161 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 janvier 1790.] tuer. Je ne sais ce que se propose le parlement, je ne m’érige en juge des intentions de personne ; mais, si on s’élève contre l’organisation défectueuse desEtats de Bretagne, je dirai que le clergé et la noblesse en ont fait noblement l’aveu dans leur dernière assemblée, à Saint-Brieuc, et qu’ils ont manifesté le vœu d’une représentation plus favorable aux communes. D’ailleurs, ce n’était point à onze magistrats qui venaient de composer la chambre des vacations, à juger cette grande question de droit public. Ce n’était point à eux qu’il appartenait de consacrer des innovations, ni même des améliorations qui n’auraient pas été légales. Ils ont dû attendre le vœu formel des Etats, parce que rassemblée des Etats est constitutionnelle pour le peuple breton. Je réduis donc leur apologie à cet unique point de droit, et je soutiens que ces magistrats sont inattaquables en se retranchant ainsi sous le rempart des lois constitutionnelles de la Bretagne, qu’ils ont solennellement juré de maintenir. Nous ne devons pas être surpris qu’ils aient mieux aimé s’exposer aux insurrections populaires, et à l’humiliation de se voir poursuivis comme criminels de lèse-nation, que de trahir leurs engagements avec leurs concitoyens. Toutes les vertus se touchent et sont liées ensemble dans le cœur humain. Des magistrats qui forcentleurs adversaires eux-mêmes à reconnaître leur désintéressement et leur intégrité, des magistrats auxquels leur propre accusateur nous a déclaré qu’il devait de la reconnaissance, ne pouvaient pas coopérer lâchement à la subversion des droits de leur pays. Le courage avec lequel ils ont refusé d’accepter une nouvelle loi, sans le consentement des Bretons, est digne de servir d’exemple aux magistrats qui vont vous promettre, sous la foi du serment, de faire observer la nouvelle constitution du royaume; et vous ne les punirez pas, sans doute, Messieurs, d’une fermeté qu’il est aie l’intérêt du pouvoir constituant de présenter à jamais pour modèle à tous les organes du pouvoir judiciaire. Je me résume donc, et je conclus en vous proposant le décret suivant : L’Assemblée nationale a décrété que les magistrats qui composaient ci-devant la chambre des vacations du parlement de Rennes, seraient renvoyés au pouvoir exécutif pour recevoir les ordres du Roi ; et que Sa Majesté serait suppliée de prendre les mesures les plus efficaces pour rétablir promptement l’administration de la justice dans sa province de Bretagne. M. Fermond des Chapelières (1). Messieurs, les magistrats de la chambre des vacations de Rennes (2) ont refusé d’obéir aux décrets de il) Le discours de M. de Fermond n’a pas été inséré au Moniteur. (2) On a reproché à mes collègues d’être en procès avec le parlement de Rennes, et d’en rester juges. Ce reproche est sans fondement. D’un côté, la Chambre des vacations ne formait pas le parlement, puisque la nouvelle chambre est prise dans le parlement; et d’un adtre côté l’arrêt, dont parle M. de Mirabeau cadet, n’est point un arrêt d’évocation, mais un arrêt définitif sur le procès. Voici les termes de cet arrêt, tel qu’il a été imprimé à l’Imprimerie royale : Arrêt du Conseil d’Etat du Roi, qui annule l’arrêt du parlement de Paris, du 6 avril dernier, concernant un imprimé ayant pour titre : Mémoire au lr® SÉRIE. T. XI. l’Assemblée, sanctionnés par le Roi. Voua leur avez demandé compte de leur conduite, et ils sont venus vous dire qu’elle était fondée en motifs et en titres. Ce n’est pas pour provoquer la sévérité de vos décrets que j’ai demandé la parole. J’aurais désiré pouvoir me dispenser de paraître dans une discussion qui intéresse des magistrats à la moralité desquels j’ai toujours rendu justice. Mais, Messieurs, c’est aux députés de Bretagne à vous instruire des faits ; ils le