55 |Assembléa nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {7 janvier I791.J « Le prix du bail sera payé au Trésor public par quartier et d’avance. « Les fermiers ne pourront prétendre à aucune indemnité, modération deprix de bail, ou compte de clerc à maître, pour quelque cause que ce soit. « Le bail commencera au premier avril prochain et finira au 31 décembre 1797. » M. le Président. L’ordre du jour est épuisé. Nous pourrions entendre le comité des monnaies sur la question des petites monnaies , qui a été précédemment ajournée. M. l’abbé Saurine, membre du comité des monnaies (1). Messieurs, le rapporteur du comité des monnaies se trouve absent dans ce moment, parce qu’il ignorait que son rapport dût être mis ce matin à l'ordre du jour. Je vais, à son défaut, vous rendre compte du travail que vous aviez ordonné, et vous lire le résultat des observations que j’ai recueillies, pour mon instruction particulière, soit dans les conférences du comité, auxquelles j’ai toujours assisté, soit dans les re-cherch s que j’ai pu faire ailleurs. Pénétré de ses principes, je crois ne m’en être point écarté. Votre comité a tout examiné, tout discuté avec soin. S’il ne vous a pas sollicité de lui accorder la parole, c’est qu’ayant aperçu des obstacles combinés pour rendre ses efforts inutiles, obstacles trop soutenus par de bons citoyens, et imaginés par d’autres, en faveur de quelques intérêts particuliers, il a cru qu’il convenait d’achever toutes les parlies de son travail, et de les faire imprimer, pour vous mettre à portée de choisir les mesures que vous jugerez à propos. Après ce court éclaircissement, j’entre en matière sans autre prétention que d’obéir aux ordres de l’Assemblée, et de vous exposer avec clarté les vérités que vous avez demandées. Pour vous décider sainement sur un objet quelconque, il faut sans doute vous en donner une idée complète, en vous le faisant connaître dans tous ses détails, ou du moins dans ses détails importants. Juger sans pleine connaissance de cause, serait s’exposer à commettre des erreurs graves. C’est peut-être le sentiment de ces vérités qui vous a fait vaciller dans vos décrets sur les monnaies. Permettez, Messieurs, que je vous les rappelle eu peu de mots ; cela doit vous paraître nécessaire pour éviter de tomber dans des contradictions qui ne seraient utiles ni à votre gloire, ni à la chose publique. En créant votre comité des monnaies, le 11 septembre, vous l’avez « spécialement chargé de s’occuper de tout ce qui a rapport à la législation des monnaies, à leur titre, à leur poids, à la proportion qui doit être rétablie entre leurs valeurs respectives, etc. . . » Pour exécuter ponctuellement vos ordres et remplir exactement vos vues, le premier soin de votre comité fut de s’entourer des lumières les lus sûres ; d’inviter à ses séances, non les ommes intéressés au maintien des abus, et qui, occupés de manipulations lucratives, sont ordinairement étrangers aux grandes vues politiques, à l’intérêt général, mais ceux que la renommée la mieux soutenue lui indiquait comme les plus capables, les plus expérimentés et les moins soupçonnés d’intérêts particuliers. Il est essentiel, Messieurs, que vous ne laissiez pas échapper à votre attention quelle a été d’après vos ordres, la composition entière du comité des monnaies, afin que, dans le choc des opinions opposées, vous puissiez comparer autorité à autorité; et que si la confiance doit influer en quelque chose sur votre jugement, vous [missiez vous rendre compte à vous-mêmes à qui et pourquoi vous la donnez, si vous l’accorderez préférablement aux hommes les plus célèbres et les plus vertueux, qui toute la vie ont fait leur étude capitale des monnaies, ou bien des hommes qui n’ont aucune célébrité à cet égard, qui n’ont point étudié la matière, ou qui se sont bornés à peu prê; à la partie mécanique. Qu’on ne dise pas que la vertu ne sait rien ici -, elle sait partout, ici pour le moins autant qu’ailleurs ; partout le talent sans vertu, sans vues pures et désintéressées, est d’autant plus dangereux, qu’il est plus fécond en ressources. Il n’est personne qui ne convienne avec moi de cette vérité générale.. Muni de ces secours, conformément à vos intentions, votre comité se livrait sans relâche à la discussion des objets prescrits par votre décret du 11 septembre, lorsqu’un autre décret du 8 octobre suivant lui enjoignit « de se concerter avec le comité des finances sur les différents moyens capables de remédier à la rareté du numéraire, et notamment sur ceux-ci : 1° sur la fabrication d’une petite monnaie; 2° sur la facilité à accorder à ceux qui porteront aux hôtels des monnaies des matières d’or et d’argent. » Votre comité joignit ces nouveaux objets aux précédents et porta son examen et ses recherches également sur tous , tous furent longuement et profondément discutés. Les divers rapports qu’il vous a fait distribuer en sont la preuve la moins équivoque. Gomme les opérations, même partielles, doivent avoir pour bases les grands principes puisés dans l’institution me. ne de la monnaie, si du moins l’on veut mettre dans sa marche quelque intelligence et quelque sagesse, si l’on veut arriver à un but raisonnable, en évitant les écueils où Ton court nécessairement quand on va au hasard, les nuages sur les yeux, votre comité crut devoir commencer son premier rapport par poser quelques principes simples, très faciles à saisir; 1° sur la matière qu’il convient d’employer dans la fabrication des monnaies ; 2° sur la mesure qui doit servir à déterminer le poids de toutes les divisions des monnaies; 3° sur le poids et le titre de ia monnaie d’argent, sur le poids et le titre de la monnaie d’or. 11 est impossible de faire aucune opération, aucune monnaie, sans avoir fixé ces trois principes, ou sans les supposer fixés. Cependant quelques honorables membres, qui sans doute n’avaient pas encore eu le temps d’arrêter un seul instant leur attention sur ces matières, interrompirent le rapporteur de votre comité par ces mots : « L'Assemblée ne vous demande pas des principes, mais du billon ». D’autres ajoutèrent que ces matières étaient trop vastes et trop dilficiles, qu'il fallait les renvoyer à une autre législature, et se contenter d’ordonner tout bonnement la fabrication de quelques millions de petite monnaie, comme si l’intérêt public n’exigeait pas impérieusement la plus prompte réforme des énormes abus qui déshonorent nos monnaies, comme si ia prochaine législature devait avoir le pouvoir constituant. Ce qui avait pu donner une idée si exagérée de ces prétendues difficultés, c’est l’article 4 du projet de décret, où il est question de la propor-(1) Ce discours n’a pas été inséré au Moniteur. 56 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. H janvier 1791.] tion à rétablir entre l’or et l’argent. J’avoue qu’il existe des contradictions et des disputes à cet égard ; mais votre comité vous présentait ses observations et son avis, que parce que vous lui en aviez imposé le devoir, et parce qu’il fallait bien vous faire connaître une des principales sources de la rareté du numéraire avec le moyen d’y remédier. D'ailleurs, rien n’empêchait qu’on ne différât la discussion de cet article, et qu’on ne passât à l’article 5, qui roule sur la fabrication de la petite monnaie qu’on demandait avec tant d’empressement, et ensuite à l’article 6, qui parle de la fabrication de la monnaie de cuivre. On aima mieux vous proposer le décret du 5 décembre, portant : < que le comité des monnaies « présentera, jeudi prochain, ses vues sur chacune « des questions suivantes . 