[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j 617 qu’il tirera de la réquisition pour les employer dans la marine. Art. 8. « Tous les charpentiers, caifats ou voiliers, ouvriers de profession ou arts maritimes, sont mis en réquisition par le présent décret, pour être employés dans les divers arsenaux et ports de la République, sur l’indication faite par le ministre de la marine. Art. 9. « Le ministre disposera le service de la marine de manière à ce que les marins des régions mari¬ times du nord et de l’ouest soient employés dans les régions maritimes du sud, et récipro¬ quement. Art. 10. « Tous agents civils et militaires de la marine, et tous autres employés dans cette partie, qui négligeront, entraveront, ou qui ne secon¬ deront pas de tous leurs moyens les travaux, les approvisionnements et les opérations de tout genre dans les ports et arsenaux de la Répu¬ blique, et partout ailleurs où ils seront employés, seront destitués par le ministre de la marine et mis en état d’arrestation comme suspects. Art. 11. « Les représentants du peuple à Toulon sont autorisés à nommer une Commission de trois membres chargés d’examiner, d’après les regis¬ tres du bagne, la nature des délits et les juge¬ ments qui ont été rendus contre les forçats qui sont à Toulon; l’avis des commissaires sera en¬ voyé incessamment à la Convention, ainsi que la notice des jugements rendus, pour être sta¬ tué par elle définitivement sur leur état. Art. 12. « Toutes les pétitions et pièces jointes qui ont été adressées aux législateurs et aux ministres par les forçats détenus au port de la Montagne et autres lieux, seront adressées à la Commission dans les vingt-quatre heures. Il sera à cet effet fait sur-le-champ les recherches les plus soignées de papiers dans les différents bureaux. Art. 13. « La Convention nationale décrète que le forçat qui a brûlé ses mains en éteignant les brais et goudrons qui étaient près d’incendier un établissement national, sera sur-le-champ mis en liberté : il lui sera donné, par les repré¬ sentants du peuple, une somme de 600 livres à titre de secours. Compte rendu du Moniteur universel (1). Barère, au nom du comité de Salut public, Citoyens, après avoir célébré le triomphe des armes de la République sur l’infâme Toulon, il est digne des représentants du peuple de porter leurs regards régénérateurs sur le port de la Montagne. Un bon décret doit couronner une fête civique. (1) Moniteur universel [n° 105 du 15 nivôse an II (samedi 4 janvier 1794), p. 422, col. 1], Nous repro¬ duisons, en entier, le compte rendu du Moniteur à cause des nombreuses variantes qu’il présente avec le texte imprimé Laissons à l’histoire le soin de tracer la pompe auguste et simple de la fête des victoires, de raconter comment les chars de triomphe ont été, pour la première fois, convertis en hom¬ mage patriotique pour les armées, au lieu de n’appartenir qu’aux généraux; laissons à la philosophie rappeler aux défenseurs de la patrie, que, pour la première fois, les honneurs de la victoire ont été décernés aux soldats blessés pour la République, et que les repré¬ sentants du peuple ont su honorer à la fois le courage et le malheur. Chez les anciens, on con¬ sacrait les arbres frappés de la foudre; chez les républicains français, la reconnaissance publique a consacré les soldats frappés par les armes des despotes. C’est de ces citoyens, épar¬ gnés par le canon dans les hasards de la guerre, qu’échappent tous les jours de nouveaux traits de civisme militaire. Encore hier, en sortant de la Convention, un invalide, tout joyeux des nouvelles du Rhin et de la Moselle, s’écriait : Il sera bien glorieux d’être invalide de cette cam¬ pagne de Landau contre les Prussiens. Ce serait aux arts, ce serait aux peintres de l’histoire à transmettre à la postérité les traits de courage républicain qui ont éclaté à Toulon. C’est un beau sujet pour les artistes médiocres ; c’est un poème magnifique pour les artistes passionnés pour la liberté. Aux théâtres nationaux, aux jeux scéniques de répéter aux Français ce qu’ils ont fait sur les bords de la Méditerranée. Ces monuments seront des éloges civiques pour les uns, et pour les autres des avertissements de ne pas dégénérer de la gloire nationale. En attendant que le génie des arts paye son tribut au génie de la liberté, en attendant que les artistes, les poètes et les théâtres immor¬ talisent cette nuit orageuse où, à travers une pluie abondante, les soldats de la liberté s’ap¬ prochaient avec un courageux silence de la redoute anglaise, ce