238 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMPIGNAN. ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du jeudi 16 juillet 89 (1). On a lu un arrêté de félicitation aux Etats généraux, de la part du corps municipal de la ville d’Angers. Sur quoi deux membres de la députation d’Anjou ont dit qu’ils étaient autorisés a réclamer contre le litre de représentation que s’attribuait la municipalité; que les offices de l’Hôtel-de-Ville ne se décernant point par le libre choix des citoyens, ces officiers ne pouvaient représenter qu’eux-mêmes ; que, notamment dans cette circonstance, ils n’étaient pas recevables à représenter la commune, ayant contrarié de tout leur pouvoir les démarches qu’elle avait laites pour témoigner ses sentiments à l’Assemblée; que cependant, malgré les obstacles, les citoyens étaient parvenus à arrêter, non pas une adresse vague « d’assurances respectueuses, d’espoir dans les « travaux de l’Assemblée », mais un acte formel d’adhésion à tous ses arrêtés. En conséquence, les deux membres ont demandé qu’il fut fait lecture de cet acte ; qu’il fût mentionné comme seul légal au procès-verbal, et que l’arrête des officiers municipaux ne fût considéré que comme l’adresse d’un corps particulier, n’agissant qu’en son privé nom ; ce qui a été accordé. Un membre de la noblesse annonce qu’hier M. le marquis de Lafayette a été nommé colonel général de la milice bourgeoise; qu’il était resté à Paris pour prendre différentes instructions à l’Hôtel-de-ville; mais qu’il attend les ordres de l’Assemblée nationale pour accepter la dignité dont ses concitoyens l’ont honoré. La déférence de M. le marquis de Lafayette est vivement applaudie. M. Bailly avance ensuite au bureau. De toutes parts il s’élève des acclamations de joie et des cris de félicitation. Lorsque ce premier moment d’allégresse est passé, M. Bailly annonce que Paris lui a fait l’honneur de le nommer maire de la ville ; qu’il a été élevé à cet honneur par acclamation, et qu’il est prêt à recevoir les ordres de l’Assemblée. (On applaudit vivement, sans cependant prendre de délibération.) On a fait lecture des procès-verbaux des 14 et 15 juillet. M. Leclerc de Juigné, archevêque de Paris, a fait le récit de ce qui s’est passé dans la capitale, relativement à la députation que l’Assemblée nationale y avait envoyée. Ceux qui composaient celte députation étaient: MM. Leclerc de Juigné, archevêque de Paris; de Talleyrand-Périgord, archevêque de Reims; Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux; de Talleyrand-Périgord, évêque d’Autun; de Lu-bersac, évêque de Chartres; Dutillet, évêque d’Orange ; Colbert de Seignelay, évêque de Rodez ; l’abbé de Montesquiou, agent général du clergé ; (1) La séance du 16 juillet est incomplète au Moniteur, [16 juillet 1789.] l’abbé Chevreuil, chancelier de l’église de Paris ; Gros, curé de Saint-NicoIas-du-Chardonnet; Dom Chevreux, général de la congrégation de Saint-Maur; Dumouchel, recteur de l’université de Paris; Legros, prévôt de Saint-Louis du Louvre; l’abbé Bonneval, chanoine de l’église de Paris; Veytard, curé de Saint-Gervais; l’abbé de Bar-mond, conseiller-clerc au parlement de Paris; Rouph deVaricourt, curé de Gex; Dîllon, curé du Vieux-Pouzauges ; Gassendi, prieur, curé de Barras ; Bluget, doyen-curé de Riceys ; Bigot de Vernière, curé de Saint-Flour; Bucaille,curédeFretun; Godefroy, curé de Nouville ; Nayet, curé de Roche-taillée; Raymond du Castaing, ciiré de la Nux; Forest de Masmoury, curéd’Ussel; Fleury, curé d’Ige; Longpré, chanoine de Champlitte; Thibault, curé de Souppes; Boyer, curé de Néchers; le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre ; le duc de la Rochefoucauld; le comte de Rochechouart ; le marquis de Lusignan; Dionis du Séjour; Duport; Le Pelletier de Saint-Fargeau ; le comte de Mire-poix; le marquis de Montesquiou-Fezensac ; le duc d’Àiguillon; Clapier; le chevalier de La-metb; -1e duc de