 4° Les curés et vicaires réfractaires; 5° Les employés aux douanes, dont le mau¬ vais choix et la cupidité ont souvent causé à la République les plus grands préjudices; 6° Les pêcheurs et bateliers prévenus de s’être entendus avec' les pêcheurs de la rive opposée du Rhin, pour faire leur métier comme par le passé, sous la protection réciproque des armées ; 7° Les individus fanatiques qui sont précé¬ demment sortis du territoire de la France, sous le prétexte d’aller en pèlerinage à Notre-Dame-des-Ermites, et Notre-Dame-de-la-Pierre; 8° Les Français ou étrangers entrant et sor¬ tant avec des passe-ports délivrés par des muni¬ cipalités; 9° Les déserteurs étrangers, et les individus ■dispersés qui, ayant quitté le corps des Francs-tireurs établis le long du Rhin, sont suspects ■d’entretenir encore des intelligences criminelles ; 10° Ceux qui refusent ou diffèrent de pré¬ senter publiquement sur leurs maisons les signes extérieurs de l’unité, de l’indivisibilité de la République, de l’égalité, de la liberté et de la fraternité, Burtout les fonctionnaires publics qui, malgré les exemples consignés dans les papiers publics ou même offerts à leurs yeux, balancent à se prononcer, comme s’ils crai¬ gnaient encore que les Autrichiens et les émi¬ grés n’apprissent un jour qu’ils ont paru faire un vœu pour la liberté. Art. 15. Il sera rigoureusement veillé à toute espèce d’exportation et d’importation, sauf de plus grandes mesures qui seront prises sans délai pour arrêter toute correspondance avec l’en¬ nemi. Art. 16. Les commissaires civils feront journellement parvenir le compte de leurs opérations au co¬ mité d’activité révolutionnaire. Les commissaires civils sont responsables de l’exécution de toutes leurs opérations; en cas de malversations, d’abus de pouvoir, de vexa¬ tions, de violences inutiles, de dilapidations, de concussions, ils seront destitués, arrêtés et li¬ vrés aux tribunaux ; ils seront tenus, sous peine d’être réputés complices, de dénoncer tous les citoyens de la force armée qui se seraient ren¬ dus coupables de quelque excès, ceux-ci seront soumis à la même obligation. La présente instruction sera imprimée dans les deux langues, lue par les commissaires civils à la tête de la force armée qu’ils sont chargés de diriger, reihise aux chefs de chaque détachement, et consignée dans les registres du tribunal révo¬ lutionnaire et du comité d’activité révolution¬ naire. A Colmar, le 2e jour de frimaire, l’an II de la République française, une et indivisible. Hérault. J’assistais le plus souvent qu’il m’était pos¬ sible aux séances des Sociétés populaires, dont la première heure était employée à la lecture des lois, des nouvelles et des meilleurs journaux, et dont les autres, réservées aux discussions, ont été souvent marquées par des élans énergiques, par des sacrifices touchants, par des actes mémo¬ rables de désintéressement, de dévouement à la patrie. Ces Sociétés nombreuses, mais ne se trouvant pas encore assez pures pour leur sublime destination, car de mon côté je me faisais un devoir de les consulter sans cesse, comme étant l’œil de la patrie, les foyers de l’opinion publique, les sommets de la bienveil¬ lance, ces Sociétés firent tout à coup un retour sur elles-mêmee. Peut-être une de mes démarches provoqua-t-elle ce mouvement. Il existait depuis nombre d’années à Colmar une association connue sous le nom de Tabagie littéraire. Comp¬ tant parmi ses fondateurs quelques hommes qui ont abandonné la liberté et la France, ne pou¬ vant se soutenir qu’à l’aide de citoyens riches ou aisés, vu ses nombreuses dépenses et les em¬ bellissements de son local, cette Société, à l’exception de plusieurs membres d’un patrio¬ tisme non encore inculpé, n’offrait en général sur son tableau que des aristocrates, des modé¬ rés, des feuillants, des amis de l 'ordre, quelque¬ fois même encore des noms d’émigrés. Sous un gouvernement révolutionnaire, son existence était une insulte à la sans-culotterie, une sépa¬ ration indécente, une dérogation vraiment cou¬ pable aux saintes lois de l’égalité. Comme en révolution