504 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE « Art. I. - Les dispositions de la loi du 18 prairial sur la manière d’entendre les témoins militaires ou attachés aux armées, sont communes aux procès qui, ayant été commencés avant l’installation des tribunaux criminels, doivent être jugés suivant les anciennes formes, par les tribunaux de district. « II. - En conséquence, les juges de district, en procédant au jugement de ceux de ces procès où il aura été produit des témoins militaires ou attachés aux armées, délibéreront, après examen de l’instruction, s’ils peuvent ou non prononcer sans récollement et confrontation de ces témoins; et ils agiront, après avoir statué sur cette question, ainsi qu’il est prescrit par les articles XIV et suivans de la loi ci-dessus rappelée. »(l). 35 Une députation de la société séante aux ci-devant Jacobins est admise à la barre. L’orateur lit une adresse qui est renvoyée aux comités de sûreté générale et de salut public (2). L’orateur : Les Amis de la Liberté et de l’Egalité viennent dénoncer à la Convention nationale les complots que l’étranger forme dans son désespoir; il viennent déposer dans son sein des sollicitudes que le peuple ne conçoit pas sans motifs. L’étranger, orgueilleux de quelques succès achetés par la trahison, entretenait dans l’intérieur des factions conspiratrices; il soudoyait des corrupteurs de l’opinion publique, des calomniateurs de la Convention, des détracteurs des comités de salut public et de sûreté générale ; il armait des assassins d’un glaive parricide. Maintenant, chassé, battu, poursuivi, humilié; maintenant qu’il a pris l’attitude d’un coupable révolté, qui fuit le châtiment, n’en doutez pas, l’étranger a placé sa dernière ressource dans le crime. C’est lui qui met en opposition l’indulgence criminelle avec la justice impartiale. C’est lui qui, dégradant la justice et donnant à l’indulgence un caractère féroce, voudrait que des conspirateurs impunis pussent assassiner les patriotes et la liberté, au nom même de la patrie, afin qu’elle ne parût puissante et terrible que contre ses enfants, ses amis et ses défenseurs. C’est lui qui, feignant de méconnaître vos vertus, votre courage, votre constance, voudrait vous environner des terreurs qui sont le partage du crime. C’est lui qui, redoutant le faisceau de puissance que vous formez par un heureux accord de principes et de sentiments, voudrait rompre les liens qui unissent les représentants entre eux et la représentation au peuple. (il P.V., XLII, 177. Minute de la main de Merlin (de Douai). Décret n° 10 085. Reproduit dans Mon., XXI, 318; Audit, nat., n°670; Débats, n°673; Mess. Soir, n°706; Rép., n° 218; M.U., XLII, 137; J. Sablier, n° 1461. Voir Arch. pari, t. XCI, séance du 18 prair., n° 36. (2) P.V., XLII, 178. N’est-ce pas aussi l’étranger qui, dans des pétitions imprimées sous le nom de Magenthies, fait présenter la nation française, comme tendant à la domination du monde et, dégradant le décret qui bannit l’athéisme et l’immoralité, vous désigne comme les prêtres et les prophètes de ce qu’on nommait une religion. N’est-ce pas lui qui, pour tourner contre vous-mêmes ce qu’il y a de plus sacré, de plus sublime dans vos travaux, vous fait proposer d’ensanglanter les pages de la philosophie et de la morale, en prononçant la peine de mort contre tout individu qui oserait laisser échapper ces mots : Sacré nom de Dieu ! Lorsque des traitres s’étaient emparés des triomphes du peuple et des armées, l’étranger aussi soulevait contre vous le fanatisme qui créa la guerre de la Vendée, préparant votre destruction, concertée avec des ministres scélérats, des généraux perfides; c’est lui qui faisait calomnier et �persécuter les patriotes, qui introduisait dans Paris des brigands et des assassins. Devons-nous être sans sollicitude, lorsque chaque jour des écrits répandus avec profusion tendent à souiller la pureté de vos décrets, de celui qui honore l’Etre suprême, la morale et le peuple, qui érige la vertu en culte