[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 octobre 1789.] ui le fond de la question. Quelle que puisse en être la décision, mon pays dénierait la réunion aussi fortement que moi; mais je voudrais que l’Assemblée, sans changer l’ordre du jour, pût ne rien , préjuger sur cette question en ne supprimant pas le titre de souverain de Béarn pris par nos Bois, dans les lois qui nous sont envoyées. M. Bouche cherche à établir, par des nouvelles considérations historiques, combien il est important que les rois ne touchent point aux titres qu’il ont une fois pris. M. Barrère de Vleuzac. Tout prouve que la Navarre n’est ni un membre ni une dépendance du royaume de France et l’on ne peut lui opposer que les maximes modernes du fisc ; mais aujourd’hui que les bases de votre Constitution sont posées, quel peuple ne désirerait pas d’être Français? Dans ces circonstances je propose l’ajournement sur la question. En attendant, les Etals , généraux de Navarre délibéreront sans doute d’adhérer à vos décrets, et il n’y aura plus que des Français le long des Pyrénées. Cet ajournement est mis aux voix et rejeté. M. La Ville-Leroux présente cet amendement : i « Réserver le titre de Roi de Navarre pour les actes diplomatiques. » M. Eunnery. L’objet de cet amendement est étranger à la discussion présente, et ne peut être mis en délibération. Ou la Navarre concourra à nos lois, et alors elle s’y soumettra; ou elle restera indépendante, et alors comment pourrait-elle influer sur la formule de nos lois? Convient-il, quand un peuple devient libre, quand il établit ses lois sur la liberté, que son roi possède une souveraineté qu’il régirait suivant des lois différentes ? 11. n’y a pas lieu à délibérer. L’Assemblée décide qu’il y a lieu à délibérer. M. Salieetti, député de Corse. Dans mon avis individuel, le titre de Roi des Français est suffisant; mais si l’on ajoute celui de Rofde Navarre, - je suis autorisé, et même obligé par mon cahier à demander qu’on dise aussi roi de Corse. La république de Gênes prétend conserver encore des droits sur cette île, et ce serait décider utilement une grande question. M. le comte de Mirabeau. Rien n’est plus. contraire à l’unité monarchique que la variété des v titres ; au lieu d’être une véritable fusion de parties homogènes, cet empire serait donc composé de parties diverses, qui ne tarderaient pas à être divisées? On a dit avec raison : si les Navar-rais ne font pas partie des Français, pourquoi s’occuper d’eux? pourquoi s’occupent-ils de nous? S’ils sont Français, iis sont obligés par nos lois comme nous-mêmes. L’unité monarchique, sans laquelle nous ne serons jamais que mal constitués, ’ est un principe essentiel. Je demande que l’amendement du député de Corse soit décidé pour éclairer sur cette question. M. Lanjuinais. Si vous mettez Navarrais, il faudra mettre Corses; mettez l’un et l’autre, il faudra dire : Louis, par la grâce de Dieu et par la loi constitutionnelle des Français, des Navarrais, des Corses, etc., etc., Roi des Français, des Navarrais, des Corses, etc., etc. M. de Bousmard. Il faut examiner d’abord si l’on ajoutera ou non quelque chose à Roi des Français, ensuite chacun proposera, au nom de sa province, les additions convenables. Cette proposition est fortement appuyée ; la priorité lui est accordée sur la demande de la question préalable, relativement aux amendements. L’Assemblée décrète que rien ne sera ajouté à l’expression Roi des Français. M. le duc d’Aiguillon, M. Guillotin, M. de Col-bert-Saignelay, évêque de Rodez et M. La Poule, qui étaient du nombre des commissaires envoyés à Paris pour y choisir le lieu où l’Assemblée nationale sera tranférée, rendent compte de leurs travaux à ce sujet ; ils annoncent que l’Assemblée pourrait s’établir incessamment et provisoirement à l’archevêché. M. Leclerc de Juigné, archevêque de Paris , offre tout ce qui pourrait dans son palais convenir à l’Assemblée. L’Assemblée décrète qu’elle rompra ses séances