boulevard de leur vénale trahison; cette attaque simultanée et héroïque de toutes les redoutes, de tous les forts par les Français; en attendant que les artistes et les théâtres fassent entendre le tocsin de la peur sonné par l’Espagnol, tandis que la bravoure anglaise fuyait vers la Méditerranée, sa com¬ plice; les cris effrayants et confus des langues diverses, des Napolitains, des Portugais, des Romains, des Anglais, des Espagnols et des émigrés, invoquant à genoux des matelots et des pilotes pour fuir une terre déshonorée qui les restituait à la mer qui les porta; en attendant qu’ils nous offrent l’armée française se por¬ tant subitement vers les murs de la ville infâme au moment où la mine d’un fort faisait explo¬ sion è ses côtés, où le feu à des poudrières dans la ville couvrait l’air de bombes et n’épargnait la vie précieuse de nos soldats que parce que leur intrépidité les avait placés plus près du danger ; en attendant qu’ils nous peignent cette déportation bienfaisante de tous les scélérats Toulonnais, et les femmes plus coupables encore que la terreur précipitait dans les chaloupes; et qu’ils nous montrent cette frégate anglaise et ces chaloupes d’embarcation cordées bas par notre formidable artillerie, le rapporteur du comité doit se borner à vous rappeler le crime et la lâcheté destructrice de ces ennemis achar nés qui, en fuyant, ont mis le feu à notre escadre. Voyez cet incendie, il nous découvre cette embarcation confuse et subite des héros d’Albion et des nobles Castillans; il nous montre 618 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 1 � FYÔse V1'1 L J (3 janvier 1794 ces escadres perfides à qui les vents refusent leurs secours, et que les flots indignés menacent de rejeter contre nos batteries ; voyez ce vaisseau enflammé de la République dans lequel périssent les patriotes français enchaînés par l’Anglais; voyez cet incendie coupable; il éclaire au loin sur la mer le crime des tyrans de Londres et de Madrid, tandis qu’il excite le courage indigné de nos troupes et qu’il éclaire leur marche victo¬ rieuse. Ces tristes et sombres tableaux pourraient être adoucis par la vue des forçats, qui, se rap¬ pelant la patrie, même qui dut les condamner, brisent leurs chaînes, et ne songent qu’à éteindre les flammes qui dévorent l’escadre française. Ce serait à nous à présenter au milieu de ces scènes lugubres et pénibles le représentant du peuple sortant des prisons du fort Lamalgue, et de¬ mandant dans le désordre de la victoire : Suis-je avec des Français; la République a-t-elle vaincu ses ennemis 9 Pardonnez cette digression, inspirée et com¬ mandée peut-être par le sujet et par les cir¬ constances où nous sommes. Le comité m’a chargé seulement de vous présenter les moyens de régénérer la marine de la République dans les ports de la Méditerranée, et de lui redonner la puissance et le rang que sa position, sa richesse, sa population, sa volonté et ses vic¬ toires lui assurent sur les mers. 9 vaisseaux ont été brûlés par les Espagnols et les Napolitains; 4 ont été volés par les An¬ glais. 15 sont demeurés intacts dans le port; 4 avaient été précédemment renvoyés dans les ports de l’Orient et de Brest, avec des matelots français de la Méditerranée, dans le dessein sans doute d’empoisonner nos ports de l’Océan, et d’y préparer par ce présent funeste de nou¬ velles perfidies, achetées par la liste civile de George et les déprédations de Charles. La République possède dans la Méditerranée plus de 30 bâtiments, tant frégates, corvettes et avisos, sans compter le Duquesne, de 74 ca¬ nons, qui est à la mer. Il nous reste dans ce port 13 vaisseaux, 5 fré¬ gates, 5 gabares, et 1 vaisseau et 2 frégates en construction. Une partie de notre escadre a été brûlée par le crime de nos ennemis; ces vaisseaux, vont être remplacés par le crime des émigrés. Leur fortune reste pour payer les constructions, et leurs forêts vont être converties en vaisseaux, leurs maisons changées en arsenaux ou en manufac¬ tures. Les républicains feront des voies dans les lieux mêmes où les émigrés formaient des complots, et la patrie s’enrichira à la fois de leur fuite et de leur fortune. Un de nos tyrans, créateur de la marine en France, plus par l’orgueil qui le dominait que par des idées justes de son utilité, porta dans cette création fastueuse le despotisme et les idées vaines qui signalaient presque toutes les actions de sa trop longue vie. Il fit une ordonnance de la marine avec des formalités innombrables pour la coupe et l’emploi des forêts, avec des classes aussi1 