national; lorsque le commissaire du mouvement des armées semble s’environner de ténèbres, et que ceux même qui devraient coopérer à ses travaux sont effrayés du secret qui les couvre. Il a à sa disposition de grands moyens pour la défense de la patrie : ne peut-il pas en abuser pour la trahir, lorsqu’au milieu des triomphes les patriotes ne sont pas exempts d’inquiétudes, et que c’est souvent pour un patriote opprimé une chose difficile que de faire entendre ses réclamations ? Représentants du peuple, c’est la justice que vous avez mise à l’ordre du jour, et non l’indulgence : vous savez que l’indulgence augmente l’audace des conspirateurs; vous savez que l’homme juste, même après des erreurs, des fautes, ne demande encore que justice. La justice fera trembler les traitres, les fripons, les intrigants ; elle consolera, elle rassurera l’homme de bien; vous maintiendrez cette union qui fait votre force, qui désespère vos ennemis; il n’y aura de ligne de démarcation qu’entre le crime et la vertu; vous conserverez dans toute sa pureté ce culte sublime dont tout citoyen est le ministre, dont la vertu est la seule pratique; vous veillerez sur cette citadelle de la république, et l’aspect imposant de sa force répondra à l’énergie d’un peuple immense, puissant par son amour pour la liberté, par son attachement inviolable à la représentation nationale. Avec vous, ce peuple vertueux, confiant, bravera tous ses ennemis ; il placera son devoir et sa gloire à respecter et à défendre ses représentants jusqu’à la mort (l). Le président répond à la députation, et l’admet à la séance. (l) Mon., XXI, 301; Débats, n°673; J. Mont., n°90; Ann. R.F., n° 237 ; J. univ., n° 1705; J. Fr., n° 669; M.U., XLII, 121 ; J. Sablier, n° 1459; Audit, nat., n° 670; J. Lois, n° 665; Mess. Soir, n° 705; F.S.P., n° 386; C. univ., n° 936; Rép., n° 218; J. Paris, n° 572; Ann. patr., n°DLXXI; J.S. Culottes, n° 526. 504 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE « Art. I. - Les dispositions de la loi du 18 prairial sur la manière d’entendre les témoins militaires ou attachés aux armées, sont communes aux procès qui, ayant été commencés avant l’installation des tribunaux criminels, doivent être jugés suivant les anciennes formes, par les tribunaux de district. « II. - En conséquence, les juges de district, en procédant au jugement de ceux de ces procès où il aura été produit des témoins militaires ou attachés aux armées, délibéreront, après examen de l’instruction, s’ils peuvent ou non prononcer sans récollement et confrontation de ces témoins; et ils agiront, après avoir statué sur cette question, ainsi qu’il est prescrit par les articles XIV et suivans de la loi ci-dessus rappelée. »(l). 35 Une députation de la société séante aux ci-devant Jacobins est admise à la barre. L’orateur lit une adresse qui est renvoyée aux comités de sûreté générale et de salut public (2). L’orateur : Les Amis de la Liberté et de l’Egalité viennent dénoncer à la Convention nationale les complots que l’étranger forme dans son désespoir; il viennent déposer dans son sein des sollicitudes que le peuple ne conçoit pas sans motifs. L’étranger, orgueilleux de quelques succès achetés par la trahison, entretenait dans l’intérieur des factions conspiratrices; il soudoyait des corrupteurs de l’opinion publique, des calomniateurs de la Convention, des détracteurs des comités de salut public et de sûreté générale ; il armait des assassins d’un glaive parricide. Maintenant, chassé, battu, poursuivi, humilié; maintenant qu’il a pris l’attitude d’un coupable révolté, qui fuit le châtiment, n’en doutez pas, l’étranger a placé sa dernière ressource dans le crime. C’est lui qui met en opposition l’indulgence criminelle avec la justice impartiale. C’est lui qui, dégradant la justice et donnant à l’indulgence un caractère féroce, voudrait que des conspirateurs impunis pussent assassiner les patriotes et la liberté, au nom même de la patrie, afin qu’elle ne parût puissante et terrible que contre ses