(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790. 278 contre la même valeur d’assignats actuellement en circulation ; et le reste des petits assignats sera distribué pour te payement des diverses créances, et réparti sur toute l’étendue de ce payement; 3* Qu’à la susdite époque du 15 décembre prochain, i’intérêtattaché aux 400 millions d’assignats actuels cessera d’avoir lieu, et que l’intérêt échu jusqu’alors soit acquitté, par la caisse de l’extraordinaire, aux porteurs de ces billets dont les coupons seront retranchés ; 4° Que la vente de la totalité des domaines nationaux soit ouverte le 15 octobre, et que les enchères en soient reçues dans tous les districts; 5° Que les asÉgnats et l’argent soient admis également en paiement pour l’acquisition desdits domaines; que l’argent qui sera reçu serve à éteindre une somme égaie d’assignats; 6° Que le comité des finances soit chargé de dresser une instruction et un projet de décret pour fixer ces différentes opérations, et les mettre en activité le plus tôt possible, comme aussi de présenter à l’Assemblée nationale le pian de formation d’un bureau particulier, qui serait chargé de la direction de tout ce qui concerne la dette publique. Voix nombreuses : L’impression 1 (L’impression du discours de M. de Mirabeau est ordonnée.) M. le Président. Il m’a été remis deux lettres, l’une detM. dePeynier, l’autre de M. de La Luzerne ; elles sont relatives aux colonies. Le ministre demande que l’Assemblée s’occupe promptement de différents objets énoncés dans sa lettre. Je pense que l’Assemblée jugera à propos d’entendre la lecture de ces pièces, pour les renvoyer ensuite à tel comité qu’elle croira convenable. Par la première de ces lettres, M. de Peynier annonce que le décret du 8 mai avait d'abord été reçu,avec allégresse par les assemblées paroissiales comme un bienfait de la mère-patrie; que rassemblée coloniale avait paru y adhérer, afin de mieux fasciner les yeux ; mais que bientôt, par des actes sans nombre, elle a usurpé la souveraineté. M. de Peynier rapporte qu’il a pris tous les moyens pour réunir les colons à la même opinion, qu’il a fait tous les sacrifices personnels qu’il a cru nécessaires pour ramener la paix et que sa conduite a arraché des éloges à ceux mêmes qui s’efforçaient de le rendre odieux. Cependant le désordre augmente; encore un moment, et la moitié de la colonie pouvait être égorgée par l’autre. M. de Peynier, informé dans la soirée du 29 juillet que le comité de l’ouest tenait une assemblée nocturne, et convaincu de la nécessité de dissoudre cette assemblée, a donné ordre à M. de Mauduit de faire mai cher un détachement vers le lieu où cette assemblée tenait ses séances. Beaucoup de citoyens s’étaient réunis aux troupes par hasard, ou par l’effet d’une conspiration ; la garde du comité était quadruplée, et la maison remplie d’hommes armes. On a répondu à la sommation de M. de Mauduit par une décharge d’artillerie. Trois des soldats qui s’étaient avancés avec cet officier ont été tués; les troupes ont tire, et la perte des personnes qui étaient dans la maison a été plus considérable. (Un de MM. les secrétaires lit la lettre de M. de La Luzerne.) M. de Cocherel. 11 est juste d’attendre pour prononcer que les députés envoyés de Saint-Domingue soient entendus. M. Barnavc. L’affaire de Saint-Domingue se divise en deux parties : 1° les mesures indispensables et pressantes pour porter, la paix dans la colonie et pour tranquilliser les nombreux citoyens, qui, après avoir prouvé leur patriotisme, ne peuvent pas attendre longtemps notre appui; 2° le parti à prendre relativement à la ci-devant assemblée coloniale de Saint-Marc. La première partie est extrêmement pressante. Nous n’avons as besoin d’entendre les députés du Port-au-rince ; le comité a toutes les lumières nécessaires. Quant à la seconde, on les entendra avant de les juger, avant de prononcer les peines qu’ils ont encourues. Il ne faut pas différer à rétablir l’ordre. L’humanité, la stricte justice exigent seulement que vous entendiez les motifs de la conduite des membres de la ci-devant assemblée coloniale, pour juger si ses fautes ont été l’effet d’illusions fâcheuses et non de projets coupables ; mais l’humanité exige également que vous rétablissiez le bon ordre, et que vous rassuriez la tranquillité de ceux qui ont multiplié leurs efforts pour empêcher qu’elle ne fût troublée. La justice demande que vous leur donniez des éloges ; vous verrez que les lettres, que les actes de M. de Peynier sont également remplis de fermeté et dupatriotismedont il adonnél’exemple. Je prie donc l’Assemblée de décider qu’immédia-tement après avoir entendu les députés du Port-au-Prince, elle prendra un parti sur ce dernier objet, et qu’il n’y a pas lieu à délibérer quant à présent. (L’Assemblée décrète que jeudi prochain au soir les députés du Port-au-Priace seront reçus, et ordonne le renvoi des pièces au comité colonial.) (La séance est levée à quatre heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DD 27 SEPTEMBRE 1790. Opinion �Stanislas de Clermont-Tonnerre, dans la question des Assignats (1). Messieurs, la discussion est avancée, les questions sont posées, et les divers systèmes se sont assez longtemps combattus pour que l’homme attentif et sans préjugés puisse maintenant distinguer celles des raisons ou des objections qui n’oat pas été détruites ou affaiblies dans le cours de cette lutte intéressante. Il n'est cependant pas devenu beaucoup plus facile d’adopter une opinion décisive ; il existe encore, tant dans la nature des choses que par l’empire des circonstances, une multitude de difficultés que redoute l’homrqe de bonne foi, l’homme dont les yeux ne voyent que le bien public, dont les pas ne tendent qu’à ce but, et qui n’est intéressé par aucune considération étrangère, à préférer telle ou telle route parmi celles qu’on lui présente. (1) Depuis quatre jours, je n’ai pu obtenir la parole dans cette importante question; je soumets à l’Assemblée mon opinion et mon projet de décret. ( Note de Jtf. de Clermont-Tonnerre.) 276 » {Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.) La discussion est renfermée dans un petit nombre de questions. Décréterez-vous une émission de 2,400 millions d'assignats, pour Je payement de ce qu’on appelle la dette exigible? Acquitterez-vous la dette exigible par des quittances de finance? Admettrez-vous les titres de la dette constituée et ceux de la dette exigible à être directement échangés contre les biens déclarés nationaux ? Adopterez-vous quelques-uns des partis mitoyens qui peuvent résulter de la combinaison des différentes systèmes principaux? • Ges questions peuvent elles-mêmes se résoudre par d’autres. Parcourons d’abord rapidement les difficultés ou les avantages dont chacun de ces systèmes nous paraît environné. Les partisans des assignats vous présentent le tableau satisfaisant de la régénération de nos finances, de la renaissance du crédit, des manufactures, de l’agriculture, du commerce ; ils y voient un véritable numéraire, en faisant toutes les fonctions, influant et sur le prix des denrées, et sur le prix des salaires, et sur la rapidité des échanges : ils voyent enfin l’avantage inappréciable d’avoir payé la dette publique, d’être déchargé des intérêts et de jouir encore du revenu total ou partiel des biens nationaux jusqu'à ce ue les ventes des diverses parties de ce gage e la dette publique soient définitivement consommées. Nul doute dans leur système sur la valeur qu’auront les assignats ; ils ne sont point un papier-monnaie puisqu’ils ont une hypothèque; ils ne doivent perdre, puisque la valeur des hypothèques est égale à la somme des assignats; iis ne peuvent pas surcharger la circulation, car le trop-plein sera sans cesse absorbé par les ventes ; ou ces ventes seront lentes et successives, et alors il sera évident, non seulement que les assignats ne perdent pas et n’embarrassent pas la circulation, mais encore que le public les préfère à l’objet dont ils sont le signe, ou bien les ventes seront rapides, et alors elles se feront à un haut prix par le concours des assignats, et alors vous serez parvenus promptement à l’aliénation des biens déclarés nationaux, aliénation qui rend la Révolution solide et la Constitution inattaquable. L’expérience est aqssi invoquée par les partisans des assignats ; aucun mauvais effet n’a suivi la première émission que vous en avez ordonnée ; le numéraire n’est ni plus, ni moins rare, et les échanges se consomment plus facilement sans lui. Le prix de l’escompte est peu ou point augmenté, et l’on vous observe qu’il ne faut pas comparer l’assignat avec l’argent, qui est une véritable marchandise devenue plus ou moins rare pour des causes étrangères aux assignats, mais avec le papier, lettre de change, mais avec les objets mobiliers et immobiliers qui ne seraient plus en vente, ou don t valeur serait haussée si l’assignat perdait contre eux. On vous dit que si les heureux effets des assignats ne sont pas encore étendus aux classes les moins riches de la société, c’est uniquement parce que n’en ayant pas décrété au-dessous de 200 livres, vous ne les avez pas rendus aussi favorables au commerce de détail, qu’ils peuvent bientôt le devenir en les décrétant à plus petites sommes; à l’appui de cette mesure, on vous présente la possibilité d'établir une échelle entre fassiguat le plus haut et la plus petite monnaie, en échangeant, dans des caisses que le patriotisme créera, l’assignat de 50 livres contre celui de 36 livres et 14 livres; celui de 36 livres, contre l’assignat de 25 livres et 11 livres; et celui de 25 livres contre des espèces monnayées ; de cette manière, l’argeDt devenu moins nécessaire deviendra nécessairement moins rare, et l’ouvrier ou Je pauvre cultivateur dont les salaires ou les ventes s’élèvent qu’à de petites sommes, jouiront de l’avantage des assignats. Enfin, et l’on insiste sur cette raison, quel que soit le sort des assignats en finance, ils auront au moins en politique, l’avantage inappréciable d’attacher tous les individus pour leurs intérêts à la Révolution