744 [Il novembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. passe-port illimité, au moyen de ce que son suppléant était présent. Il a été décrété que le passeport ne serait accordé qu’après la vérification des pouvoirs du suppléant. M. le Président a dit ensuite qu’il avait mis sous les yeux du Roi le décret rendu la veille, relativement à la chambre des vacations du parlement de Rouen ; que Sa Majesté, satisfaite des remerciements contenus dans la première partie de ce décret, avait promis de prendre en considération la demande de l’Assemblée nationale, relative à la formation d’une nouvelle chambre des vacations, composée d’autres magistrats du même parlement. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet concernant la division du royaume en départements. M. Target (1). Messieurs, après avoir entendu une discussion longue, où chacun s’est occupé d’une partie d’un plan qui a quelque étendue, et s’est moins attaché à répondre au préopinant qu’à établir son propre système, l’esprit est souvent plus embarrassé qu’éclairé ; on se représente tout à la fois une foule d’avantages et d’inconvénients; on se retrace une multitude d’objections et de réponses ; on perd l’idée de l’ensemble, et l’on s’éloigne de la décision plus qu’on ne s’en rapproche. C’est alors que se fait sentir le besoin d’un résumé, et surtout d’une comparaison des différents projets, considérés sous toutes leurs faces, pour se recomposer à soi-même des principes qui puissent nous fixer. Je viens donc moins ici pour défendre le plan de votre comité que pour vous mettre à portée de l’apprécier, en le plaçant sous vos regards à côté de tous les autres. Une première idée qui me saisit, et qui certainement doit vous frapper, c’est que les difficultés qui sont communes à tous les systèmes de division du royaume ne peuvent être alléguées contre aucun,' et ne présentent pas de motifs pour se déterminer. Je m’explique. Presque personne, ce me semble, n’a cru pouvoir vous proposer de laisser le royaume dans l’état actuel de ses divisions par provinces, et de donner, par exemple, une seule administration supérieure à toute la Champagne, une seule à toute la Lorraine, et une administration pareille au pays d’Aunis ou aux Quatre-Vallées. Nous nous accordons tous à sentir la nécessité d’une division nouvelle. Si l’on voulait suivre les divisions actuellement subsistantes, pourquoi prendrait-on pour règle les provinces, et non pas les généralités, qui étaient des départements administratifs ? Nous placerions alors une seule administration en Poitou, une seule en Guyenne, une seule en Bourgogne, et trois en Normandie ; et le Roussillon et l’Aunis, avec la Saintonge et le Berry, en auraient une toute semblable. Nous comprenons encore que cela ne peut pus être; un tel plan serait de l’inégalité la plus vicieuse. Nous ne nous trouverions pas mieux si nous voulions adopter la circonscription des gouvernements ou celle des diocèses, ou celle des bailliages et juridictions. Il faut donc créer un nouvel ordre, puisque au-(1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours do M. Target. cun de ceux que nous avons ne peut convenir à la France régénérée. Cela posé, je vous prie d’observer qu’un des honorables membres propose d’abord 203 divisions, ensuite 125 ; qu’un autre vous en conseille 120, un autre 70, un autre 80, plus ou moins ; un autre en demande 40. M. Pison du Galand en demande 36 ; je crois que le Dauphiné serait dans son plan à peu près le 36* du royaume. Le nombre 80 est celui que votre comité a trouvé le plus raisonnable. Je vous prie encore de remarquer qu’aucun de ces nombres ne s’accorde ni avec 35 provinces, ni avec 33 généralités, ni avec 175 grands bailliages, ni avec 13 parlements, ni avec 38 gouvernements, ni avec 142 diocèses. S’il est avoué qu’une répartition nouvelle est indispensable, il faut écarter, dès le commencement, les objections qu’on tire de l’inconvénient de subdiviser les provinces : car, dans tous les systèmes, elles seront subdivisées. “Je crois que je répondrai raisonnablement à ces inconvénients. En ce moment il suffit que, tout le monde apportant un plan de subdivision, personne n’ait le droit de dire qu’on ne doit pas subdiviser. Est-ce arbitrairement que votre comité croit que la division en 80 parties est la meilleure? Et quand je dis 80 parties, je crois n’avoir pas besoin de répéter ce qu’on vous a déjà fait observer tant de fois, et ce que le tracé de la carte vous a démontré, qu’il ne s’agit pas de cette absurde idée, que des personnes nous ont prêtée, de tirer sur la France des lignes bien droites qui la partagent en carrés géométriques. On ne le croit plus ; et cependant quelques opinants ont apporté dans leurs discours des restes de cette idée, parce que l’esprit, une fois frappé, a peine à cesser de l’être, et qu’il est commode de pouvoir avec le mot d 'échiquier jeter du ridicule sur un projet dont on ne veut pas. Cette division en 80 parties est-elle donc arbitraire? Non, Messieurs, elle n’est pas arbitraire de la part de votre comité, quoiqu’il ne puisse pas être rigoureusement démontré qu’elle soit la seule qu’ori doive admettre. Voici ce que nous avons voulu : c’est que de tous les points d’un département, on puisse arriver au centre de l’administration en une journée de voyage. Or, tel est l’avantage que cette division nous procure le plus généralement. Nous avons calculé que si la ligure du département pouvait être régulière, la demi-diagonale jusqu’au centre serait de onze à douze lieues. Si l'on m’oppose les départements qui seront plus longs que larges, les départements dont le chef-lieu ne sera pas au centre, je répondrai que, pour juger d’une vue politique, il s’agit de savoir, non si son exécution est infaillible, mais si le plus souvent elle est utile, et si le grand nombre y trouve sa commodité ou son bonheur. Il est commun à tous les systèmes d’administration, que les règles soient heurtées par les circonstances ; et cependant tous les systèmes d’administration doivent poser sur des règles. Tel citoyen ne jouira pas du bien qu’on a voulu lui faire"; mais la masse des citoyens en sera plus heureuse, et chacun sait que c’est là le seul succès auquel il soit permis d’aspirer. Ici s’élève une grande opposition entre les différents projets de partage. Plusieurs des préopinants veulent que les divisions qu’ils proposent soient réglées, non sur l’étendue du territoire, mais sur celle delà population. Plusieurs autres, en proposant plus ou moins [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il novembre 1789.] 745 de divisions que votre comité, les attachent comme lui à l’espace. Les premiers s’élèvent à des vues de droit public qui ne leur seront certainement pas contestées. Les constitutions sont établies pour les hommes, etmon pas pour les choses ; l’homme seul est l’objet des lois ; c’est à lui que tout se rapporte : il faut donc régler les divisions de l’empire sur le nombre des hommes. Le principe est certain; mais la conséquence l’est-elle ? Si les membres qui ont présenté ces idées justes avaient à combattre un système dans lequel l’homme ne fût compté pour rien, et l’espace pour tout, il me paraît douteux encore qu’il fallût régler les arrondissements sur la population ; et voici mes raisons : Il y a deux manières de donner à la population toute l'influence politique : l’une, d’avoir des espaces inégaux, également peuplés, qui exerceront la même influence ; l’autre, d’avoir des espaces égaux, inégalement peuplés, qui influeront d’une manière inégale. Laquelle des deux méthodes est préférable? Les divisions, une fois établies, doivent avoir de la fixité, sans quoi il faudrait de temps en temps décomposer et recomposer le royaume, ce qui serait une source de troubles, de difficultés et de désordres. Un grand mouvement est aujourd’hui nécessaire : on ne doit pas l’économiser cette première fois ; mais, la Constitution une fois faite, c’est le repos qu’il faut obtenir. Ceux qui pensent qu’à l’élément de la population doit se joindre celui des richesses, des productions, de l’industrie, prépareraient encore plus de mobilité dans les départements, s’ils voulaient que chacun représentât une combinaison égale de tous ces éléments réunis ; les proportions se détruiraient sans cesse, ou sans cesse il faudrait y retoucher. La population varie, l’industrie s’accroît ou diminue, la culture et les produits prospèrent ou dépérissent, des manufactures s’établissent ou disparaissent, un commerce s’étend ou se resserre. Toutes ces causes de richesses sont dans une agitation perpétuelle. Fondez vos divisions sur ces bases mobiles, vous ne l’aurez fait sans doute que parce que la représentation politique doit s’y proportionner; mais si elle le doit aujourd’hui, elle le devra dans dix ans et vous n’aurez que deux manières de la rapprocher de ses principes : ce sera d’induire l’inégalité* de représentation dans vos premiers départements, ou d’en faire de nouveaux ; les renouveler d’époque en époque, on en sent les inconvénients intolérables ; changer le nombre des représentants dans chaque division, ce sera précisément le plan dont quelques personnes ne veulent pas, et auquel pourtant il faudra revenir. L’un des principaux raisonnements qu’on oppose à l’égalité des espaces, c’est qu’ils sont trèsrinégalement riches, fertiles et peuplés. Ce raisonnement, je le rétorque : si l’on donne aux divisions les moins favorisées une telle étendue qu’elles comprennent le même nombre de citoyens, dans les pays frappés de stérilité elles seront immenses ; mais l’objet de nos travaux et de notre espoir, c’est que les pays stériles s’amélioreront, et que la richesse, l’industrie, le bonheur y pénétreront sous le régime de la liberté et des" encouragements: si nos vœux sont satisfaits, en peu de temps nos divisions ne vaudront plus rien, et il faudra les refaire. J’ajouterai que nous nous exposerions, en suivant ce système, à mettre sous une administration commune des hommes qui ne pourraient pas se rapprocher. En Flandre, 200,000 hommes, à 1,500 par lieue carrée, ne couvriraient que 133 lieues; c’est un canton de onze sur onze. Dans les Landes, à 75 hommes par lieue carrée, il faudrait une espèce de royaume, un territoire de 2,700 lieues, le dixième de la France, pour rassembler 200,000 habitants ; ce serait 52 lieues sur 52 que nous subordonnerions au même régime ; il serait absolument impraticable : tout lien serait impossible entre des hommes ainsi épars sur la surface des déserts, et la langueur de la nature y demeurerait invincible. Comparez à ceplan celui qui sépare laFranceen départements dè 18 à 20 lieues sur 18 à 20 ; l’espace restant toujours le même, vous n’aurez point à corriger votre ouvrage d’époque en époque. Un pays deviendra moins fertile et moinspeuplé.ilenverra moins de représentants ; un autre deviendra plus riche, plus habile, il en enverra davantage : l’administration ne changera pas. L’un de nos départements aura 600,000 hommes, un autre 30 ; qu’importe, si le rapport de leur influence dans l’administration générale est soumis à ces propositions ? n’avez-vous pas tout à gagner, d’un côté, dès que le principe est conservé, sans bouleverser le royaume, et tout à perdre de l’autre, si vous ne pouvez rentrer dans le principe qu’en détruisant et refaisant sans cesse, ou si, pour éviter cernai, vous éprouvez la nécessité de joindre l’inégalité delà représentation à l’inégalité du territoire ? Je dirai, surtout, que plus un pays est pauvre, plus il faut pourvoir aux moyens de le seconder. On a demandé pourquoi votre comité accorde également 54 hommes choisis pour l’administration d’un département riche et pour celle d’un département infertile. C’est pour cela même: le premier ades affaires qui consistent à se maintenir ; dans le second, les hommes aussi ont des affaires, et sûrement plus d’affaires ; elles consistent à se créer, à s’améliorer, à se multiplier, à s’enrichir, à enrichir le royaume du fruit de leurs succès. 11 n’a tenu qu’à une semblable institution que les Landes fussent cultivées sans appeler les Maures, que la craie de la Champagne, au moins dans sa vaste circonférence, se couvrît de manufactures et d’hommes, dont l’industrie payerait les productions qu’ils n’ont pas. On nous oppose qu’il y aura des cantons, même des communes, qui n’aiiront pas une ville, pas un bourg, pas un village. Je crois cette assertion fort exagérée ; car, enfin les Landes, que j’ai parcourues ont des habitants ; mais je réponds que dans l’espace qui n’aura pas un homme, il n’y aura pas de députés, que ce sera là une exception, et qu’une exception n’est pas même une objection contre la règle. Je réponds qu’il n’y a point de système de division qui ait l’effet magique de peupler les déserts, que c’est là l’effet justement espéré d’une bonne administration ; que pour l’établir, il faut que les citoyens actifs dans une surface de quatre lieues, ne fussent-ils que 30, 40 ou 50, puissent concourir par l’un d'entre eux au choix des administrateurs publics : qui pourrait se plaindre que les habitants des Landes de Bordeaux, de ce terrain immense qui esta créer, eussent huit ou neuf représentants à l’Assemblée nationale ? Pourquoi, dit-on, le comité attribue-t-il dans tous les départements les plus arides, comme dans le plus féconds, une partie fixe des représentants au territoire ? C’est pour cela même : c’est qu’il faut que la voix du pauvre soit entendue dans [11 novembre 1789.] 