enfants, ses amis et ses défenseurs. C’est lui qui, feignant de méconnaître vos vertus, votre courage, votre constance, voudrait vous environner des terreurs qui sont le partage du crime. C’est lui qui, redoutant le faisceau de puissance que vous formez par un heureux accord de principes et de sentiments, voudrait rompre les liens qui unissent les représentants entre eux et la représentation au peuple. (il P.V., XLII, 177. Minute de la main de Merlin (de Douai). Décret n° 10 085. Reproduit dans Mon., XXI, 318; Audit, nat., n°670; Débats, n°673; Mess. Soir, n°706; Rép., n° 218; M.U., XLII, 137; J. Sablier, n° 1461. Voir Arch. pari, t. XCI, séance du 18 prair., n° 36. (2) P.V., XLII, 178. N’est-ce pas aussi l’étranger qui, dans des pétitions imprimées sous le nom de Magenthies, fait présenter la nation française, comme tendant à la domination du monde et, dégradant le décret qui bannit l’athéisme et l’immoralité, vous désigne comme les prêtres et les prophètes de ce qu’on nommait une religion. N’est-ce pas lui qui, pour tourner contre vous-mêmes ce qu’il y a de plus sacré, de plus sublime dans vos travaux, vous fait proposer d’ensanglanter les pages de la philosophie et de la morale, en prononçant la peine de mort contre tout individu qui oserait laisser échapper ces mots : Sacré nom de Dieu ! Lorsque des traitres s’étaient emparés des triomphes du peuple et des armées, l’étranger aussi soulevait contre vous le fanatisme qui créa la guerre de la Vendée, préparant votre destruction, concertée avec des ministres scélérats, des généraux perfides; c’est lui qui faisait calomnier et �persécuter les patriotes, qui introduisait dans Paris des brigands et des assassins. Devons-nous être sans sollicitude, lorsque chaque jour des écrits répandus avec profusion tendent à souiller la pureté de vos décrets, de celui qui honore l’Etre suprême, la morale et le peuple, qui érige la vertu en culte national; lorsque le commissaire du mouvement des armées semble s’environner de ténèbres, et que ceux même qui devraient coopérer à ses travaux sont effrayés du secret qui les couvre. Il a à sa disposition de grands moyens pour la défense de la patrie : ne peut-il pas en abuser pour la trahir, lorsqu’au milieu des triomphes les patriotes ne sont pas exempts d’inquiétudes, et que c’est souvent pour un patriote opprimé une chose difficile que de faire entendre ses réclamations ? Représentants du peuple, c’est la justice que vous avez mise à l’ordre du jour, et non l’indulgence : vous savez que l’indulgence augmente l’audace des conspirateurs; vous savez que l’homme juste, même après des erreurs, des fautes, ne demande encore que justice. La justice fera trembler les traitres, les fripons, les intrigants ; elle consolera, elle rassurera l’homme de bien; vous maintiendrez cette union qui fait votre force, qui désespère vos ennemis; il n’y aura de ligne de démarcation qu’entre le crime et la vertu; vous conserverez dans toute sa pureté ce culte sublime dont tout citoyen est le ministre, dont la vertu est la seule pratique; vous veillerez sur cette citadelle de la république, et l’aspect imposant de sa force répondra à l’énergie d’un peuple immense, puissant par son amour pour la liberté, par son attachement inviolable à la représentation nationale. Avec vous, ce peuple vertueux, confiant, bravera tous ses ennemis ; il placera son devoir et sa gloire à respecter et à défendre ses représentants jusqu’à la mort (l). Le président répond à la députation, et l’admet à la séance. (l) Mon., XXI, 301; Débats, n°673; J. Mont., n°90; Ann. R.F., n° 237 ; J. univ., n° 1705; J. Fr., n° 669; M.U., XLII, 121 ; J. Sablier, n° 1459; Audit, nat., n° 670; J. Lois, n° 665; Mess. Soir, n° 705; F.S.P., n° 386; C. univ., n° 936; Rép., n° 218; J. Paris, n° 572; Ann. patr., n°DLXXI; J.S. Culottes, n° 526. SÉANCE DU 7 THERMIDOR AN II (25 JUILLET 1794) - N° 36 505 [COLLOT-D’HERBOIS : « L’amour de la patrie et toutes les vertus civiques ont constamment signalé la société célèbre dont vous