1° Quelle est la somme « de petite monnaie dont il paraît convenable « d’ordonner la fabrication dans le moment ac-« tuel? 2° Ordonnera-t-on de fabriquer de lamon-« naie de billon, ou se bornera-t-on à une mon-'< naie rouge et à une monnaie d’argent d’un « titre bas? 3° Adoplera-t-on la division déci-« male? » Les membres du comité des monnaies voulurent vous faire observer que le rapport qu’il vous présentait, renfermait toutes ces questions avec la discussion et les réponses; ils ne purent être écoulés. Le 13 décembre, au moment où le rapporteur de votre comité répondait expressément aux questions précédentes, et obéissait littéralement à votre décret du 5, on vous proposa de « charger « votre comité des monnaies de se réunir à six « commissaires du comité des finances, et de « vous rendre compte des moyens qu’on pour-« rait employer pour prévenir, tant l’extraction « par les étrangers de la petite monnaie d’argent « pur, qui serait nouvellement fabriquée, que « les inconvénients qui pourraient résulter des « anciennes pièces de 24, 12 et 6 sous, altérées « par le frai, répandues dans la circulation avec « des pièces nouvellement fabriquées, dont la « valeur intrinsèque égalera la valeur légale. Le « comité est aussi chargé d’examiner les avan-« tages et les inconvénients du plan, qui pro-« pose de tirer des cloches la quantité de cuivre « pour la fabrication des monnaies de moindre ( valeur. » Sans examiner ici pourquoi on a cherché à multiplier des décrets qui répètent, en d’autres termes, les mêmes dispositions, qui ordonnent des examens qui sont déjà faits, des réponses qui étaient déjà sous vos yeux, je m’arrêterai d’abord à ce dernier décret du 13 décembre, puisque c’est sans doute le dernier qui fait la première loi du moment. En vous présentant des réponses puisées dans les principes et dans les conférences de votre comité, j’aurai satisfait à ce que vous exigez de lui aujourd’hui. Le rédacteur de ce décret n’a pas fait attention qu’en voulant simplifier les choses, il les a embrouillées davantage. Il demande les moyens de prévenir tant l’extraction de la petite monnaie d'argent -pur, que les inconvénients qu’il y aurait à laisser circuler les anciennes pièces frayées concurremment avec les nouvelles, dont la valeur intrinsèque égalera la valeur légale. Il jette là sur ses pas deux grandes questions qu’il semble supposer résolues, et qui certainement ne le sont pas encore dans l’Assemblée, qui même sont de celles que plusieurs membres craignent tant d’aborder, comme trop difficiles, au point de vouloir les renvoyer à la législature prochaine. Gcs questions sont : La petite monnaie sera-t-elle d’argent pur ? La valeur intrinsèque égaler a-t-elle la valeur légale ? Pour écarter la confusion toujours rebutante, toujours nuisible à l’intelligence, à la marche des discussions, nous séparerons les trois dispositions principales du décret, et nous les examinerons chacune en particulier. La première demande les moyens de prévenir l’extraction de la petite monnaie par les étrangers. La seconde demande les moyens de prévenir les inconvénients qu’il y aurait à laisser circuler les anciennes pièces déjà frayées avec les nouvelles. La troisième disposition concerne les cloches. Avant de répondre directement à ces questions, il est à propos de vous exposer quel est l’état aeluel des choses à cet égard. Lorsqu’il y a, dans la circulation, des pièces dont l’empreinte est effacée, et qui cependant sont reçues comme les autres, les billonneurs et les étrangers en profitent pour introduire des pièce s en apparence semblables, qui sont d’un titie plus bas, qui ont plus de cuivre que d’argent, qui souvent ne valent que la moitié ou moins encore. 11 y en a qui sont entièrement fausses, qui ne sont que du cuivre blanchi. lien est, et en grande quantité, qui se multiplient chaque jour (des pièces de six sols) et qui, faites de petites lames fort minces et sans empreinte, ne valent absolument rien, et ne contiendraient qu’environ deux sols d’argent, si elles étaient de ce métal. On les appelle communément pièces da Châtelet, parce que les prisonniers s’amusent à les fabriquer, à l’imitation des Anglais et autres. Les billonneurs trouveraient même leur compte à introduire des pièces au véritable titre, sans empreinte, en les affaiblissant de poids, comme celles qui sont vieilles et effacées. Vous sentez quelle gêne, quelles entraves, quelles difficultés doivent en résulter dans le commerce et dans l’usage ordinaire de la vie, sans compter l’embarras plus grand encore qui nous attend, qui grossit comme un orage sur nos têtes, pour éclater au temps où le mal, parvenu à son comble, forcera à une refonte entière et subite. Il est certainque les billonneurset lesétrangers gagnent beaucoup à faire leur métier, à fondre nos pièces neuves pour leur en substituer d’autres en plus grand nombre et de moindre valeur. C’est en nous soutirant les pièces neuves qu’ils se donnent plus de facilités à introduire les leurs, par l’espèce de disette et de besoin qu’ils font naître. Les moyens ne leur manquent pas : le partage du bénéfice, l’appât du gain leur font trouver aisément des coopérateurs zélés qui s’empressent de les aider; aussi n’omettent-ils jamais d’exercer leur criminelle industrie toutes les fois qu’il y a quelque nouvelle fabrication de petite monnaie; ces pièces neuves disparaisseni, pour la plupart, en peu de temps : c’est là une des raisons qui ont empêché le gouvernement d’en faire frapper, comme il l’aurait fallu, pour alimenter la circulation. 11 ne connaissait pas apparemment, ou il ne se croyait pas en état d’employer les remèdes nécessaires. If suit de cet exposé deux fâcheuses vérités : la première, que la France est inondée de fausse monnaie, qui ne vaut point ce qu’t lie dit valoir, qui vaut souvent un tiers moins, souvent moitié moins, souvent rien du tout, et qui, en accumulant les pertes, prépare un déficit d’autant plus funeste, qu’on aura plus différé d’y remédier; la o7 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 janvier 179).] deuxième, que toute fabrication nouvelle de petite monnaie sera une perte réelle pour l’Etat, et un grand profit pour les étrangers, toutes les fois qu’on la mettra dans la circulation concurremment avec l’ancienne, avec les pièces effacées, avec les pièces étrangères. Creusez un peu plus cette vérité, et vous verrez que si vous adoptez une mesure partielle, que des esprits réfléchis et bien intentionnés ne pourront jamais vous conseiller, il arrivera qu’en cherchant à soulager le peuple, vous multiplierez ses maux pour l’avenir; qu’en voulant remédier à la rareté des espèces, vous perdrez les bonnes, vous accroîtrez la quantité des mauvaises; que le mal qui existe s’aggravera; que la perte réelle s’accumulera de plus en plus, et avec elle les embarras de tout genre. Tels sont, Messieurs, les inconvénients inséparables de la circulation des nouvelles pièces avec les anciennes. Deman ler les moyens de les prévenir dans cet état, c’est demander l’impossible, c’est vouloir arrêter le torrent de la cupidité et de la fraude, en lut laissant les digues ouvertes : fermez les digues; rendez-les assez fortes, c’est le seul moyen efficace que la namee et l’art puissent vous promettre : tous les autres ne seraient qu’il lusiuns pernicieuses. L’introduction des mauvaises pièces, et l’extractio.i des bonnes, couleront sans obstacle tant que vous les laisserez circuler ensemble. Si vous vous borniez à la première disposition du déen t, si vous demandiez simplement quels seraient les moyens d’empêcher l’extraction des bonnes pièces et l’introduction des mauvaises, les moyens de débarrasser pour toujours le peuple de ces dernières, on pourrait vous les indiquer; ce serait d’interdire la concurrence, de discréii-ter toutes les pièces dont l’empreinte est effacée, ainsi que les étrangères, dès qu’on aurait préparé à l’avance une suffisante quantité de nouvelles pièces pour remplacer les anciennes dans (es mains du