à Versailles après celle de jeudi matin, et qu’alors elle se réajournera au lundi suivant, à l’archevêché de Paris. M. de Virleu demande à être autorisé à faire transporter la caisse patriotique à Paris, avec telles escortes ou tels moyens qui seront jugés nécessaires pour qu’elle arrive sûrement à sa destination. M. d’Estourmel propose d’appliquer les fonds de cette caisse au payement des six derniers mois de 1788, des rentes sur l’hôtel-de-ville au-dessous de 50 livres. Cette motion n’est pas délibérée. M. le Président annonce que M. Marat, auteur d’un ouvrage périodique intitulé l’Ami du peuple , se plaint d’une violence exercée contre lui ; il demande si l’Assemblée veut qu’on lui rende compte ce soir de cet objet. L’Assemblée se décide pour l’affirmative. M. le baron du Menou observe que la double motion de M. de Mirabeau a été ajournée à vendredi, et que ce jour il n’y aura pas de séance ; il propose de la remettre à demain matin. Cette proposition est accueillie. La séance est levée à trois heures et demie. Séance du lundi 12 octobre 1789, xau soir. La séance a été ouverte par la lecture du recensement du scrutin pour la nomination des trois secrétaires qui doivent remplacer les trois qui sont sortis d’exercice, aux termes du règlement. Ces trois secrétaires sont : M. le marquis de Ros-taing ; M. le chevalier Alexandre 4e Lameth ; et M. Thibault, curé de Soupes, qui ont pris leur place. M. Camus, archiviste de l’ Assemblée natio - . m [12 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. nale, a été autorisé à faire transporter à Paris les papiers qui sont aux archives, en les accompagnant en personne dans la route; à les déposer dans son cabinet à Paris, et à faire préparer, de concert avec MM. les commissaires de l’Assemblée, le lieu où les archives doivent être établies pour y porter les papiers le plus tôt possible. M. le Président a fait part à l’Assemblée de plusieurs lettres, par lesquelles M.lecomte d’Helm-stat, député de Sarreguemines, M. ilelage, curé de Saint-Christolv, député deBordeaux, et M. Du-pré de Balay, député des bailliages de Verdun et Clermont, prient l’Assemblée nationale de l’autoriser à leur faire délivrer un passe-port pour se retirer chez eux. M. le président a également fait part à l’Assemblée des motifs de leur demande. L’Assemblée les a jugés légitimes, et M. le président a été autorisé à signer les passe-ports demandés. Un de MM. les députés, nommés pour présenter au Roi le décret sur la réformation provisoire de la procédure criminelle, a fait part à l’Assemblée de leur mission, et a ajouté qu’en présentant à la sanction du Roi ledit décret, ils avaient rappelé à Sa Majesté celui sur le prêt à intérêt qui lui avait été déjà présenté, et que Sa Majesté leur avait répondu qu’elle connaissait l’importance et l’urgence de ce décret ; qu’elle en prendrait connaissance, et qu’elle ferait connaître incessamment ses intentions. M. le Président a invité l’Assemblée de se réunir en bureaux demain, à huit heures et demie du matin, pour procéder, si fait n’a été, au renouvellement du comité des recherches. Ensuite il a été fait lecture d’une adresse de l’assemblée générale des représentants de la commune de Paris à toutes les municipalités du royaume de France ; laquelle adresse avait été envoyée à M. le président pour en faire part à l’Assemblée. On a été aux voix pour savoir si l’on commencerait l’ordre par la liste des nouveaux dons patriotiques, et il a été décrété que l’ordre du jour commencerait par la lecture de ladite liste. En conséquence, un de MM. les trésoriers a fait lecture des nouveaux dons patriotiques détaillés dans un registre tenu à ces lins : l’Assemblée nationale y a répondu par des applaudissements réitérés. Cette lecture étant faite, les députés du bailliage de Cambresis ont dit qu’étant instruits de l'offre faite sous le nom du sieur Renoux, par une lettre datée de Cambrai le 3 octobre, d’une somme de 300,000 livres, provenant de