portez le voeu. Vous dénoncez à l’opinion publique un insensé, un contre-révolutionnaire sans doute qui, en feignant de prendre le parti de Fêtre suprême, l’insulte gravement; vous dénoncez aussi un fonctionnaire public qui paroît craindre la surveillance des patriotes : leur conduite sera sévèrement examinée. L’assemblée vous invite aux honneurs de la séance » (l).] (Applaudissements) 36 Un membre, Dubois-Crancé, obtient la parole; il se plaint d’avoir été accusé de prévarication dans sa mission à Lyon (2). DUBOIS -CRANCÉ : Citoyens, vous avez mis à l’ordre du jour la vertu et la probité; vous y avez mis aussi la justice et la vérité. Depuis neuf mois mon âme est abreuvée d’amertume; depuis neuf mois je suis calomnié sourdement, mais on ne m’avait pas encore dénoncé comme un traître. Je viens déposer ma douleur dans le sein de la Convention. Si je suis un traître, il faut que ma tête tombe; mais si j’ai servi utilement ma patrie, la Convention le reconnaîtra. Je parle en présence de cette Société que j’estime et à l’établissement de laquelle j’ai aussi contribué. Ma vie publique est connue depuis cinq ans. Depuis quinze mois, je suis éloigné et employé à diverses missions. J’ai puissamment aidé à Lyon à détruire le fédéralisme. Envoyé à Brest pour former l’embrigadement, j’ai fait sortir de ce pays cinquante et un mille hommes de réquisition, qui combattent les ennemis; et c’est dans ce moment qu’on me frappe d’anathème ! Dans la route que j’ai parcourue, le peuple me regardait comme un traître, comme un scélérat digne de l’échafaud. Un homme qui a été constamment sur la brèche contre les aristocrates, quelle que soit son innocence, est navré de douleur, quand il est en butte à de si cruels reproches. On dit que j’avais laissé sortir les rebelles de Lyon, que je ne m’y étais nullement opposé ; le fait est faux. J’interpelle tous ceux de mes collègues qui étaient avec moi ou aux environs, dans les départements de Rhône-et-Loire, de l’Isère, et tous ceux qui ont eu connaissance des faits. Je leur demande de dire s’il n’est pas constant que les rebelles sont sortis par la porte de Vaize ? Si cela est, comment la colonne à laquelle j’étais attaché... (non pas comme général, car c’est un titre qu’on m’a donné pour me rendre ridicule; chaque colonne avait un général, et il y avait de plus un général en chef ; je n’y étais donc attaché que comme représentant du peuple) ; je demande comment cette colonne a pu favoriser la sortie des rebelles, puisqu’elle gardait la porte de la Croix-Rousse et celle de Sainte-Claire, et qu’entre ces portes et celle par laquelle les rebelles sont sortis il y a la rivière de la Saône, des montagnes à pic, et que, pour aller de l’une à l’autre, il faut faire cinq lieues. Si donc il (1) J. Perlet, n°671. (2) P.V., XLII, 178. y avait cinq lieues à faire de la porte où j’étais à celle par laquelle les rebelles sont sortis, comment m’accusera-t-on de ne l’avoir pas gardée ? Ce sont mes accusateurs mêmes qui étaient à la porte de Vaize. Au reste, je n’accuse personne; je crois que tout le monde a fait son devoir, car les rebelles ont été hachés; comment les fait-on ressusciter aujourd’hui ? Ils n’ont pu échapper si ce n’est en ballon; et le fait est qu’il n’en a plus été question depuis. Mais il y a plus; j’aurais été à la colonne de la porte de Vaize, que je ne serais pas coupable, car elle a fait son devoir. Dès qu’elle a eu connaissance de la fuite de l’ennemi, elle a filé le long de la Saône pour le détruire. Mais pourquoi m’accuser, moi ? Le 2 octobre, le comité de salut public avait mandé que j’allais être rappelé dans le sein de la Convention. Le 6, ma destitution était connue. Le 7, je quittai ma colonne pour venir me concerter avec mes collègues. Destitué le 6, et n’étant plus à la colonne, pourquoi me rendre responsable d’un événement qui n’est arrivé que trois jours après, puisque l’ennemi n’est sorti que le 9, et que déjà, depuis trois jours, j’étais sans pouvoirs. Voilà deux alibi matériels. Jamais