tyranniques que la presse des matelots en Angleterre. La République a d’autres moyens et d’autres vues; elle a besoin d’hommes et de matières, olle les requiert, elle se les approprie dans les divers magasins ou ateliers. Dans la démocratie, toutes les jouissances sont en masse; l’indivi¬ dualité est l’égoïsme des monarchies. Les pre¬ miers besoins sont ceux de la patrie ; elle a droit à tout ce que son salut réclame. La liberté est une créancière privilégiée et générale, uon seu¬ lement sur les propriétés et su les personnes, mais sur les talents, sur les courages, sur les pensées même. Le comité vous propose de charger le mi¬ nistre de la marine, de donner sur-le-champ les ordres nécessaires pour la construction de tous les vaisseaux que le port de la Montagne. peut contenir. Nous ne devons pas nous borner à ce port reconquis : vous devez ordonner les mêmes constructions dans tous les ports de la Méditerranée. La nature vous appela presque exclusivement à commercer et naviguer sur cette mer, en la séparant de l’océan et de nos ennemis confiants, par un détroit difficile et fameux. La nature vous associa aux peuples italiques, vous invita à commercer dans le Levant, et à vous allier aux Dardanelles. On sait au Divan que les Républiques ne se marient pas, et que Vienne ne peut plus usurper la France par des femmes autrichiennes : on sait dans vos manu¬ factures méridionales, que leur prospérité tient à la conservation du commerce que les Bouches-du-Rhône ont trouvé si utile, et que la Médi-terrannée n’est pour la France qu’un grand canal de navigation, dont la police peut et doit lui appartenir. Ce n’est pas assez d’ailleurs de briser le spectre des puissances territoriales, il faut encore briser celui des puissances mari¬ times, et affranchir les mers comme vous avez affranchi les terres. Vos canons sont les ambas¬ sadeurs que vous envoyez aux puissances du continent. Les vaisseaux de guerre et les fré¬ gates sont vos ambassadeurs auprès des puis¬ sances maritimes. Soyons bien convaincus que notre dipliomatie, pendant la révolution, est toute entière dans l’intérêt commercial et la foi des traités pour les puissances neutres,- dans les fonderies de canon, dans les fabriques de fusils et des salpêtres pour les puissances continentales, et dans les ports, les arsenaux et les chantiers de construction, pour les puis¬ sances maritimes. Ainsi donc, construisons des vaisseaux et fabriquons des armes. Aux ate¬ liers, citoyens ! aux chantiers 1 c’est le cri de la République. Quant aux divers arsenaux et établissements dépendant de] l’administration de la marine, le ministre sera chargé, par ce décret, de les faire rétablir sans délai. Il pourra requérir les maçons et tous les ouvriers nécessaires. Que les constructions particulières cessent, alors que la construction nationale commence. La réquisition pourra porter sur les départements limitrophes du port de la Montagne. Les représentants du peuple envoyés-dans les divers départements où il y a déjà des bois de construction, les feront parvenir sans délai dans les divers ports de la Méditerranée; déjà toutes les matières propres aux constructions navales sont mises en réquisition : dites donc qu’elles soient mises en activité par pu décret de la Convention: et, au bruit de la victoire, tout va affluer dans nos ports, matières, cons¬ tructeurs, ouvriers, matelots, marins et amis de la République. Depuis que nous sommes vic¬ torieux, tous se disent patriotes, tous crient : Vive la République ! Eh bien ! qu’ils la servent tous. Jamais réquisition ne sera mieux appli¬ quée. Les corps administratifs peuvent, dans cette [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIKHS. j � j'�erTîM 619 circonstance, expier ou faire oublier leurs torts politiques, en accélérant par les moyens que la loi a mis en leur pouvoir, l’ approvisionnement de nos ports méditerranéens, l’apport des ma¬ tières, l’envoi des ouvriers, et la coupe des bois de construction. C’est dans le Mont-Blanc surtout, c’est dans les forêts des Alpes, que la destinée protectrice de la République a marqué des vaisseaux. Des bois forts et de longue durée, des matières abondantes peuvent être apportées de ce dépar¬ tement méridional sur les bords de la mer : c’est un grand moyen de réunion et d’incorporation à la République; c’est un échange vraiment pa¬ triotique de peupler ses ports, et de lui donner des vaisseaux en échange de ses armées. C’est aux représentants du peuple dans le Mont-Blanc à hâter les travaux forestiers de ce département, et à enrichir