740 [Assemblée nationale�] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. les assemblées de Ja nation ; c’est que la nation lui doit plus desoins qu’à l’homme heureux ; c’est que les plans d’amélioration doivent s’étendre dans son désert; c’est que la population des hommes laborieux ne doit pas en être repoussée par la crainte d’y jouir à peine des droits de citoyen. Le vrai principe de la représentation est sans doute le nombre des hommes ; mais tout principe utile est un principe vrai, et il est utile que tout pays de 3 ou 400 lieues soit représenté : s’il est peuplé, il le sera davantage, et cela doit être ; s’il ne l’est pas, il faut qu’il le soit moins, mais il faut qu’il le soit encore, à cause de sa misère et. de ses besoins. Que craint-on ? L’excès de son influence ? il ne vient demander que des secours. La violation du principe ? Prenons garde que les Etats ne se gouvernent pas sans règle, mais que la métaphysique des règles doity être tempérée par la morale et par l’utilité publique : c’est ce que votre comité a cru faire, en accordant le tiers de la représentation à l’étendue du territoire, et deux tiers au nombre des hommes et à leur contribution publique. S’il est vrai que la contribution bien réglée, dans un Etat libre, soit l’image de la richesse, et que la population soit aussi la mesure de la richesse, il n’y a aucun inconvénient à donner une double base” à cette partie de la représentation, puisque ce sont deux éléments qui, sortant de la même cause, en attestent d’autant mieux la présence. On dit que tenir compte de la contribution, c’est favoriser l’aristocratie des riches : je ne le crois pas, car il faudrait ne tenir compte de rien, pas même de la population, qu’on sait être le signe le plus certain de l’opulence d’un pays. Ce n’est pas le canton fertile qu’il faut craindre, c’est l’association etl’influencedes hommes riches. Aux particuliers opulents nulle préférence, aux pays abondants et peuplés une plusgrande repré-sentation, aux pays pauvres et déserts une représentation moindre, mais certaine et fixe : si votre comité n’a pas fait tout cela dans son plan, il a échoué, car c’était là son objet. On demande comment on pourra connaître les accroissements ou décroissements de la population et des contributions; votre comité l’a dit dans ses rapports : par le nombre des citoyens actifs de chaque canton, par le nombre dès députés qu’ils enverront aux assemblées des communes; et voilà pourquoi, dans ce premier degré, nous n’avons eu égard qu’à la seule population ; par les états de répartition des impôts qui seront faits dans les assemblées de département, rien ne sera plus facile. Au resie, n’est-il pas évident, comme je l’ai dit, qu’aucune objection n'est bonne si elle frappe sur tous les systèmes? Je demanderai donc comment on connaîtra la population, la richesse et l’industrie d’un canton, pour régler là-dessus les premières divisions ; comment on en connaîtra les variations, pour rectifier ensuite, d’une manière quelconque, les inégalités qui peuvent s’introduire. Quelques préopinants ont trouvé que le plan du comité est trop compliqué : une assemblée de département, neuf assemblées communales, et dans chacune neuf cantons. Commençons par retrancher ce mot de cantons; ce ne sont point, en effet, des administraiions inférieures : ce ne sont que des espaces de quatre lieues carrées, où les citoyens actifs se rassembleront tous les deux ans, pour choisir la moitié de leurs administrateurs et les électeurs chargés dénommer les représentants de la nation. Voyons ensuite si ce qu’on appelle la complication est moins grande dans les autres projets. Ceux qui regrettent la division par provinces avouent qu’il faut des administrations secondaires, et puis ils placent sous celles-ci autant de municipalités organisées qu’il y a de villes, de bourgs et de villages. Les degrés sont-ils en moins grand nombre, et ce plan est-il plus simple ? Tous ceux qui veulent 80, 70, 40 divisions admettent des administrations subordonnées : dans cette ébauche d’assemblées provinciales, en 1787, chaque élection avait la sienne; eh! peut-on en effet s’en passer? L’un des honorables membres a cru qu’en étendant les divisions à 120, l’administration supérieure pourrait arriver, sans intermédiaire, jusqu'aux plus chétives municipalités des villages : je dirai un mot dans un moment sur la vraie nature des municipalités ; mais supposons qu’elles puissent être des éléments de l’administration générale, je ne pense pas qu’il soit possible de confier la régie de 216 lieues carrées dans les bons pays, du double dans les provinces pauvres, de dix fois autant dans les pays déserts (car voilà son système dans toute son étendue), je ne crois pas, dis-je, qu’on puisse confier toutes les particularités de cette régie à une seule assemblée de 72 hommes: on n’opère utilement que sur ce qu’on connaît bien ; l’affection de canton est nécessaire, lorsqu’il s’agit d’arriver jusqu’aux derniers détails ; on ne peut pas exiger que des citoyens administrateurs fassent le sacrifice entier de leur temps, pendant plusieurs années; il ne faut pas que les assemblées supérieures soient obligées d’employer des commis gagés, des agents, des espèces de subdélégués ; il ne faut pas que le pauvre ait dix, quinze et vingt lieues à parcourir pour parler aux administrateurs; il faut qu’à chaque affaire, il les trouve en quelque sorte sous sa main ; il faut que ses plaintes soient entendues promptement, qu’il aille, obtienne justice revienne en un jour: cela tient plus qu’on ne pense au bonheur de l’humanité. Enfin, les administrations sont des écoles de patriotisme et de droit public; il faut les multiplier, si vous voulez répandre l’esprit de liberté, inspirer l’amour delà Constitution et préparer à la nation de dignes représentants. Mais les frais ! nous dit-on ; remarquez que sur 54 administrateurs, dans les assemblées supérieures, il y en a 44 à qui votre comité ne demande qu’un mois par année ; que sur 27 dans les assemblées secondaires, il ne demande pareillement qu’un mois à 21. Nous serions bien malheureux si, après la Constitution faite et la liberté établie, l’esprit d’intérêt était encore assez vif pour ne pouvoir pas trouver en France quelques hommes qui s’honorassent de donner un mois par an au bien public, pendant quatre années de leur vie. Il faut donc des administrations intermédiaires, elles sont indispensables ; et dèslors, je nevois dans le plan du comité aucune complication qui ne se retrouve dans les autres, ou plutôt il n’v en a pas ; notre erreur vient de ce que l’imagination, enveloppant la France entière, s’embarrasse dans ce grand nombre d’assemblées, et nous ne pensons pas que dans chaque département elles s’organiseront toutes à la fois avec la plus grande simplicité, et que partout on opérera sans s’occuper de ce qui se passe ailleurs. M. de Puy vallée a fait beaucoup d’objections; il me semble qu’il est facile de les résoudre. Le comité a dit que les assemblées primaires de chaque canton choisiront un député sur 200 ci- 74? [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (il novembre 1789.] toyens actifs, pour former rassemblée des électeurs dans les communes. M. de Puyvallée en conclut que les assemblées primaires qui n’auront pas 200 citoyens actifs ne seront aucunement représentées: c’est une erreur qui peut venir de ce que le comité ne s’est pas assez expliqué : il n’avait pas prévu qu’on lui supposerait une intention aussi contraire à ses principes. Toute assemblée primaire, quelque peu nombreuse qu’elle puisse être, nommera un député ; mais comme le nombre de ces assemblées est à peu près de 600 citoyens actifs, c’est en envisageant ce nombre que' celui des députés a été déterminé à un par deux cents. Les citoyens domiciliés dans une ville, qui payeront une imposition directe dans les campagnes, jouiront au lieu de leur domicile, en rapportant la preuve de la contribution qu’ils payent ailleurs, de tous les droits de citoyen actif. Cette seconde erreur ne peut pas être imputée au Comité ; car son rapport est très-clair. M. de Puyvallée dit que chaque commune, plus ou moins peuplée, doit avoir Un nombre égal de représentants, sans quoi elle sera évidemment opprimée. Pour cela, je ne l’entends pas, et d’autant moins que M. de Puyvallée incline pour une représentation proportionnelle à la population . Il faut avouer que le comité aurait peine à sortir d’embarras si, lorsqu’il accorde une représentation au territoire, on le ramène à la population seure et si, lorsqu’il a égard à la population, on lui demande une représentation égale, sans rapport au nombre de citoyens. Le même membre dit que, dans le plan du comité, la tranquillité publique est en péril; car lès ressorts municipalisés sont indépendants : ils le sont du pouvoir législatif, sans quoi il y aurait confusion de pouvoirs ; ils le sont de la puissance exécutive, puisque, disposant d’une torce armée nationale, ils ne peuvent être réprimés par la force militaire, qui ne peut agir que sur la réquisition des officiers municipaux. Ceci sort de la question ; car il y a un décret de l’Assemblée qui ordonne qu’on traitera de la division du royaume avant de s’occuper des municipalités ; mais je crois qu’il est bon d’en dire un mot, parce qüè certainement il y a du malentendu sur cet objet ; et j’ai toujours remarqué que les nuages dont les têtes sont offusquées, même sur un point étranger, mais voisin, nuisent secrètement à la partie qu’on traite. Dans l’esprit de votre comité, et je le crois juste, les municipalités sont une chose à part de l’administration générale du royaume ; elles n’en sont pas même une portion subordonnée : voici comment nous les concevons. Chaque famille a sa maison; le père, l’époux y régnent; et, pourvu qu’il n’y blesse pas les lois publiques, l’administration domestique est son domaine : sous ce point de vue, chaque maison est un petit Etat dans l’empire et forme un tout séparé qui existe par lui-même. Les municipalités sont du même genre ; ce qui est de leur ressort, c’est tout ce qui appartient aux sociétés particulières des villes, des bourgs, des villages, tout ce qui n’a pas été mis en niasse commune, tout ce qui peut s’administrer à part, sans embarrasser l’action de la machine politique. Ainsi, les biens des communes, les rues et les travaux publics qu’elles font avec leurs deniers pour leur propre usage, les établissements qui leur sont destinés particulièrement , la police de détail, les soins qu’elles se donnent pour la salubrité, c’est à cela que se borne leur administration. Elles ne peuvent requérir de la force armée des citoyens que ce qu’il leur en faut pour atteindre au but de cette administration particulière. Tout ce qui excède ces bornes rentre sous l’empire du gouvernement. Les émeutes populaires, le droit de commander aux troupes nationales, la sûreté générale, les grands chemins, les canaux , la subsistance des peuples, l’encouragement du commerce et de la culture, l’éducation et l’instruction publiques , les ateliers de travaux, la répartition, la perception des impôts, les caisses provinciales, forment le département des administrations politiques. Purs agents, sous presque tous ces rapports , du pouvoir exécutif suprême , elles se servent des municipalités pour l’aSsiette et la répartition des impôts entre les individus; elles les emploient, en qualité de communes, .pour l’exécution du détail des différentes parties d’administration générale ; et, sous ce point de vue, elles sont subordonnées aux assemblées de département et aux assemblées communales : dans leurs limites, ces municipalités ont pleinement le gouvernement domestique et intérieur de leurs affaires. Cependant les villes, bourgs et villages n’ont jamais eu de gouvernement sans une inspection supérieure : pour vendre, pour acquérir, pour couper leurs bois, pour plaider, pour faire usage de la force, pour régir leurs actions, il fallait qu’elles fussent autorisées ; et c’était un intendant qui les tenait sous sa dépendance. D’un autre côté, l'aristocratie des riches , des seigneurs, des hommes entreprenants les subjuguait : voilà ce que Je comité a voulu éviter. S'il a diminué l’arrondissement des administrations publiques, pour les rendreplus utiles, et pour qu’elles ne déployassent pas contre l’autorité nationale une force qui n’était bonne que sous le despotisme , il a étendu les municipalités, pour qu’elles pussent se maintenir et échapper à toutes les petites autorités locales; il ne les a pas soumises à un intendant, à un subdélégué, à Dieu ne plaise I mais à des administrations formées par elles-mêmes et composées de leurs représentants. Ces administrations exerceront la vigilance confiée jusqu’à présent à des commissaires; ces administrations seront les vraies municipalités : les villes, bourgs et villages ne seront que des bureaux municipaux revêtus des mêmes fonctions qu’autrefois; et si l’Assemblée préfère de conserver leur ancien nom , elle est bien la maîtresse de les appeler des municieipalités secondaires. Après ces éclaircissements, il est évident que les municipalités ne brisent point l’unité de l’empire, qu’elles ne peuvent rien usurper sur l’administration publique, qu’elles leur sont soumises pour tous les objets de son ressort , et que l’objection de son indépendance est absolument mal fondée. M. de Puyvallée craint