Praslin; le baron d’Ailarde; le marquis de Foucault; le duc de Liancourt; le comte de Montmorency ; le baron de Menou; le marquis de Lafayette; Rancourt de.Villiers; le comte de Castellane; le comte de Tracy; le duc de Biron ; lemarquisde Blacons; le comte de Grillon ; le marquis de Latour-Maubourg; lecomtede Cus-tine; deSelonios; Bailly; Camus; Vignon; Bavière; Poignon; Tronchet; Debourge; Martineau; Germain; Guillotin; Treilhard; Berthereau; Desmeuniers ; Garnier ; Leclerc; Hutteau ; Dosfand ; Anson; Lemoine, Vaine; l’abbé Sieyès; Renel; Gérard de Vie ; Roque ; Gallot ; Alquier ; Lesterpt de Beauvais; Goudard; Moutié ; Livré; Fisson-Jau-bert; Mougines de Roquefort; Babey; Poya de L’Herbey;Grenot; Belzais de Courmenil ; Besnard-Duchesne; Hermann, Hébrard; Barrère de Vieu-zac; Claverie de la Chapelle; Pinterel de Lou-verny; Goyard; Moreau; Merlin ; Poncin ; Ulry; Lecouteulx de Canteleu; Henri; le marquis de Gouy d’Arcy; Poncet; de Gourteilles; Mounier, Lemoine de la Giraudais ; Gros ; Brillar-d’ Avaux. M. Mounier fait lecture d’un récit très détaillé de tout ce qui s’est passé en cette occasion ; le voici : Messieurs , les commissaires nommés par l’Assemblée nationale pour contribuer au rétablissement du calme dans la ville de Paris, sont partis hier de Versailles à trois heures après midi. Dans le lieu même de leur départ, les acclamations, les applaudissements commencèrent, et dès ce moment ils ne cessèrent plus. Pendant toute la route, le peuple se rendait en foule sur leur passage, les comblait de bénédictions, et se livrait à tous les transports de la plus vive allégresse. Les militaires partageaient les mêmes sentiments. Officiers et soldats, étrangers et Français, tous paraissaient animés du même esprit. Tous les regards exprimaient l’attendrissement, toutes les bouches le patriotisme et l’humanité. Nous marchions au milieu d'une foule immense, mais nous ne pouvions y avoir que des amis et des frères. Entrés dans Paris, une brigade de maréchaussée, des gardes de la prévôté et un trompette ui nous avaient joints sur la route, marchaient evant nous et annonçaient l’arrivée des députés. Des bourgeois armés., mêlés avec des soldats, nous environnaient pour former notre cortège. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juillet 17*9.] 239 Arrivés à la place Louis XV, nous descendons de nos voitures. Une garde nombreuse nous escorte : un peuple innombrable s’offre de tous côtés à nos regards. Les bourgeois et les soldats armés sont rangés en haie sur notre passage. Les spectateurs tâchent de donner essor au sentiment qui les oppresse, par tous les signes de la plus vive affection. C’est pour eux une vive Jouissance que de serrer les mains d’un des membres de l’Assemblée nationale. L’air est incessamment frappé des applaudissements, des cris de joie auxquels se joint le bruit des tambours et des instruments de musique. Les citoyens se félicitent, s’embrassent réciproquement. Tous les yeux sont mouillés de larmes ; partout se montre l’ivresse du sentiment. De toutes parts on s’écrie : Vive le Roi, vive la nation, vivent les députés ! Jamais fête publique ne fut aussi belle, aussi touchante, jamais on ne vit des milliers de citoyens se presser ainsi sur les pas de leurs représentants, pour contempler, dans cette marche auguste et solennelle, l’image de la liberté. L’histoire n’offre point de pareil exemple. L’histoire ne parviendra jamais à retracer ce que nous avons vu et surtout ce que nous avons senti. Arrivés à l’Hôtel-de-Ville, quel beau spectacle se présente 1 La place est couverte d’une foule prodigieuse de citoyens armés et non armés. Les mêmes acclamations que nous avions entendues sur notre passage sont sans cesse répétées. Entrés dans la salle principale, la foule est si nombreuse, elle est si transportée de joie, que le silence s’obtient avec peine. Enfin, M. le marquis de Lafayette annonce que le Roi est venu au milieu de l’Assemblée nationale, sans pompe, sans appareil. 