il n’y a point d’académicien, que tout homme doit être peuple, que toute Société ne peut être qu’une Société populaire, je me fis un devoir d’anéantir ce rassemblement, d’en brûler les registres, d’effacer jusqu’à son sou¬ venir. Cette justice fut accueillie du peuple avec transport ; d’éclatantes acclamations signalèrent [Convention nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 4 S'™mb 1793 'l93 sa joie et, par une émulation républicaine qui ne devait pas peu contribuer au progrès de la chose publique, on vit presque aussitôt les patriotes prononcer eux-mêmes la dissolution des Sociétés populaires pour les renouveler aus¬ sitôt, en les débarrassant de l’obscur alliage et du mélange hétérogène qui ternissait leur pureté. Un de nos éloquents montagnards, le repré¬ sentant du peuple Jean-Bon Saint-André, en¬ voyé à Brest, venait d’y renouveler la Société d’une manière très ingénieuse. Douze patriotes recommandables, appelés à l’honorable qualité de premiers éléments, étaient chargés d’en nom¬ mer douze autres; ces vingt -quatre choisis¬ saient un nombre pareil, et ainsi de suite, jus¬ qu’à parfaite épuration. Cette méthode fut adoptée. Le peuple m’engagea de choisir les douze premiers membres de la Société renais¬ sante. Jaloux de répondre à sa confiance, je proposai les hommes qui, après s’être fortement prononcés dans les commencements orageux de la Révolution, avaient constamment persévéré à la même hauteur. Leur nombre n’était pas considérable, mais enfin je les ai trouvés. Péné¬ trés de la dignité de leur emploi, ils procédèrent ensuite à la nomination graduelle du reste de la Société. Ce scrutin épuratoire n’a pu s’effec¬ tuer, il est vrai, sans quelques mécontente¬ ments; que n’ont pas dit les citoyens exclus! J’ai appris depuis que la partie éconduite accu¬ sant de son sort la différence de religion, avait cherché à paraître victime du catholicisme. Ces plaintes ne se sont élevées qu’au moment de mon départ. Pendant mon séjour, jamais rien de semblable ne m’était parvenu, et je ne puis croire que des hommes que j’ai toujours vus si dégagés d’erreurs et de préjugés, aient obéi à ce point aux inspirations d’un fanatisme qui n’était pas dans leur cœur. Mais enfin, s’il était vrai qu’une lutte religieuse eût exercé quelque secrète influence sur ce renouvellement, ô citoyens, je vous en conjure au nom de la patrie et de la raison, abjurez, abjurez ces pensées indignes de la prééminence de la liberté. Que peut la théo¬ logie sur un gouvernement révolutionnaire! Qu’y a-t-il de commun entre Luther et la majesté sainte d’une République qui s’élève sur la justice et sur la vertu! Un mouvement nouveau s’était communi¬ qué à la France; on voyait s’écrouler les autels devant lesquels tant de générations étaient venues s’agenouiller; les prêtres, les évêques renvoyaient leurs patentes : aussi, embarras¬ sés du choix de leur état que les ex-nobles du hasard de leur prétendue naissance, ils s’excu¬ saient d’avoir été. Les reliques, les saints métal¬ liques, les cloches tombaient dans le creuset national; les vieux temples nus, dépouillés de leurs richesses d’or et d’argent, et surtout des richesses de l’imagination et des sens, réduits à leurs colonnes et à leur sombre obscurité, s’inti¬ tulaient les sanctuaires de la raison; était-ce philosophie ou conspiration? L’un et l’autre. Les uns ont pu traiter d’impiété ce que nous ôtions de superflu à la religion, d’autres auront taxé d’athéisme ce qu’en effet nous rendions à Dieu. Coupable envers la sagesse, ou coupable envers la politique et sa patrie, l’homme public marchait entre deux reproches ; il lui était éga¬ lement nécessaire de s’avancer et de s’arrêter. La Société populaire de Colmar me pressa de renouveler, dans l’ancienne cathédrale de cette commune, le spectacle que la Convention natio¬ nale venait de donner aux Français dans la Notre-Dame parisienne. J’exécutai son vœu, notre fête fut simple et grave : tout Colmar se rendit dans cette église; on y voyait une mon¬ tagne, emblème du républicanisme, couronnée par la flamme, emblème de