354 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE [ Certificat médical du 14 vendémiaire an 77/1(94) Je sousigné chef des officiers de santé des prisons et maisons d’arrêt du département de Paris, certifie avoir vu et visité dans la maison d’arrêt des Ecossois rue Victor, le citoyen Georges Frédéric Dentzel, député du Bas-Rhin, pour constater son état maladif, l’ayant interrogé, et examiné avec la plus scrupuleuse attention, il nous a déclaré que depuis huit jours il avoit un dévoyement disenterique, que les urines couloit très mal et étoit sédimenteuse, ou mêlée de glaires, qu’il avoit la région de l’estomac gonflée, pesanteur à la tête, la respiration très courte, ne pouvant se coucher que la tête très élevée; l’ayant examiné, nous lui avons trouvé le pouls petit et concentré, le grand et petit lobbe du foye engorgé, la région de l’esthomac timpouisée (?). Les urines nous ont paru bourbeuses et rares, d’après tous ces désordres que nous attribuons à la maladie du tube intestinal, ainsi qu’aux engorgements des vicères du bas ventre, nous estimons que le citoyen Dentzel a le plus grand besoin de tous les secours qu’exige son état, tant par les boissons diurétiques, adoucissantes et fondantes, affin de prévenir de plus grands désordres qui pourroient lui faire naitre une hy-dropisie du bas ventre, mais tous les secours dont il a besoin ne peuvent lui être administrés utilement dans la maison où il est. Guilbert, Rufin. 56 Un membre, au nom du comité de Salut public, annonce que l’armée de Sambre-et-Meuse vient de remporter une victoire signalée sur les bords de la Roër, et que la prise de la forteresse de Juliers en est le fruit. Il ajoute que cet événement est le plus important de tous ceux qui ont eu lieu dans le cours de cette campagne, sans même en excepter la bataille de Fleurus; que soixante pièces de canon, beaucoup de munitions, plus de cinquante milliers de poudre sont tombés au pouvoir de la République ; que l’ennemi, qui avoit rallié toutes ses forces sur ce point, étoit au nombre de près de quatre-vingt mille hommes, et qu’il avoit pour lui tous les avantages de la nature et de l’art. Cette heureuse nouvelle est reçue au milieu des plus vifs applaudissemens, plusieurs fois renouvelés et long-temps prolongés (95). CARNOT, au nom du comité de Salut public : Citoyens, une victoire signalée vient de mettre le comble à la gloire de l’armée de Sambre-et-Meuse. (Vifs applaudissements) L’en-(94) C 321, pl. 1343, p. 19. (95) P.V., XLVI, 333. Ann. Patr., n° 644; C. Eg., n" 779, 780; F. de la Républ., n° 17; J. Paris, n* 16; Gazette Fr., n° 1010; J. Fr., n" 741. nemi, retranché sur les bords de la Roër, sous la protection et la forteresse de Jubers, vient d’être complètement battu, et la forteresse de Jubers est prise. ( Vifs applaudissements) Cet événement est le plus important de tous ceux qui ont encore eu beu dans le cours de cette campagne, sans même en excepter la bataille de Fleurus (les applaudissements se renouvellent)', il coupe tout espoir de secours à Maëstricht, assure un point d’appui près des bords du Rhin, relègue l’ennemi au-delà de ce fleuve, ouvre la HoUande, assure nos quartiers d’hiver, et nous rend maîtres de toutes les ressources des pays de Limbourg, Colognes, Trêves, Luxembourg et Jubers. (L’assemblée se lève tout entière, aux cris de vive la République ! La salle retentit d’applaudissements, à trois reprises) L’opération étoit aussi la plus difficile qui eût encore été faite. L’ennemi avoit ralbé toutes ses forces; il étoit au nombre de 80 000 hommes; tous les avantages de la nature et de l’art étoient pour lin; mais nous avions pour nous le courage, la confiance, le souvenir de notre gloire. Et que sont tous les obstacles de l’art et de la nature près du génie de la hberté et de l’amour de la patrie! (Applaudissements) Citoyens, vous n’avez donc plus au dehors que des ennemis humihés et fuyans. C’est ainsi que les armées ont accompli leur tâche les premières : c’est à nous d’accomplir la nôtre ; (vifs applaudissements) elles nous ont imposé le devoir d’écraser les ennemis au dedans. Citoyens, les armées triomphantes sont dociles à votre voix, et vous souffririez que quelques