l’aristocratie des villes et voudrait les séparer absolument des campagnes. Le comité est loin de penser ainsi. C’est dans l’état de séparation que ces haines sont nées ; c’est dans l’union qu’elles doivent s’étendre, il est étrange , à ce qu’il nous semble, que le désir de la paix conduise au projet de diviser. Chaque canton rural, chaque assemblée primaire, où les campagnes domineront, enverra un député au chef-lieu de la municipalité. Les campagnes auront plus de députés que la ville. Occupés en- 748 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 novembre 1789.] semble du bien commun de tous, ils apprendront des villes que la terre les nourrit ; ils apprendront des villes que la consommation est l’agent de la culture; le commerce ne sera plus indifférent aux productions; les producteurs sauront que le commerce donne l’impulsion, le mouvement et la valeur aux denrées : c’est alors, seulement alors, que nous formerons une nation. Ce n’est pas en séparant les gens, de crainte qu’ils ne se battent, c’est en les rapprochant, en les forçant à s’aimer , qu’on tue l’aristocratie et qu’on fait des citoyens. Si nous n’avons pas ce but, nous travaillons en vain à la régénération publique. Je crois qu’avec les mêmes principes, qui seront toujours ceux de votre comité, et bien sûrement les miens, je puis répondre à cette espèce d’inimitié qu’un honorable membre suppose entre les villes de commerce et les propriétaires cultivateurs. Je confesse qu’il m’est impossible de m’habituer à de telles idées. Est-ce que le commerçant n’a pas un intérêt sensible à la prospérité du pays où il est établi? Vendra-t-il à qui ne pourra pas acheter? L’abondance des denrées ne diminuera-t-elle pas le prix de la main-d’œuvre? N’est-ce pas de la culture que les fabriques tirent leurs matières premières? S’il craint que le propriétaire ne veuille rehausser le prix de ses productions, ne veut-il pas lui-même vendre ses marchandises au plus haut prix possible? Le désir du gaiii est-il moins vif en lui? Pourquoi donc haïr? et ne faut-il pas enfin que dans cette variété d’industries qui occupent les hommes, tous arrivent au moyen de vivre, sans vouloir la destruction de personne? Peut-il y avoir sans cela une société civile ? Sera-ce un moyen de l’établir que de ménager des idées si funestes? Gomme le mélange des hommes dans les conversations détruit les préjugés, le mélange des citoyens dans les assemblées politiques tempère seul leurs aversions et concilie leurs intérêts. Qui de nous serait assez injuste pour blâmer l’opiniâtreté des habitudes aristocratiques, s’il n’était pas prêt à sacrifier le cœur les préjugés de province , les distinctions des villes, les intérêts de professions ? Ce n’est rien d’avoir fait à la patrie l’hommage des privilèges ; si on ne lui immole pas encore un faux, un très-faux sentiment d’intérêt personnel : cela est peut-être encore difficile ; mais n’est-ce pas à ce but que doivent tendre nos institutions politiques? Gardons-nous donc de nourrir ces erreurs de l’égoïsme, et, loin de séparer les uns des autres les agents du commerce et les agents de la production, confondons-les dans les mêmes assemblées patriotiques; apprenons-leur à s’aimer; qu’en s’approchant ils se connaissent , et que tous les militaires, gens d’église, gens de loi , commerçants, cultivateurs, déposant leurs préjugés au sein de la patrie , ne soient plus que des citoyens. L’une des objections qu’on a le plus répétées, c’est que Paris, considéré comme département, aura plus de représentants que chacun des autres départements du royaume, Il est juste qu’un plus grand nombre de citoyens ait plus de représentants. Que craignez-vous? L’esprit delà capitale? Vous oubliez toujours que la liberté fait renaître l’esprit public. D’ailleurs, si les intérêts les plus mal entendus mettaient en opposition les vues de la capitale et celles des provinces, les députés de Paris trouveraient des contradicteurs dans tous les députés provinciaux; un esprit commun réunirait ceux-ci contre les prétentions de cette grande cité, et dans ce choc inégal, si quelque chose était à craindre, c’est que Paris, toujours seul , toujours combattu par tous, n’eût pas la force de se défendre, même dans les choses raisonnables. C’est à l’ Assemblée nationale à faire pour jamais disparaître ces défiances, qui sont le fléau de la liberté et le plus grand obstacle à rétablissement d’une bonne Constitution. 11 est difficile, dit-on, d’exécuter le plan du comité de constitution. Réunissons-nous pour ce travail, et dans huit jours il sera prêt, si chacun de nous, convaincu de ses avantages, veut sincèrement y réussir. La division de la France en 80 parties une fois décrétée, il ne faudra que marquer les chefs-lieux et la circonscrjption des territoires. Les lleuves, les rivières, les montagnes, ces obstacles de la nature, seront nos premiers guides ; nous essayerons de respecter aussi les frontières des provinces, et jusqu’à ces répugnances idéales qui ne présentent pas les moindres difficultés. Ce premier pas fait, les députés de chaque canton de la France feront eux-mêmes les subdivisions des départements en commun, et, plus instruits des localités, ils combineront l’égalité des répartitions avec la situation des lieux et la considération des habitudes, et ils fixeront les villes d’assemblée. Alors le décret de l'Assemblée nationale, parvenant aux municipalités des endroits indiqués, partout à la fois dans le royaume, les municipalités assigneront, dans l’étendue du terr ritoire communal, le lieu où s’assembleront les citoyens habitants d’un espace de quatre lieues carrées; ils choisiront les vingt-sept membres de chacune des assemblées communales; celles-ci nommeront chacune, soit dans leur se;n, soit ailleurs, six membres pour aller former la grande assemblée au chef-lieu du département, et déjà la machine politique se trouvera établie. Les municipalités des villes, bourgs et villages se formeront en même temps, et, chaque assemblée primaire envoyant un député au chef-lieu de la grande municipalité, l’organisation sera complète, et tout sera terminé. Le plus grand nombre des préopinants a supposé qu’il était utile de conserver les relations des provinces ; on n’arrive, ont-ils dit, que par degré à l’amour de la patrie ; ce sont les affections de famille, de voisinage, de canton, qui préparent le cœur à ce sentiment plus général du patriotisme; dans la désorganisation universelle, chacun s’est attaché à resserrer les liens particuliers, devenus d’autant plus chers que les autres se relâchaient : si on les brise encore, il n’y aura plus rien qui unisse les hommes, il n’y aura plus de base à l’association politique. Je vous prie, Messieurs, de vouloir bien observer que ces idées générales, qui sont très-vagues, n’ont aucune application au plan du comité. C’est de proche en proche, c’est entre voisins habitués à se connaître, à se communiquer, à traiter, à vivre ensemble, que les nouvelles administrations doivent être établies. MM. les députés sont priés d’avoir égard, dans leurs répartitions, à tous les rapports naturels de proximité, de correspondance et de commerce; on les engage même à ménager, autant qu’il sera possible, les limites des provinces. Prenez garde d’ailleurs que si, dans certaines parties, les divisions anticipent d’une province sur l’autre, ce sera pour attacher ensemble des hommes rapprochés par le voisinage, unis parles rapports d’affaires, par une conformité [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [H novembre 1789.] 749 du langage et des mœurs; d’ailleurs, parmi cette variété de départements qui divisent actuellement la France et qui se croisent dans tous les sens, tel qu’il n’est pas de la même province est du môme gouvernement, ou de la même généralité, ou du même bailliage, ou du même diocèse. La nouvelle association économique s’élèvera donc presque partout sur des unions déjà formées. J’ajoute que, tous les avis tendant également à subdiviser les provinces, l’objection frappe sur tous les systèmes et ne peut par conséquent être proposée contre aucun d’eux en particulier. Mais je vais plus loin et je distingue les attachements naturels que la Constitution doit toujours renforcer, des biens factices qu’elle doit insensiblement affaiblir. Les premiers portent à la fraternité et à la concorde, les autres aux préférences et aux privilèges : ceux-là inspirent l’amour, ceux-ci disposent à la haine. Ainsi, que l’esprit de famille se fortifie, que les habitudes de voisinage deviennent plus chères, que les relations de commerce et les correspondances s’étendent: voilà les premiers éléments du patriotisme ; mais à quoi peuvent servir aujourd’hui dans la réunion politique des Français tout ce qui les divisait autrefois? Les provinces ont abandonné leurs privilèges, c’est-à-dire les avantages qui pouvaient se calculer; il faut encore qu’elles abandonnent ce qui reste d’orgueil de canton, de rivalités et de jalousies, de préférences idéales. Le bonheur de tous est désormais dans l’union de tous. La force des provinces fut un bien lorsqu’il s’agissait de résister au pouvoir absolu : elle doit à présent se confondre et s’accroître dans la force commune. Vous avez supprimé la distinction des ordres ; personne en France ne doit plus en ambitionner aucune : les noms mêmes devraient peu à peu s’effacer, et le temps n ’est pas loin, je l’espère, où, fiers d’être Français, les citoyens ne voudront plus être désignés autrement que par ce titre de gloire. A Sparte, sur les monuments publics, on écrivait : Un Spartiate a fait telle action mémorable. Ils ne voulaient pas même que le nom du citoyen fût inscrit et apprît aux autres à préférer l'amour-propre à la patrie. Les peuples modernes sont loin àe tant de vertu; mais pourquoi, dans un moment de renaissance, nos institutions ne tendraient-elles pas à nous en rapprocher? Il y a des restes d’affaires dans quelques provinces d’états; il y a des dettes; il y a des propriétés communes. Sans doute ces affaires doivent être terminées par ceux qu’elles intéressent ; c’est une liquidation à régler. Quelques-unes de ces dettes peuvent concerner la nation tout entière; elles les prendra à sa charge : d’autres ne concernent que l’ancienne association; les membres qui la formaient se chargeront de les acquitter. Une commission, détachée de l’ensemble de l’administration générale, s’occupera de ces objets; mais ce serait une grande erreur de penser que des dettes contractées par un corps administratif les rendissent nécessairement éternels, et que quelques embarras du moment fussent regardés comme un obstacle à une utile régénération. Il me reste à vous parler d’un objet sur lequel nous serons tous bientôt d’accord. C’est au nom du comité de constitution que je déclare que, dans l’ordre de la représentation, il croit, comme la plupart des honorables membres qui ont été entendus, qu’entre le citoyen actif et le représentant de la nation il ne doit y avoir qu’un degré intermédiaire d’électeurs. Je déclare également, au nom du comité , qu’il est convaincu que le nombre des électeurs qui choisiront les représentants nationaux doit être considérable. Ainsi les citoyens feront choix d’un électeur sur deux cents" ou même sur cent votants. Ils se réuniront au chef-lieu du département : il s’y formera autant d’assemblées qu’il y aura de fois six cents électeurs; et toutes ces assemblées choisiront les représentants de la nation, que le département doit envoyer à l’Assemblée nationale, à raison de son territoire, de sa population et de ses contributions. Je crois avoir éclairci toutes les objections, et je n’ai plus qu’à vous inviter, Messieurs, à terminer promptement une délibération d’où dépend le salut du royaume, et qui, depuis plusieurs mois, est attendue avec la plus vive impatience. M. Ramel-Mogaret (1), député de Carcassonne (2). Messieurs, le comité de constitution a proposé de diviser le royaume en quatre-vingts départements, chaque département en neuf communes et chaque commune en neuf cantons. Il donne une administration provinciale à chaque département, une assemblée communale à chaque commune, une assemblée primaire (celle-ci chargée seulement d’élire quelques députés) à chaque canton, et enfin un bureau municipal à chaque ville, bourg ou village. Il supprime nos municipalités actuellement existantes; il n’en crée qu’une seule dans chacune de ses communes ; chaque municipalité aura, suivant ce projet, un ressort de trente-six lieues carrées, qui s’étendra par conséquent collectivement sur les villes et lieux qui y seront renfermés, de manière que les villes, les bourgs et les villages qui étaient accoutumés, au moins dans la province du Languedoc, à trouver dans leur enceinte leur maire ou leurs conseils qui y exerçaient la police, leurs conseils politiques qui administraient leurs affaires, seront forcés de se contenter d’un bureau municipal et d’aller chercher souvent à trois ou quatre lieues leurs officiers de police. Tout est nouveau dans ce système, jusqu’à l’acception des termes dans lesquels il est rendu. Le comité appelle commune l’agrégation des cités situées sur un espace de trente-six lieues carrées. Il veut nous faire entendre par municipalité l’administration collective de cette même surface, et des villes et lieues qu’elle renferme. J’entendrai au contraire par commune et par municipalité. en prenant ces mots dans leur sens ordinaire, une cité particulière et l’administration particulière encore de chaque ville, bourg ou village. M. le comte de Mirabeau a présenté un projet bien plus simple. Il partage le royaume en cent vingts départements , il établit une assemblée provinciale dans chacun ; il donne une administration municipale à chaque ville, bourg ou village. Il a appuyé son plan sur les usages de la Provence. Je me rappelle avoir entendu à cette occasion un membre du comité tenir ce langage : « On veut nous faire adopter des lois provençales, placées à l’autre extrémité du royaume ; elles nous sont absolument inconnues ; espère-t-on de nous les faire agréer ? » Je supplie cet honorable membre de remarquer que son observation peut fournir des armes bien (1) Le Moniteur se borne à mentionner le discours de M. Ramel-Nogaret. (2) MM. les députés du Languedoc, dont la majeure partie avait adopté cette opinion, ont offert de fournir aux frais de l’impression ( Note de l’auteur). 