11 leur fait lecture du discours que le Roi a prononcé ; il leur rappelle les témoignages d’atnour et de sensibilité donnés au monarque par les représentants de la nation, et ce beau moment où Sa Majesté est retournée à pied au château, au milieu de l’Assemblée nationale et des habitants de Versailles, gardé par leur amour et leur inviolable fidélité. « On répond par de nombreux applaudissements et des cris de vive le Roi! Ensuite M. le comte de Lally-Tollendal prend la parole. Après avoir donné au patriotisme, à la fermeté des Parisiens, un juste tribut d’éloges ; après avoir exprimé la douleur qu’avaient éprouvée les représentants de la nation en apprenant les malheurs de la capitale ; après avoir décrit les scènes touchantes de Versailles, il parle de la liberté et de la patrie ; il parle du Roi, de ses vertus, des devoirs des Français, avec un ton si noble, si propre à émouvoir, avec une éloquence sj persuasive, que la foule des auditeurs est entraînée, que l’ivresse est au comble. L’amour de la atrie, l’amour du Roi exaltent toutes les âmes. 'orateur est pressé dans les bras de ceux qui l’entourent : une couronne de fleurs lui est offerte ; sa modestie la repousse ; il en fait hommage à l’Assemblée nationale. Malgré ses efforts, elle est placée sur sa tête. On veut ensuite le présenter au peuple assemblé sur la place. Il résiste en vain; il est porté vers une fenêtre, d’où il reçoit les applaudissements du peuple. Après le discours de M. de Lally Tollendal, M. l’archevêque de Paris a fait de nouvelles exhortations pour le rétablissement de la paix, et proposé de se rendre à l'église Notre-Dame pour offrir à Dieu des actions de grâces. Le président de l’Assemblée des électeurs a prononcé un discours qui respirait le zèle et le patriotisme. Il a exhorté le peuple à oublier tout ressentiment, et il en a reçu la promesse. M. le duc de Liancourt a annoncé que Sa Majesté autorisait le rétablissement de la milice bourgeoise. M. le comte de Clermont-Tonnerre a parlé ensuite avec beaucoup de succès ; il a été fort applaudi. On a déclaré à M. le marquis de Lafayette qu’il était nommé général de la milice parisienne. Le grand nombre de citoyens qui remplissaient la salle de l’Hôtel-de-Ville conjuraient les commissaires par les plus vives, les plus pressantes instances, de demander le retour de M. Necker. Ils ont-exprimé le vœu de voir confier à M. Bailly la place de maire de la ville. Cet excellent citoyen, ainsi que M. l’archevêque de Paris, ont reçu des témoignages bien flatteurs et bien mérités de l’affection et de l’estime des parisiens. Les commissaires de l’Assemblée nationale se sont mis ensuite en marche pour l’église Notre-Dame, dans le même ordre. On a chanté le Te Deum, et on a fait prêter serment à M. de Lafayette de remplir fidèlement les fonctions de général. Le serment a été prêté au bruit du canon, des tambours et d’une musique militaire. Après le Te Deum, les commissaires se sont rendus chez M. l’archevêque. A mesure qu’ils sor-taient de l’archevêché ils étaient conduits par une garde bourgeoise au lieu de leur départ, et recevaient sur leur passage les honneurs militaires, au milieu des acclamations des citoyens. Je dois ajouter que dans toutes les rues de Paris, comme dans la salle de l’Hôtel-de-Ville, on demandait à grands cris l’éloignement des nouveaux ministres et le retour de M. Necker. Les habitants de Paris enviaient le bonheur dont avait joui l’Assemblée nationale, et témoignaient le désir de voir leur monarque au milieu d’eux comme nous l’avions eu au milieu de nous. Ainsi, Paris va jouir des douceurs de la paix. La milice bourgeoise préviendra tous les désordres ; elle sera commandée par un héros dont le nom est cher à la liberté dans les deux mondes, mais par un héros français qui sait tout à la fois aimer son prince et abhorrer l’esclavage. Nous devons des regrets sans