peuple, à mesure qu’il s’en déferait; ce serait d’avoir des poinçons si parfaits, qu’il fût impossible de les bien imiter, et qu’on pût reconnaître aisément les contrefaçons. On pourrait, par des opérations de commerce, renvoyer les pièces étrangères dans les pays d’où elles sont venues. C’est alors que les fabrications de petite monnaie seraient vi aiment utiles; c’est alors qu’on les multiplierait sans perte, sans crainte et sans inconvénients; c’est alors que le commerce se trouverait débarrassé de ses entraves si gênantes, et que le peuple se verrait véritablement soulagé. Il ne le sera point ou il ne le sera qu’un moment, si vous conservez la porte ouverte à l’extraction et à la fraude ; il lui arrivera ce qui arrive aux hydropiques: la liqueur humectante que leurs entrailles desséchées réclament est à peine introduite, qu’elle les fuit et s’extravase. De là une soif plus ardente : Quo plus sunt potœ , plus sitiuntur aquee. J’ai entendu avec étonnement quelques personnes avouer que le grand besoin des nouvelles petites pièces leur paraissait plus imaginaire que réel, qu’elles croyaient cependant nécessaire d’en faire fabriquer, sans attention aux inconvénients, ne fut-ce que pour soulager l’imagination du peuple. Comment peut-on se persuader que le peuple français soit assez borné, assez peu éclairé, pour ne pas savoir appécier le prétendu soulagement, et la fausse opération qui le lui procurerait? S’il se laissait éblouir au premier moment, ne sentirait-il pas bientôt qu’on l’a (rompe, qu’on n’a fait qu’augmenter ses maux sous prétexte de les guérir? Quelle raison, quelle saine politique peut jamais conseiller de tromper le peuple ? Et qui oserait donner sérieusement ce conseil à l’Assemblée nationale? Je conçois, comme d’autres, que le sentiment du besoin, relativement aux petites espèces, se trouve fort exagéré par l’absence des écus, et qu’on ne demande si fort les premières que parce qu'on voudrait avoir quelque chose qui remplaçât les dernières. Il est certain que quand les écus abondaient, quand, par exemple, la caisse d’escompte payait ses billets à bureau ouvert, on ne demandait point une plus grande quantité de petite monnaie, on en trouvait à peu près assez. H est certain aussi que la quantité n’en a pas diminué depuis ce temps-là, qu’elle a au contraire augmenté de beaucoup : d’un côté, par les frauduleuses et trop fécondes opérations des billonneurs et des étrangers; d'un autre côté, par les fabrications de la monnaie de cuivre, qu’on a singulièrement multipliées depuis un certain temps, bien au delà de ce que l’on croit communément. Tel directeur a eu la permission d’en frapper pour 100,000 francs, qui en a frappé pour 7 à 800,000. Je conclus de là aussi avec bien d’autres, que le sentiment du besoin et les demandes qu’il exhale, diminueront bientôt, à mesure que la confiance se ranimera, à mesure que les écus reparaîtront, avec les petits assignats, qui les appelleront d’autant plus eflicacement qu’ils pourront les suppléer, qu’on ne sera plus obligé de tant les rechercher. On a dit que la petite monnaie nouvelle était absolument nécessaire à la circulation des assignais; mais quelle est la monnaie ordinaire et nécessaire des assignats? N’est-ce pas les écus? Si vous me devez 20 livre - et que vous me présentiez un assignat de 50 livres, exigerez-vous que je vous rende les 30 livres en petite monnaie plutôt qu’en écus? Elle n’est nécessaire que pour les petits appoints, lorsqu’on a besoin de diviser un écu dont elle est la monnaie naturelle, précisément parce qu’elle représente ses divisions, comme les écus représentent les divisions des assignats. Or, personne ne se plaint de ne pas trouver, quand il veut, la monnaie d’un écu aujourd’hui encore mieux que ci-devant. Sur quoi peut donc être fondée l’assertion de la nécessité de la petite monnaie, pour la circulation des assignats? Malgré cela, malgré la non nécessité absolue d’une plus grande quantité de petite monnaie, pour les circonstances actuelles, je persiste à croire que vous ne pouvez vous dispenser d’en ordonner une grande fabrication, non pour la mêler avec l’ancienne, non pour la jeter dans les mains des billonneurs et des étrangers, qui la convertiraient bientôt en fausse monnaie, mais pour la substituer à cette ancienne, si mauvaise et si multipliée, dont il est temps de délivrer enfin le peuple français. Je regarde la circulation de la mauvaise ou fausse monnaie, non seulement comme impolitique, mais comme immorale. G est une espèce de permission tacite, une faveur réelle accordée à la fraude, au vol, aux manœuvres criminelles de ceux qui trompent le public; comment pouvez-vous espérer que les mœurs s’épurent, que les sentiments s’élèvent, que le peuple prenne l’habitude de la vertu, tant qu'il aura perpétuellement sous les yeux des objets mensongers, respectés comme lès véritables; tant qu’il verra l’art de [7 janvier 1791.] [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. frauder encouragé, autorisé, pour ainsi dire, par les décrets ou par le silence du Iégislaleur? Voulez-vous que les hommes deviennent vrais, francs et loyaux ? ne protégez, ne souffrez, ne leur présentez que des choses vraies, franches et loyales. Jamais le spectacle du vice accrédité n’inspira l’amour et la pratique de la vertu. La vue d’un fripon heureux, qui s’enrichit impunément aux dépens du public, multipliera infailliblement les fripons de toute espèce. Il est donc bien important de délivrer le peuple de toute cette monnaie mensongère, aussi embarrassante, aussi nuisible à ses intérêts, que pernicieuse à ses mœurs. Je crois avoir suffisamment répondu aux deux questions simplifiées du 'décret; je crois avoir prouvé : 1° qu’il n’y a, qu’il ne peut y avoir aucun moyen de prévenir les inconvénients qui résultent des anciennes pièces circulant avec les nouvelles ; 2° que le véritable et seul moyen de prévenir l’extraction, la fraude et leurs suites, est de discréditer les vieilles pièces, lorsqu’on pourra commencer à les remplacer par une quantité suffisante de neuves, qui porteront l’empreinte la plus parfaite possible, sauf à décider si celles qui seront portées au change seront reçues au cours, ou au litre ou au poids, si ce sera le public ou le Trésor national qui supportera la porte résultant du frai et de la fraude, ou si les pauvres seuls seront remboursés au cours. J’ai prouvé, en outre, qu’il est important, qu’il est indispensable, qu’il est conforme à la saine politique et aux mœurs, de débarrasser au plus tôt le peu pie de toute cette petite monnaie trompeuse, non marquée au nouveau coin de France, le seul qui puisse lui certifier la véritable valeur des espèces. Je pourrais terminer ici ma discussion, après avoir ajouté quelques mots sur le parti à prendre au sujet des cloches. J’aurais ainsi satisfait à la lettre de votre décret du 13 décembre; mais les décrets précédents exigent des réponses aussi pressées à des questions non moins importantes ; bornons-nous aux principales : Quelle espèce de petite monnaie fera-t-on? A quel titre? Suivra-t-on l’ancienne division? En prendra-t-on une nouvelle, et laquelle? Le terme général, petite monnaie, comprend la monnaie de cuivre pur, le billou noir et les petites pièces d’argent. Commençons par ces dernières comme plus susceptibles de difficultés. A quel titre se fera la petite monnaie d’argent? sera-ce au titre de douze deniers, c’est-à-dire sera-t-elle d’argent pur, comme l’a proposé M. l’évêque d’Autun, et comme l’a supposé le rédacteur du dernier décret? Ou bien sera-t-elle au titre des écus, comme les pièces de vingt-quatre, douze et six sous? Ou bien encore sera-t-elle à un titre plus bas? Quoiqu’on sache que les anciens Romains et autres peuples, même nos pères, employaient les métaux tout purs dans la fabrication