750 [Assefnblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il novembre 1789.] puissantes contre le comité. Je crois au contraire qu’il peut nous être infiniment avantageux de profiter de ce que ceux qui nous ont devancés ont établi d’utile, lorsque nous sommes à même d’épurer leur ouvrage. Mon projet consisle à diviser le royaume en provinces et les provinces en districts. Je donnerais une assemblée provinciale à chaque province, une assemblée secondaire ou subordonnée à chaque district et enfin une municipalité à chaque ville, bourg ou village. Les députés de chaque municipalité composeront l’assemblée du district, ceux du district formeront l’assemblée provinciale; mais ils viendront aussi à l’Assemblée nationale. Ainsi, comme le comité, j’établis des assemblées provinciales, qu’il appelle le département, et des assemblées secondaires, qu’il nomme communales et que je qualifie de distincts ( i) ; mais je supprime ses cantons, et je pense autrement que lui sur l’article des municipalités. Conformément à l’avis de M. de Mirabeau, je donne une municipalité à chaque ville, bourg ou village ; je compose des députés de chaque municipalité l’assemblée du district; je fais partir de chaque district les membres de l’Assemblée nationale, mais j’ajouie à son projet une assemblée provinciale, au-dessus de celles du district. Tous jugerez, Messieurs, si mon projet n’a pas les inconvénients qu’on a cru apercevoir dans les autres; j’ai pensé qu’il en aurait les avantages. Pour les faire connaître, je demande à l’Assemblée de me pardonner un exposé rapide du régime sous lequel la province du Languedoc a vécu jusqu’à ce jour; elle pourra y trouver, si je ne me suis pas trompé, d’excellentes choses, a côté des vices qui font l’objet de nos réclamations. Le Languedoc avait son administration particulière connue sous le nom d’Etats, composée de quatre-vingt-douze membres environ ; nous nous plaignions de|ce qu’elle n’était pas représentative: les ecclésiastiques étaient toujours les vingt-trois évêques, les vingt-trois nobles, les seigneurs de quelques terres privilégiées, et les autres, les maires ou les députés privés de quelques villes ; nous demandons qu’elle soit à l’avenir purement élective. La province était ensuite divisée, d’abord en trois sénéchaussées; cette division remonte à une époque très-reculée, peut-être à celle où il n’y avait que trois sièges royaux de ce nom dans. son territoire. Elle n’entrait actuellement en considération que dans le partage de quelques contributions, de quelques emprunts et de quelques dépenses. Mais à côlé de cette division, je prie l’Assemblée d’observer que le Languedoc est partagé en vingt-trois diocèses, et que chacun meux peut être regardé ou comme une commune dans le sens du comité, ou comme un district dans le mien. Chacun de ces diocèses a son administration particulière, surveillée par les Etats. Ces administrations, dont l'assemblée principale est connue sous le nom d’assiette, est composée d’un envoyé des députés des Etats ou commissaire du Roi, de l’évêque, d’un baron et des députés des villes et lieux du diocèse, qui y envoient quelques membres annuellement ou par tour avec les villages voisins. Chaque diocèse est ensuite partagé en presque autant de municipalités ou consulats qu’il y a de villes, bourgs ou villages ; j’ai dit presque , (1) L’Assemblée a adopté cette dénomination. parce qu’il y a encore quelques villages, au nombre de deux, et quelquefois de trois, qui, à raison de leur peu d’importance, ne forment qu’une seule municipalité ou consulat. Mais j’observe aussi que les villages demandaient et obtenaient leur séparation, quand elle était praticable, et qu’ils pouvaient se régir séparément. Je supplie l’Assemblée de saisir ce fait, parce que j’en argumenterai fortement contre le système des municipalités présenté par le comité. Chaque ville, bourg et village, ou communauté, ou consulat, ainsi qu’on les nomme dans la province, a son administration particulière, ou sa municipalité. Cette administration est composée d’un maire, lieutenant de maire, ou consul, d’un certain nombre de conseillers politiques ou municipaux proportionné à l’importance du lieu, d’un syndic, des habitants forains, d’un jirocureur du roi ou fiscal et d’un secrétaire greffier. Tous ces officiers sont électifs; j’observe cependant, pour la plus grande exactitude, que quelques seigneurs de fiefs, ou confirmaient quelques élections des consuls, ou les choisissaient sur une liste présentée par le conseil municipal. Ce conseil gère les affaires de la commuue, il surveille la répartition des impôts, et les maires ou consuls qui le président exercent d’ailleurs la police sur l’enclave du territoire. Il me reste, Messieurs, à vous observer en peu de mots comment les contributions y sont réparties. Le Languedoc a son territoire encadastré, et pour la répartition de l’impôt réel ou de la taille, les Etats avaient fait procéder à l’estimation générale de la province. Les experts avaient évalué, je suppose, le diocèse de Toulouse 10Ü livres ; celui de Carcassonne, 50 livres ; celui de Saint-Pons, 25 livres ; ce cadastre ou compois général servait de mesure pour le partage de la taille, en telle sorte que, dans la supposition que la province ne fut composée que de ces trois diocèses et qu’elle eût 175,000 livres à imposer, elle en aurait mis 100,000 sur Toulouse, 50,000 sur Carcassone et 25,000 sur Saint-Pons. Chaque diocèse à son tour avait fait procéder à son cadastre particulier. Ici le territoire de la ville de Carcassonne était évalué 24 livres, par exemple ; celui deMontolieu, 12; celui de Saissac, 4 ; et c’était sur ces évaluations, et en suivant les mêmes procédés, que les diocèses partageaient les sommes demandées par les Etats, et celles qu’elles étaient autorisées à imposer pour leurs dépenses particulières. Chaque comité, enfin, ou municipalité a le compois de son territoire; là, les possessions d’Antoine sont évaluées 6 livres ; celles de Pierre, 3 ; et c’est sur ce tableau qu’elles font la répartition des sommes demandées par le diocèse et de celles qu’elles sont autorisées à imposer pour leurs propres affaires. A l’égard de la capitation, les Etats fixaient arbitrairement la position de chaque diocèse, ceux-ci celle de chaque municipalité, et les municipalités l’article de chaque redevable. Ainsi le Languedoc avait une assemblée provinciale, qui était ses Etats; des assemblées du district et subordonnées, qui étaient ses administrations diocésaines, et enfin une municipalité dans chaque ville, bourg ou village. J ai l’honneur de proposer ce même régime épuré, pour modèle, non pas parce que nous y sommes accoutumés, mais parce que je le crois infiniment avantageux et que je suis persuadé que l’Assemblée national e ne voudra pas le rejeter [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 novembre 1789.] 751 par cela seul qu'il existe, si d’ailleurs il est bon en lui-même; c’est ce qu’il me reste à démontrer. J’ai proposé de faire une première division de la France en provinces, et les provinces, Messieurs, je les laisse telles qu’elles existent. Je sais tout ce que le comité a dit contre ce système: il craint que les habitants des provinces ne s'isolent les uns des autres, il redoute l’esprit de division entre elles, mais surtout il appréhende les masses imposantes que quelques-unes peuvent présenter. Ces objections méritent d’être prises en Considération ; voici comme je me propose de les combattre : J’observe d’abord que, lorsque le comité a divisé la France en quatre-vingts départements, il a déclaré qu’ils ne seraient pas composés des débris de quelques provinces, mais qu’ils n’en seraient que des portions. Je demande qu’il me soit permis de l’interroger sur les motifs qui l’ont décidé à ces ménagements ; si ces départements doivent être indépendants les uns des autres, pourquoi s’est-il imposé la gêne d’en enclaver un certain nombre sur les limites de nos anciennes provinces? S’il veut leur permettre de se réunir, pourquoi ne pas leur en indiquer le moyen ? Mais répondons à ces objections. Les provinces s’isoleront les unes des autres et l’esprit de parti les divisera entre elles. Je soutiens que, lorsque les provinces seront soumises à un régime uniforme, lorsqu’elles n’auront ni privilèges ni préséance les unes sur les autres, l’esprit de système et de parti n’est pas plus à craindre entre elles qu’entre les départements. Croyons, Messieurs, que cet esprit départi qu’on nous allègue sans cesse n’est qu’une chimère ou un fantôme qu’on essaye de nous opposer pour nous faire adopter de nouvelles idées que leurs auteurs ont cru bonnes sans doute, mais que vous avez à juger telles, avant de les adopter. Les provinces existantes, dit le comité, conserveront leurs masses imposantes ; sans doute elles les conserveront ; et c’est pour qu’elles les conservent, que je propose de les maintenir. Ces masses n’ont été qu’avantageuses jusqu’à ce jour ; elles ne seront rien tout le temps que le gouvernement général se maintiendra dans de bons principes, mais elles l’y ramèneront par leur contre-poids lorsqu’il s’en écartera ; et certes la capitale (1) n’en doit pas voir avec jalousie sur la circonférence dont elle est le centre. Un prince conquérant, n’espérez pas devous mettre à l’abri de son influence, dicterait des lois, prescrirait ses volontés à de petits départements ; il n’osera faire que des propositions à de grandes provinces. Plus votre Constitution sera parfaite, Messieurs, plus vous devez vous attendre à des attaques vigoureuses; de grands corps y résisteront avec pins d’avantage, ue grandes provinces peuvent offrir de grands secours, et entreprendre de grands travaux. Le Languedoc a donné des vaisseaux à la patrie ; il a creusé des ports; il a ouvert des canaux et des routes, qui font l’admiration des étrangers et la richesse de son commerce. Il me reste à soutenir mon projet par un moyen u’on a essayé d’emporter, mais qu’on n’a pas étruit. Le Languedoc a contracté des dettes ; on offre de les mettre sur le compte du royaume ; mais comme on n’entend parler que de celles qui ont été faites pour le compte du 1 ; oi, cette offre n’est point un secours, parce qu’il est juste que ce qui a été emprunté pour le royaume, soit payé par le royaume. Mais je veux parler des dettes que la province a contractées pour ses établissements, pour ses monuments et pour ses travaux publics : comment en fera-t-on le partage? En fera-t-on faire le remboursement par les départements où ces monuments sont établis? Celte division ne serait pas juste, parce qu’ils profitent à toute la province. Les partagera-t-on? Il est des départements qui, pour ouvrir leurs chemins, réclament les secours de leurs compatriotes déjà dotés. Gomment fera-t-on contribuer à l’entretien des établissements publics ? Le haut Languedoc n’a point de ports ; il se sert de ceux du bas Languedoc, qui sont d’un entretien dispendieux. Ici une partie d’un canal ne coûte presque rien, là on ne peut le conserver qu’à grand frais; d’un côté il n’y a point de ponts, de l’autre leur entretien ou celui des chaussées ruinerait un département. Les chemins sont quasi achevés dans la partie du milieu ; ils sont à peine commencés dans les petites extrémités. Dans un département on trouvera des biens patrimoniaux; dans d’autres il n’y en aura d’aucune espèce. Pour cette dépense, c’est la province entière qui a pris des engagements ; pour celle-ci, elle agit en corps de sénéchaussée. Là c’est un diocèse, d’un autre côté c’est une municipalité, qui s’est chargé de la dépense. Si la division du comité l’emporte sur mon projet, si le royaume ne se charge pas de toutes nos dettes, j’appuie de toute ma force la motion de M. le marquis de Yaudreuil, qui vous a demandé d’autoriser le Languedoc à s’assembler en corps de province, pour régler toutes les difficultés dont je vous ai esquissé te tableau. J’ai dit, en second lieu, Messieurs, que les provinces dont les assemblées prépareront les hommes à l’examen et à la discussion de l’administration générale du royaume devaient être sous-divisées en districts. Les districts auront chacun leur administration particulière, composée des députés des municipalités ; mais ces administrations, dont le nombre variera et sera proportionné à la population, à l’étendue et à la contribution, seront subordonnées aux assemblées provinciales, dont elles seront les éléments, et de la même manière que le comité subordonne les administrations communales à celles du département. Aussi, il ne m’a laissé rien à dire pour justifier cette sous-division. Je prie l’Assemblée de vouloir bien se rappeler ici ce que j’ai dit plus haut, que les députés des assemblées de district composeront l’assemblée provinciale, mais qu’ils formeront aussi l’Assemblée nationale. Oui, Messieurs, je fais partir les membres de l’Assemblée nationale d’une assemblée extraordinaire du district : 1° parce que, les districts étant eii plus grand nombre, la représentation sera plus territoriale; 2° parce que les députés seront mieux connus par leurs électeurs ; parce qu’ils seront des représentants plus immédiats et plus véritables par conséquent que les envoyés de l’assemblée provinciale ; mais encore et principalement parce que les districts seront à portée, par leurs députés directs, de réclamer l’intervention de l’assemblée provinciale. Où en serions-nous, Messieurs, si les Etats provinciaux avaient formé l’Assemblée nationale, et que nos élections dans les bailliages ne nous eussent pas fourni le moyen de faire entendre nos plaintes? Quelque représentatives que vous rendiez les assemblées provinciales, il s’y glissera des abus, et vous (1) La capitale! composée de six cent mille âmes. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 novembre 1789.] 752 devez laisser au peuple le moyen d’en solliciter la réforme. J’ai dit en troisième lieu qu’il fallait donner à chaque ville, bourg ou village une administration particulière, sous le nom de municipalité. Le comité de constitution n’en veut établir que sur des étendues de 36 lieues carrées. Il veut qu’elles embrassent les villes et les villages qui y sont situés; il craint que, trop multipliées, elles ne soient le plus souvent mal composées, par la difficulté de trouver des personnes en état de les remplir. Et moi, je soutiens que les grandes municipalités proposées par le comité mettront une division intestine dans ses communes, anéantiront l’esprit public et établiront une aristocratie en faveur des villes ou des gros bourgs sur les villages. En fait d’administration, Messieurs, on peut consulter la pratique, peut-être, de préférence sur la théorie. Il existe encore dans le Languedoc des municipalités qui s’étendent sur plus d’un bourg ou village. Ces réunions sont une source de divisions ; et si nos Etats et si nos tribunaux nous ont fait quelque bien, c’est quand ils ont accueilli favorablement les demandes en séparation, lorsqu’elles étaient praticables. « Vous prenez tout pour vous, disent les habitants du village à ceux du bourg ou de la ville dont ils dépendent. Les officiers de police sont toujours pris parmi vous ; ce n’est que pour vous et au milieu de vous qu’ils agissent et qu’ils exerçenl leurs fonctions ; et cependant vous nous faites contribuer à leur salaire. Vous nous faites contribuer à l’entretien du pavé de vos rues; vous ne nous permettez pas de réparer nos sentiers. Nous payons vos illuminations sans en profiter. Nous contribuons aux gages de vos maîtres, de vos instituteurs, nos enfanls ne reçoivent pas leurs leçons... » Faites cesser, Messieurs, ces justes réclamations, donnez une municipalité à chaque ville, à chaque bourg, à chaque viilage, qui pourront administrer par eux-mêmes ; rendez ces municipalités impuissantes pour faire le mal, en les faisant surveiller par les assemblées du district ; défendez-leur de rien entreprendre sans y être autorisées, non pas par un intendant, mais par les assemblées du district elles-mêmes, et comprenez que vous aurez donné alors à votre administration un degré de perfection qui vous donnera de nouveaux droits à la reconnaissance générale des peuples. Par là vous attacherez les citoyens aux campagnes, vous piquerez l’émulation de tous les propriétaires, de tous les cultivateurs, cette classe si précieuse, quelque modiques que soient leurs possessions ; vous intéresserez tous les hommes à l’administration ; vous leur ferez pratiquer les vertus qu’il faut avoir pour mériter la confiance de ses concitoyens, qui surveillent de près leurs voisins. Ce ne sera d’ailleurs que dans ces municipalités, et ceci est bien fait pour intéresser votre justice, que vous trouverez, comme l’a dit M. de Biauzat, les personnes capables et en état de répartir les contributions avec justice et égalité. Rendez, Messieurs, rendez vos lois conformes aux mœurs et aux usages des hommes qu’elles doivent régir. Les Français ne sont pas comme les Tartares, dispersés sur la surface de l’horizon ; ils sont réunis dans les villes, dans les bourgs, dans les villages. Ces villes, ces bourgs, ces villages sont séparés; donnez-leur aussi une administration particulière et séparée. Je conclus à ce que le royaume soit divisé en provinces; que les provinces soient telles qu’elles sont aujourd’hui, qu’elles soient sous-divisées en districts, dont le nombre sera proportionné à la population, à l’étendue et à la contribution ; qu’il y ait une assemblée provinciale dans chaque province, une administration secondaire et subordonnée dans chaque district et une municipalité dans chaque ville, bourg ou village; que les députés des municipalités forment l’assemblée du district, que ceux du district composent l’assemblée provinciale, mais qu’ils viennent formeraussi l’Asse'mblée nationale. Et à cet effet je fais la motion expresse que l’Assemblée veuille bien d’abord délibérer sur les deux questions : 1° Laissera-t-on le royaume divisé en provinces telles qu’elles sont, sauf à les sous-diviser en districts, ou bien le divisera-t-on en un plus grand nombre de départements indépendants les uns des autres ? 2° Donnera-t-on une municipalité à chaque ville, bourg ou village ou bien n’en établira-t-on que sur l'administration collective des villes et lieux situés sur une étendue donnée? M. Rabaud de Saint-Etienne. J’ai l’honneur de déclarer, au nom d’une partie de la députation du Languedoc, et notamment de la sénéchaussée de Nîmes, dont les membres, suivant le vœu de leur cahier, se regardent comme députés de tous les Français, qu’elle consent et adhère à la division que l’Assemblée adoptera. M. Martin, député de la Franche-Comté (1). Messieurs, deux plans vous sont présentés pour la composition des municipalités et des assemblées provinciales. Par l’un la France se trouve divisée en quatre-vingts départements de dix-huit lieues sur dtx-huit; et par l’autre en cent vingt, d’une étendue par conséquent beaucoup plus faible encore. Tout en applaudissant à l’uniformité qui résulterait de ces deux plans, et à leur vaste ensemble, je ne puis m’empêcher, pour l’acquit de mon devoir, d’en exposer les inconvénients pour les provinces d'une étendue médiocre, qui peuvent très-bien se régir, sans se diviser, et même pour la Constitution que vous voulez établir. D’abord on n’a peut-être pas assez examiné si la représentation immédiate, au lieu de cette échelle électorale que l’on nous établit, ne nous conviendrait pas mieux. Du moins est-il sûr que la représentation immédiate est en usage en Angleterre et en Amérique et que l’on s’y en trouve bien. La constitution américaine régit cependant un pays beaucoup plus vaste que la France, et paraît, par toutes les causes et d’étendue de sol, de religion et de commerce, destinée à régir un peuple infiniment plus nombreux. Chez ces deux nalions, on a déféré presque tous les droits politiques aux seuls propriétaires. D’autres considérations vous ont conduits, Messieurs, à d’autres résultats ; à la bonne heure: mais si nous nous sommes déjà embarrassés de deux degrés d’élection, il faut espérer que nous nous préserverons du troisième : je veux dire de l’assemblée communale ; car, du moment que vous aurez pour les élections nos assemblées primaires déjà décrétées, et le doublement dans les assemblées provinciales pour élire au corps (1) L’opinion de M. Martin n’a pas été insérée au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 novembre 1789.] 7ô 3 législatif, qu’avez-vous besoin, Messieurs, de ce troisième rouage que l’on vous présente sous le titre d’assemblée communale ? Pour les élections, assemblées primaires , et doublement dans les assemblées provinciales , pour l’administration, municipalités et assemblées provinciales ; voilà, certainement, tout ce qu’il nous faut et qui nous suffit ; deux degrés par conséquent, et tenons-nous-en là. Un peuple tel que le Français ne doit peut-être pas, Messieurs, être remué et pelotonné si fréquemment. Nous venons de passer là-dessus par une expérience décisive. Voyons maintenant la division du royaume en 80 ou 120 départements et, par suite, celle des provinces en trois, quatre, cinq assemblées administratives, et en tout autant, sans doute, de cours ou conseils supérieurs, car, pourquoi pas? Il y a autant de raison, pour le moins, de rapprocher la justice des justiciables, que les administrants des administrés. Or, voici ce que je trouve dans l’écrit d’un membre très-distingué de cette auguste Assemblée (1), et cela me paraît d’une prudence et d’une sagesse faites pour entraîner. « Sans doute, dit-il, un gouvernement énergique, placé dans une constitution libre et forte, un gouvernement dont les peuples auraient déjà éprouvé la douceur et la bonne foi, pourrait se livrer à cette grande et brillante entreprise; mais au moment où, dans la dissolution ae tous les pouvoirs, les hommes sont malgré eux entraînés vers les anciennes liaisons, où ils s’y attachent plus fortement que jamais ; lorsque le gouvernement n’a pas la force de les rallier à lui et ne fait pas offrir à leurs yeux l’imposant spectacle dm ne seule patrie, d’un seul intérêt, d’une grande et majestueuse association ; vouloir alors rompre les seuls liens qui les lient entre eux, ne serait-ce pas augmenter dans tout le royaume le trouble et la confusion, fournir aux mécontents des prétextes et des occasions, et aux mal-intentionés des moyens pour empêcher l’ordre de se rétablir ? » Vous voulez, Messieurs, diviser les provinces pour faire disparaître, a-t-on dit, cet esprit particulier qui est une sorte de corporation. Mais quel inconvénient pourrait avoir cette intégrité, cette unité de provinces, du moment que leurs privilèges sont abolis? Ce sont les privilèges seuls qui font l’esprit particulier, parce que ce sont eux qui font autant de centres qui marquent des jouissances exclusives ; mais, les privilèges abolis, il ne reste plus à leur place que l’intérêt général et l’esprit public. 11 fallait sans doute abolir les privilèges, mais, cette grande victoire remportée, arrêtons-nous. Au delà, ce serait un déchirement dont nous n’avons peut-être pas calculé les effets : l’époque du moins paraît assez mal choisie pour cela ; et je crois, Messieurs, que vous apercevez déjà que toutes les provinces ne s’y prêtent pas d’une manière fort explicite. Et si, quand il s’agira d’exécuter, une certaine résistance venait à se manifester, n’en pourrait-il pas résulter quelques embarras ? Pour rendre l’administration plus facile et la rapprocher davantage des objets à administrer, il convient sans doute de diviser quelques provinces eu plusieurs chefs-lieux; je le sais. Nos grandes provinces peuvent être susceptibles de (1) Première suite de la motion de M. Duport sur les administrations provinciales et les municipalités. 1" SÉRIE, T. IX. cette partition ; elles peuvent même vouloir s’y prêter. Cet ordre de choses peut convenir à la Bretagne, à la Normandie, au Poitou, au Languedoc, à la Guyenne, à la Champagne. Mais la Franche-Comté, l’Alsace, les Evêchés, la Provence et en général nos provinces médiocres, ou petites, ont-elles besoin d’être hachées par dix-huit lieues sur dix-huit? ont-elles besoin chacune de trois ou quatre corps administratifs? Certes, si les vastes administrations peuvent, comme on l’a dit, dépasser quelquefois les forces humaines, assurément cinquante-quatre citoyens zélés suffiront bien, sans doute, pour régir les provinces dont je viens de parler. Laissons donc ces provinces du second ordre comme elles sont ; et si vous voulez diviser, ne divisons que les grandes masses, surtout si nous comptons pour quelque chose l’économie en fait d’administration. Car vous ne voulez sans doute diviser ces petites provinces en trois ou quatre départements que pour établir dans chacune trois ou quatre administrations provinciales, et peut-être par suite autant de tribunaux supérieurs. Mais indépendamment de l’isolement absolu où ces sections vont placer les habitants de ces provinces les uns à l’égard des autres, en les concentrant dans leurs nouveaux départements particuliers, en triplant ou quadruplant les machines où une seule suffirait, vous triplez et quadruplez les frais. Si vous avez trois départements, portant trois administrations provinciales , en Alsace , en Franche-Comté et autres provinces de cette étendue, il leur faut par province trois hôtels au lieu d’un pour les séances, trois commissions intermédiaires , trois secrétaires-greffiers et leurs commis, trois receveurs généraux, trois brevets d’impositions, trois comptes, six procureurs généraux syndics. Vous triplez tout ; vous rendez la correspondance plus coûteuse, plus lente pour les provinces, et plus laborieuse, plus incommode pour le gouvernement et pour l’Assemblée nationale. Voyez plutôt, Messieurs, sur la carte, si de pareilles provinces ont besoin de tout cet attirail (1). Et ce sera bien pis, si chaque département érigé une fois en petite province indépendante, veut avoir aussi son tribunal supérieur. 