présente ; il n’y aura personne qui ne voie qu’un, changement dans notre système politique doit entraîner le inversement de sa fortune particulière, doit livrer le porteur d’assignats à la plus horrible misère, doit appeler sur chacun de nous des maux infiniment plus effrayants que ceux dont peuvent se plaindre les victimes de nos réformes, et cette opinion, généralement répandue, doit donner autant d’apôtres à la Révolution, qu’il y aura d’hommes que pourra atteindre le discrédit des assignats. G’est ayec cette masse de raisons que les partisans des assignats vous présentent leur système ; quelqu’un d’eux ajoute que l’on ne peut pas le combattre sans être ennemi de la Révolution française; mais ils me pardonneront sans doute de ne pas insister sur ce raisonnement, qui n’est, en définitive, qu’une injure, de ne rien opposer a cette arme, qui ne blesse que celui qui l’emploie, mais qui ne produit aucun effet sur l’homme sûr de ses principes et qui pourrait tout au plus produire, dans l’homme qui aurait plus de caractère que de raison, une sorte de ténacité dans des opinions qui auraient peut-être cédé à des raisonnements plus justes, ou à des procédés plus honnêtes. le passe aux objections que l’on oppose à ce système. — Les assignats, dit-on, sont destinés à la double fonction d'obligation hypothéquée sur un bien-fonds, et de monnaie circulante sous la sauvegarde de la loi: comme papier hypothéqué, ils ont une valeur, et eD raison de cette valeur, ils ont un usage comme monnaie; sous ces deux points de vite, et pour ces deux causes, ils doivent être discrédités. Comme monnaie, ils ont d’abord à l’égard de l’argent une infériorité réelle, car l’argent est en même temps monnaie et marchandises, et les assignats ne sont évidemment que monnaie : la valeur de l’argent lui est inhérente, et n’en peut être détachée ni par le fait, ni par l’imagination; la valeur de l’assignat en est séparée par le fait, puisqu’il y aura des formalités, une concurrence, des ventes, avant que le signe puisse être réalisé, et l'on sent combien l’opinion peut ajouter encore à la distance réelle qui sépare l’assignat de sa valeur. Gomme monnaie, il est encore inférieur à la valeur des objets d’achats ou d’échanges ; en effet, la balance de la monnaie aux marchandises n’est réglée que par le nombre des signes monétaires: s’il y a deux milliards en circulation, et qu’il n’y ait qu’une même quantité de productions ou marchandises, que lorsqu’il n’y avait qu’un milliard en circulation, il est évident que l’objet payé précédemment dix sols s’élèvera au prix d’une livre; d’où l’on conclut que deux millions d’assignats, ajoutés à la circulation, présentent une augmentation de valeur, et l’on vous dit que ce n’est pas payer vos dettes que de les acquitter avec une monnaie qui est évidemment inférieure à celle que vous ont donnée vos créan- (Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.] 277 ciers. Si l’on prétend opposer à ces causes du discrédit la valeur réelle des assignats, leurs adversaires répondent qu’il suffit de les suivre dans la circulation pour apercevoir une nouvelle cause de discrédit, et une nouvelle immoralité dans l’ensemble de ce système ; il est clair que la loi ne pouvant rien sur les conventions libres, l’assignat aura sa valeur légale du créancier au débiteur, et sa valeur réelle du consommateur au marchand : ce qui veut dire, en d’autres termes, que la totalité de ceux qui doivent feront à la totalité Je ceux à qui il est dû une banqueroute équivalente à la somme de cette différence. On ajoute que cette opération démontrée injuste, sera encore désavantageuse à la balance du commerce. Si le commerce n’était qu’intérieur, il serait entravé par une monnaie dont la valeur doit nécessairement varier ; il y aura de l’incertitude dans les marchés à terme, parce que l’homme qui ne doit être payé qu’à 21 mois de date ne peut établir aucune spéculation certaine, si des causes étrangères à lui peuvent à cette époque augmenter ou diminuer de 3, 4 ou 10 0/0 la valeur au signe monétaire avec lequel on le payera ; cette considération fera participer plus ou moins de la nature du jeu sur les fonds toutes les conventions à terme. Pour éviter cet inconvénient, il faudrait prendre l’argent pour base des conventions ; mais alors l’assignat n’est plus la véritable monnaie, puisqu’on en recevra plus ou moins pour une même valeur, selon le rapport où ils se trouveront avec la véritable monnaie, lors de l’échéance du payement. Transportez ces inconvénients dans toutes les conventions du commerce extérieur, et vous verrez le négociant français payé et payant en assignats, mais supportant seul, en définitive, la différence du papier, supportant aussi la diminution qu’apportera dans son commerce, la méfiance de l’étranger, méfiance qui restreindra nécessairement nos opérations mercantiles à celles dont la solde pourra être placée par retours dans le commerce même de France ; vous verrez, dit-on, le commerce ainsi contrarié dans toutes ses opérations, et ce qui est toujours