doivent à la confiance de leurs commettants, et je me reprocherais de ne vous avoir pas rendu compte de ceux qui ont un rapport si direct à la conduite des magistrats de Rennes, que c’en sera peut-être assez pour faire voir que les motifs et les titres qu’ils ont allégués pour justifier leur conduite, ne méritent aucun égard. D’abord, Messieurs, je vous rappellerai avec plaisir qu’à cette époque où la France entière était menacée du plus odieux despotisme, au mois de mai 1788, les nobles de Bretagne attestaient hautement et imprimaient : « qu'attachés à tous « les Français par le titre de concitoyens, résolus « à ne jamais séparer leur cause particulière de « la cause commune, c’étaient les intérêts du « royaume qu’ils avaient défendus. » Je vous dirai que, dans un arrêté du 9 mai 1788, le parlement de Bretagne, toutes les Chambres assemblées, déclarait « devoir représenter au « seigneur Roi, que l’Assemblée générale de la « nation était désormais le seul remède aux * maux dont elle était accablée, » et ordonnait l’envoi de cet arrêté au Roi, comme un gage authentique de son attachement aux lois, de sa fidélité et de son amour pour la personne sacrée de Sa Majesté. Ces premiers faits, Messieurs, vous prouvent qu’avant la lutte des intérêts et des préjugés qui ont divisé les ci-devant privilégiés de Bretagne du reste des citoyens de cette province, tous pen= saient également, tous se regardaient comme Français, tous ne désiraient qu’une assemblée générale de la nation; et si les communes ont conservé cette opinion, vous sentez pourquoi les autres l’ont abandonnée. Roi, des députés de. l’ordre des avocats au Parlement de Bretagne. (Du 26 août 1789.) EXTRAIT DES REGISTRES DU CONSEIL D’ÉTAT.] Le Roi s’étant fait représenter l’arrêt rendu en son parlement de Paris, le 6 avril dernier, concernant un imprimé ayant pour titre : Mémoire au Roi, des députés de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne; Sa Majesté a reconnu que sa dite cour de parlement s’était, sans aucun droit, attribué la connaissance de faits étrangers à son ressort, et contenus dans un mémoire présenté au Roi, sur lequel il n’appartenait qu’à Sa Majesté de prononcer , et Sa Majesté ayant jugé lie devoir pas laisser subsister ledit arrêt : Ouï, le rapport; le Roi, étant en son conseil, a cassé et annulé, casse et annule, comme incompétemment rendu, ledit arrêt du 6 avril, et tout ce qui s’en est suivi : Veut, Sa Majesté que la requête contenant dénonciation remise à son procureur général du parlement de Paris, par les députés du parlement de Bretagne, le réquisitoire de l’avocat général et la plainte dudit procureur général, des faits contenus en la dénonciation, relativement à l’impression, prétendue faite à Paris, dudit mémoire, et à îa distribution d’icelui, soient et demeurent comme non avenus : ordonne que le présent arrêt sera imprimé. Fait au Gonseil d’Etat du Roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles, le 26 août 1789. Signé : de Saint-Priest. il m [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 janvier 1790.] Les réclamations générales contre le système inventé au mois de mai 1788 par les ministres le firent proscrire; mais le peuple de Bretagne ne se contenta pas de ce premier succès. Tout annonçait l’aurore de la liberté, ce fut pour lui un motif de réfléchir sur sa situation, et bientôt il fut convaincu que ce n’était pas assez d’avoir détruit le despotisme ministériel, s’il fallait retomber sous une aristocratie non moins oppressive. Le moment approchait où les Etats de Bretagne allaient se réunir. Les communes des villes et mêmes celles des campagnes prirent des délibérations qui énonçaient leurs réclamations contre les abus de tous genres de l'administration de la province. L’assemblée des Etats fut convoquée à Rennes au 29 décembre 1788 ; les villes y