intrigans vinssent ici vous dicter des lois? Non! (Tous les membres s’écrient : non, non) MERLIN (de Thionville) : Ecrasons l’Autriche au-dehors; nous saurons aussi l’écraser au-dedans. On applaudit. CARNOT continue : Il est temps que la représentation nationale, de ses bras de géant, sacrifie toutes les factions; qu’en les frappant l’une contre l’autre, elle les réduise en poudre et qu’elle annonce enfin qu’elle seule veut rester dépositaire des droits du peuple, et qu’elle anéantira quiconque osera porter une main hypocrite ou furieuse, n’importe, au coeur de la révolution. Vifs applaudissements. CARNOT lit les lettres officielles qui excitent le même enthousiasme que le rapport (96). [Gillet, représentant du peuple près l’armée de Sambre-et-Meuse, au comité de Salut public, du quartier général de Juliers, le 12 vendémiaire an III] (97) (96) Débats, n” 745, 252-253; Moniteur, XXII, 167; Bull., 15 vend. ; Ann. R. F., n° 15; Ann. Patr., n“ 644; F. de la Républ., n° 16; Gazette Fr., n' 1009; J. Fr., n” 741; J. Mont., n° 160; J. Perlet, n° 743; J. Univ., n” 1777; Mess. Soir, n° 779; M. U., XLIV, 235; Rép., n° 16. (97) Débats, n” 747, 281-284; Bull., 15 vend.; Moniteur, XXII, 167-168; Ann. Patr., n° 644; C. Eg., n 780; J. Fr., n" 742; J. Mont., n” 162; J. Paris, n“ 17; J. Perlet, n° 744; Mess. Soir, n” 779; M. U., XLIV, 242-246. SÉANCE DU 15 VENDÉMIAIRE AN III (6 OCTOBRE 1794) - N° 56 355 J’ai différé jusqu’à ce moment, chers collègues, à vous rendre compte des derniers succès de l’armée de Sambre-et-Meuse, afin de pouvoir vous annoncer en même temps une victoire et la prise d’une place forte, d’une citadelle, de 60 pièces de canon et d’une grande quantité de poudre et de munitions. Vous avez vu, par mes dernières dépêches, que l’armée autrichienne, battue en détail à Sprimont et à Clermont les 2 et 4 sans-culot-tides, s’étoit réunie en masse sur la Roër, forte encore de 60 à 80 000 hommes. Le premier de ce mois nous nous rendîmes maîtres d’Aix-la-Chapelle, et l’armée vint camper dans la plaine d’Aldenhoven, la gauche appuyée à la Worm, et la droite à Schwilter sur la Dente. Le projet de l’ennemi étoit de défendre le passage de la Roër et de se ménager une communication avec Maëstricht. Il avoit établi pour cet effet une forte partie de son armée en deçà de cette rivière, dans la position qui se trouve derrière Aldenhoven et en avant de Juliers. Cette position, déjà très forte par elle-même, étoit encore fortifiée par des lignes et des redoutes qui la défendoient sur tous les points. Nous étions bien décidés à poursuivre nos succès, et Jourdan résolut de forcer l’ennemi dans ses derniers retranchemens ; il falloit, pour réussir, une de ces manoeuvres savantes et hardies qui rendent possibles les plus grandes entreprises, lorsqu’elles sont exécutées par des officiers expérimentés et des soldats intrépides ; car la Roër, quoique guéable en beaucoup d’endroits, étoit grossie par les pluies qui tomboient depuis dix jours. D’ailleurs, tous les gués étoient dégradés, hérissés de chevaux de frise, les ponts rompus; et les hauteurs qui se prolongent sur la rive droite de la Roër, depuis sa source jusqu’à Ruremonde, étoient couvertes de lignes et de redoutes défendues par une artillerie formidable. Jourdan divisa son armée en quatre corps : il donna le commandement de l’aile droite au général Schérer, la gauche fut confiée au général Kléber, l’avant-garde au général Lefebvre; il se réserva le commandement du centre, formant le corps de bataille, ayant sous ses ordres les généraux de division Hatry, Morlot, Cham-pionnet et Dubois. Schérer étoit chargé de forcer le passage de Dueren ; Kléber devoit attaquer sur la gauche à Keinsberg, et l’avant-garde à Linnich, pendant que le corps de bataille attaquerait le camp en avant de Juliers. Hier, à cinq heures du matin, toutes les colonnes se mirent en marche, toutes attaquèrent avec une égale valeur; dans moins de deux heures le camp de Juliers fut forcé et les redoutes emportées avec une intrépidité sans exemple. La cavalerie ennemie se présenta pour protéger la retraite : elle fut chargée, culbutée et poursuivie jusques sur le glacis de Juliers. Elle ne dut son salut, ainsi