la honte d’une loi, vous verrez la bonne foi lutter contre elle ; et quand la loi aura dit : cet assignat vaut 200 livres , l’honnête homme sera forcé de dire contre la loi : cet assignat vaut pour moi 10 livres de moinsî On se refuse aux conséquences que l’on voudrait tirer en faveur d’une nouvelle émission d’assignats, du bon effet qu’ont produit les 400 millions décrétés; on convient qu’il y a en» core une grande quantité d’objets, tant mobiliers qu’immobiliers, que les propriétaires veulent vendre et dont ils offrent l’échange, même contre des assignats; mais on nie que ce fait ait aucun rapport à la question; on trouve, dans la crise violente qu’a éprouvée l'Empire français, dans les défiances, dans les émigrations, dans le dérangement des fortunes, des causes plus que suffisantes de la richesse désastreuse de nos marchés: on compte, parmi cette affluence de vendeurs, beaucoup de gens qui ne vendent que pour s’acquitter, quelques-uns pour s’expatrier, et tous n’acceptant des assignats que parce qu’il n’y a que des assignats, et que leurs créanciers ou leurs craintes les forcent à préférer même une perte à leur état actuel. Qu’est-ce, vous dit-on d’ailleurs, que 400 millions d’assignats, dont vous avez payé les dépenses de l’année, qui se sont répandues parmi des créanciers déjà ruinés par une longue attente, auxquels vous avez attaché un intérêt de 3 0/0, qui, outre, pour cet intérêt, perdent 5 1/4 contre l’argent, et contre lesquels oq n’échange à perte des objets, que l’on ne veut ou ne peut pas garder, que dans l’espérance et avec le projet de leuréehanger bientôt eux-mêmes contre le peu d’argent que les agents du numéraire souffrent encore sur la place. Etendre aux classes moins aisées l’émission des assignats, en en créant de la valeur de 50 livres, 36 livres et 25 livres, c’est, dit-on, consommer la ruine entière du pauvre, car l’assignat perdant contre l’argent, le déchet sera supporté par celui qui a besoin d’argent, et alors il n’y aura que le pauvre qui ait besoin d’argent, puisque tous les marchés considérables se feront avec du papier; c’est faire disparaître tout à fait le peu d’argent que la nécessité mit en circulation, c’est opérer promptement un changement dans le prix du pain , puisque le setier de blé sera payé dans une monnaie vacillante et dont les variations influeront nécessairement d’un jour à l’autre sur le pain dont il est la matière première. Et qu’on ne dise pas que, si le pain est plus cher, les salaires augmenteront dans une proportion égale ; cela est vrai d’une augmentation graduelle, cela ne l’est pas d’une augmentation subite. On emploiera moins l’ouvrier de luxe, on fera faire moins d’ouvrages de tous les genres; si le salaire veut exiger une augmentation soudaine, alors ceux qui n’auront plus d’ouvrage tomberont à la charge de la société ou la troubleront, et l’on ne pourra, sans injustice, les punir du mal qu’on leur aura fait. Si l’on prétend trouver un remède à ces maux par l’établissement des banques destinées à l’échange des petits assignats, on voit dans ce remède un nouvel inconvénient; ces établissements seront dispendieux, ils seront même dangereux pour ceux qui les auront faits; ces hommes aisés qui, par esprit de patriotisme, achèteront à perte de l’argent qu’ils donneront au pair pour l’assignat, seront exposés à toutes les méfiances de la multitude, leurs opérations seront désignées par la malveillance comme des accaparements criminels, et on ne peut compter sur la durée d’un établissement que tant de dangers environnent. Enfin, par l’émission de 2,400 millions d’assignats, on obstrue la circulation réelle pour lui substituer une circulation forcée et illusoire, on fait banqueroute même à ceux à qui l’Etat ne doit rien ; cette opération est, en politique, en finance et en morale, le rêve le moins admissible; elle ne précipitera même la vente des biens nationaux que dans le cas où, tombés dans un discrédit funeste* ayant laissé partout des traces désastreuses de leur passage, repoussés aussi vite que reçus par les créanciers auxquels la loi les présente, accumulés dans les mains de l’homme qui ne doit rien à personne, ils se précipiteront enfin à la vente de ces immeubles qui peut-être ne conviendront point aux acquéreurs, mais qu’il faudra bien qu’ils achètent pour n’être pas ruinés. Voilà, Messieurs, les objections que l’on oppose à l’émission des assignats, elles en balancent au moins les avantages; l’esprit, fatigué de ces incertitudes, voudrait trouver un système qui lui offrît moins de dangers : on craint lorsqu’il s’agi de se dire par un seul décret , par une seule mesure, nous parvenons au plus haut degré de la richesse, ou nous tombons dans les abîmes de la misère. Quelles que soient les raisons de part et d’autre 278 lAwemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 127 septembre 1790.] un sentiment de défiance leur survit; on se bornerait à moins de biens pour éviter des maux aussi grands, et on se reporte volontiers dans un autre ordre d’idées, et on examine avec plaisir