envoyèrent leurs députés huit jours auparavant, pour qu’ils se concertassent sur les réclamations qu’ils auraient à faire. Plusieurs ajoutèrent des députés extraordinaires, et beaucoup de communes et communautés envoyèrent aussi des députés particuliers. Tous ces députés, représentant les communes de Bretagne mieux qu’elles ne l’avaient jamais été, se réunirent le 22 décembre et jours suivants, et arrêtèrent en commun de demander l’égalité de représentation, celle de répartition, le vote par tête, l’admission des recteurs, curés parmi le clergé, la suppression des tables, etc. Ils arrêtèrent de ne pas s’écarter de ces chargés, de les faire imprimer, d’en envoyer des exemplaires à tous les commettants, et d’en présenter au commandant pour le Roi et autres commissaires de Sa Majesté. Ces arrêtés, Messieurs, parurent aux ci-devant privilégiés un crime impardonnable. Les Etats ouvrirent le 28 décembre ; les premières séances furent occupées par des délibérations ordinaires. Les députés des communes demandèrent le 30 décembre à donner lecture de leur pétition, et refusèrent de s’occuper d’autres objets avant qu’on eût entendu leurs réclamations. Mais les ci-devant privilégiés ne voulaient pas entendre ces demandes; ils insistaient à commencer par d’autres délibérations : les communes pour cette fois ne cédèrent pas; on resta dans l’inaction jusqu’à ce qu’un arrêt du conseil ordonnât aux députés des communes de se retirer devant leurs commettants pour leur demander de nouveaux pouvoirs. Les députés des communes obéirent à cet arrêt ; les ci-devant privilégiés réclamèrent, et rien ne manifeste mieux leurs principes que le mémoire qu’ils adressèrent au Roi. Vous avez entendu, Messieurs, réclamer ici la force des mandats impératifs ; vous avez entendu les magistrats de Bretagne opposer aux députés de cette province les cahiers de leurs sénéchaussées ; eh bien, Messieurs, les ci-devants ordres de l’Eglise et de la noblesse de Bretagne disaient au mois de janvier 1789, et faisaient imprimer que des procurations qui étaient légales ne pouvaient être détruites par des charges, que l’arrêt du conseil jugeait contraires aux lois et aux usages de la province. Ils disaiènt qu’un ordre formel de Sa Majesté eût suffi, que la condui te de l’Ordre du Tiers semblait l’appeler ; que l’Assemblée des Etats avait été convoquée suivant les formes anciennes et constitutionnelles, et que l’harmonie en aurait été troublée dès les premiers instants, par les charges particulières et illégales que les commettants des villes avaient données à leurs députés. Vous voyez, Messieurs, quel était le but de ce système. Des charges contraires aux anciens usages étaient illégales; un ordre formel de Sa Majesté devrait faire passer outre, c’est-à-dire qu’il fallait que le peuple de Bretagne perdit tout espoir de faire réformer les abus qu’on décorait du nom de constitutionnels. Je ne m’appesantirai pas sur une foule d’autres propositions bien plus révoltantes du mémoire de ces deux anciens Ordres. Je ne veux pas abuser de vos moments; permettez-moi seulement, Messieurs, de rappeler qu’ils disaient au Roi : « L’arrêt de votre conseil, Sire, annonce l’intention de concerter avec les nombreux représentants de Bretagne, au milieu des Etats généraux, les moyens les plus propres à assurer pour toujours le bonheur et la tranquillité de cette province. » « Nous devons vous manifester, Sire, les inquiétudes que nous donnent ces expressions. » Ce langage n’a pas besoin de commentaires ; rien ne pouvait convenir à l’aristocratie combinée du haut clergé et de la noblesse de Bretagne, pour le bonheur de cette province ; tout les alarmait s’ils croyaient que leur toute-puissance pourrait éprouver quelque échec. Je vous ai dit, Messieurs, que les députés des communes obéirent à l’arrêt du Conseil. Je dois vous ajouter que les