de leurs monnaies, les nations modernes n’ont point jugé à propos de les imiter, du moins pour ce qui regarde l’argent : toutes l’allient plus ou moins. La raison en est que l’argent pur est mou, et dans cet état il est plus exposé aux effets du frai ou frottement : l’empreinte s’affaisse et disparaît en peu de temps; les brèches et les pertes qui la déforment se multiplient à l’approche des corps durs; et ces effets sont d’autant plus fréquents, d’autant plus graves, que la circulation est plus animée telle que celle de la petite monnaie. L’alliage, au contraire, durcit et fortifie l’argent, aide par conséquent à conserver plus longtemps son empreinte, sa substance et son poids à travers les frottements continuels qu’il essuie. Cette raison seule devrait suffire pour faire rejeter le projet de monnaie d’argent pur. Il en est encore une autre, c’est qu’il ne serait pas possible de faire de petites pièces, même de six sous, à ce titre, tant elles seraieut incommodes par leur petitesse, à moins qu’on ne voulût faire comme on faisait du temps de Saint-Louis pour les petites pièces d’argent fin, appelés deniers parisis; on les clouait sur des morceaux de cuir. A quel titre sera donc la petite monnaie d’argent? Pour former à cet égard une détermination éclairée, il faut se rappeler les motifs qui obligent à faire de cette espèce de monnaie. Les petits détails du commerce, les salaires des ouvriers de toute espèce, lesmenusachats si multipliés dans toutes les classes des citoyens, et surtout dans la classe la plus nombreuse, demandent nécessairement des monnaies proportionnées. Pour les faire, nous n’avons que le cuivre et l’argent. Mais il y a une trop grande distance entre les valeurs de ces deux métaux, employés purs. C’est à peu près comme un à cent : et on ne peut donc les rapprocher sans tomber dans les deux extrêmes, la grosseur trop lourde de l’un et la petitesse impalpable de l’autre. La nature nous ayant refusé des métaux intermédiaires, il a fallu que l’art vint à notre secours, en nous en donnant de factices, composés d’argent et de cuivre, dans des porportions qui varient selon le choix des législateurs. Chez nous, par exemple, le métal intermédiaire a été depuis longtemps ce que nous appelons le billon noir ou bas billon, tes sous marqués, composés tantôt d’uu tiers, tantôt d’un quart et, en dernier lieu, d’environ un sixième d’argent sur le surplus de cuivre. Ce moyen-là même ne paraissant pas suffisant, on a cru nécessaire de faire des divisions d’écu, et de les faire descendre comme des chaînons, aussi has qu’il serait possible, pour approcher des chaînons les plus élevés du cuivre. On a donc fabriqué des pièces de vingt-quatre, douze et six sous, au titre des écus. Aujourd’hui, que l’on connaît généralement, et que l'on sent assez vivement les inconvénients du billon has, pour en désirer la suppression, dès que les circonstances pourront le permettre, il est expédient de rapprocher les divisions de l’écu plus près encore, autant qu’il sera possible, de la monnaie de cuivre, en conservant à la plus petite un volume raisonnable, avantage qui manque aux pièces de six sous actuelles, comme on s’en plaint souvent; il suit de là que la division duodécimale au titre des écus, telle que nous l’avons, ne peut plus convenir. La décimale, déjà beaucoup plus commode pour les comptes, remplira mieux notre but, en nous donnant des pièces de cinq sous, si nous trouvons le moyen de leur procurer un volume convenable, uu peu plus fort que celui des pièces de six sous actuelles. Ge moyen existe, il est employé chez d’autres nations, comme il i’a été en France. Il consiste à baisser Je titre, c’est-à-dire à mettre un peu plus d’alliage qu’on n’en met dans les écus. On sait que le titre des écus est à dix deniers vingt grains ou environ. Celui des nouvelles pièces pourrait être à huil deniers. Les anciennes pièces de France, dites de vingt sous, dix sous, quatre sous, étaient au titre de neuf deniers vingt-un grains : tels sont encore les rixdales et les couronnes de Danemark. Les ducats de Venise sont à neuf deniers dix-huit grains. Les florins de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 janvier 1791.] 59 Mayence à huit deniers vingt-trois grains. Les écus de Bayreuth à huit deniers dix-huit grains. Lesécusde Lubeck ahuit deniersdix-neuf grains. Les florins du Meckierabourg à sept deniers sept grains. Les roubles de Russie à neuf deniers onze grains. Je rapporte ces exemples pour faire voir que la proposition du titre à huit deniers n’est pas insolite. Avec cet alliage de quatre parties de cuivre sur huit d’argent, les pièces seraient plus solides, plus dures, résisteraient davantage au frai, conserveraient mieux et plus longtemps leur empreinte, leur poids et toute leur valeur. La pièce de cinq sous aurait plus de poids et de volume que n’en a la pièce de six sous; car elle pèserait trente-deux grains, tandis que celle de six sous n’en pèse qu’environ vingt-sept et demi. Tous ces avantages sont précieux dans une monnaie, livrée au mouvement perpétuel de la circulation, à des frottements continuels et destructeurs. Puisqu’il faut nécessairement de l'alliage, pour donner de la fermeté à l'argent, puisque les écus même en ont besoin, n’importe qu’il y en ait plus ou moins, relativement à la confiance, attendu qu’il ne diminue en rien la valeur de la monnaie, toutes les fois que l’évaluation est mesurée sur la quantité d’argent lin qui s’y trouve, lors, surtout, que cette quantité est exactement exprimée sur chaque pièce, comme le comité le désire. L’alliage ne nuit à la confiance et au commerce que quand il est en fraude, quand il y en a plus qu’on ne croit communément, plus que la loi connue ne le veut; car alors il y a moins d’argent fin, et par conséquent moins de valeur, à proportion qu’on a mis plus d’alliage oude cuivre, le métal précieux étant le seul qui se compte, le seul qui donne le prix à la monnaie, surtout lorsqu'il s’agit de solder chez l’étranger. Soient, par exemple, deux pièces de dix sous chaque, l’une au titre de huit deniers, et l’autre au litre de douze deniers. La première aura huit parties d’argent sur quatre parties de cuivre, l’autre sera d’argent pur; cependant elles contiendront la même quantité d’argent fin, puisqu'elles valent dix sous chacune. La seule différence qu’il y a, c’est que le cuivre qui entre dans la première ajoute d’autant à son volume, à son poids, à sa force, sans rien ajouter à sa valeur, sans diminuer la quantité d’argent fin nécessaire pour qu’elle vaille dix sous. J’ai donc raison de dire que l’alliage, quel qu’il soit, ne fait rien à la valeur des monnaies, ni à la confiance qui leur est due, pourvu qu’il soit connu, et qu’il n’y en ait que la quantité annoncée par la loi, et certifiée par l’empreinte. On pourrait cependant, pour déjouer la cupidité des hillonneurs et des étrangers, suivre l’usage établi ailleurs, et observé chez nous, à l’égard du bas billon : ce serait de faire entrer, dans l’évaluation des pièces, le prix du cuivre qui y est employé. Il a été proposé de faire les nouvelles pièces au titre de six ou sept deniers. J’avoue qu’elles gagneraient encore plus eu volume et en solidité, mais ce serait aux dépens de la couleur. Au titre de huit deniers, la couleur de l’argent domine; au-dessous, à six ou à sept, c’est celle du cuivre. Les expériences que votre comité a fait faire ne laissent aucun doute là-dessus. On peut bien masquer cette couleur de cuivre par le blanchiment; mais le frai fait bientôt tomber ce masque, et le cuivre reparaît. Il nous faut nécessairement, et un volume raisonnable, et une couleur d’argent qui soit solide. Ces deux avantages, qui doivent être inséparables, vous les trouverez au titre de huit deniers, et vous ne les trouverez ensemble