des propositions peut-être moins fastueuses, mais dans lesquelles une erreur n’est du moins pas punie par la mort. Telle est peut-être l’idée des quittances de finance, et nous allons l’examiner. Pour liquider la dette exigible, on vous propose d’en convertir tous les titres en un papier hypothéqué sur les biens nationaux, nommé quittance de finance ; on veut qu’il ne soit pas monnaie, et qu’uniquement destiné à l’acquisition des biens territoriaux qu’il représente, il porte seulement l’intérêt légal, dont une partie même sera réservée, pour en être tenu compte sur le prix de la vente, lorsque la quittance de finance sera appliquée à son véritable usage. On vous dit, à l’appui de ce système, que le droit de votre créancier est évidemment respecté, puisque vous lui mettez entre les mains, puisque vous lui livrez véritablement le gage même de sa créance ; que sa jouissance d’intérêt est aussi scrupuleusement maintenue, puisque même après lui avoir assuré le gage, vous lui en payez l’intérêt, jusqu’au moment où il aura pu ou voulu s’en saisir en consommant l’acquisition. On ajoute que ce moyen économise véritablement plusieurs millions sur les intérêts actuels, et sans avoir l’inconvénient des assignats qui, par cela même une émission monnaie augmente nécessairement les prix et les salaires de tout genre, ajouteront plus à la dépense annuelle des départements, qu’ils ne pourront la soulager par une diminution d’intérêt. On remarque que, s’il est vrai, comme on le soutient dans l’autre système, qu’il faille une augmentation de signes monétaires lorsqu’il y a une augmentation de capitaux, ce but est parfaitement rempli par les quittances de fi-nance, avec cette différence, tout entière à leur avantage, qu’elles ne seront que le signe de ce qu’elles représentent et qu’elles ne bouleverseront pas les fortunes comme les assignats, qui, n’étant naturellement que le signe d'un immeuble et devenu forcément par la loi le signe de toutes les denrées, auraient tous les dangers, tous les inconvénients attachés à une double fonction dont l’une est évidemment usurpée. Enfin, repoussant le terrible argument dont on appuie les assignats, on soutient que les quittances de finance feront plus de proséfites à la Révolution que les assignats ne pourront lui en faire : l'on observe qu’elles feront des prosélytes dans une classe et parmi des hommes où il n’est pas indifférent que ses apôtres soient nombreux. On nie même que le porteur d’assignats soit nécessairement intéressé à ce que la Révolution se consomme, si laconliance la plus absolue n’environne pas ce papier, ceux qui craignent d’en être surchargés ne seront-ils pas aussi prêts de la tentation de s’opposer à son cours, que du désir de les soutenir au pair, ce dont ils n’auront souvent ni l’espérance, ni les moyens : les mécontents des assignats ne trouveront-ils pas des auxiliaires dangereux, dans cette multitude d’hommes peu éclairés, qui se sont aujourd’hui passionnés pour ce système sans l’entendre, et qui se passionneront contre lui lorsqu’ils l’entendront à moitié? D'ailleurs quiveut-qn convertir à la Révolution? Le peuple? il l’est : il ne s’agit que d’empêcher qu’on ne l’égare. Les riches, ceux qui sont mal intentionnés, vendront les assignats à perte, auront de l’argent et l’enfouiront ou l’emporteront. Les assignats ne produiront donc pas cet effet ; les quittances de finance, au contraire, hypothéquées sur la vente des biens nationaux, qui ne sont rien si elles ne se vendent pas, tandis que l’assignat serait encore quelque chose quand la vente n’aurait plus lieu; les quittances de finance qui, données en remboursement aux possesseurs d’office, et à tant d’autres dont la position luttait contre leur patriotisme, attachant évidemment leur fortune à la consommation des ventes domanial* s, les intéressent directement à ce qu’elles s’effectuent et fortifient doublement la Révolution, en lui associant par l’intérêt ceux môme que l’intérêt en éloignait précédemment ; enfin il y aura toujours, dit-on, cette différence en dernière analyse, entre le porteur d’assignats, et le porteur de quittances de finance, en les supposant tous deux mécontents, que le premier ne pourra jamais irriter le peuple pour un intérêt qui lui sera totalement indifférent. Tels sont les avantages que présente le système des quittances de finance, système si courageusement soutenu par M. Dupont, et par plusieurs honorables membres ; on sera peut-être étonné de me voirhonorerdu nom découragé, l’accomplissement strict du devoir ; mais ce qui est arrivé à M. Dupont, m’autorise à me servir de cette expression; il est affreux qu’un bon citoyen soit insulté, menacé par des hommes attroupés à la porte de notre Assemblée. Que le peuple ouvre enfin les yeux sur cette exécrable menée qui déshonore son caractère, et le feront calomnier dans toute l’Europe ; que les hommes coupables ou insensés, qui tiennent Jes fils de ce ressort, cessent enfin d’indigner les bons citoyens, ou qu’avouant la tyrannie, ils se nomment et nous montrent nos ennemis, alors