ci-devant privilégiés crurent devoir continuer les séances; et pour donner plus d’éclat à leur zèle pour la constitution, ils gardèrent la salle la nuit comme le jour. Les communes de Bretagne, loin de perdre de vue leurs réclamations, ne s’occupèrent que des moyens d’en assurer le succès. Les corps, les corporations, les généraux des paroisses s’assemblèrent, et prirent des délibérations pour manifester leurs vœux. Tous usaient du droit naturel et imprescriptible des hommes, droit que vous avez consacré par le décret dans la constitution, qui permet aux citoyens de s’assembler et de former des pétitions. L’unanimité d’opinion se manifestait par ces délibérations ; et la force de cette opinion alarma bientôt les privilégiés, qui veillaient jour et nuit dans la salle des Etats. Ils n’avaient pas de moyens d’arrêter l’activité des communes ; mais un arrêt du parlement pouvait l’enchaîner. Il fut sollicité; et ce que vous auriez peine à croire, si je n’en avais la preuve à la main, le parlement de Rennes défendit, par arrêt du 8 janvier 1789, à tous citoyens de former desjassemblées autres que celles autorisées par les ordonnances, arrêtés et règlements; il défendit aux municipalités d’admettre à leurs délibérations aucuns citoyens, que ceux qui, suivant les lois, y avaient entrée et voix délibérative, et cela sous toutes les peines les plus rigoureuses. Cet arrêt excita un murmure général dans les communes, elles n'en continuèrent pas moins leurs assemblées; mais, par suite de système, le parlement décréta les fabriciens des paroisses, et commença l’instruction d’une procédure qu’il a depuis abandonnée. Cet arrêt et cette procédure ne sont pas la seule preuve que je pourrais donner du zèle du parlement de Rennes à servir les intérêts des privilégiés ; mais il n’est pas possible de vous entretenir de tous les détails. L’époque des malheurs de Rennes approchait. Les ci-devant privilégiés avaient fait leur fameuse protestation contre le règlement de convocation de votre Assemblée, leur serment de ne prendre part à aucun changement, et ils avaient déclaré [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 janvier 1790.J 163 infâmes ceux qui ne se croiraient pas liés par ce serment. Les jeunes citoyens de Rennes manifestèrent leur opinion sur là protestation et le serment. Ils rétablirent |es faits altérés, et leur généreuse fermeté donna lieu aux scènes d’horreur des 26 et 27 janvier. Je voudrais, Messieurs, qu’elles pussent être ensevelies dans l’oubli; qu’ou ne pût jamais reprocher à aucun des ci-devant privilégiés de ma province, d’avoir armé ses valets pour assommer de jeunes citoyens, qui n’avaient montré que de la franchise et du patriotisme. Je voudrais qu’on pût oublier que les valets des magistrats du parlement étaient de ce complot. Je voudrais que la conduite tenue par les magistrats dans cet instant de crise n’eût point caractérisé la partialité aveugle qu’on leur a reprochée (1). Je passe rapidement à des faits qui ne me rappellent pas des idées si funestes. Les députés des communes renvoyés devant leurs commettants pour prendre de nouveaux pouvoirs, devaient rentrer le 3 février a l’assemblée des Etats. Ils revenaient de toutes parts, lorsqu’ils apprirent les malheureux événements des 26 et 27 janvier. Ils apprirent, en arrivant à Rennes, que le premier février les ci-devant privilégiés, qui avaient si soigneusement gardé la salle la nuit et le jour, l’avaient abandonnée, et s’étaient retirés après avoir délibéré seuls la prorogation des impôts, un emprunt de 4 millions, et la continuation des pouvoirs des commissaires. Les députés des communes rapportaient les vœux de leurs commettants de persister dans leurs premières réclamations ; et pour éluder ces vœux trop counus, les privilégiés abandonnaient l’assemblée : ils l’abandonnaient sur un ordre donné au