11 résultera de cette section en trois départements, une scission en Franche-Comté, qui sera du plus grand éclat. La ville de Besançon supporte à elle seule des charges militaires fort considérables. Les seuls logements militaires pour cette ville montent au moins à 80,000 livres annuellement, sans l’entretien et fourniture des casernes. Les deux autres départements, comme indépendants, comme ayant rompu l’unité, se refuseront à contribuer à cette, charge. Voilà un département écrasé ou .. d’infinies réclamations. L’administration de chaque province indique presque partout de grands ouvrages publics et trop souvent de grandes calamités à secourir; mais en morcelant, en atténuant encore les provinces médiocres, toutes vont se trouver au-dessous de ces objets majeurs de toute bonne administration. Chaque département, quoique dans la même province, deviendra étranger au département (1) Dans le plan proposé, chaque département doit avoir une assemblée communale qui aura aussi les frais de bureaux, etc. 48 754 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PA voisin. Vous aurez voulu, Messieurs, faire disparaître cette diversité, cet intérêt de province, et vous en ferez surgir trois pour une; car comptez que les déparlements ou corps administratifs de la même province aurout moins de rapprochements entre eux, moins de dispositions à s’en-tr’aider, qu’il n’y en avait de province à province. Je vois, Messieurs, germer pour la Franche-Comté quelque chose de véritablement fâcheux. Un ouvrage célèbre y était commencé : c’est la jonction du Rhin à la Saône par le Doubs ; de là, route nouvelle pour le commerce, jonction nouvelle des deux mers. Cette navigation doit traverser la province et en particulier la ville de Besançon ; mais comme cela est à une distance assez forte des villes de Vesoul et de Lons-le-Saulnier, qui sont à peu de chose près aux extrémités de la province, et qui auront ou aspirent, du moins chacune, à avoir leur département et corps administratifs indépendants , ces administrations particulières ne voudront pas plus contribuer à la navigation du Doubs que le Maine ou la Bretagne ; et voilà la navigation du Doubs manquée, le plus heureux projet avorté, et déjà de grands fonds consumés en pure perte (lj. lien est de même des routes: elles vont se faire à prix d’argent et par un impôt considérable ; mais à cet égard les trois départements sont fort inégaux ; de là surcharge pour un, ou pour deux, au profit du troisième, si l’Assemblée nationale ne détermine pas, ainsique les députés de Besançon ont l’honneur de le lui demander, que les charges publiques et communes d’une même province, telles que les roules, canaux de navigation, entretien de fortification et autres dépenses militaires seront supportées par tous les départements, au marc la livre de leurs impositions. Je finis, Messieurs, sur ces détails; mais vous sentez à quels éclats de discorde cela réserve une petite province jusqu’à présent unie et tranquille. Et quel si grand bien, quels si grands avantages attend-on de ce bouleversement? C’est, a dit un des opinants, que les assemblées provinciales, trop étendues, pourraient être trop fortes contre le pouvoir exécutif, et indociles peut-être un jour à l’égard de l’Assemblée nationale : lui seul a eu la franchise de faire l’objection. Mais, Messieurs, au moment où vous fondez la liberté, vous ne réservez pas apparemment à vos successeurs le pouvoir de forger des fers aux provinces. Qu’ils ne leur donnent comme vous que des lois sages, que de bonnes lois, et elles adoreront le régime auquel elles vont être associées. Que le pouvoir exécutif connaisse ses limites et s’y renferme, et tout ce qui émanera de lui, dans les provinces, y gira chéri et respecté. Un concert entre les provinces ne peut se supposer que quand elles seront au comble de l’infortune; et ce point extrême n’existera que quand le pouvoir exécutif. aura envahi, ou que la législature sera devenue aristocratique. Alors, Messieurs, vous avez vous-mêiiies érigé en principe cette maxime que les publicistes avaient développée : que c’est un des droits de l'homme de résister à l'oppression .-époque pour lors de la dissolution ou de la régénération des empires ; et c’est la que nous en sommes. Eh ! Messieurs, voyez les Romains: ont-ils haché, (1) Il en sera de même du port de Gray. II en sera do même des casernes ou autres constructions militaires dans une province fronliôie, des hôtels de ville, auditoires, prisons, etc. jEMENTAIRES. [11 novembre 1789.] divisé les provinces pour les gouverner? Nos royaumes n’étaient que leurs provinces, le Sénat gouvernait tout par ses lois , protégeait fout par ses armées. Us laissaient à ces royaumes leur étendue, leurs coutumes et leurs dieux. Vous êtes assez grands, Messieurs, assez sages, assez forts pour vous conduire avec la même franchise et la même magnanimité. Et je peux vous fournir de même, dans nos temps modernes, chez nos voisins, et jusque dans l’autre hémisphère, des exemples de peuples qui ont su fonder la liberté, calculer profondément la représentation, sans morceler, sans diviser les provinces, les contrées, les cantons. Les Anglais, les Suisses, les Américains ont laissé leur surface territoriale telle qu’elle était lorsqu’ils l’ont arrachée au despotisme. Une prévision imaginaire d’une indépendance chimérique et à venir, mais offensante certainement pour nos provinces, n’a pu les décider à rompre toutes les habitudes des peuples, et une longue expérience a déjà fait voir à quelques-unes de ces nations qu’elles avaient raisonné avec sagesse. Et une assez bonne singularité, peut-être, c’est qu’on ait pensé à trouver les provinces assez faibles, assez petites, et jamais Paris trop gros ! Paris a une population plus forte que ma province. Eh bien! dans le plan du comité de constitution, Paris restera Paris, sera à lui seul une province, n’aura qu’une assemblée administrative, ou point du tout, si cela lui convient; et ma province sera coupée, divisée en. trois! Suspendons là nos réflexions. Mais je vous le demande, Messieurs, qui est-ce qui peut être à craindre de Paris ou des provinces? La liberté, la domination, dit M. de Montesquieu, d’après l’histoire, étaient à Rome, et l’esclavage dans les provinces (I). Aussi rien ne doit plus donner profondément à penser aux députés des provinces, que cette hachure qu’on en fait, jusqu’à les porter à cent vingt, tandis que Paris reste dans son intégrité première et sa colossale énormité. C’est véritablement placer dans un des bassins de la balance un poids de cent milliers, et dans l’autre un poids de quatre onces. Maintenant, Messieurs, peignez-vous 1 effet : il faut donc que Paris ne pèse pas plus qu’une de nos petites provinces au nombre de 120, ce qui ne se peut; ou que nos provinces arrivent au taux de Paris, et cela est facile, mais ne se peut que par la division du royaume seulement en trente-six. telle qu’elle a été proposée par le dernier opinant. Une défectuosité, ce semble, plus sensible-encore dans le plan soumis à votre examen, c’est l’influence par la surface et non point par la population. Ace compte, les rochers du Jura compteront auiant dans ma province que les rives fé< ondes de la Saône, les montagnes d’Auvergne que les bords de la Loire, parce que, dès que vous coupez par le sol, le plus mauvais, le moins populeux pèsera autant dans la balance politique, sans supporter cependant autant de charges. C’est à regret, Messieurs, que j’ai hasardé cette discussion après celles que vous avez entendues; mais mon devoir et l’intérêt de mes commettants m’en ont fait une loi suprême (2). Je propose donc : 1° que les provinces petites ou médiocres, telles que sont celles que j’ai désignées, soient laissées dans leur unité; qu’il soit (1) Paris sera tout, ont dit les députés du Gévaudan, et les provinces ne seront rien. (2) Notre cahier nous prescrit de demander une administration provinciale unique. V [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 novembre 1789.] 755 � seulement établi divers départements dans les grandes provinces, telles que la Bretagne, la JNor-uiandie, le Languedoc, la Guyenne, la Champagne et autres, qui pourront le désirer; ce qui revient à la division, proposée par le Dauphiné, en 36 par-ties : division du royaume à laquelle la Franche-Comté ne répugnera pas. en ce qu’elle laissera les v provinces du second ordre dans leur intégrité, tout en procurant l’avantage de diviser les grandes w masses; 2° Que l’on supprime comme redondant et inu-tile le degré inteimédiüire ou assemblée communale; y 3- Que la représentation se détermine par la population et la force contributive, et non point p. par la surface; 4° Que chaque ville, bourg et paroisse de cam-V pagne obtienne sa municipalité. Il pourrait paraître étrange, en effet, qu’ayant deux mille villes k dans le royaume, vous n’établissiez que sept cents municipalités. ► Ces vues, Messieurs, peuvent ne pas présenter cet ensemble séduisant et calculé du plan ou des � plans qui vous ont été soumis; mais elles contiennent certainement ce qui peut nous suffire. Elles ont du moins l’avantage, après lequel nous * soupirons tous, d’accélérer notre œuvre ; et si nous atteignons ce qui peut suffire, on saura bien ■* que c’est par l’empire des circonstances si nous ne poursuivons pas ce qui pourrait être mieux. Une grande partie de i’Assemblée témoigne beaucoup d’impatience d’aller aux voix. M. Tliouret observe qu’on a ajourné à ce ma-► tin la réponse qu’il s’est proposé de faire à M. de Mirabeau au nom du comité. Beaucoup de membres demandent qu’il soit entendu. L’Assemblée délibère et accueille cette demande. M. Thoiiret (1). Messieurs, cette discussion excessivement prolongée est arrivée à ce point de maturité qui n’oblige plus à réfuter les objections superficielles, et qui, aux approches de la décision, ne permet d’envisager que les considérations principales qui doivent la déterminer. Votre comité de constitution, en examinant hier de nouveau le projet de division du royaume qui vous a été présenté par M. le comte de* Mirabeau, a vérifié que la plupart des vues qu’il rem-ferme lui avaient été soumises dans plusieurs projets que la méditation la plus sérieuse l’a forcé de rejeter. Ce n’est point par une réfutation détaillée de tout ce qui vous a été dit hier, mais par le rétablissement des Yerites fondamentales qui ont décide la préférence de votre comité pour le projet qu’il a eu l’honneur de vous présenter, qu’il se propose de le défendre en ces derniers instants. Puisque le seul point de la division du royaume est mainten ant à décréter, je ne m’occuperai d’aucun autre objet. Je commence par la division principale en départements. M. de Mirabeau soutient que son plan est préférable sous trois rapports: 1° par la matière , s’il est permis de s’exprimer ainsi, dont il compose ses départements; 2° par sa manière de les former ; 3° par le nombre qu’il en détermine. Sous le premier rapport, M. de Mirabeau emploie, pour composer l’égalité de ces départements, tous (1) Le discours de M. Thouret est incomplet au Moniteur. les éléments des valeurs politiques, le sol, la population, les richesses ; et il combine ensuite ces bases primitives de manière que la valeur réelle du sol tienne lieu de son étendue , que l'inégalité de population soit Compensée par tes rich sses. 11 reproche au comité de ne s’ê're al taché quà Légalité des surfaces, qui donne lieu à toutes les espèces d’inégalités réelles. Je ne demanderai pas à ceux qui ont cru apercevoir de grandes difficultés dans l’exécution du plan du comité, comment ils pourraient trouver celui-ci pratica le, et quelle espérance ils conçoivent de mettre en activité, dans le cours de cette session, cent vingt assemblées provinciales dans cent vingt districts à former, par la recherche, la vérification et la balance constatée de toutes les espèces de forces et de valeurs que M. de Mirabeau prétend calculer en chaque département et proportionner entre tous. Mais je dirai que ce que M. de Mirabeau désire, le comité le sait; et quand M. de Mirabeau laisse ignorer et chercher par quels moyens il atteindra son but, le comité y arrive tout d’un coup par la méthode qui paraît s’en éloigner si fort, celle d’adopter d’abord des divisions territoriales fixes, et de balancer ensuite ces divisions par leurs forces respectivesde population et de contribution, qui supposent et représentent toutes les espèces de valeurs politiques. Par là, la justice est satisfaite, parce que, dans l’ordre représentatif, chaque département n’influe et n’est compté que pour ce qu’il vaut en effet. Par là, les départements ne sont plus égaux seulement aux yeux des géo-mètres;ils le sont parfaitement à ceux de l’homme d’Etat. Par là, enfin, le comité répond, d’un seul mot, à un grand nombre de réflexions accès-„ soires et de reproches de détail, qui ne sont que la répétition déguisée de la prétendue inégalité politique résultant de l’égalité des surfaces. Sous le second rapport, M. de Mirabeau met en opposition son projet de rechercher et de constater chaque cent vingtième partie du royaume et valeur de territoire, de population, d’industrie et de richesses, pour composer ensuite des départements territoriaux de chacune de ces cent vingtièmes parties, avec le projet du comité, qui consiste à diviser le royaume