le peuple, dont leurs vils agents usurpent le nom, leur prouvera s’il les avoue. Voyons maintenant les objections qu’on oppose à ce système. On soutient que ce mode de liquidation est ruineux pour le créancier, et par cela même de la plus haute in justice ; en effet, plusieurs créanciers ne peuvent pas acheter les biens domaniaux, étant eux-mêmes débiteurs, soit d’une somme totale, soit de diverses sommes à différents particuliers, ils ne peuvent se libérer qu’avec un numéraire effectif ou légal, et la quittance de finance n’étant point un numéraire, ils ne peuvent en acquérir qu’en les vendant à perte, et à une perte d’autant plus considérable, que la nécessité absolue les mettra tout à fait entre les mains des acquéreurs de leurs titres. On observe, à l’appui de cette assertion, que plusieurs des dettes que peuvent avoir les créanciers de l’Etat étant hypothéquées sur les charges ou offices qu'ils possèdent actuellement, deviendront subitement exigibles par ce prétendu remboursement; et on conclut que c’est véritablement les spolier que de les livrer à leurs créanciers sans moyens pour les acquitter. La perte, démontrée énorme pour les créanciers débiteurs, ne le sera pas moins, dit-on, pour ceux des créanciers de l’Etat qui voudraient employer leurs quittances de finance à l’acquisition des biens nationaux. Ils trouveront, en effet, une concurrence désespérante dans les porteurs de quittances de finance achetées à vil prix des créanciers débiteurs : le discrédit de ce genre de titre deviendrait donc général, et, vous dit-on, ce n’est pas payer ses créanciers que de leur livrer un titre qui porte en lui-même les sources et les causes certaines d’une forte diminution de valeur. Ces objections, Messieurs, vous empêcheront peut-être d’adopter exclusivement la mesuré des quittances de finance. 279 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PAR Passons au système présenté par M. l’évêque d’Autun. Admettre la dette exigible et la dette constituée à l’acquisition des biens nationaux, c’est sans doute assurer la vente de ceux-ci en multipliant les acquéreurs; c’est par une seule et grande opération livrer le gage de la dette à tons ceux qui peuvent y avoir droit ; c’est établir une concurrence tellement effrayante pour les créanciers , que les biens domaniaux disparaîtront avec une extrême promptitude ; ces avantages sont incontestables. Mais on oppose à ce système des arguments qui en attaquent la moralité : on dit que la somme des créances étant supérieure à la valeur du gage, il est évident que la dette ne sera pas payée, que la crainte de se trouver en retard forcera les créanciers à porter les biens en vente à un taux extraordinairement élevé ; ce qui, en d’autres termes, signifie que leurs titres perdront beaucoup de leur valeur, et cette perte, vous dit-on, est une véritable faillite ; enfin, en plaçant sur la même ligne la dette exigible et la dette constituée, on commet une véritable injustice; car ces deux espèces de titres sont évidemment différentes. On doit un capital à l’un, et on ne le doit plus à l’autre : il n’est qu’un état de banqueroute dans lequel des titres aussi divers puissent être assimilés par une perte commune ; mais dans une liquidation complète et juste, ces titres doivent être classés chacun à sa véritable place. Tel est, Messieurs, l’aspect des différents systèmes qui partagent les opinions ; aucun d’eux n’est sans avantages, aucun d’eux n'est sans dangers ; mais peut-être peut-il naître de leurs sages combinaisons un moyen d’en obtenir le bien sans en éprouver le mal ; un moyen de liquider votre dette, de vérifier votre commerce, d’aliéner vos capitaux et de faire justice à tout le monde ; je dis : justice, et justice exacte, car sans elle, il n’est ni véritable liquidation, ni véritable prospérité, ni révolution durable. II m’a paru que ces divers avantages se trouvaient réunis dans un plan créé par l’un des hommes qui s’est le plus occupé de finance, qui a acquis une grande expérience dans cette partie, M. Mahy de Gormeré, dont une grande calamité particulière n’a pas ralenti le zèle pour la chose publique. Mais avant de vous exposer cette idée, permettez-moi de vous rappeler que la condition nécessaire dans tous les systèmes, c’est le rétablissement de l’ordre public, ue cet ordre ne peut naître que de l’organisation e la force et de la cessation des défiances ; toutes les parties de la Constitution politique se tiennent, il n’y a pas de finances publiques florissantes dans un état où les fortunes particulières sont ébranlées, où la sûreté personnelle est compromise, où la malveillance trouve des excuses dans les mesures mêmes que l’on prend pour l’étouffer: l’état de guerre et l’état d’inquisition sont des états ruineux pour la fortune publique, il faut faire cesser l’état de guerre et d’inquisition. L’état d’anarchie rend les mouvements impossibles et tarit les sources du Trésor national; il faut faire cesser l’état d’anarchie. Vous le pouvez par l’accord seul de vos volontés, personne ne le peut, tant