l’intelligence : les femmes avaient embelli le local de toutes les parures républicaines. Je célébrai la raison, le peuple chanta la liberté : le reste du jour, con¬ sacré à l’égalité, fut égayé par des danses, par le bonheur de se retrouver et de s’entretenir fraternellement ; ainsi lorsque du voisinage nous entendions tonner le canon, il y avait encore pour des républicains des moments d’allégresse, et la jouissance d’une victoire morale trouvait sa place dans l’intérêt des combats. La même fête de la raison fut répétée dans plusieurs autres communes du Haut-Rhin, à Belfort, Altkireh, Dell, Thann, Lendfer, Rouffach, etc.,; ou plutôt le chef-lieu eut le plaisir de se voir surpassé par des inventions plus caractérisées, par des allégories plus pompeuses. Le peuple cependant n’a été inquiété sur aucune de ses consolations, ni de ses habitudes. L’éclair d’une révolution religieuse a brillé un instant devant ses yeux; il lui a été libre de choisir entre de vieux fantômes et des vérités nouvelles; et si chaque jour certaines illusions perdent des sec tateurs, le contraste seul l’emporte; la violence-n’ aura été faite que par la raison. Puissé-je ne m’être point trompé ! C’est du. moins avec le plus ardent désir de faire les meilleurs choix; c’est après avoir attendu que-j’eusse aoquis une connaissance plus exacte des habitants du Haut-Rhin, c’est en consultant surtout les patriotes les mieux prononcés, que, lorsque j’ai vu arriver le moment favorable, je me suis occupé de renouveler toutes les admi¬ nistrations. J’ai déjà dit que la faiblesse était le principal reproche qu’on eût eu à leur faire mais cette faiblesse envers laquelle mon devoir m’eût ordonné d’être inexorable, si elle eût eu pour principe l’insouciance de la liberté, j’ai eu la consolation de me convaincre qu’elle ne-provenait généralement que d’un défaut de lumière sur l’état de notre République, ou de-ce que peu de fonctionnaires étaient véritable* ment à la place qui leur convenait. Je me suis donc attaché surtout à faire une meilleure dis¬ tribution des emplois, dans un pays d’ailleurs où le nombre des personnes exercées et capables n’est pas tel qu’il puisse laisser une grande lati¬ tude. J’aurais été répréhensible de suspendre-ces hommes qui devaient encore servir utilement leurs concitoyens, mais je les ai produits sous d’autres rapports (mesure que j’apprends avoir été pleinement justifiée par le succès), j’ai fait monter les uns et descendre les autres, et je dois dire à l’avantage de ces derniers que, loin de donner à cette espèce d’abaissement hiérar¬ chique des regrets qui n’eussent pas été épar¬ gnés sous l’ancien régime, ils se sont montrés vrais républicains, et dignes d’un nouveau degré de confiance, en passant avec joie d’une place à une autre, en prouvant, par un hommage pratique à l’égalité, que servir sa patrie selon* ses moyens et ses forces, est la première dignité du citoyen vertueux; que l’homme doit dispa¬ raître là où il s’agit de la République, et que cette généreuse abnégation vaut bien sans doute - le froid orgueil qui calcule pour s’exhausser, ou la médiocrité vaniteuse qui louvoie pour se soutenir. Un des objets de ma mission, au souvenir-duquel j’attache pareillement un grand prix,. 494 [Convention nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j #0, c’est le soin que je me suis donné pour conso¬ lider notre position politique dans ses rapports avec la Suisse, pour maintenir la bonne harmo¬ nie entre nous et le corps helvétique, pour pré¬ venir par le plus sévère respect du territoire les ruptures que le génie infernal des conspira¬ tions eût été si satisfait de voir provoquer. Les Jacobins discutaient cet objet au moment même où je m’efforçais de le réaliser. Mes démarches ont répondu aux pensées de ces vigilants républicains. J’ai appelé à des confé¬ rences auprès d’Huningue, l’agent politique de la République française, le citoyen Barthélemi, estimé des deux nations par la droiture habi¬ tuelle de sa conduite et par la gravité de son caractère. Nous avons récapitulé les motifs et les actes réitérés de la