la vente d’une partie des biens de l’Aumône-Jonart, et d’une rente de 20,000 livres perçue par ledit sieur Renoux depuis six ans, ils avaient l’honneur de mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale un désaveu formel du sieur Renoux, consigné dans une lettre par lui adressée à M. le marquis d’Estour-mel, l’un des députés, en date du 12 octobre, et dans une lettre de M. l’archevêque de Cambrai de même date et à la même adresse. Ils ont ensuite fait lecture desdites lettres, ét ont demandé que le comité des recherches fût autorisé à faire toutes les recherches nécessaires pour connaître l’auteur de la lettre du 3 octobre, finissant par ces mots: « l’abbé Benoux, scelleur de l’archevêché, » et que cette lettre leur fût confiée « sous récépissé » pour être adressée pâteux au sieur de Neuville, prévôt de la ville de Cambrai, avec injonction de la part de l’Assemblée nationale audit sieur de Neuville, de prendre toutes les informations nécessaires à l’effet de découvrir l’auteur de ladite lettre. On a été aux voix sur cette motion, et il a été décrété que MM. les députés du bailliage du Cam-brésis étaient autorisés à retirer moyennant leur récépissé, la lettre du 3 octobre, finissant par ces mots: « l’abbé Renoux, scelleur de l’archevêché ». L’ordre du jour appelle la discussion sur la, question des lettres de cachet et sur la liberté individuelle. M. de Castellane (1). Messieurs, nul homme ne peut être accusé , arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi , et selon les formes qu’elle a prescrites. Tels sont, Messieurs, les propres expressions contenues dans l’article 7 de notre déclaration des droits, et bien que la loi qui doit mettre noire liberté individuelle à l’abri de toute atteinte ne soit pas encore portée, je l’avoue, j’avais pensé que tous les Français protégés, par l’opinion publique, par la position actuelle des choses, et votre volonté connue, étaient, dès à présent à l’abri des ordres arbitraires ; je croyais aussi que ceux qui en avaient souffert jouissaient en ce moment de leur liberté ; qu’enfm la France était à jamais délivrée de toutes les bastilles qui pendant si longtemps se sont offertes aux regards indignés du voyageur et ont déshonoré la surface du pays que nous habitons. Je suis excusable, Messieurs, de m’étre rendu coupable de cette erreur, puisque je l’ai partagée avec vous-mêmes ; sans elle vous ne souffririez pas que des citoyens qui n’ont été ni publiquement accusés, ni légalement jugés, gémissent encore sous le despotisme ministériel, qu’ils en éprouvent la plus cruelle influence, lorsque le despotisme n’existe plus. Et cependant, Messieurs, les prisons d’Etat, que le peuple n’a pas détruites, au mépris des intentions du Roi, du vœu de tous nos commettants, des premières règles de la justice, renferment encore des citoyens innocents, ou qui doivent le paraître à nos yeux, jusqu’à ce qu’ils aient été ju�és. " Nous ne pouvons laisser subsister un instant-de plus cet ordre de choses, sans devenir coupables des souffrances prolongées de ces infortunés. Ils ne poussent pas un soupir que nous ne devions nous reprocher ; ils ne versent pas une larme qui ne dépose contre nous. Je sais que plusieurs de ces malheureux n’ont pas été directement sacrifiés aux vengeances ministérielles. Les châteaux éloignés de la capitale. étaient principalement, remplis par les soins des agents subalternes de l’autorité, qui s’en servaient pour satisfaire leurs haines personnelles, ou peuplés de ceux que des intérêts de famille, ou des fautes de jeunesse faisaient traiter comme des criminels par des parents injustes ou cruels, qui profitaient de la facilité coupable du gouver-ment pour les soustraire à la société. Peut-être enfin peut-on y compter quelques coupables qu’on’ a voulu dérober au supplice; et si la lettre de cachet qui les en a sauvés, doit, à leur égard, être considérée comme une grâce, elle n’en est pas (1) Cette motion est très-abrégée au Moniteur,