que cet accord n’existera pas ; voilà ce qu’on ne peut trop répéter, voilà ce que vous a sans cesse dit ce ministre auquel vous me permettrez de donner un regret dans cette Assemblée dont tant de membres ont donné des larmes kson exil en 1789, et chez cette nation éteruelle-EUENT AIRES. [27 septembre 1790.J ment souveraine, à qui le nom de M. Necker rappellera longtemps sa première convocation libre. Je passe à l’exposition du plan. Il consiste en une seule idée; il est fondé sous un petit nombre de principes : Nous avons deux espèces de dettes : celles qu’on appelle constituées et celles qu’on appelle exigibles. Celle-ci, ou plutôt une partie de celle-ci, doit être nécessairement liquidée : l’autre doit du moins acquérir une forme plus simple, plus facile, dans laquelle l’intérêt du créancier soit respecté et celui de l’Etat considéré; nous avons des immeubles dont il faut opérer une vente prompte, nous avons de plus le besoin de suppléer à la disparition de notre numéraire par une mesure qui facilite les échanges sans introduire parmi nous les maux d’un papier-monnaie discrédité. Observez, Messieurs, que la mesure, qui atteindra ces divers buts, contiendra nécessairement des parties qui se modifieront mutuellement et se serviront de contre-poids. Je m’explique. Pour payer la dette avec justice, il faut un mode tellement varié que toutes les espèces de créanciers puissent y trouver un avantage. Pour vendre les biens domaniaux à un prix utile pour l’Etat, sans être désespérant pour l’acheteur, il faut qu’il y ait une concurrence qui soit composée de tous ceux à qui ces acquisitions conviennent, et où ne seront pas forcément traînés ceux qui ne veulent pas acquérir. Pour donner à l’assignat-monnaie toute la force et tout l’avantage dont il peut être capable, il faut qu’à l’instant où il surchargerait la circulation, à l’instant où il excitera une méfiance, il puisse trouver un débouché facile, un débouché au moyen duquel il ne puisse jamais tomber au-dessous d’une valeur raisonnable et déterminée. Toutes ces conditions sont remplies, si je ne me trompe, en décrétant que les créanciers de l’Etat seront payés, à leur choix, soit en assignats-monnaie, soit en quittances de finance à 3 0/0, avec 2 0/0 réservés lors de la vente, soit pour un titre nouveau de reconstitution de rente à 4 0/0; Que chacun de ces trois titres ou genre d’effets pourront être échangés les uns contre les autres par le Trésor public, à la volonté des porteurs. De cette manière, vous n’aurez point trois assignats, puisqu’ils pourront être perpétuellement échangés contre des terres, par le moyen des quittances, ou contre des capitaux à 4 0/0, taux égal à celui qui est en usage chez les autres peuples, et au-dessus duquel nous ne nous étions élevés qu’à cause du dérangement de nos finances. Enfin, vous donnez à ce papier-monnaie l’existence la plus avantageuse, puisque vous le soutenez à sa hauteur raisonnable par un contrepoids, qu’aucun agiotage, qu’aucune manoeuvre ne peut déranger. De cette manière, vous vendez les biens domaniaux promptement, puisque vous donnez une prime de 1 0/0 à ceux qui voudront y placer leurs capitaux, puisque vous appelez à ce concours, une multitude de créanciers qui n’y sont point appelés dans quelques-uns des autres systèmes, et dont la concurrence portera vos biens, non pas à une valeur illusoire ou qui ne serait qu’une banqueroute par son injustice, mais à toute la hauteur à laquelle ils doivent véritablement prétendre sans rompre l’équilibre et bouleverser les fortunes. J’avoue que ces différents avantages, dont la réuuion ne se trouve dans au- 280 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1790.] cun autre plan, et que l’absence ou la diminution des inconvénients dont les autres plans sont remplis, ont totalement décidé mon opinion. S’il reste encore des craintes, on peut borner l’émission des assignats à une somme de 800 millions ; cette mesure de prudence n’est pas incompatible avec mon plan, et j’en ai fait les huit articles de mon décret. Il ne me reste plus qu’à vous en présenter le projet; quelques clauses additionnelles, qui ne seraient que le développement, les corollaires de ce plan, répondraient parfaitement en détail au petit nombre d’objections qu’il m’a paru possible de faire, mais dont la discussion n’eût fait qu’allonger encore l’opinion que mon respect pour le temps de l’Assemblée et ma défiance pour mes forces, auraient peut-être dû abréger, si j’avais pu considérer autre chose que l’importance et la grandeur du sujet. PROJET DE DÉCRET. Art. 1er. La dette exigible sera remboursée à la volonté des créanciers, soit en assignats, soit en quittances de finance, soit en contrats de constitution. Art. 2. L’assignat fera fonction de monnaie, et sera reçu comme telle à la vente des biens nationaux, dans tous les échanges et dans tous les payements. Art. 3. Les quittances de finance seront reçues à la vente de biens nationaux, et en remboursement de capitaux ; elles porteront 3 0/0 d’intérêt; il sera tenu compte de 2 0/0 sur