nom du Roi par son commandant en Bretagne, lorsqu’ils avaient refusé d’obéir à un arrêt de son conseil. Les députés des communes furent réduits à s’assembler seuls. Je dois vous observer que, par un arrêt provisoire, Sa Majesté avait accordé aux communes le droit de nommer le double du nombre ordinaire de leurs députés. Là les communes de Bretagne déclarèrent d’abord persister dans leurs réclamations du mois de décembre; elles y ajoutèrent la demande particulière de la réformation du parlement de Rennes; enfin elles chargèrent leurs députés en cour de porter au Roi le cahier des demandes et réclamations; et de supplier Sa Majesté de statuer elle-même sur le redressement des griefs du tiers-état de la province de Bretagne, sans exiger de lui qu'il les présente de nouveau aux deux autres Ordres , dont le refus d'en délibérer et l’intention même de ne (1) M. de Frondeville, magistrat du parlement de Rouen, a fait imprimer qu’il ne s’était pas occupé de répondre aux déclamations faites contre le parlement et les ci-devant premiers ordres, qu’il est reçu d’accuser sans preuves, de prouver sans témoins, de rappeler les fautes et oublier les services. Je réponds que, dans leur séance du mois de février 1789, tous les députés des communes de Bretagne, reconnaissant la vérité des faits, en instruisirent la province par une lettre commune. J’ajoute que j’ai été témoin oculaire, et je ne crains pas que les gens bien instruits traitent de déclamations ce que j’ai rappelé avec tant de modération, ce que je suisehargé de soutenir par le mandat de ma sénéchaussée, conforme, en ce point, à ceux de plusieurs autres sénéchaussées de la province . jamais les entendre, sont constatés d’une manière non équivoque. Tel était le langage des députés des communes de Bretagne au mois de février 1789, Et vous voyez, Messieurs, que les Etats de Bretagne ne pouvaient plus être juges de la contestation. C’est dans cet état, et le 16 mars 1789, que les lettres de convocation à l’Assemblée nationale sont adressées en Bretagne; et dans ces lettres, le Roi déclare qu'il réserve aux Etats et a tous les Ordres de Bretagne, la faculté de faire valoir aux Etats généraux leurs titres et leurs prétentions. Sa Majesté ajoute qu’elle prévoit que bientôt éclairée par les lumières de cette assemblée, elle ne craindra plus de se méprendre dans la recherche de la justice . Nos commettants, Messieurs, s’en étant rapportés à la justice du Roi, pouvaient-ils refuser le jugement de l’Assemblée de la nation? Non, Messieurs, et ils nous ont envoyés avec confiance vers vous. Mais on vous a dit, Messieurs, que nos cahiers sont la censure de notre conduite; que nos cahiers et surtout celui de Rennes, dont j’ai l’honneur d’être député, ont tracé la route suivie par les magistrats de Rennes. Permettez, Messieurs, que je vous parle à mon tour de mes cahiers. Je lis, à la page 74, qu’il ne pourra être révoqué en doute que les réclamations particulières du tiers-état de Bretagne, consignées dans le cahier arrêté du 22 au 27 décembre, en vain présenté aux Etats de la province au mois de janvier, et dont les deux Ordres privilégiés ne voulureut pas même entendre la lecture, ne soient vraiment l’expression du vœu général du peuple. On . y lit que rassemblée déclare adhérer aux arrêtés et délibérations de l’Ordre du tiers, contenus dans le procès-verbal de ses séances du 14 au 21 février dernier. Enfin, Messieurs, l’assemblée charge ses députés aux prochains Etats généraux de solliciter avec confiance la justice qu’elle doit attendre sur tous les points. Il est vrai que cette même assemblée nous a chargés de veiller à la conservation des droits et franchises de notre province ; mais cet ordre est immédiatement suivi de l’ordre de consentir à statuer tout ce qui peut concerner les besoins de l’Etat, la réforme des abus, l’établissement