doute à tous les maux que la capitale a soufferts. Puisse-t-elle ne jamais revoiries terribles moments où la loi n’a plus d’empire ; mais puisse-t-elle ne plus éprouver le joug du despotisme! Elle est digne de la liberté ; elle la mérite par son courage et son énergie. A qui peut-on reprocher le sang répandu ? N’est-ce pas aux perfides conseillers qui ont pu surprendre la religion du Roi, jusqu’au point de faire interdire par des soldats aux représen*: tants de la nation, l’entrée du lieu ordinaire de leurs séances; de transformer l’Assemblée nationale en un lit de justice; de rassembler ensuite à grands frais une armée, dans un moment où les finances sont dans le plus grand désordre, où l’on éprouve une affreuse disette ; de porter cette armée à Paris, à Versailles et dans les environs , d’alarmer ainsi le peuple sur la sûreté personnelle de ses représentants ; de placer l’appareil de la guerre près du sanctuaire de la liberté, et d’éloigner des ministres vertueux qui jouissaient de la confiance publique ; d’intercepter le passage sur les routes de Paris à Versailles, et de traiter les sujets du Roi comme les ennemis de l’Etat? Sans doute il n’est aucun de nous qui n’eût désiré de prévenir par tous les moyens possibles 240 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juillet 1789.] les troubles de Paris ; mais les ennemis de la nation n’ont pas craint de les faire naître. Ces troubles vont cesser: la constitution sera établie: elle nous consolera, elle consolera les Parisiens de tous les malheurs précédents ; et parmi les actes du désespoir du peuple, en pleurant sur la mort de plusieurs citoyens, il sera peut-être difficile de résister à un sentiment de satisfaction en voyant la destruction de la Bastille, où sur les ruines de cette horrible prison du despotisme s’élèvera bientôt, suivant le vœu des citoyens de Paris, la statue d’un bon Roi, restaurateur de la liberté et du bonheur de la France. L’Assemblée applaudit vivement à ce récit, et en ordonne l’insertion au procès-verbal. Plusieurs membres demandent que M. le comte de Lally-Tollendal soit prié de lire le discours qu’il a prononcé à F Hôtel-de-Ville. Toute l’Assemblée répète cette demande. M. de Lally-Tollendal en fait lecture ; il est ainsi conçu : Ce sont vos concitoyens, vos amis, vos frères, vos représentants qui viennent vous donner la paix. Dans les circonstances désastreuses qui viennent de s’effacer, nous n’avons pas cessé de partager vos douleurs ; mais nous avons partagé votre ressentiment-, il était juste. Si quelque chose nous console au milieu de l’affliction publique, c’est l’espérance de vous préserver des malheurs qui. vous menaçaient. On avait séduit votre bon Roi, on avait empoisonné son cœur du venin de la calomnie, on lui avait fait redouter cette nation qu’il a l’honneur et le bonheur de commander. Nous lui avons été dévoiler la vérité : son cœur a gémi, il est venu se jeter au milieu de nous ; il s’est fié à nous, c’est-à-dire à vous ; il nous a demandé des conseils, c’est-à-dire les vôtres ; nous l’avons porté en triomphe, et il le méritait. 11 nous a dit que les troupes étrangères allaient se retirer, et nous avons eu le plaisir inexprimable de les voir s’éloigner. Le peuple a fait entendre sa voix pour combler le Roi de bénédictions ; toutes les rues retentissent de cris d’allégresse. 