le port de la Montagne des arbres choisis dans les Alpes. Mais en appelant à des travaux nombreux les divers ouvriers des départements méridio¬ naux dans les ports de la Méditerranée, vous ne pouvez ignorer que la première réquisition a absorbé un grand nombre d’ouvriers, d’autant plus utiles qu’ils sont dans la force de l’âge et de l’enthousiasme civique qui double les produits du travail. Une grande partie de cette réqui¬ sition n’a pas encore des armes; elle ne peut être incorporée ni exercée : il n’y a qu’à chan¬ ger momentanément l’objet de première réqui¬ sition, et substituer une réquisition manou-vrière, à une réquisition militaire. C’est tou¬ jours servir la République, soit qu’on fabrique un fusil, soit qu’on construise un vaisseau, soit qu’on fasse l’exercice dans une garnison, ou que l’on combatte sur les frontières. Vous permettrez donc au ministre de la marine, d’expédier des actes de réquisition pour des ouvriers connus, des artistes utiles, des constructeurs nécessaires qui s 3 trouve¬ raient faire partie de la première réquisition; car par un article que je vais pfoposer, tous les ouvriers de profession des arts maritimes, de quelque âge qu’ils soient, seront requis pour être employés dans les divers ports et arsenaux de la République. Mais ce plan de travaux maritimes pourrait encore trouver des obstacles. Us ne sont pas disparus tous ces fédéralistes ou m'onarchiens qui avaient des places dans les administrations militaires ou maritimes. Tous les employés dans cette partie, aujourd’hui si importante, ne sont pas républicains zélés; l’or de Pitt, comme la pluie de Danaé, pénètre au travers des bureaux et des ateliers nationaux. Toulon et Marseille, Brest et l’Orient ne sont pas entière¬ ment dépouillés de ces agents obscurs du ministère britannique, de ces nombreux fau¬ teurs du duc de York, et de ces mylords en pantalons, qui s’érigent en patriotes ardents. Il faut donc, puisque l’amour de la Répu¬ blique ne chauffe pas encore tous les cœurs des fonctionnaires publics, il faut y placer la crainte de la peine la plus forte qu’un bon citoyen peut éprouver, celle d’être odieux à ses conci¬ toyens et suspect à sa patrie. Il faut que tous les agents civils et militaires de la marine, et tous les employés dans cette partie, qui négli¬ geront, entraveront, ou même ne seconderont pas, de tous leurs moyens, les travaux, les appro¬ visionnements et les opérations de tout genre dans les ports et arsenaux, soient destitués par le ministre, et mis en état d’arrestation comme suspects. Enfin, la dernière mesure que le comité vous propose est propre à éteindre le fédéralisme maritime, celui auquel nous devons en grande partie les trahisons de Toulon . Depui�longtemps, les marins du Sud se séparaient d’intérêts, de mœurs, d’usages, et de liaison avec les marins du Ponant. C’est comme si l’armée des Alpes ou d’Italie ne se croyait pas dans le même inté¬ rêt que les armées du Nord et du Rhin. Le fédé¬ ralisme est une maladie attachée jusqu’à un cer¬ tain point au climat, bien différente de la mala¬ die fédéraliste attachée à l’intrigue, à la vanité, au royalisme et aux crimes des puissances coalisées et à leurs partisans en France. Mais il est un fédéralisme de localité, que le législa¬ teur doit chercher sans cesse à atténuer et à détruire. Il est bien plus dangereux sur la mer que sur le continent ; celui de la mer a pour se soutenir les distances, les voyages maritimes, l’indiscipline, la désorganisation navale; celui de la terre est comprimé par le législateur, toujours présent, et par les diverses autorités qui fécondent sa vigilance. Il faut donc infuser la République sur toutes les parties des forces militaires et navales; il faut fondre tous les marins, comme nous avons fondu tous les soldats; il faut amalgamer les escadres comme nous avons amalgamé les ar¬ mées; les bataillons des Alpes et des Pyrénées doivent aller sur les bords de la Sambre et de la Moselle, du Rhin et du Danube; les marins de Dunkerque, de Bayonne doivent aller à Toulon et à Cette, comme les marins du Var et du Rhône doivent servir dans les ports de Brest, de la Rochelle et de l’Orient. Pourquoi les naufrages de la Méditerranée seraient-ils ignorés des marins qui connaissent les tempêtes de l’Océan? Les républicains doi¬ vent connaître les rochers d’une mer, comme les écueils d’un autre. Les Français doivent s’ac¬ climater dans tous les ports où la voix de la patrie les appelle; ils doivent s’embarquer sur toutes les mers où l’intérêt du commerce natio¬ nal les appelle. Est-ce