neutralité des Suisses. Nous en avons conclu que la paix mutuelle était assise sur des bases indestructibles. Et com¬ ment ne pas ouvrir son âme à cette sécurité quand on médite l'abscheid de la dernière diète de Frauenjeld f J’ai recueilli les diverses inquié¬ tudes qui pourraient troubler cette immobilité respectable entre deux peuples. J’ai fait par¬ venir par l’ambassadeur, j’ai adressé en même temps de mon côté les explications, les assu¬ rances, la vérité en un mot, seul langage de la bonne foi, seul traité qui convienne à des hommes libres. J’ai détruit (et il en était temps) par des détails positifs, les nouvelles astucieuses et infernales que fabriquait l’am¬ bassadeur de l’Autriche pour nous aliéner les esprits. J’ai éprouvé une satisfaction vive en lisant, peu de temps après, le beau décret que la Convention nationale a rendu sur ces impor¬ tantes considérations. Ce décret honore la Répu¬ blique française. Il est pour toutes les nations une leçon de sagesse et de dignité. Ce décret a retenti dans toute l’Helvétie; ü a fait une vive sensation sur les esprits, il leur a fait concevoir des espérances analogues aux sentiments qui ont toujours porté les Suisses vers nous. Mais il est de mon devoir de le dire ici : c’est à nous de ne point tromper ces espérances. Quelques belles paroles électrisent les âmes, raniment les affections, mais suffiraient-elles pour inspirer aux Suisses une fermeté immuable? Il faut des faits, et malheureusement nous n’avons pas •encore fait assez, même pour les cantons qui se sont le plus manifestés pour notre Révolution. Quoiqu’il soit possible de les satisfaire sans déro¬ ger au système de notre gouvernement révo¬ lutionnaire, trop souvent peut-être nous les avons tenus en suspens et en inquiétude sur des intérêts qui leur sont chers, et qu’une saine politique prescrit de respecter. Nous n’avons dans tout ce qui nous entoure qu’un seul peuple à ménager; il ne peut attendre d’autre ménage¬ ment que la justice. Mais cette justice ne con¬ siste pas seulement dans l’application de nos lois à son égard, il faut y joindre l’observation des traités qui lient ensemble les deux nations. Sensible aux détails d’équité, combien la Suisse n’a-t-elle pas d’occasions d’éprouver la nôtre! Sels, indemnités, pensions aux États, pensions aux particuliers, récompenses aux militaires licenciés, etc... tout acte de justice et d’amitié à son égard s’unit trop d’ailleurs à son propre intérêt pour ne pas balancer puissamment les efforts par lesquels on cherche à ébranler la foi des cantons. Mais que nos agents diplomatiques ne cessent point de recommander aux magis¬ trats helvétiques l’expulsion des émigrés, leur éloignement de nos frontières. C’est avec fureur que nos ennemis s’efforcent d'entraîner ce bon peuple dans leur coalition. Aucun moyen ne coûte à leur profonde immoralité. Ils se servent particulièrement des émigrés qui, harcelant de tout côté une nation loyale et réfléchie, trouvent moyen de se soutenir plus ou moins à l’ombre des partis qui divisent les conseils. On les chasse, il est vrai, mais ils reviennent. Fribourg surtout les a protégés jusqu’à présent avec une sorte d’ostentation. Quand la mission d’un représentant finit, ses collaborateurs, ses instruments, ses agents finissent avec sa mission; c’est le vœu des décrets et la conséquence d’une saine raison; mais il ne suffit pas, à mon avis, que leur man¬ dat s’anéantisse, il faut encore que le manda¬ taire rende compte de sa conduite, et au repré¬ sentant qui l’a employé, et au peuple pour lequel il agissait. Point de mystères dans une démo¬ cratie; que nos concitoyens soient toujours nos témoins et nos juges. Heureux celui qui a la faculté de mener ou de suivre publiquement les affaires publiques ! il reste sous l’œü de ses frères, sous leur tutelle; il peut se livrer sans crainte à toute la pureté de ses intentions. J’ai payé un tribut solennel à ces principes. Peu de jours avant mon départ, la force requise étant toute rentrée dans ses cantonnements, j’ai convoqué les autorités constituées du départe¬ ment, Sociétés