conspiration n’a été plus étendue que celle de Lyon, et jamais aucune n’a été aussi promptement, aussi complètement éteinte, témoin la Vendée et les chouans. Quant à ma dernière mission, j’ai enlevé la Bretagne à la guerre civile, car les 51.000 hommes que j’en ai fait sortir, les chouans les eussent peut-être entraînés dans leur parti : ils combattront à la frontière, et il vous eût fallu peut-être une armée pour les combattre. On a dit qu’un patriote calomnié était une calamité publique. M’a-t-on vu varier depuis cinq ans ? J’interpelle mes collègues. Robespierre a été trompé ; il m’a dénoncé comme un traître, qui avait laissé échapper les rebelles à Lyon. Je n’accuse personne. Mais, puisque j’ai démontré que je n’ai pas démérité de la patrie, rendez moi la liberté de la pensée, l’estime publique pour laquelle je combats depuis ce temps; Robespierre lui-même reconnaîtra bientôt son erreur. Puisque personne n’élève la voix contre moi, je demande que l’assemblée déclare que c’est une querelle finie, et que je n’ai pas démérité de la république. On demande le renvoi aux comités de salut public et de sûreté générale. DUBOIS -CRANCÉ : Quoique les personnes qui m’ont dénoncé soient membres de ces comités, je compte trop sur la justice de ces deux comités pour ne pas appuyer moi-même le renvoi. Mais je les supplie d’en faire le rapport incessamment, dès demain même; les pièces sont là, et moi je suis prêt. On demande que le rapport soit fait sous trois jours. Ces propositions sont décrétées (l). La Convention, après avoir entendu ses observations, les renvoie aux comités de salut (l) Mon, XLII, 301; C. Eg., n°706; J. Mont., n°90; Ann. patr., DLXXI; Débats, n°673; J. Lois, n°665; Mess. Soir, n° 705 ; Rép., n° 218 ; J. Fr., n° 669 ; M.U., XLII, 121 ; J. Sablier, n° 1461 ; Ann. R.F., n° 237 ; F.S.P., n° 386 ; J. Perlet, n°671; J. S. Culottes, n°526; C. univ., n°936; Audit. nat., n° 670. SÉANCE DU 7 THERMIDOR AN II (25 JUILLET 1794) - N° 36 505 [COLLOT-D’HERBOIS : « L’amour de la patrie et toutes les vertus civiques ont constamment signalé la société célèbre dont vous portez le voeu. Vous dénoncez à l’opinion publique un insensé, un contre-révolutionnaire sans doute qui, en feignant de prendre le parti de Fêtre suprême, l’insulte gravement; vous dénoncez aussi un fonctionnaire public qui paroît craindre la surveillance des patriotes : leur conduite sera sévèrement examinée. L’assemblée vous invite aux honneurs de la séance » (l).] (Applaudissements) 36 Un membre, Dubois-Crancé, obtient la parole; il se plaint d’avoir été accusé de prévarication dans sa mission à Lyon (2). DUBOIS -CRANCÉ : Citoyens, vous avez mis à l’ordre du jour la vertu et la probité; vous y avez mis aussi la justice et la vérité. Depuis neuf mois mon âme est abreuvée d’amertume; depuis neuf mois je suis calomnié sourdement, mais on ne m’avait pas encore dénoncé comme un traître. Je viens déposer ma douleur dans le sein de la Convention. Si je suis un traître, il faut que ma tête tombe; mais si j’ai servi utilement ma patrie, la Convention le reconnaîtra. Je parle en présence de cette Société que j’estime et à l’établissement de laquelle j’ai aussi contribué. Ma vie publique est connue depuis cinq ans. Depuis quinze mois, je suis éloigné et employé à diverses missions. J’ai puissamment aidé à Lyon à détruire le fédéralisme. Envoyé à Brest pour former l’embrigadement, j’ai fait sortir de ce pays cinquante et un mille hommes de réquisition, qui combattent les ennemis; et c’est dans ce moment qu’on me frappe d’anathème ! Dans la route que j’ai parcourue, le peuple me regardait comme un traître, comme un scélérat digne de l’échafaud. Un homme qui a été constamment sur la brèche contre les aristocrates, quelle que soit son innocence, est navré de douleur, quand il est en butte à de si cruels reproches. On dit que j’avais laissé sortir les rebelles de Lyon, que je ne m’y étais nullement opposé ; le fait est faux. J’interpelle tous ceux de mes collègues qui étaient avec moi ou