le capital lors de la vente des biens nationaux. Art. 4. Les contrats de constitution seront à 4 0/0 et seront admis à la vente des biens nationaux. Art. 5. Les porteurs de la dette constituée seront admis de gré à gré, à la liquidation de leur créance, mais le capital n’en sera estimé que sur la somme des intérêts dont ils jouissent actuellement. Art. 6. Les assignats, quittances de finance et contrats de constitution pourront être rapportés au Trésor national et changés les uns contre les autres, à la volonté des porteurs. Art. 7. Les 400 millions d’assignats décrétés précédemment cesseront de porter intérêt, à dater du premier janvier et les coupons d’intérêt seront rapportés et payés au Trésor national. Art. 8. L’émission dassignats ne pourra, dans aucun cas, excéder 800 millions en circulation. Opinion DE M. de la Rochefoucanld, député de Paris, sur la proposition d'une émission nouvelle d'assignats-monnaie (1). Messieurs, les travaux auxquels vous m’avez chargé de coopérer dans deux comités ne m’a-vaieDt pas laissé le loisir nécessaire pour rédiger par écrit une opinion sur la grande question qui vous occupe, et je comptais, profitant de la dis-(1) Inscrit hier pour la parole, mon tour n’est pas venu; je me suis fait inscrire de nouveau ce matin, mais le nombre de mes prédécesseurs dans la liste ne me laissant pas espérer que mon tour vienne avant la clôture de la discussion, je me hâte d’écrire quelques pages, et de les envoyer à l’impression, pour payer mon tribut à l’Assemblée nationale et à mes concitoyens, si je ne le puis pas à la tribune. (Note de M. de La Rochefoucauld.) cussion que vous avez sagement prolongée, et des nombreux écrits répandus dans le public, former en silence mon vœu réfléchi sur la grande et importante décision que vous allez rendre; mais quelque peu préparé que je sois à vous présenter mes idées, j’ai cru devoir, au moment où l’erreur d’un peuple trompé se manifestait à l’égard de ceux qui soutiennent une opinion qui est aussi la mienne, vaincre la timidité qui m’avait retenu, et montrer à ce même peuple que ses amis véritables, que les hommes vraiment attachés à ses intérêts, préfèrent le devoir de le servir, même avec le risque de lui déplaire, au vain plaisir de recevoir, en flattant ses désirs momentanés, des applaudissements que le vent emporte avec lui. À ce motif puissant s’en joint un autre personnel. J’ai parlé, le 15 avril, dans cette tribune, en faveur des 400 millions d’assignats-monnaie dont vous avez décrété la création, et je vous dois compte de la différence apparente entre mon avis de ce jour et celui d’aujourd’hui. Je dis apparente, parce que la question n’était point du tout la même, car il ne s’agissait point alors de l’émission de deux milliards de papier-monnaie ; je pourrais même dire que les assignats du 15 avril doivent, à l’intérêt dont ils sont accompagnés, un caractère qui les distingue de ce papier justement décrié dans l’opinion publique. Je ne lui comparerai pas non plus absolument les assignats nombreux que l’on vous propose de créer aujourd’hui : ils en approchent davantage, puisqu’ils sont dénués de tout intérêt, mais ils ont une hypothèque solide qui établit en leur faveur une nuance que leurs partisans vantent trop, mais que je me garderai de méconnaître. Ainsi, je ne m’écrierai pas avec quelques-uns des préopinants : « Ou veut renouveler le système « de Law, et les assignats-monnaie, représenta-« tifs des domaines nationaux, auront le sort <édes billets de banque dont l’hypothèque était « une chimère. » Non, Messieurs, cette assertion n’est pas vraie ; mais, sans produire peut-être des effets, aussi funestes que ceux dont l’histoire de la Régence nous a laissé le souvenir effrayant, l’opération que je combats causera de grands maux, et elle est injuste. Et d’abord, pour que les assignats ne fussent pas un véritable papier-monnaie, dans toute l’étendue de ce terme, il faudrait que leur somme fût évidemment inférieure à la valeur des domaines nationaux qui sont actuellement en. vente; et je ne vois pas qu’aucun des orateurs ait entrepris cette appréciation. Je crois que ces domaines vaudront beaucoup plus que ce à quoi je les entends communément estimer ; je doute cependant qu’en déduisant les réserves que vous avez faites, ceux vendables dans le moment équivalent à deux milliards ; mais je ne pousserai pas plus loin cet argument, puisque Fopinion contre laquelle il serait dirigé me paraît abandonnée, même par son auteur. Occupons-nous donc seulement de la valeur de l’assignat-inon-naie le mieux hypothéqué, comparativement avec la monnaie métallique, qui est le signe convenu de toutes les valeurs. S’il ne fallait chercher qu’un exemple, les assignats actuellement existants en fournissent un exempt de doute, puisque, malgré l’intérêt qu’ils portent avec eux, ils sonttombés considérablement au-dessous du pair; mais voyons si la nature des choses ne commande pas cette infériorité de valeur. Le papier n’en a aucune par lui-même ; et il n’en emprunte une idéale, que d’après la certi-