populaires, citoyens, tout le peuple en un mot. Dans une vaste salle du ci-devant collège de Colmar, j’ai fait rendre compte aux commissaires civils dont je m’étais servi; ils étaient au nombre de dix •. scène vrai¬ ment neuve, spectacle imposant; chacun de ces hommes devait dire ce qu’il avait opéré, com¬ ment il s’y était pris, quels obstacles il avait surmontés, quels traîtres, quels abus avaient cédé à ses efforts. Lorsqu’un d’entre eux avait fini son discours : « Citoyens, disais-je au peuple, avez-vous quelques réclamations à faire! Parlez, nous jugerons ensemble. » La justice du peuple a rendu un témoignage flat¬ teur à leurs démarches; souvent des applau¬ dissements couvraient leurs paroles; souvent des doutes élevés, disoutés, éclaircis, ont re¬ doublé ces applaudissements. Je n’ai point assisté à des moments plus heureux; la vérité semblait parler sur la terre, la justice balançait tous les motifs; le suwm cuique n’a jamais peut-être reçu une appréciation plus sensible. Les commissaires civils que j’avais nommés, y ont été honorés de l’approbation et des suffrages du peuple. Je jouissais de voir qu’ils avaient mérité du département. Cependant, lorsque j’ai passé par Strasbourg pour m’en retourner à Paris, un courrier est venu me joindre, et m’a apporté les plaintes d’Altkirch contre le citoyen Muller, l’un de mes commissaires; on l’accusait de s’être permis quelques actes d’autorité. Il n’avait point imité ses collègues; il avait porté un caractère despotique au sein de l’égalité républicaine; il avait mis la vexa¬ tion à la place de la sévérité. J’ai gémi de cette tache qui seule pouvait altérer mon ouvrage. J’ai dénoncé ce jeune homme à mon collègue Lémane, représentant du peuple près l’armée du Rhin. J’espère que celui-ci aura pris les mesures les plus promptes et les plus vigoureuses pour éclaircir cette inculpation et pour rendre justice à qui elle aura été due. La justice est le premier bien, le premier devoir, le premier droit de la terre. Je suis loin de vous, ô mes concitoyens du 1 Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. » décc'bâs" 1793 495 département du Haut-Rhin; mais ma pensée souvent me ramène au milieu de ces belles contrées où j’ai porté et rapporté la liberté. Commissaire nommé en vertu d’un décret de l’Assemblée constituante, j’ai subi avec plu¬ sieurs d’entre vous que j’ai eu le bonheur de retrouver et d’embrasser à Colmar, une sédition suscitée par les nobles et par les prêtres, où nous serions tous restés par terre, sans votre courage et sans la présence d’esprit du brave et vigoureux batelier Stockmeyer. Appelé, trois mois après, à consolider dans votre territoire, la liberté par les mesures révolutionnaires, je vous ai vus de plus près encore, je vous ai pratiqués dans un plus grand nombre de détails ; j’ai reconnu que vos cœurs s’ouvraient amica¬ lement aux sentiments de la justice et de la vérité; que vous étiez disposés à soutenir avec courage qui vous voulait du bien, et qu’aucun sacrifice ne coûtait au plus pauvre des sans-culottes eux-mêmes pour défendre le défenseur de son pays. Il est doux de travailler pour de tels hommes ! Recevez au lieu de ces remercie¬ ments stériles d’une froide reconnaissance, mes conseils pour votre prospérité commune, mes sincères avertissements pour la conservation de votre liberté. Persistez dans l’attachement raisonné que je n’ai cessé de vous inspirer pour la Convention nationale, seul centre de l’unité, dominatrice sévère et puissante de tous les intrigants, qui ne prévaudront jamais contre elle, ni contre le peuple français : étouffez ces démarcations fatales du catholicisme et du protestantisme, que des génies malfaisants, que des esprits brouillons voudraient encore renou¬ veler pour servir, n’en doutez pas, de vils intérêts individuels. Ces vieilles querelles pou¬ vaient convenir à d’autres temps, à d’autres gens, à d’autres genres d’intrigue, mais qu’ils sont ridiculement cruels, ceux qui voudraient vous effrayer, vous tourmenter encore avec la cendre des incendies du siècle passé. Songez, ah ! songez plutôt