ni au-dessus ni au-dessous. C’est donc ce titre qui doit être préféré. Si les faits avaient besoin d’autorité, je dirais que M. le directeur de la Monnaie de Paris, que j’ai consulté, est aussi de ce sentiment. De savants métallurgistes ont offert de procurer une couleur solide d’argent, au titre de six deniers, ce qui donnerait encore plus de volume aux petites pièces. Ce moyen consiste à enlever au cuivre sa couleur rouge, et à le rendre blanc, à peu près comme l’argent. Ou nous a apporté des pièces moitié argent, moitié cuivre, de cette espèce. On dirait, en elfet, qu’elles sont d’argent pur. S’il était jugé convenable défaire usage de ce secreq qui au reste n’en est pas un, puisqu’il est connu des chimistes; s’il était, dis-je, convenable de l’employer dans la fabrication de votre petite monnaie, vous auriez à un haut degré les deux avantages essentiels que nous cherchons, le volume et la couleur. Mais votre comité a pensé qu’il serait d’un mauvais exemple d’imiter, en quoique ce fut, les faux-monnayeurs, et qu’il convient de prendre le cuivre dans sou état naturel, suit pour l’ailier, soit pour le frapper seul. C’est, sans doute, la marche la plus conforme à la franchise, à la loyauté, à la dignité des nations. Quoique cette observation réponde à d'autres propositions de ce genre qu’on a portées au comité, je dois, pour arrêter les reproches qu’on lui a déjà faits, et qu’on chercherait à lui faire encore, de ne pas accueillir avec empressement tous les projets prétendus utiles; je dois vous mettre à portée d’en connaître quelques-uns de ceux qui oui été présentés avec le plus d’instances, et dont quelques honorables membres se sont déclarés les protecteurs. L’un de ces projets est celui de M. Pasquier, honnête et zélé citoyen. Il consiste à faire de la monnaie plaquée ou fourrée, c’est-à-dire des pièces composées d’une lame de cuivre, recouverte de deux lames d’argent, de manière que le cuivre paraît sur la tranche. C’est une espèce d’alliage sans foute et sans mélange, qui a plus d’inconvénients que l’alliage réel, sans avoir aucun de ses avantages. Par l’alliage ordinaire, la matière devient plus dure, plus propre à résister aux chocs et aux frottements : le cuivre et l’argent, intimement mêlés, se fortifient, s’aident mutuellement, et partagent les attaques extérieures. Dans l’alliage, ou plutôt dans le placage de M. Pasquier, c’est l’argent seul qui est exposé, c’est le métal précieux qui reçoit seul les chocs destructeurs, qui couvre et garantit précieusement le métal vif, tandis que ce devrait être tout le contraire s’il était possible. Par le procédé ordinaire, on est sûr de trouver toujours, malgré le frai, le titre delà pièce, tel que le fabricateur l’y a mis : par celui de M. Pasquier, il est impossible de le retrouver, lorsque le frai a consumé uue partie des lames d’argent. Ce serait donc ouvrir la porte à la fraude, et se mettre dans l’impossibilité de la constater. Ajoutez à cela que les plaques extérieures étant d’argent pur et mou, les empreintes seraient bientôt effacées, et jugez si la monnaie fourrée peut vous convenir. Lorsque vous saurez qu’elle fut inventée, du temps de nos pères, dans un siècle de désordre, par un fameux faux-monnayeur, nommé Merlin, vous serez étonnés que d’houorabies membres, bons citoyens, viennent vous la van- 60 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ter et nous la proposer comme une excellente opération. Un artiste, marchand orfèvre, M. Cazeneuve, vous propose tout bonnement de faire gagnera la nation deux cents millions. Son moyen est de faire fabriquer, avec les pièces déjà existantes et avec d’autres matières qu’on se procurerait pour deux cents millions, valeur intrinsèque, de petite monnaie, moitié argent, moitié cuivre, et de les donner au public pour le double, c’est-à-dire pour quatre cents millions. Je lui ai répondu qu’il serait plus court d’ordonner que lus pièces actuelles vaudront le double de ce qu’elles valent. M. Cazeneuve n’est pas de ceux qui sont le moins vivement persuadés de l’excellence de leurs projets. Je vous ennuierais trop, Messieurs, si je voulais vous faire part de toutes les rêveries qu’on imagine, et qu’on cherche à nous persuader. Revenons à la suite des questions, dont l’examen est prescrit par vos décrets. Quelle division adoptera-t-on ? Sera-ce la division décimale? Tout le monde convient quela division décimale est la plus commode pour les comptes, et par conséquent la meilleure. C’est elle qu’adopte l’Académie des sciences, consultée par vos ordres: c’est celle que votre comité préfère aussi avec l’Acadé l ie et la plupart des personnes instruites, Il en est cependant, en petit nombre, qui voudraient qu’on ne changeât point les divisions actuelles, qu’on continuât à rie faire que des pièc. s de vingt-quatre, douze et six sous. Us donnent pour raison qu’il y aurait d'-s inconvénients à innover à et t égard. Je cherche les inconvénients qu’on annonce, etje n’en trouveaucun qui puisse balancer les avantages du sentiment opposé. Le peuple, dit-on, est accoutumé à la division duodécimale. Cela est vrai ; mais il est vrai aus-i que le peuple a eu souvent des habitudes différentes à cet égard ; qu’il n’a jamais répugné à en changer toutes les fois que ses rois l’ont voulu ; qu’il ne s’est plaint que quand on lui a donné de la fausse monnaie ou de la monnaie d’un volume incommode; quand on a multiplié, coup sur coup, les refontes et les changements pour le seul avantage du Trésor du prince et de ses agents. On ne peut donc pas douter que le peuple ne voit avec plaisir une nouvelle division, plus commode que l’ancienne, et plus généralement conforme à l’opinion et aux désirs des hommes instruits. Il faut attendre, dit-on, que l’Académie des sciences, d’accord avec les plus savantes académies étrangères, nousait donné les divisions nouvelles, les poids et les mesures que la nature mieux connue et mieux calculée leur donnera. Mais cette division que nous attendons doit être la décimale, postée à la vérité plus loin et sur des objets dont il ne peut être question aujourd’hui ; mats cette division, telle qu’elle vous est proposée, est demandée par la plupart des académiciens. Il n’y a donc pas de raison plausible pour attendre davantage. Je dis plus ; dans le cas même où vous voudriez laisser dans la circulation les pièces anciennes , effacées ou fausses , concurremment avec les nouvelles, il conviendrait que la division fût changée. La raison en est palpable. Les étrangers ont, à ce qu’on assure, des quantités de pièces de � vingt-quatre, douze et six sous fouies prêtes, à des titres plus bas que les nôtres. Ne les eussent-ils pas toutes prêtes, ils les auraient bientôt. Us ont nos coins; il 11e leur a pas été difficile de les imiter. S’ils ne les ont pas déjà introduites, c’est qu’étant neuves, et nos [7 janvier 17P1.] monnaies n’en ayant pas frappé depuis longtemps, elles seraient par là même suspectes; mais dès que vous en ferez faire de pareilles, ils répandront les leurs avec profusion , et vous serez encore plus inondés défaussé monnaie. Un coin nouveau pour ces pièces de vingt-quatre, douze et six sous ne remédierait pas aux inconvénients. Tant qu’il sera permis aux vieilles pièces effacées de circuler, les étrangers vieilliront les leurs, comme ils voudront, par le frottement, et les substitueront aux nouvelles que vous émettrez, et qui, ayant tout le poids et le ti re requis, offriront à leur cupidité un profit certain. On se plaindrait toujours, avec raison, du trop petit volume des pièces de six sous, qu’un poinçon nouveau ne saurait agrandir, et qu’une circulation extrêmement active diminue chaque jour. II est donc bien évident que la division duodécimale ne saurait plus convenir. M. l’évêque d’Autun fait, contre la division décimale, une