en districts territoriaux, pour les balancer ensuite réciproquement par toutes leurs valeurs politiques. Cependant, ces deux procédés conduisent exactement au même résultat essentiel, qui est de compter beaucoup moins le sol que les hommes et d’attacher l’égalilé d’influence, non à l’égalité des surfaces, mais à celle du nombre et de l’importance des citoyens. En effet, M. de Mirabeau veut qu’on compte, par exemple, chaque cent vingtième de population, et que chaque étendue de terrain qui la contiendra soit circonscrite pour former un département. Le comité propose de marquer des territoires à peu près égaux, et de mettre en équilibre, par un moyen certain, simple, que M de Mirabeau adopte lui-même, les forces respectives de population qui se trouvent en chaque département. N’est-il pas clair que par l’un et par 1 autre procédé la population est également composée et considérée ? quelle différence réelle, et digne du moindre intérêt, peut-on établir ici, quand l’effet est exactement semblable ? Je me trompe, Messieurs ; il existe réellement des différences entre ces deux manières d’opérer ; mais elles sont toutes à l’avantage de votre comité. Je vais en rappeler deux. La première est que le plan du comité établit 7o6 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [H novembre 1789.) des divisions fixes et permanentes , au lieu que celui de M. de Mirabeau oblige à les changer, et à recomposer différemment les départements, à raison des vicissitudes locales de la population, et des valeurs foncières et industrielles, si sujettes à mobilité. Or, c’est un vice intolérable dans l’ordre administratif que cette variabilité des départements; et les inconvénients en sont si sensibles, que M. de Mirabeau n’a pas pu les nier. Elle n’est pas moins abusive dans l'ordre représentatif , parce qu’il faudra que les inégalités qui surviendront soient portées à un excès bien frappant avant qu’on se décide à retravailler la division du royaume. Or, en attendant cette réforme qui sera toujours tardive, l’injustice subsistera longtemps dans les proportions de la représentation. La seconde différence est qu’en réglant les limites de chaque département sur chaque cent vingtième de la population et des valeurs foncières et industrielles, il faudra que dans les pays très-peu peuplés, et où par cette raison les valeurs sont moindres, le département comprenne, pour réunir le cent vingtième de la population, une étendue immense dont les administrateurs ne pourront pas surveiller toutes les parties, et dont les extrémités seront à une trop grande distance du chef-lieu, pendant que dans les pays où une grande population est pressée dans ün petit espace, le corps administratif n’aurait pas plus de territoire à gouverner qu’il n’y en a actuellement dans le ressort obscur de quelques subdélégations. L’étendue de trois cent vingt-quatre lieues, attribuée par votre comité à chaque administration, ne donne point lieu à ces excessives disproportions, il n’a point adopté arbitrairement, ni par aucune convenance géométrique, le nombre de quatre-vingts départements. 11 a examiné d’abord quelle étendue moyenne de territoire convenait à l’exercice d’une bonne administration, d’une part, pour que les citoyens fussent à portée du siège des affaires , d’autre part, pour que le corps administratif fût occupé, sans être surchargé : et cette étendue moyenne étant réellement celle qu’il adopte, c’est elle qui a indiqué le nombre de quatre-vingts départements, parce qu’elle se trouve répétée quatre-vingts fois dans le territoire du royaume. Cependant ce nombre de quatre-vingts départements n’est pas si absolu qu’on ne le puisse réduire ou augmenter de quelques-uns, si les observations faites par MM. les députés, sur le vu de la carte, en établissent la convenance. Je passe au troisième rapport sous lequel M. de Mirabeau insiste à la préférence de son plan ; il consiste en ce que le nombre de 120 départements lui paraît plus avantageux que celui de quatre-vingts. Voyons d’abord dans l'ordre représentatif. Le moyen principal de M. de Mirabeau est qu’en diminuant les districts, on diminue le nombre des électeurs, et qu’on parvient par la à faire députer directement au second degré. Je réponds que si cet avantage de la députation directe au second degré peut s’obtenir de même par la division en quatre-vingts départements, le plan de M. de Mirabeau n’offre plus de motifs de préférence, quant à la représentation. Or cela est possible de plusieurs manières : 1° en portant tous les électeurs nommés par les assemblées primaires directement à l’assemblée du département; et j’observe qu’il faudrait que la population d’un département s’élevât au-dessus de 360,000 âmes pour que l’assemblée électrice fût composée de plus de 600 électeurs, à raison d’un pour deux cents votants dans les assemblées primaires ; 2° en réunissant les électeurs nommés dans trois communes en une seule assemblée, qui élirait trois députés, à raison des trois bases de la représentation proportionnelle. Nous approfondirons davantage ce point de la députation directe au second degré, lorsque cette question sera à l’ordre du jour ; mais on sent bien qu’il est impossible qu’elle ne soit pas praticable aussi bien en 80 départements qu’en 120 ; ce qui suffit pour écarter sur ce point l’objection de M. de Mirabeau. Examinons maintenant si le nombre de 120 départements est préférable à celui de 80 dans l’ordre administratif. M. de Mirabeau compte en sa faveur trois avantages : Le premier est de rapprocher plus l’administration des hommes, en resserrant les districts. Cependant il est indubitable qu’un département plus grand d’un tiers, qui aura des communes, rapproche plus l’administration des hommes qu’un département moindre en étendue d’un tiers, mais n’ayant pas de communes; car il est clair que chaque administration communale est plus près de tous les points de son arrondissement, que le département, quoique réduit au cent vingtième du royaume, ne l’est de toutes les parties de son ressort. Le second avantage est de faire concourir plus de sujets à l'administration. La réponse est la même que sur l’article précédent. 80 départements, avec des assemblées communales subordonnées, emploient et attachent plus de citoyens à l’administration, que 120 départements sans assemblées communales. Le troisième avantage est de supprimer les administrations intermédiaires. Je réponds que, si M. de Mirabeau cherche à rapprocher l’administration des hommes, et à y faire concourir plus de sujets, il est contradictoire qu’il tende à écarter les administrations intermédiaires. J’ajoute que, puisqu’il compte les deux premiers articles comme des avantages, il est étonnant qu’il mette sur la même ligne ce troisième qui les détruit. Je dis enfin que, quand M. de Mirabeau avoue l’utilité des _ communes avec 80 départements, rien n’est moins démontré, comme on le verra, que leur inutilité même avec 120 départements, et l’intérêt de les supprimer. Il me parait donc certain que, dans la balance des motifs présentés à l’appui de l’un et de l’autre plan de division, ceux qui sont allégués pour le nombre de 120 départements sont bien éloignés d’être prépondérants. Mais, en réfléchissant plus particulièrement sur les fonctions administratives, il est impossible de ne pas sentir qu’on ne doit pas les diviser au point de trop scinder l’administration générale, de trop multiplier les expéditions et les correspondances, de trop déprécier les corps administratifs dans leur propre opinion et dans celle du public par leur exiguïté, de priver enfin leur émulation et leur zèle d’une suffisante importance d’occupation et d’influence. M. de Mirabeau conçoit, dans son plan, des administrations telles *qu’elles n’auraient dans leur ressort qu’une ville et quelques villages : que seraient de pareilles administrations ? Elles auront, dit-on, une aussi forte population que celles qui régissent 5 à 6 fois plus de territoire qu’elles. Mais, en administration, ce n’est pas la population seule, c’est encore l’étendue qu’il faut considérer. Ce n’est que quand il y a beau- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U novembre 1789.] 757 coup de collectes que la répartition de l’impôt, et les accessoires qui en dérivent occupent l’administrateur ; ce n’est que quand il a un territoire, que les travaux publics peuvent donner matière à ses soins ; ce n’est enfin que quand il surveille de nombreuses communautés, que leur régime lui fournit des affaires. Une administration provinciale bornée à une seule ville et à quelques villages serait un établissement dérisoire. J’ai fait remarquer que, dans le même plan, il arrivera, par l’excès contraire, que d’autres administrations auront un ressort si étendu que l’habitant des extrémités correspondra péniblement avec le centre. — C’est qu’il est de vérité incontestable que la division administrative doit être faite par territoires : 1° afin d’y observer la juste proportion qui répond à la mesure des forces de l’administrateur, pour les employer à profit, et ne jamais les excéder ; 2° afin de conserver les districts fixes et permanents, de manière que les citoyens ne se trouvent pas transportés alternativement d’une administration à une autre. M. de Mirabeau fait valoir encore, à l’appui de sa division, qu’en découpant davantage les territoires, il affaiblit plus l'esprit de province. Je ne crois point à cet effet, puisqu’il respecte presque religieusement les frontières, pour flatter davantage l’opinion. Je n’y crois point, surtout à cause de�la multiplicité de ses divisions. S’il y en a dix en Normandie, on ne les considérera que comme celles des bailliages, moins que celles des diocèses, beaucoup moins que celles des généralités. D’ailleurs, si les divisions administratives doivent rompre un jour l’esprit de province, cet effet sera suffisamment opéré par le travail du comité : un coup d’œil sur la carte en convaincra. Si, au contraire, ces divisions ne doivent pus produire l’effet que vous en espérez, celles de M. Mirabeau y seraient encore moins propres que les nôtres, puisqu’il évite davantage la transposition des territoires. Je viens maintenant à la question des communes, et je me hâte de réitérer une déclaration qui doit abréger plusieurs difficultés. Le comité s’en rapporte absolument et adhère d’avance à l’opinion que l’Assemblée préférera sur l’emploi des communes dans l’ordre représentatif. Vous réduirez, Messieurs, le second et dernier degré d’élection aux communes, ou vous les porterez au département, sans passer par les communes. Si c’est ce dernier parti que vous adoptez, les communes s’effaceront dans V ordre représentatif. Mais est-il bon de les supprimer dans l’ordre administratif , ou plutôt n’est-il pas du plus grand intérêt de les y établir? Voilà ce qui reste à décider. M. de Mirabeau reconnaît l’utilité des communes, s’il n’y a que 80 départements ; et ce n’est qu’en portant les assemblées provinciales à 120, qu’il trouve les communes inutiles. Ainsi, les communes ne sont pas d’une inutilité absolue, mais seulement relative : par conséquent, avant de prononcer contre les communes, il faudrait qu’il fût décidé d’abord qu’il vaut mieux avoir 120 assemblées provinciales que 80. C’est cette question-là même que nous venons d’examiner, et il me semble qu’elle ne peut guère paraître douteuse. M. de Mirabeau fait entrer dans le nombre des motifs d’adopter les 120 départements l’avantage de supprimer les communes, en les rendant inutiles. Mais, quand on commencerait par être d’accord de la préférence à donner à 120 départements sur 80, la conséquence ne serait pas que les communes fussent inutiles. Je sens bien que, dans l’hypothèse de quelques départements, du nombre des 120, n’ayant, comme on l’a dit, qu’une ville et quelques villages, l’administration, qui n’aurait presque rien à faire par elle-même, n’aurait pas besoin de coopérateurs; mais dans les départements au taux moyen de ressort et d’étendue, et dans ceux dont le territoire excéderait ce taux moyen, les communes seraient encore nécessaires. Il en faudrait moins de 9 en quelques départements, mais enfin il en faudrait, ou bien on supposerait que le corps administratif pourrait, de son chef-lieu, suivre tous les détails de sa surveillance, et s’éclaircir par lui-même de toutes les localités et de toutes les circonstances relatives aux faits et aux individus de tout son ressort. Pour rendre cette impossibilité sensible, calculons le ressort moyen d’un département sur 120. M. de Mirabeau a dit qu’il avait réduit ceux du comité d’un tiers, et qu’ainsi les siens étaient de 12 lieues sur 12. Il y a ici quelque erreur de sa part. Les départements au comité ont 324 lieues, à raison de 18 sur 18. M. de Mirabeau n’a pas dû prendre le tiers des dimensions comme équivalant au tiers des carrés. 12 lieues sur 12 ne donneraient que 144 lieues, qui ne seraient pas les deux tiers, mais moins de la moitié de nos départements. Les siens, puisqu’ils sont réduits d’un tiers, donnent 216 lieues, ou 14 1/2 sur 14 1/2, au taux moyen, et plusieurs l’excéderaient. 