à nous de nourrir, de défendre cette étrange et funeste rivalité d’un port à un autre; cette funeste antipathie que le despotisme avait intérêt de conserver, mais que l’unité de la République doit proscrire? Est-ce à nous de créer sur les ports de3 fédéralistes, nous, qui les punissons? J’appelle ici votre attention sévère; citoyens : préservons les escadres, préservons les mers, préservons la République du plus dangereux des fédéralismes, et qu’il expire aujourd’hui sous la force de vos décrets. Une dernière pensée a affecté le comité, en vous présentant le projet de décret; il aurait désiré pouvoir briser les chaînes dont l’ancien régime chargea quelques hommes, dont une partie est peut-être plus malheureuse que cou¬ pable. Il n’est pas venu à leur idée de chercher à être libres, en défendant les intérêts de la Ré¬ publique; ils n’ont pu, au milieu de leur sup¬ plice, oublier qu’ils étaient Français, et ils se sont empressés d’éteindre l’incendie des vaisseaux. Un d’eux même a brûlé ses mains pour éteindre des brais et des goudrons qui, placés sur une traî¬ née de poudre, allaient embraser un de nos plus importants magasins. Si les forçats eussent été contre-révolutionnaires, ils auraient augmenté l’incendie pour fuir au milieu des flammes; si ces 620 .[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { � forçats eussent été semblables aux habitants de Toulon, ils auraient aidé les ennemis; mais par une conduite opposée, n’ont-ils pas payé une rançon patriotique? Nous ne vous proposerons pas des mesures qui puisseiÿt être accusées d’immoralité; ainsi ne brisons pas aveuglément les chaînes de tous les forçats de Toulon; mais l’amour de la patrie n’avait-il pas purifié des cœurs qui n’ont dû leur corruption qu’aux vices de l’ancien régime, à la misère, peut-être même aux lois du despo¬ tisme que vous avez renversé? Ne pouvons-nous pas faire rechercher la nature des délits ou des crimes qui ont pu motiver leur condam¬ nation? Ne pouvons-nous restituer à la société des hommes qui peuvent devenir citoyens, et qui ont connu une patrie quand ils l’ont vue en danger? Les représentants ont écrit à la Convention, que les forçats étaient les seuls patriotes de Tou¬ lon : eh bien ! sans exagérer, sans compromettre la reconnaissance publique, qu’elle vienne au¬ jourd’hui consoler des malheureux, et prouver que la patrie ne fut insensible à aucun genre de dévouement. Barère-Je vais vous lire différentes lettres reçues par le comité de Salut public. Le chef principal des bureaux de la marine à Toulon, écrit au ministre, le 5 nivôse (1) : « Les pertes de la République, dans l’arsenal, sont peu considérables. Tout est conservé à l’exception du magasin général et de la mâture. « L’aperçu des forces de nos ennemis, et la conservation de tout ce qu’ils ont laissé, rend cette victoire si étonnante que la postérité aura de la peine à la croire. Il n'y a que des sol¬ dats qui se battent pour leur patrie, qui aient pu entreprendre une pareille attaque, et rem¬ porter une victoire aussi complète. Extrait de la lettre du général Hoche, au ministre de la guerre. « Du quartier général de Landau, 10 nivôse (2). « Nous avons Germesheim et Spire, des maga¬ sins d’ai mes et d’immenses fourrages. Landau nous a coûté, non compris Kaiserslautem, 200 hommes tués et 800 blessés. Signé : Hoche. » Les représentants du peuple envoyés par la Con¬ vention nationale, près l’armée dirigée contre Toulon, au comité de Salut public de la Con¬ vention, « Au quartier général de Toulon, le 3 nivôse (3). « Nous n’avons pu, citoyens collègues : dans les premiers jours de notre entrée à Toulon, vous donner que des détails imparfaits sur la vic¬ toire remportée par l’armée de la République; nous nous empressons de vous en donner de nouveaux, qui justifieront à l’univers ce que peut le courage de nos républicains, combattant pour la liberté. « Depuis notre dernière lettre, l’on a vérifié (1) Bulletin de la Convention du 14 nivôse an II (vendredi 3 janvier 1794). (2) Supplément au Bulletin de la Convention du 14 nivôse an II (vendredi 3 janvier 1794). (3) Ministère de la guerre : Armée devant Toulon, sur les divers points d’attaque quelles peuvent être les pertes de nos ennemis, et nous vous annonçons avec joie qu’elles s’élèvent à plus de 5,000 hommes tués ou blessés, non compris les prisonniers dont le nombre est considérable. La précipitation avec laquelle ils ont fait leur embarquement leur a occasionné de nouvelles pertes non moins considérables; une de leurs frégates fut coulée à fond par