dernière objection, qui ne me paraît pas mieux fondée. II prétend que le livre de compte étant l’étalon de toutes les monnaies, elle ne doit point être une monnaie réelle. On commença, sous Charlemagne, à se servir de la livre de compte, composée de vingt sous; mais alors, et penda T longtemps, cette livre, ainsi que le sou et le denier, étaient aussi des monnaies réelles, et il n’en résultait aucun inconvénient. Ce n’est que par les changements survenus, ce n’est qu’à force d’affaiblir et d’altérer les monnaies, que la livre n’a plus été qu’une monnaie idéale ou de compte. Cela n’a pas empêché qu’il n’y ait eu assez souvent des pièces de vingt sous, comme le comité vous en propose aujourd’hui. Sous le roi Jean, après l’an 1350, les peuples se trouvèrent si tourmentés par les changements perpétuels et les altérations des monnaies, qu’ils s’accoutumèrent à ne plus compter à livres et à sous, mais à marcs d’or et d’argent. Alors donc aussi la monnaie de compte était une chose réelle, et non purement idéale. Je réponds enfin que comme la livre est, si l’on veut, l’étalon des écus et des louis , le sou est aussi l’étalon de la livre. S’ensuit-il de là qu’il ne faut plus faire des sous, qu’il ne faut pas que le sou soit une monnaie réelle, parce qu’il est une monnaie de compte? D’ailleurs, ce n’est pas la dénomination de livre qu’on vous propose de donner aux nouvelles pièces, mais celle de pièces ne vingt sous, dix sous et cinq sous, comme on en a fait autrefois. Ou vous proposera sans doute, Messieurs, un avis qui avait été unanimement rejeté parle comité, lorsqu’il était très nombreux, composé de membres assidus à toutes les discussions, et qui a été adopté postérieurement par la minorité, lorsque le comité s’est trouvé moins nombreux, et composé en partie de membres qui entendaient la discussion pour la première fois. Get avis consiste à faire des pièces de trente sous et de quinze sous au titre des écus, en laissant subsister toutes les autres. Je dois vous rendre compte des raisons qui avaient déterminé le comité plus nombreux à ne pas l’aümettre. Elles vous sont nécessaires pour vous décider avec connaissance de cause. U voyait dans cette mesure des inconvénients très graves, qu’il ne pouvait ne pas regarder comme une suite, une continuité et un surcroît de malheurs publics. II voyait qu’elle laissait la porte toujours ouverte à la fraude, à l’extraction des bonnes pièces et à l’introduction des mauvaises ; il semait que les 15 millions qu’on em_ [Assemblée nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 janvier 1 91.] 61 ploierait à cette fabrication nouvelle seraient autant de perdu pour la France, autant de jeté entre les mains des étrangers, autant d'ajouté à la dette publique (par le nouveau vide que leur extraction causera, et qu’il faudra remplir tôt ou tard) sans autre bien qu’un soulagement apparent et momentané. Il avait examiné toutes choses, il avait sondé tous les maux, il avait cherché tous les remèdes, et il ne voyait aucun salut pour la chose publique dans des opérations timides et partielles : il n’en trouvait que dans celles qu’il vous a indiquées par ses divers rapports, dans celles qui tendent à délivrer le peuple de la trop nombreuse fausse monnaie, qui l'embarrasse, le jette dans des pertes journalières, et lui en préparent d'accablantes; dans celles qui arrêteraient pour toujours l’extraction et l’introduction dangereuses, qui interdiraient toutes les vieilles pièces effacées ou étrangères, dès que nous en aurions une suffisante quantité de nouvelles pour les remplacer avec l’abondance convenable; dans celles qui donneraient une nouvelle vie à la circulation, qui remédieraient à la rareté du numéraire, attireraient au change des monnaies une plus grande abondance de matières, préviendraient, par des moyens plus efficaces, les infidélités des fabricateurs, rétabliraient l’honneur de nos espèces, en leur assignant leur véritable valeur, ranimeraient ainsi la confiance, le crédit et le commence ; assureraient à l Etat une prospérité plus certaine, une supériorité de richesses et de ressources plus réelle et plus constante. La mesure proposée lui paraissait renfermer plusieurs inconvénients particuliers, qui, seuls, devaient la rendre inadmissible. La division de l’écu, en pièces de trente sous et de quinze sous, s’éloigne du but, dont il serait nécessaire de se rapprocher, et qui consiste à descendre le plus près possible vers la monnaie de cuivre, comme je l’ai déjà dit. La division en pièces de vingt, dix et cinq sous aurait cet avantage. Les pièces de trente sous et de quinze sous, au titre des écus, étant d’une matière peu ferme, et roulant dans une circulation très active, doivent perdre aisément par le frai, et leur empreinte, et des parties de leur substance, comme il est arrivé aux pièces de vingt-quatre, douze et six sous. Mêlées souvent avec la monnaie de cuivre, matière plus dure, ce frottement multiplie les pertes. Les pièces de vingt, dix et cinq sous, au contraire, étant d’un métal composé plus dur que le cuivre, n’en recevraient presque aucun dommage. On objecte, je le sais, que dans cette composition l’argent seul, comme plus mou, serait attaqué par le frottement. Pour faire une telle objection il faut n’avoir aucune connaissance de la nature des métaux; il faut ignorer que, quand deux métaux sont fondus ensemble, il en résulte un métal composé qui n’est ni l’un ni l’autre des composants, qui a des propriétés que n’ont ni l’un ni l’autre. Le métal des cloches, par exemple, est cassant, très dur et très sonore. Je demande si le cuivre et l’étain qui le composent, lui ressembhmten quelque chose, ou si quelque frottement peut y trouver et y attaquer l’étain seul ou le cuivre seul? On fait une autre objection contre les pièces de vingt, dix et cinq sous, laquelle paraît d’abord plus spécieuse, mais n’en est pas mieux fondée. Ou dit que la composition de ces pièces, étant à huit deniers, contient un tiers de son poids en cuivre, qui, n’étant compté pour rien dans l’évaluation des espèces, se trouverait là en pure perte. Mais, répondrai-je, quand cela serait, n’y en a-t-il pas aussi dans les écus? N’y en aurait-il pas aussi dans les pièces de trente et de quinze sous? Peut-on regarder d’ailleurs comme une perte, un moyen qui oonne aux espèces le volume nécessaire et commode, qui 1-s conserve mieux, qui les garantit mieux des effets du frai, en leur procurant plus de dureté et de solidité? Cependant, comme je l’ai observé ci-dessu?, l’usage, et peut-être la politique, veulent que ie cuivre, quand il est en certaine quantité dans Ses espèces, y soit compté pour sa valeur; car il a une valeur réelle. Mais supposons que l’objection soit vraie à cet égard, et voyons ce que le calcul nous apprend. Les écus étant au titre de dix deniers vingt-et-un grains, selon la loi, renferment au delà d’un douzième de cuivre. Les pièces de vingt, dix et cinq sous en renfermeraient quatre douzièmes. Sur 20,000 marcs d’argent, qui font un million en écus, ou en pièces de trente et quinze sous, il y aurait environ 2,000 marcs de cuivre, qui, à 10 sous le marc, coûteraient 100 pistoles. Ce serait donc 1,000 livres par million, sur la même quantité de 20,000 marcs d’argent, au titre de huit deniers, il y aurait de 6 à 7,000 marcs de cuivre, qui coûteraient environ 3,600 livres. Ainsi, dans les 15 raillions en pièces de tiente et quinze sous, au titre des écus, il y aurait pour 15,000 francs de cuivre; et en pièces de vingt, dix et cinq sous, au titre de huit deniers, il y en aurait pour environ 50,000 francs. C’est à vous, Messieurs, à juger si une économie de 35,000 francs sur 15 millions devrait vous faire rejeter une mesure qui vous procurerait des avantages d’un prix bien au-dessus de cette somme, un volume