d’un ordre fixe, durable, etc. Où pourrious-nous, Messieurs, mieux voir les abus dont nos concitoyens demandaient la réforme, que dans les exposés qu’ils en avaient faits eux-mêmes? Veuillez bien vous rappeler ces arrêtés du 22 au 27 décembre, ces délibérations prises par les députés des communes de Bretagne, assemblés au mois de février. Je vous ai dit, Messieurs, qu’un des principaux chefs de demande était une nouvelle formation du parlement. Gomment donc aurions-nous contrarié nos mandats, lorsque nous avons délibéré avec vous une disposition provisoire sur le sort de cette cour? Ainsi, dans les termes mêmes de nos mandats, nons n’avons fait que ce que nous pouvions, que ce que nous devions faire. Aussi, Messieurs, avez-vous entendu, dans les adresses dont on vous a rendu compte, plusieurs adresses des villes de Bretagne, qui réclament hautement contre la conduite des magistrats de Rennes (1). (1) Ce n’est pas la seule preuve d’adhésion des Bretons' aux décrets de l’Assemblée. On connaît un très- 164 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il janvier 1790.] Le résultat des faits dont je vous ai rendu compte est facile à saisir. Nobles, gens d’église et parlementaires voulaient, comme les communes, une assemblée générale de la nation, tant qu’ils ont cru qu’elle pouvait servir à augmenter leur pouvoir aux dépens du gouvernement, et à river les fers de l’oppression sous laquelle gémissait le peuple. Le Roi a-t-il manifesté le désir de commander à des hommes libres? les ci-devant privilégiés ont réuni leurs efforts pour enlever ce bienfait au peuple de Bretagne. Les représentants de ce peuple ont porté ses réclamations au pied du trône; le Roi vous en a renvoyé le jugement. Les députés des communes de Bretagne sont venus avec confiance parmi vous ; ils se sont occupés avec vous de la réforme des abus qu’ils avaient à vous dénoncer ; et à peine avez-vous ordonné une disposition provisoire contre le parlement de Rennes, que la chambre des vacations s’élève contre cette disposition, invoque la conscience et l’honneur, les franchises et les privilèges de la province, et voudrait nous renvoyer faire prononcer sur nos réclamations devant des Etats qui ont refusé, non-seulement de nous rendre justice, mais même d’entendre les réclamations d’une évidence la plus frappante. Quoi, Messieurs, il ne pourrait être fait de changement dans l’ordre ancien de Bretagne sans le consentement des Etats de cette province? c’est ce que vous ont dit les magistrats de Rennes. Mais les ci-devant privilégiés étaient moins exigeants ; et lorsqu’ils avaient fait serment de ne souffrir aucun changement, ils avouaient qu’ils n’étaient pas juges des communes de Bretagne, et que les trois Ordres égaux en pouvoir , ne reconnaissaient d’autorité au-dessus d’eux que les règlements et la protection que leur doit l’autorité royale. Si, de l’aveu des ci-devant privilégiés, les premiers Ordres ne pouvaient être juges du troisième; si l’autorité royale était le recours commun ; si les communes de Bretagne l’ont implorée, et sont Tenues par ordre du Roi vous porter leurs réclamations ; si leurs députés ont suivi en cela le vœu de leurs commettants, n’est-il pas étrange que la chambre des vacations de Rennes ait tenu le langage que vous avez entendu? Vous ne croirez donc pas. Messieurs, que nous ayons dans nos cahiers des clauses qui eussent dû vous empêcher de prononcer sur le sort du parlement de Rennes; vous ne croirez pas qu’il al lût des Etats de Bretagne, légalement assemblés, c’est-à-dire dans la forme abusive contre aquelle nous avions jusqu’ici inutilement réclamé, pour autoriser la chambre des vacations à se soumettre à vos décrets sanctionnés par le Roi? Ce n’est pas la faute des communes de Bretagne, si les ci-devant privilégiés n’ont pas leurs députés dans cette Assemblée, s’ils