aux environs, dans les départements de Rhône-et-Loire, de l’Isère, et tous ceux qui ont eu connaissance des faits. Je leur demande de dire s’il n’est pas constant que les rebelles sont sortis par la porte de Vaize ? Si cela est, comment la colonne à laquelle j’étais attaché... (non pas comme général, car c’est un titre qu’on m’a donné pour me rendre ridicule; chaque colonne avait un général, et il y avait de plus un général en chef ; je n’y étais donc attaché que comme représentant du peuple) ; je demande comment cette colonne a pu favoriser la sortie des rebelles, puisqu’elle gardait la porte de la Croix-Rousse et celle de Sainte-Claire, et qu’entre ces portes et celle par laquelle les rebelles sont sortis il y a la rivière de la Saône, des montagnes à pic, et que, pour aller de l’une à l’autre, il faut faire cinq lieues. Si donc il (1) J. Perlet, n°671. (2) P.V., XLII, 178. y avait cinq lieues à faire de la porte où j’étais à celle par laquelle les rebelles sont sortis, comment m’accusera-t-on de ne l’avoir pas gardée ? Ce sont mes accusateurs mêmes qui étaient à la porte de Vaize. Au reste, je n’accuse personne; je crois que tout le monde a fait son devoir, car les rebelles ont été hachés; comment les fait-on ressusciter aujourd’hui ? Ils n’ont pu échapper si ce n’est en ballon; et le fait est qu’il n’en a plus été question depuis. Mais il y a plus; j’aurais été à la colonne de la porte de Vaize, que je ne serais pas coupable, car elle a fait son devoir. Dès qu’elle a eu connaissance de la fuite de l’ennemi, elle a filé le long de la Saône pour le détruire. Mais pourquoi m’accuser, moi ? Le 2 octobre, le comité de salut public avait mandé que j’allais être rappelé dans le sein de la Convention. Le 6, ma destitution était connue. Le 7, je quittai ma colonne pour venir me concerter avec mes collègues. Destitué le 6, et n’étant plus à la colonne, pourquoi me rendre responsable d’un événement qui n’est arrivé que trois jours après, puisque l’ennemi n’est sorti que le 9, et que déjà, depuis trois jours, j’étais sans pouvoirs. Voilà deux alibi matériels. Jamais conspiration n’a été plus étendue que celle de Lyon, et jamais aucune n’a été aussi promptement, aussi complètement éteinte, témoin la Vendée et les chouans. Quant à ma dernière mission, j’ai enlevé la Bretagne à la guerre civile, car les 51.000 hommes que j’en ai fait sortir, les chouans les eussent peut-être entraînés dans leur parti : ils combattront à la frontière, et il vous eût fallu peut-être une armée pour les combattre. On a dit qu’un patriote calomnié était une calamité publique. M’a-t-on vu varier depuis cinq ans ? J’interpelle mes collègues. Robespierre a été trompé ; il m’a dénoncé comme un traître, qui avait laissé échapper les rebelles à Lyon. Je n’accuse personne. Mais, puisque j’ai démontré que je n’ai pas démérité de la patrie, rendez moi la liberté de la pensée, l’estime publique pour laquelle je combats depuis ce temps; Robespierre lui-même reconnaîtra bientôt son erreur. Puisque personne n’élève la voix contre moi, je demande que l’assemblée déclare que c’est une querelle finie, et que je n’ai pas démérité de la république. On demande le renvoi aux comités de salut public et de sûreté générale. DUBOIS -CRANCÉ : Quoique les personnes qui m’ont dénoncé soient membres de ces comités, je compte trop sur la justice de ces deux comités pour ne pas appuyer moi-même le renvoi. Mais je les supplie d’en faire le rapport incessamment, dès demain même; les pièces sont là, et moi je suis prêt. On demande que le rapport soit fait sous trois jours. Ces propositions sont décrétées (l). La Convention, après avoir entendu ses observations, les renvoie aux comités de salut (l) Mon, XLII, 301; C. Eg., n°706; J. Mont., n°90; Ann. patr., DLXXI; Débats, n°673; J. Lois, n°665; Mess. Soir, n° 705 ; Rép., n° 218 ; J. Fr., n° 669 ; M.U., XLII, 121 ; J. Sablier, n° 1461 ; Ann. R.F., n° 237 ; F.S.P., n° 386 ; J. Perlet, n°671; J. S. Culottes, n°526; C. univ., n°936; Audit. nat., n° 670.