plus commode, une division plus rapprochée delà mounaie de cuivre, plus propre à suppléer toutes les autres, et à diminuer le frai et les pertes. A l’égard delà monnaie de cuivre, j’ai eu l’honneur de vous en entretenir il y a quelques jours. Je vous ai fait connaître la quantité qu’il y en a dans la circulation, et la nécessité de faire cesser la fabrication actuelle, au moins dans quelques parties du royaume, où l’on se plaint des embarras qu’elle cause au commerce. Je vous ai dévoilé les fraudes que la cupidité porte à commettre eu faisant cette monnaie plus petite que la loi ne le permet. S’il est question d’en faire fabriquer de nouvelle, je demanderai la parole pour vous proposer quelques amendements relatifs à d’autres abus. On avait pensé que la matière des cloches pourrait servir à faire de cette monnaie basse, en l’employant telle qu’elle est, ou en la rendant malléable par l’addition d’une certaine quantité de cuivre. Mats votre comité a cru qu’it convenait que la monnaie de cuivre fût de cuivre pur, sans mélange. Il n’a pas ignoré que ce métal pouvait être séparé facilement, et à peu de frais, des autres métaux, de l’étain, du zinc, etc., qui entrent aussi dans la composition des cloches, quoique des chimistes célèbres aient nié cette possibilité. Ils ignoraient apparemment les expériences récentes faites par M. Pelletier, habile, laborieux chimiste, et homme vrai, qui a eu ta générosité de communiquer son procédé à l’Assemblée nationale, sans autre vue d’intérêt que celle d’être utile à sa patrie. Cependant votre comité n’a pas jugé qu’il convînt à la nation de faire faire à ses frais cette opération chimique, ni d’attendre le cuivre qui en proviendrait, avant de procéder à la fabrication des monnaies. Il lui a paru plus expédient de vendre les cloches, et d’en tirer le meilleur parti possible. C’est une véritable mine abondante [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1 janvier 1791.] 62 qui peut être exploitée avec avantage, et fournir de la matière à divers usages utiles et nécessaires. Plusieurs compagnies se présentent et demandent chacune l’adjudication totale, moyennant des sûretés convenab es. Des particuliers, ou de petites associations particulières vous demandent de leur vendre des quantités séparées, à chacun tant de quintaux, ou de milliers de quintaux, afin de faire participer au profit, s’il y en a, un plus grand nombre de citoyens, qui auraient besoin de réparer par ce travail, l’espèce d’oisiveté forcée à laquelle la Révolution les a condamnés, et les pertes qu’elle leur a occasionnées. Au reste, les gens du métier vous conseillent de faire bien surveiller, par des hommes intelligents et fidèles, et les ventes et les pesées, si vous voulez éviter des fraudes graves et fréquentes. 11 aurait été utile, et peut-être nécessaire de connaître à peu près les quantités que vous avez à vendre, avant de les mettre en vente. Il est une autre considération qu’on ne doit pas pe rdre de vue, c’est que nos pères, religieux jusque dans les petites choses, ont mêlé quelquefois de l’argent dans la matière des cloches. Il me reste à vous dire deux mots sur ce que vous avez demandé à votre comité, par votre décret du 8 octobre, « sur les différents moyens « capables de remedier à la rareté du numé-« raire, et notamment sur la facilité à accorder à « ceux qui porteront aux hôtels des monnaies des « matières d’or et d’argent. » Pour connaître le remède, il faut chercher les sources du mal. Le comité a trouvé une de ces sources dans le dérangement de l’ancienne proportion entre l’or et l’argent, qui était d’environ 1 à 14 1/2, et qui a été porte à 15 1/2 environ, par M. de Galonné, en 1785. Ce qui donnant à l’or une valeur arbitraire, qui n’est point admise chez l’étranger, a introduit des spéculations mercantiles qui nous enlèvent nos écus, notre principal et plus utile numéraire. Le remède serait donc de rélablir les choses comme elles étaient avant la désastreuse opération du ministre Galonné. Votre comité vous l’a déjà proposé. Une seconde cause de la rareté du numéraire est la défaveur dans la balance du commerce, le désavantage du change, qui résulte de ce que, depuis deux ans, par l’effet des fausses opérations du gouvernement, notre industrie languit, notre commerce d’extraction a diminué, et que nous achetons à l’étranger plus que nous lui vendons, ce qui nous enleve journellement, pour solder cet excédent, une plus ou moins grande quantité d’espèces. Le seul moyen d’y remédier, c’est d’encourager les arts et le commerce; c’est de diminuer l’agiotage qui leur est si funeste, en ce qu’il donne un cours, pour ainsi dire, rétrograde à leur aliment le plus nécessaire ; c’est de prendre de telles mesures que les capitalistes soient intéressés à tourner leurs spéculations vers le commerce et l’agriculture, plutôt qu’à les concentrer dans les manœuvres de la Bourse. Une troisième cause du mal dont on se plaint est l’impôt si impolitiquement et si injustement établi sur les monnaies. Supprimez à jamais le droit de seigneuriage, source trop féconde de gêne et de malversations ; que le Trésor public soit chargé des frais de brassage, à l’imitation des Romains et des Anglais, à l’exemple de Louis XIV, sous la plus sage et la plus heureuse des administrations, celle de Colbert, et vous verrez, comme de son temps, les matières d’argent et d’or accourir en foule au change des monnaies, et fournir aux fourneaux et aux balanciers l’aliment le plus abondant et le plus utile, sans que vous soyez obligés d’avoir recours aux funestes ressources de l’agiotage dont l’avide cupidité vous fera payer chèrement ses secours. Ceux qui ont de la vieille vaisselle, des lingots et autres matières d’or et d’argent, s’empresseront de les porter au change des monnaies, lorsqu’ils sauront qu’on leur rendra, en espèces monnayées, autant de marcs, autant de grains de matière line, qu’ils en auront apporté en lingots. Car en déchargeant les monnaies du droit de seigneuriage et des frais de fabrication qui montent à 27 sous par marc d’argent, la valeur intrinsèque deviendra égale à la valeur numéraire; le marc d’écus, qui est formé de huit gros écus et de trois pièces de 12 sous, et qui ne vaut aujourd’hui intrinsèquement que 48 1. 9 s. 1 d. selon le tarif des monnaies, quoiqu’on lui donne numérairement, c’est-à-dire, à raison de ce qu’il est monnayé, la valeur de 49 I. 16 s., vaudra intrinsèquement, comme numérairement, 49 1. 16 s.: cela veut dire que le marc en lingot aura la même valeur que le mare monnaye. Aujourd’hui celuiquiapporteau change de la monnaie un marc d’argent en lingot, au titre des écus, reçoit en payement moins d’un marc en écus, puisqu'il ne reçoit que 48 1. 9 s. 1 d., et qu’il faudrait 49 1. 16 s. pour compléter le marc; au lieu que dans la supposition dont je parle, le vendeur du marc en lingot serait payé par le marc entier en écus par 49 1. 16 s. Je conviens que cetie opération porterait le prix de l’argent au-dessus du taux actuel, 27 sous de plus par marc; mais le cours du commerce ne le porte-t-il pas encore plus haut, et pouvez-vous avoir d’autres moyens d’empêcher que la cupidité ne fonde vos écus, d’autres moyens d’attirer les matières précieuses au change des monnaies? Où retrouverez-vous ces deux avantages incalculables, sans compter la surveillance active que le public exercerait journellement sur les fabrications, eu examinant de près le poids et le titre des espèces qu’il recevrait en échange de ses lingots? Vous sentirez le prix et la nécessité de cette surveillance, si vous connaissiez à quel point l’infidélité des fabricateurs et des essayeurs sait tromper, au détriment de la chose publique, les surveillants ordinaires les plus attentifs. On oppose à cette mesure des objections, de prétendus inconvénients, quis’évanouissent quand on fait attention à l’expérience d’une suite de siècles, fuite par les Romams, à celle que font les Anglais depuis longtemps, à celle que lit en France, avec tant de succès, le célèbre et judicieux Colbert. Si l’ou voulait des réponses plus directes et détaillées, il serait aisé d’en donner. Par exemple, si on objectait que nous deviendrions les monnayeurs des antres nations, je dirais, tant mieux : car certainement les matières étrangères ne viendraient pas à nos monnaies, sans payer des commissions, sans faire des dépenses qui nous dédommageraient amplement des frais de fubricaiion. Compterait-on d’ailleurs pour peu de chose l’avantage de voir notre monnaie devenir la monnaie universelle?