120 divisions de 144 lieues carrées, à raison de 12 sur 12, ne formeraient au total que 17,280 lieues carrées, qui ne rempliraient pas, à beaucoup près, l'étendue du royaume. On doit voir maintenant que la réduction des départements de M. de Mirabeau n’est pas telle qu’elle entraîne, pour la plupart, l’inutilité des coopérateurs intermédiaires. J’ajoute qu’il faudrait que l’établissement des communes eût des vices propres bien intolérables, pour que l’intérêt de s’en délivrer devînt le motif déterminant de préférer 120 départements, qui sont en effet moins convenables, sous tous les rapports, que 80. Voyons donc ce qu’on objecte de si important contre ces communes qui ont, d’ailleurs, le mérite reconnu de rapprocher l’administration des hommes, d’étendre sa vigilance et son activité, d’employer beaucoup de citoyens, et d’être les meilleures écoles d’administration et d’esprit public. 1° On objecte que les inégalités de population et de valeur entre les départements deviennent encore plus graves entre les communes, parce qu'elles sont moins faciles à compenser dans un plus petit espace. Je réponds : 1° que le moyen qui détruit cette objection à l’égard des départements l’anéantit de même pour les communes, puisque le même procédé sert à balancer toutes les valeurs entre celles-ci comme entre les départements. Je réponds : 2° que les communes ne sont balancées et n’ont besoin de l’être que dans l’intérieur de chaque département. Une commune de landes arides, comparée avec une commune de gras et riches pâturages du Cotentin, présenterait une inégalité monstrueuse ; mais dans les limites du même département, où la différence des sols est moins considérable, # les rapports de valeur sont beaucoup moins éloignés. 2° On objecte qu 'il y aura des communes dans 758 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 novembre 1789.] lesquelles il ne se trouvera pas même le nombre de citoyens nécessaires pour une Assemblée primaire. Je réponds que l’assertion est très-exagérée, si l’on considère qu’il y a trente-six lieues dans le ressort d’une commune. Je crois bien qu’il y aura des communes beaucoup moins peuplées que d’autres et qui, par cette raison, seront moins représentées au département, mais elles seront représentées proportionnellement et au tant qu’elles ont droit de l’étre relativement aux autres. Enfin, si l’on suppose que dans tel département il y aura une partie de son territoire tellement inhabitée� qu’elle ne puisse pas absolument fournir à une assemblée, soit d’élection, soit d’administration , eh bien ! il estclair qu’un tel désert est à compter comme un lac, ou comme une mer; il est comme n’existant pas; il n’aura ni assemblée primaire, ni commune. Dans tous les plans, dans tous les systèmes possibles, un désert ne peut être compté; on aura égard, en formant les départements, à ces exceptions rares qui ne peuvent pas prévaloir contre un bon plan d’organisation générale. 3° On objecte qu’i/ se trouvera , dans plusieurs communes , des villes assez fortes pour dominer sur les campagnes de leurs districts. Je réponds que cela est beaucoup moins dangereux dans les administrations communales que dans celles des départements, parce que les premières ne décident et n’ordonnent rien, mais sont seulement exécutrices. M. de Mirabeau devait-il faire cette objection pour les communes, lorsqu’il établit ce reproche d’une manière infiniment plus grave contre ses départements ? Dans ceux qu’il propose, toutes les villes auront une influence marquée, puisque Lyon, par exemple, Rouen, Bordeaux, Marseille, domineraient invinciblement les faibles campagnes qui leur seraient adjointes pour compléter le taux de population du département. C’est par là que le plan du comité a de grands avantages, parce qu’en étendant les ressorts, il met la campagne plus en force contre les villes, et parce qu’en attachant les députés au territoire, même par commune, il assure aux campagnes une part importante de députation qui balance ce que les villes ont de plus en population. C’est encore à cela que servent très-utilement les députés attachés à la contribution directe, parce que les campagnes ont beaucoup plus de députés de cette espèce que les villes. 4° On objecte l’extrême embarras de l’établissement des communes , qui nous oblige , dit-on, d’en confier l'exécution aux provinces. Je réponds que ce n’est pas plus des communes que des départements que l’établissement est confié aux provinces, mais seulement des cantons, dont on peut se passer pour la première formation des assemblées. En quoi donc l’établissement des communes est-il si embarrassant particulièrement ? H ne s’agit que de subdiviser chaque département : l’exécution, étant partielle et simultanée en chacun, ne sera ni plus difficile ni plus longue pour 80 départements que pour un seul. Enfin, Messieurs, je viens aux cantons sur lesquels il y a peu de choses à dire, parce que cet objet est le moins important de tous. Les cantons ne sont point une division politique qu’il soit nécessaire d’organiser si régulièrement. Leur usage se réduit, dans tous les cas, à indiquer l’étendue moyenne du territoire où il peut se former une assemblée primaire et des lieux de rassemblement. Le comité a pensé que cette étendue moyenne serait, dans l’état commun de la France, de quatre lieues carrées. Ainsi le mot canton n’équivaut réellement et simplement qu’à la désignation de quatre lieues carrées de pays. Il ne serait pas raisonnable d’assigner autant d’assemblées primaires qu’il V a de paroisses et de villages, parce qu’il y en aurait un trop grand nombre, quelles seraient trop inégales, et que les hommes en crédit y auraient trop d’influence. M. de Mirabeau lai-même réunit plusieurs paroisses ou villages pour avoir toujours cinq cents citoyens votants en chaque assemblée primaire. Il établit ainsi les cantons par le fait, puisqu’il arriverait indubitablement que chaque territoire, réuni par une élection commune, finirait par se regarder comme corporé, et formant un district d’élection séparé des autres. M. de Mirabeau ne déplace pas, il est vrai, les habitants de chaque village ou paroisse, qui ont un député à nommer en commun ; mais je crois cela moins avantageux pour assurer les bons choix et pour prévenir les lenteurs et les embarras de la répétition des scrutins. Le comité a fait entrer dans ses motifs pour assigner aux assemblées primaires une autre base que la division des villes et des villages, celui de marquer par là la distinction du pouvoir municipal et des pouvoirs nationaux. Nous traiterons plus amplement cette matière quand nous en serons à la formation des municipalités. En fait, cette discussion devient inutile ici ; car M. de Mirabeau ne compte pas lui-même chaque population municipalibée comme élément ou règle de ces assemblées primaires, puisqu’en les fixant à cinq cents votants, il divise les municipalités plus peuplées, ou réunit celles qui le sont moins. On a renouvelé contre les cantons les objections d’inégalité de population et d’importance politique qui ont été faites contre les départements et contre les communes. Mais elles sont encore moins considérables ici, puisque les assemblées primaires ne nomment qu’à raison de la seule population , qu’elles ne nomment que les électeurs qui doivent choisir les représentants et les administrateurs , et qu’enfin les cantons ne sont absolument rien, dans notre organisation, sinon les indications des lieux de rassemblement. Je dois expliquer de nouveau que le canton le moins peuplé, pourvu qu’il ne soit pas un désert, aura une assemblée primaire, et que dans ces cas d’exception, toute assemblée primaire aura un député, lût-elle moindre de deux cents votants. Ne regrettons pas, Messieurs, d’attacher ainsi le plus faible degré de l’influence politique à ces lieux moins favorisés par la nature, où, loin d’augmenter les causes de la dépopulation, il faut au contraire faire cesser tous les dégoûts qui pourraient en éloigner de nouveaux habitants, et réunir tout ce qui est capable d’y en attirer. Permettez -moi, Messieurs, de vous soumettre une réflexion qui me paraît déterminante sur l’ensemble de cette discussion. C’est au projet de votre comité que vous avez accordé la priorité. A-l-on prouvé qu’il fût matériellement impraticable, ou malfaisant politiquement? ne reste-t-il pas démontré qu’il remédie beaucoup à l’état vicieux des divisions actuelles et qu’il produit, sous une infinité de rapports, de grands avantages? qu’y a-t-il donc contre ce plan? Des objections particulières, la plupart communes à tous les plans de division nouvelle, quelques-unes tenant, ou à des affections locales, ou à des systèmes arbitraires ; toutes enfin fondées, moins sur ce que le plan de votre co- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [H novembre 1789.J 739 mité n’est pas bon, que sur ce que, dans la rigueur de la perfection spéculative, il n’est pas ce que chacun se figure de mieux possible. Eh! Messieurs, adopteriez-vous jamais aucun plan, décréteriez-vous jamais cette laborieuse partie de la Constitution, si vous attendiez un plan sans objection possible, sans quelque inconvénient partiel, ou un système tellement parfait, non-seulement en masse, mais encore pour toutes les localités, que quelqu’un ne l’improuve pas, et que personne ne puisse désirer quelque chose de mieux? Voici le moment d’avoir le courage et la modération de la raison, pour ne pas sacrifier le bien que nous tenons, et sur lequel nous pouvons opérer actuellement, à la vaine et trompeuse prétention d’un mieux exagéré. On demande de toutes parts d’aller aux voix. L’Assemblée délibère sur cette demande, et la première question est ainsi posée : Fera-t-on une nouvelle division du royaume, oui, ou non? Le décret est pour l’affirmative. La seconde question est conçue en ces termts: Les départements seront-ils au nombre d’environ quatre-vingts, oui, ou non ? M. Salicetll, député de Corse. Quel que soit le nombre des départements, je demande qu’il soit dit que la Corse formera un département séparé. Cet amendement est ajourné. M. Oémeunier. Le mot environ est trop vague; il faut fixer la latitude en exprimant que le nombre des départements sera de soixante-quinze à quatre-vingt-cinq. (L’article est admis avec cet amendement). M. le Président annonce que le second scrutin pour la nomination du président n’a pas encore donné une majorité absolue. Sur 440 votants, M. l’archevêque d’Aix a eu 214 voix. M. Tliouret, 149, et M. Emmery, 75 ; deux voix ont été perdues. Une députation delà commune de Paris est introduite. M. Bailly, portant la parole, expose que le Trésor public a besoin de toutes ses ressources, et qu’il est essentiel de prévenir les obstacles qui pourraient s’opposer dans la capitale à la perception des impôts. Cette perception était autrefois confiée à divers pouvoirs : le prévôt des marchands était chargé des impositions qui se perçoivent sur les habitants et sur les maisons; et le lieutenant de police, comme commissaire du conseil, de celles que payent les corps et communautés. Cesdeux officiers présidaient une commission du conseil, autorisée à juger les modérations des cotes, etc., etc. Le maire de Paris et les officiers municipaux sont-ils revêtus de ce pouvoir, et comment l’exerceront-ils ? Un de MM. les lieutenants de maire lit un décret rédigé pour répondre à cette question. La députation a encore un autre objet : Des députés du comité provisoire de Troyes sont venus demander les secours de la commune de Paris auprès de l’Assemblée nationale contre les vexations qu’exercent sur ce comité des tribunaux judiciaires. La commune a autorisé quatre de ses membres à aller témoigner à l’Assemblée nationale l’intérêt qu’edle prend à la situation fâcheuse du comité delà ville de Troyes . M. le Président. L’Assemblée nationale examinera vos demandes et les arrêtés qui les contiennent. Un billet de M. le garde des sceaux annonce que le Roi a accepté les articles de constitution qui lui ont été dernièrement présentés, et l’envoi est accompagné des expéditions de plusieurs décrets sanctionnés. Ce ministre communique en même temps à l’Assemblée une lettre du substitut du procureur général du parlement de Normandie, adressée à M. de Saint-Priest, et un nouvel arrêté de la chambre des vacations du même parlement» On fait lecture de cette lettre, ainsi conçue: « J’ai reçu l’arrêt du conseil ; en conformité de vos ordres, je l’ai présenté à ces messieurs qui ont pris l’arrêté ci-joint. Je puis vous assurer, monseigneur, que l’arrêté n’a reçu aucune publication. Voici à ce sujet l’arrêté de la chambre des vacations, du 10 novembre 1789 : « La chambre a accordé acte au procureur général de la présentation qu’il a faite d’un arrêt du conseil qui casse l’arrêté pris par ladite chambre le 6 du même mois, et arrête, pour la décharge dudit procureur général, que ladite présentation lui vaudra signification au greffe de la cour ; arrête en outre que M. de Guinchainville, doyen, écrira à M. le garde des sceaux pour le prier d’assurer le seigneur Roi que la chambre, en prenant un arrêté contenant l’expression de sa douleur profonde sur les malheurs de l’Etat, ainsi que de son amour inviolable pour la personne de Sa Majesté (arrêté uniquement destiné à passer sous ses yeux sans pouvoir recevoir aucune publicité), ne peut ni ne doit être soupçonnée d’avoir cherché à exciter aucune fermentation, ni à égarer les esprits de ses fidèles sujets, et encore moins à élever des doutes, ni sur les principes dudit seigneur Roi, ni sur son intime union avec l’Assemblée nationale. » Cette espèce d’acte rétroactif ne parait faire aucune sensation sur l’Assemblee. On le renvoie au comité des rapports. La séance est levée à trois heures, FIN DU TOME IX.