se sont liés par un serment indiscret, et si leur indiscrétion nous a privés des lumières dont ils auraient pu nous aider. grand nombre d’autres adresses venues de cette province, qui expriment l’adhésion de ses habitants. Il n’y a peut-être pas une seule ville, un seul bourg considérable en Bretagne, qui n’ait signalé, par divers actes, son entière adhésion. On sait aussi qu’ils ont partout formé des milices nationales au moment où on eut des inquiétudes sur le sort de l’Assemblée, et cette adhésion de fait prouve leur désir de voir établir la nouvelle constitution. \ Leur absence n’ayant aucun motif raisonnable, et ayant été convoqués comme nous, la province entière doit être censée complètement représentée, et rien ne peut nous priver de l’espoir que le Roi nous donnait par ses lettres de convocation, de concener ici les moyens les plus propres h assurer pour toujours le bonheur et la tranquillité de la province. Tout nous fait espérer, Messieurs, que nous atteindrons à ce but, et que la Bretagne, en abandonnant quelques anciens usages pour partager avec la France les fruits heureux de la liberté, n’aura qu’à s’applaudir des travaux de cette Assemblée. On ne parlera plus de nos privilèges et de nos franchises, que pour faire voir qu'ils étaient bien peu de chose en comparaison des droits dont la nation entière a recouvré l’exercice. La Bretagne ne craindra pas de partager des impôts qui auront été jugés nécessaires dans l’Assemblée générale de la nation, et ordonnés pour les besoins communs (1); elle se soumettra sans peine à des lois faites pour le bonheur de toute la France, et à la formation desquelles elle aura concouru; enfin, elle adoptera avec empressement une administration choisie par ses représentants, et par ceux de la France entière, comme la plus propre à maintenir les droits et la liberté des citoyens. Par là, les communes de Bretagne verront leurs réclamations décidées, et jamais elles n’auraient consenti à en faire juges des privilégiés qui n’avaient pas seulement voulu les entendre. Jamais opinion ne fut donc plus fausse que celle des magistrats de Rennes, qui ont cru ne pouvoir enregistrer sans le consentement des Etats. Les conséquences d’une pareille opinion sont si sensibles, qu’elles n’ont pas besoin de vous être présentées. Vous voyez, Messieurs, que toujours dépendantes des deux Ordres p ri vm ô dans l’oppression, les communes n’auraient jamais l’espérance d’en sortir. Les magistrats de Rennes pouvaient-ils donc croire de leur devoir de retenir les com munes de Bretagne dans de pareils fers ? . . C’est là, Messieurs, ce que peuvent produire les préjugés et l’intérêt. Les magistrats de Rennes, tous nobles bretons, partagent évidemment les sentiments des autres nobles de cette province. Je laisse à votre sagesse le choix des moyens de les convaincre les uns et les autres de la nécessité de reconnaître pour loi la volonté générale, et de se soumettre aux décrets que vous avez prononcés et que le Roi a sanctionnés. Plusieurs voix demandent la clôture de la discussion. M. Lanjuinais. Je m’oppose à la clôture de la discussion et je demande à établir des vérités décisives qui n’ont pab encore été indiquées. J’offre de prouver : 1° Que la province et les Etats de Bretagne ont toujours reconnu, depuis l’union de 1532, les décisions des Etats généraux du royaume approuvées par le Roi ; (1) ün cherche à faire craindre aux Bretons le doublement de leurs impôts, et les ci-devant privilégiés. accréditent ces fausses insinuations, afin d’exciter le peuple contre une révolution désormais assurée, et dont le premier bienfait est de les obliger à payer comme les autres citoyens. Nous devons croire, d’après les hommes les plus habiles en finances et d’après les réformes faites ou projetées, que la masse des contributions des provinces ne sera pas augmentée.