� Je crois, Messieurs, avoir satisfait à vos divers décrets sur la partie des monnaies qui est à l’ordre du jour. Je crois avoir suffisamment répondu à ce que vous pouvez exiger aujourd’hui de votre comité. Je vous ai exposé ses principes,. ses observations et le résultat de ses longues et profondes discussions. S’il vous faut un projet [7 janvier 1791.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. de décret, je ne puis vous présenter que celui qu’il vous a déjà présenté lui-même, et qui, après avoir établi les principes les plus simples, vous propose la fabrication de la petite monnaie, et tend ainsi directement à votre objet (1). Si l’on persiste à écarter tout principe, à ne vouloir qu’une opération partielle, que votre comité, plus nombreux et plus instruit pour la discussion, avait unanimement rejetée comme fausse et funeste, d'autres que moi vous la présenteront. Votre comité, honoré de votre confiance, chargé par vous de vous indiquer les moyens véritablement propres à rétablir l’ordre dans cette partie importante de la chose publique, aurait cru se rendre infiniment coupable, vous tromper sciemment, et trahir lâchement les plus grands intérêts de la nation; si par faiblesse, par condescendance, par complaisance pour une partie de l’Assemblée, mal instruite, ou trompée, ou préoccupée, il avait dévié de la vérité connue, et vous avait conseillé une mesure dont il sentait le danger et les suites pernicieuses. Des médecins assemblés en consultation peuvent-ils ordonner au malade autre chose que ce qui, après un mûr examen, leur parait le meilleur, le seul efficace à rétablir sa santé. Si le malade ignorant, faible et trompé, préfère un remède de charlatan, et qu’ils ne puissent l’empêcher, quel sera l’homme assez injuste pour leur imputer sa mort? Leur honneur ne sera-t-il pas bien loin d’avoir contracté la tache de cette charlatanerie, et leur conscience celle des maux qui peuvent s’en suivre ? C’est une véritable médecine, un remède certain que vous avez demandé pour la maladie grave et très compliquée qui afflige les organes de la vie du commerce. La partie principale de cette maladie, que vous cherchez à guérir, est la rareté du numéraire; et de quel numéraire? des écus. Sans s’embarrasser de la cause qui la produit, et qui la produira toujours, tant qu’elle existera, tant qu’on négligera de l’attaquer, pour faire cesser cette rareté, pour avoir une quantité d’écus suffisante, on va vous proposer de faire fabriquer quinze millions en pièces de trente et quinze sous, au titre des écus, laissant aux étrangers, aux billonneurs et aux faux-monnayeurs, toute la liberté, toute la facilité qu’ils avaient su prendre sous le régime le plus désordonné et le plus apathique; et c’est ainsi qu’on veut travailler à la régénération, à la guérison de nos maux eu les empirant, en versant sur nos plaies, au lieu de baume, un poison sans remède. Ces comparaisons et ces expressions vous paraîtront justes et modérées, lorsque vous aurez porté une attention sérieuse sur toutes les vérités que je viens de vous exposer, lorsque vous réfléchirez sur les ressources infinies de la fraude et de l’agiotage. Il est vraisemblable, et il faut le dire, il est même certain qu’en cherchant à vous procurer, par une opération partielle, une augmentation de quinze millions en petit numéraire, il vous arrivera, à moins de précautions extraordinaires et fidèlement suivies, qu’on vous vendra fort cher vos propres écus, qu’on aura fondus et réduits en lingots. Ce que vous ne pouvez pas éviter, c’est de payer au moins seize millions et demi les quinze millions de matière qui vous sont nécessaires. Ainsi, la pièce que vous donnerez pour trente sous reviendra à l’Etat à environ trente-(1) Voir le rapport de M. de Cussy, Archives parlementaires, séance du 9 décembre 1790, tome XXI, page 344. 63 trois sous ; ainsi, pour toute augmentation de numéraire, vous aurez quinze millions de plus en pièces de trente et quinze sous, et quinze millions de moins en écus, ou, ce qui est la même chose, vous aurez quinze millions d’écus changés en pièces de trente et quinze sous, moyennant une dépense de plusieurs millions, non compris les vols et les pertes inévitables que vous préparent les billonneurs et les étrangers. C’est à quoi doit se réduire, en dernière analyse, l’opération partielle qu’on vous proposera. Votre comité vous en fera connaître l’absurdité, les dangers et les suites funestes : son devoirettousses pouvoirs se bornent là. Quitte avec sa conscience, quitte avec la nation, il fera des vœux pour que le temps elles autres affaires vous permettent de vous éclairer suffisamment sur celle qui n’est ni la moins importante, ni la moins urgente. M. de Mirabeau. Je demande à la majorité de l’Assemblée si elle a entendu un mot de ce que le préopinant vient de dire?... M. Belzais-Courménil. J’ai à vous présenfer, au nom de la majorité des comités des monnaies et des finances réunis, un plan qui a au moins le petit mérite d’être clair. Je conviens que vous ne l’adopteriez point, s’il s’agissait u 'établir en ce moment un régime général des monnaies; mais ce n’est qu’une opération provisoire que vous nous avez chargés de vous proposer. Ce projet de décret est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale après avoir entendu ses comités des monnaies et des finances réunis, et sans rien préjuger sur les principes du système monétaire qu’elle se réserve de prendre en grande considération, a décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er. Il sera incessamment fabriqué une menue monnaie d’argent jusqu’à concurrence de 12 millions de livres. « Art. 2. Cette fabrication sera faite au titre actuel des écus, et avec les mêmes remèdes, « Art. 3. Cette monnaie sera divisée en pièces de 30 sous et de 15 sous, et il en sera fait pour 6 millions de chaque espèce. « Art. 4. La valeur de chaque pièce sera exprimée sur l’empreinte. « Art. 5. L’Assemblée nationale invite les artistes à proposer le modèle d’une nouvelle empreinte ; elle charge son comité des monnaies de lui rendre compte de leur travail le plus tôt possible. « Art. 6. Il lui présentera incessamment ses vues sur la légende qu'il convient de substituer aux anciennes, et sur les moyens d’éviter les abus qui pourraient s’introduire dans cette fabrication. « Art. 7. Les divisions actuelles de l’écu en menue monnaie d’argent, et la monnaie de bi lion qui existent dans la circulation, continueront d’avoir cours, comme par le passé, jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné; mais il n’en pourra être fabriqué d’autres. « Art. 8. Il sera fabriqué de la monnaie de cuivre de 12, 6 et 3 deniers. « Art. 9. Il en sera incessamment fabriqué pour un million, et ensuite pour 100,000 livres par mois; et, sur la demande des departements, la fabrication sera augmentée ou suspendue par décret de l’Assemblée nationale. « Art. 10. Elle sera faite à la taille actuelle, l’Assemblée nationale n’entendant préjuger aucun des principes du système monétaire. « Art. 11. Un tiers de cette fabrication sera en