le feu de nos batte¬ ries, et la plupart de leurs vaisseaux très endom¬ magés; plusieurs chaloupes eurent le même sort que la frégate, de manière que les rivages du port sont couverts de leurs cadavres. « Nous recevons journellement dans le port des bâtiments chargés de provisions : un brick de 18 pièces de canon et de 105 hommes d’équipage en fait partie. Tout ce qui est étranger sur ces bâtiments, est fait prisonnier; tout ce qui est français est fusillé. « La justice nationale s’exerce journellement et exemplairement sur le champ de bataille. Tout ce qui se trouvait dans Toulon, et avait été employé dans la marine, dans l’armée des rebelles et dans l’administration s civile et militaire, a été fusillé aux cris, mille fois répétés par l’armée de : Vive la République! « Beaucoup de coquins s’étaient glissés dans l’armée, et le pillage devenait dangereux. Nous l’avons arrêté par quelques mesures simples mais vigoureuses, qui ont prouvé à l’armée que les représentants du peuple savaient distinguer les vrais défenseurs de la patrie, des pillards et des voleurs. Nous nous sommes présentés dans les endroits où nous étions instruits que des magasins s’en¬ fonçaient, et nous avons eu la satisfaction de voir l’armée applaudir à nos observations, et nous promettre d’être tout entière en patrouilles pour arrêter les pillards. « Un arrêté pris par nous, et par lequel nous prononçons la peine de mort contre tout citoyen et soldat qui sera surpris piller ou nanti d’effets pillés, a produit le plus grand effet. L’armée y a applaudi avec enthousiasme, et quelques pil¬ lards, parmi lesquels il y a même des officiers, sont en prison et seront bientôt jugés. « D’après la connaissance que nous avons des peines, des fatigues, du courage, du zèle et de l’intrépidité dont l’armée a donné l’exemple dans la prise de cette infâme cité, nous avons promis à l’armée tout les effets et meubles appar¬ tenant aux rebelles, et nous avons ajouté, en sus, un million de gratification. Comme il faut du temps pour réunir tous ces efEets, et beaucoup plus encore pour les vendre, nous les avons évalués 2,000,000, qui, joints au million de gra¬ tification, donnent à chaque soldat une somme de 100 livres, depuis le général en chef, jusqu’au tambour. Cette dernière mesure a produit le plus grand effet, et nous vous assurons que la République n’y perdra rien. « Il n’est pas nécessaire de vous dire que tout ce qui est argenterie, effets d’église, magasins publics et vivres, ne sont point compris dans les effets des rebelles. « Nous avons récompensé, par des avance¬ ments, les officiers qui se sont distingués, vous en recevrez bientôt la liste ; nous nous occupons de la récompense due aux blessés et aux malheu¬ reux qui sont mutilés. « Apprenez à toute l’Europe qu’une infinité de braves défenseurs de la patrie disaient au moment de leurs blessures : Nous sommes blessés, mais nous avons encore du sang à répandre pour [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j ” 621 venger la République. Représentants, ah! qu’il est doux de mourir pour la patrie! « Dans notre visite à l’hôpital, quelques-uns de ceux à qui il manque un bras nous présen¬ taient celui qui leur restait en nous disant : Que les ennemis de la pairie tremblent! celui-là me reste pour les anéantir! « Enfin, citoyens collègues, nous vous ferons passer successivement la liste de ces braves républicains, et le nom de ceux qui en mourant ont, par leurs dernières expressions, immortalisé leur gloire. « Salut et fraternité. « Eicord, Paul Barras, Sauceti. » « P. -S. Nous formons des Commissions pour l’administration de la marine, des effets des rebelles, etc., et une commission qui jugera révolutionnairement tous les coquins. « Signé : Eicord, Paul Barras. » Copie d’une lettre du général Chamboué au citoyen Rouchoite, ministre de la guerre. « De Béunion-sur-Oise, le 8 nivôse, l’an II de la Eépublique (1). « Citoyen ministre, voici les détails d’une action qui s’est passée dans la nuit du 5 au 6 ni¬ vôse. Un de mes guides, après avoir pris une exacte connaissance de 3 postes occupés par l’ennemi à la gauche d’Hannappes en allant au Cateau, vint en faire le rapport au citoyen De-maret, capitaine commandant un détachement du 19e régiment de chasseurs (ci-devant légion de Eosendal), cantonnée à Tupigny. Perraut, adjudant, en est instruit; il forme le projet d’en enlever un; le plus faible, en effet, mais le plus périlleux lui paraît le plus glorieux à emporter. Il va trouver son capitaine; à sa demande, le capitaine, sûr de sa bravoure, lui