11 nous reste une prière à vous adresser: nous venons vous apporter la paix de la part du Roi et de l’Assemblée nationale. Vous êtes généreux, vous êtes Français. Vous aimez vos femmes, vos enfants, la patrie ; il n’y a plus de mauvais citoyens parmi vous ; tout est calme, tout est paisible. Nous avons admiré l’ordre de votre police, de vos distributions, le plan de votre défense ; mais maintenant la paix doit renaître parmi nous, et je finis en vous adressant, au nom de l’Assemblée nationale, les paroles de confiance que le souverain a déposées dans le sein de l’Assemblée : Je me fie à vous . C’est là notre vœu ; il exprime tout ce que nous sentons. Voilà le discours que j’ai cru devoir prononcer. C’est au nom de l’Assemblée que j’ai parlé, et si j’ai reçu des applaudissements, ce n’a été que pour lui en offrir l’hommage. J’ajouterai qu’il n’y a eu qu’un cri dans l’flôtel-de-Ville, dans la place de l’Hôtel-de-Ville, dans toute la ville enfin, pour demander l’éloignement des ministres, et le retour de l’homme vertueux qui est maintenant éloigné de la cour, et qui a si bien servi la patrie, deM. Necker enfin. Je n’ai pu vous taire le vœu de la capitale parce que mes concitoyens m’ont prié, m’ont conjuré de le déposer au milieu de vous ; et je ae cède qu’à ma conscience, qu’à mon devoir, en vous portant l’ordre de mes commettants. � M. de Lally-Tollendal est vivement applaudi ; l’Assemblée ordonne l’insertion de son discours au procès-verbal. M. le comte de Mirabeau fait lecture d’un discours suivi d’un projet d’adresse au Roi, tendant à lui demander le renvoi des ministres dont les conseils pervers ont causé dans la France des scènes si désastreuses. M. le comte de llirabeau lit son projet d’adresse; il est ainsi conçu : Sire, nous venons déposer au pied du trône notre respectueuse reconnaissance pour la confiance à jamais glorieuse que Votre Majesté nous a montrée, et l’hommage que nous rendons à la pureté de vos intentions, à cet amour de la justice qui vous distingue si éminemment, et qui donne à l’attachement de vos peuples pour votre personne sacrée le plus saint et le plus durable des motifs. Le renvoi des troupes est un bienfait inestimable, nous en connaissons toute l’étendue, mais il semble acquérir un nouveau prix, parce que nous le devons uniquement à votre cœur, à votre sollicitude paternelle. Vraiment digne de tenir les rênes de l’Etat, vous ne les avez pas abandonnées dans le moment le plus difficile à ceux qui voulaient, en multipliant les artifices, vous persuader de leur en laisser la conduite. Vous avez remporté un triomphe d’autant plus cher à vos peuples, qu’il vous a fallu résister à des sentiments et à des affections auxquels il est honorable et doux d’obéir dans la carrière d’une vie privée. Un des plus pénibles devoirs du poste élevé que vous remplissez, c’est de lutter contre l’empire des préférences et des habitudes. Mais, Sire, une funeste expérience vient de nous montrer que de sinistres conseils, quoiqu’ils aient été pour Votre Majesté l’occasion d’exercer une grande et rare vertu, nous ont fait acheter au prix de la tranquillité publique, au prix du sang de nos concitoyens, le bien que nous eussions d’abord obtenu de la justesse de votre esprit et de la bonté de votre cœur. Il est même certain que, sans ces perfides conseils, ces troupes, dont Votre Majesté nous a daigné accorder la retraite, n’auraient point été appelées. Ils ont trompé Votre Majesté ; une détestable politique s’est flattée de vous compromettre avec vos fidèles sujets ; nos ennemis on espéré que des excès de notre part ou des emportements du peuple justifieraient l’emploi des moyens dont ils avaient su se prémunir ; ils ont espéré faire des coupables afin de se donner des droits contre la nation ou contre nous; ils auraient surpris à votre religion, à votre amour pour l’ordre, des commandements qui, pouvant être exécutés à l’instant même, auraient créé dans la France un déplorable état de choses, mis l’aliénation à la place de la confiance et fait avorter toutes vos intentions généreuses parce que, heureux dans le prolongement du désordre et de l’anarchie, ces nommes hautains et indépendants redoutent une constitution et des lois dont ils ne pourront pas s’affranchir. Sire, où prétendaient-ils vous conduire ? où aboutissait le plan funeste qu’ils avaient osé méditer? 11 n’est douteux pour aucun de nous, qu’ils se proposaient de disperser l’Assemblée nationale et même de porter des mains sacrilèges sur les re-