à vous préserver de vos réels ennemis intérieurs et extérieurs ! Occupez-vous de garnir, de cercler, pour ainsi dire, la frontière du Haut-Rhin, afin que toute intelligence, toute communication soit inter¬ ceptée, que l’ennemi n’ait aucune possibilité de savoir ce que nous faisons, et qu’ü renonce au projet de nous vaincre quand il ne pourra plus nous trahir. Gardez-vous de vous endormir auprès des fripons qui méditent notre ruine, ou des traîtres qui veillent pour vous surprendre. Vos fortunes n’appellent ni la cupidité parti¬ culière ni l’envie générale. Nul d’entre vous ne possède de ces scandaleux trésors, effroi d’une République, qui font haïr et qui perdent un homme; car, dans l’égalité, tout homme qui dépasse ou peut dépasser, devient avec raison redoutable, et ensuite odieux, s’il n’a la sagesse d’imposer lui-même le néant à son ambition, ou le niveau à ses richesses. Hommes du Haut-Rhin, le vice dont vous avez le plus à vous préserver, c’est cet amour du gain qui, érigeant en spéculateur l’habitant le plus retiré des campagnes, vous met en opposition avec les volontés de la France, vous porte à discréditer la monnaie nationale, vous établit rivaux des juifs qui vous dévorent. Quelle position ! patriotes, quand vous payez vos créanciers avec des assignats; conspirateurs réels, quand vous ne voulez vendre vos denrées que pour du numéraire; qu’auriez-vous à répondre, comment vous verrait-on affectés, si quelquefois un vrai discours vous accusait d’être sans foi, sans moralité? Je n’ai vu personne parmi vous, qui aimât les rois; la vieille Rauracie n’est pas instruite à ramper sous des maîtres; mais les passions intéressées ne sont-elles pas aussi des maîtres inalliables avec la République? Le fana¬ tisme n’est-il pas un maître non moins dangereux que le sanglant despotisme, et souvent le fanatisme a plané sous vos demeures ! Quand arriveront ces jours de politique et de conso¬ lation, où l’idiome germanique cessera d’être le vôtre; où, Français par les lois, vous le serez encore par le langage; où la République, qui entretient avec orgueil tant d’intrépides com¬ battants que vous lui fournissez contre la Prusse et l’Autriche, vous trouvera refondus en entier dans des moules français et ne s’alarmera plus de vous entendre, comme si vous étiez une pro¬ longation de la frontière ennemie? C’est à l’instruction publique qu’il est temps de demander ce bienfait. Ne nous flattons pas que nos pères désapprennent; il ne faut rien exiger des hommes au delà de la portée de leurs orga¬ nes; mais l’enfance du moins est sous la réqui¬ sition spéciale de la liberté; l’enfance doit nous être rendue; et cet âge si tendre, digne d’être appelé à ce qu’il y a de plus parfait dans les mœurs, vivra du bonheur public, quand il n’existera plus dans le Haut-Rhin d’hommes-condamnés à ne connaître nos lois que par des traductions, ou frustrés des écrits qui laissent dans les âmes les faits de nos triomphes et la philosophie de la Révolution. Vallée de Gueb-willer ! champs de Gondolsheim ! où le sang des patriotes fut répandu et demande une vengeance que la justice n’a retardée que pour la rendre plus éclatante; heureux pays, qu’il sera si doux d’habiter quand l’état social y sera devenu aussi beau que la nature; Sociétés populaires, assises sur ces tombeaux sacrés; vous enfin, hommes généreux qui favorisez de tout votre pouvoir la cause auguste de la liberté, souvenez-vous de ces réflexions que je dépose dans vos cœurs, soyez-en les premiers interprètes, les promoteurs les plus éloquents, et puissiez -vous conserver quelque bienveillance pour celui qui vous consacra ses travaux et ses soins ! Tant que j’ai résidé dans vos murs, j’y ai cherché cons¬ tamment la gloire de la République et votre bonheur. Voilà ma réponse aux calomnies dont l’envie et la malveillance se sont efforcées de rendre victime un homme qui, ayant tout sacrifié aux principes démocratiques, n’a jamais varié depuis le commencement de la Révolution, et qui est résolu à ne jamais reculer lorsqu’il s’agira de l’affermissement de la liberté et de l’égalité.