confie l’exécu¬ tion de son projet. « Perraut expose à ses camarades le danger qu’ils ont à courir, mais ils le comptent pour peu. L’espoir de faire une belle action les anime, rien ne peut les arrêter. Us veulent tous en par¬ tager la gloire : Pour éviter toute esclandre et d’être privé par là de la réussite, un petit nombre lui suffit. Il fait prendre aux guides habillements et armes de chasseurs, et, à la fa¬ veur de la nuit, ils marchent tous en bon ordre et se glissent au milieu du poste qu’ils avaient juré de détruire. Sabre d’une main et pistolet de l’autre, ils tombent sur les gardes, s’emparent du poste, y sèment l’alarme; et de 18 esclaves qui le gardaient, 17 sont à l’instant privés de la vie; un seul l’obtient en la demandant à genoux, il est fait prisonnier. Cependant, au bruit de ce qui se passe, la trompette sonne, les deux autres postes sont en armes; nos braves républicains allaient être enveloppés; mais, sai¬ sissant le moment favorable, ils échappent au danger, ils rentrent victorieux à leurs canton¬ nements, emmenant avec eux 14 chevaux des ennemis. Un seul chasseur a été malheureuse¬ ment blessé d’un coup de carabine. J’ai fait donner au guide 200 francs; les chevaux ont été ramenés à la Eéunion-sur-Oise, pour le ser¬ vice de la Eépublique. « Signé : Chamboué. » (1) Supplément au Bulletin de la Convention du 14 nivôse an II (vendredi 3 janvier 1794). Barère propose, à la suite de ce rapport, un projet de décret, qui est adopté en ces termes : « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport de son comité de Salut public, décrète : Art. 1er. « Le ministre de la marine est chargé de donner sur-le-champ les ordres nécessaires pour la construction de tous les vaisseaux que les cales et les emplacements du port de la Mon¬ tagne pourront contenir. Art. 2. « Il donnera en même temps des ordres, dans tous les ports de la Méditerranée, pour faire construire tous les bâtiments de guerre qui pourront contenir dans les cales et dans les chantiers de construction. Art. 3. « Le ministre de la marine fera réparer à Tou¬ lon, avec la plus grande célérité, tous les éta¬ blissements dépendants de son administration, et est autorisé, à cet effet, à mettre en réquisition tous les maçons et ouvriers nécessaires du dépar¬ tement du Var et de tous les départements voi¬ sins. Art. 4. « Les représentants du peuple envoyés dans les départements méridionaux, feront partir vers Marseille et Toulon, aussitôt que le décret leur sera parvenu, tous les bois de construction, tous les objets et matières mis déjà en réquisi¬ tion, et qui sont propres à la construction et à l’armement des vaisseaux. Art. 5. « Les corps administratifs sont tenus de mettre la plus grande activité pour faire par¬ venir à leur destination les divers objets et matières destinés au service de la marine. Art. 6. « Les représentants du peuple, envoyés dans le département du Mont-Blanc, sont chargés d’accélérer l’exécution du décret précédemment rendu pour la coupe des bois dans ce départe¬ ment; ils les feront parvenir incessamment à Marseille et à Toulon. Art. 7. « Les ouvriers propres à la construction et aux travaux de la marine, et qui se trouveraient faire partie de la première réquisition armée, sont requis, par le présent décret, de se rendre à Toulon, pour les travaux qui vont être com¬ mencés; le ministre de la guerre et celui de la marine donneront à cet effet les ordres néces¬ saires. « Le ministre de la marine enverra à la Con¬ vention et fera imprimer la liste des citoyens qu’il tirera de la réquisition, pour les employer dans la marine. Art. 8. « Le ministre "disposera le service de la marine de manière à ce que les marins des régions mari¬ times de l’ouest, soient employés dans les régions maritimes du sud, et réciproquement. 622 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ � Art. 9. « Les charpentiers, calfats ou voiliers, tous les ouvriers de professions ou arts maritimes, sont mis en réquisition par le présent décret, pour être employés dans les divers arsenaux et ports de la marine. Art. 10. « Tous agents civils et militaires de la marine et tous autres employés dans cette partie qui négligeront, entraveront ou qui ne seconderont pas de tous leurs moyens, les travaux, les appro¬ visionnements et les opérations de tout genre, dans les ports et arsenaux de la République, et partout ailleurs où ils seront employés, seront destitués par le ministre de la marine, et mis en état d’arrestation comme suspects. Art. II. « Les représentants du peuple à Toulon sont autorisés à nommer une commission de trois membres chargés d’examiner sur le registre du bagne la nature des délits et les jugements qui ont été rendus contre les forçats qui sont à Tou¬ lon. L’avis des commissaires sera envoyé inces¬ samment à la Convention, ainsi que la notice des jugements rendus, pour être par elle statué définitivement sur leur état. Art. 12. « Toutes les pétitions et pièces jointes qui ont été adressées aux législateurs et aux mi¬ nistres par les forçats détenus au port de la Montagne et autres lieux, seront adressées à la Commission dans les vingt-quatre heures : il sera, à cet effet, fait sur-le-champ les recher¬ ches les plus soignées de ces papiers dans les différents bureaux. Art, 13. « La Convention nationale décrète que le forçat qui a brûlé ses mains en éteignant les brais et goudrons qui étaient près d’incendier un établissement national, sera sur-le-champ mis en liberté. Il lui sera donné, par les représen¬ tants du peuple, une somme de 600 livres, à titre de secours. » « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Salut public [Barère, rapporteur (1)], nomme le citoyen Aigoin, juré du tribunal révolutionnaire, pour remplir les fonctions de commissaire national à la trésorerie nationale, à la place du citoyen Devaisne (2). » Sur la proposition d’un membre [Charlier (3)], « La Convention nationale décrète que le ministre des contributions publiques rendra compte, sous trois jours, par écrit, des moyens qu’il a pris pour la meilleure exploitation des salines appartenant à la République. « 2° Il donnera le nom de ceux qui sont ac¬ tuellement employés à l’exploitation de ces salines. (1) D’après la minute du décret qui se trouve aux Archives nationales, carton C 287, dossier 852. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 261. (3) D’après la minute du décret qui se trouve aux -Archives nationales, carton C 287, dossier 852. « 3° Il présentera l’état des sommes qu’ils ver¬ sent dans le trésor public, et l’aperçu au produit que chacune de ces salines peut procurer (1). » « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport [Ramel - Nogaret, rappor¬ teur (2)] du comité des finances, sur le mode d’exécution de la loi du 23 brumaire, relative aux effets précieux trouvés enfouis ou dans des lieux cachés, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Les commissaires de la trésorerie nationale feront procéder, s’ils ne l’ont déjà fait, aux inventaires et évaluation du numéraire, mé¬ taux et effets précieux apportés en exécution de la loi du 23 brumaire. Ils les transmettront au ministre de l’intérieur. Art. 2. « Au bas des inventaires fournis par la tréso¬ rerie nationale, le ministre de l’intérieur arrêtera l’état des frais exposés pour le transport des dépôts faits en exécution de la même loi, et il délivrera une ordonnance de paiement pour être fait sur la seule présentation aux personnes qui sont en droit de le réclamer. Art. 3. « La trésorerie nationale tiendra à la dispo¬ sition du ministre de l’intérieur, pour l’acquit des ordonnances délivrées en exécution de l’ar¬ ticle précédent, jusqu’à concurrence de la somme de 10,000 livres. Art, 4. « La Convention nationale charge le comité de sûreté générale de lui faire un nouveau rapport sur l’application et l’exécution de la loi du 23 brumaire, et ajourne, jusqu’après ce rap¬ port, le surplus du décret présenté par celui des finances, notamment en ce qui concerne lè vingtième adjugé aux dénonciateurs. » Le présent décret ne sera point imprimé (3). Compte rendu du Moniteur universel (4). Ramel-Nogaret, au nom du comité des finances • La Convention a précédemment décrété que toutes les matières d’or et d’argent qui seraient trouvées dans les lieux secrets et cachés seraient confisqués au profit de la nation, et que le dénon¬ ciateur aurait le vingtième de l’objet déclaré; elle avait renvoyé à. son comité des finances, pour lui présenter un projet de décret sur le mode de constater les effets trouvés dans des lieux cachés et secrets, et de faire payer au dénonciateur le vingtième qui lui est accordé. Je suis chargé de vous faire un rapport sur ces deux objets; je vous propose aujourd’hui un décret sur les inventaires à faire des effets saisis. (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 261. (2) D’après la minute du décret qui existe aux Archives nationales, carton C 287, dossier, 852. (3) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 261. (4) Moniteur universel [n° 106 du 16 nivôse an II (dimanche 5 janvier 1794), p.. 427, coL 1).