que toute l’armée ennemie, qu’au canon de la place, qui nous empêcha de poursuivre plus loin. Le premier et le quatorzième régimens de dragons se sont distingués dans cette affaire. Les autres colonnes eurent un égal succès; mais elles éprouvèrent des difficultés d’un autre genre. Lorsque l’avant-garde se présenta à Linnich, l’ennemi avoit détruit le pont et mis le feu à la ville; et tous les passages ayant été rendus impraticables, il fallut établir des ponts sous un feu terrible d’artillerie et de mousque-terie. C’est ce qu’on exécuta au moyen de la protection de notre artillerie, qui, dans cette circonstance comme dans toutes les autres, prouva sa grande supériorité sur celle de l’ennemi, au point qu’il fut forcé d’abandonner les redoutes et de se retirer. Cependant les ponts n’ayant pu être construits avant la nuit, le passage de la rivière ne put s’effectuer complètement. Tout étoit disposé pour l’exécuter ce matin, lorsque la chûte du brouillard nous a laissé voir sur l’autre rive que l’ennemi étoit en fuite. On avoit fait construire, pendant la nuit, plusieurs redoutes devant Juliers; on y a établi sur-le-champ une batterie d’obusiers pour bombarder la place : cette batterie commençoit à faire un grand effet, lorsque le drapeau blanc a été arboré sur la citadelle. Une députation du magistrat est venue nous remettre les clefs de la ville, qui avoit été évacuée pendant la nuit. La place s’est rendue à discrétion. La journée d’hier doit être mémorable pour les armées de la République : une armée de 60 à 80 000 hommes vaincue dans la position la plus formidable ; une place plus forte que Lan-drecies, évacuée, ayant une bonne citadelle, ses fossés pleins d’eau et dans le meilleur état de défense, conquise sans coup-férir avec toute son artillerie; un arsenal bien pourvu et plus de 50 milliers de poudre : et voilà, chers collègues, les fruits de cette brillante journée. La perte de l’ennemi est immense ; de l’autre côté de la Roër, la terre est couverte de morts jusques dans ses lignes ; c’est ce qu’on a pu vérifier ce matin, et ce que prouve sa retraite précipitée. Tout présente à sa suite le spectacle de la défaite la plus complète; plusieurs colonnes de cavalerie, d’artillerie légère et de grenadiers sont à sa poursuite ; et j’apprends dans ce moment que le général Dubois, à la tête de six régimens de cavalerie, a rejoint les équipages de l’ennemi sur la route de Cologne; nous avons fait environ 600 prisonniers. Je ne puis citer tous les traits d’héroïsme et de bravoure qui honorent cette journée ; il faudrait citer tous les corps, tous les généraux, tous les officiers et soldats, parce que tous se sont montrés en héros. J’en recueillerai seulement deux. Le premier est de l’avant-garde des divisions aux ordres du général Kléber. Ces braves soldats, impatiens du délai qu’exigeoit la construction d’un pont, se précipitèrent dans la rivière, la passèrent à la nage, attaquèrent les retranchemens de l’ennemi, et les emportèrent la baïonnette et l’épée à la main. Le second concerne deux escadrons de chasseurs, commandés par le général d’Hautpoul : ils rencontrèrent quatre escadrons de hussards ennemis ; ils les chargèrent sans considérer leur nombre, et les culbutèrent dans la rivière. Presque tous ont été pris, noyés ou sabrés. Salut et fraternité. Signé, Gillet. 356 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE [i Jourdan , commandant en chef l’armée de Sambre-et-Meuse, aux citoyens-représentans le comité de Salut public, du quartier-général de Juliers, le 12 vendémiaire an IIT\ (98) Citoyens représentans, L’armée a marché hier sur la Roër pour y attaquer l’ennemi; l’aile droite s’est dirigée sur Dueren, le centre sur Juliers, une division sur Luinich, et l’aile gauche sur Keinsberg et Ran-deract. Toutes les troupes que l’ennemi avoit sur la rive gauche de cette rivière ont été vigoureusement culbutées; l’aile droite et l’aile gauche ont attaqué les postes par où l’armée devoit effectuer le passage de cette rivière ; et malgré des redoutes, des retranchemens énormes, tous ont été forcés; des républicains ont construit des ponts sous le feu le plus vif de l’ennemi ; d’autres, plus impatiens, ont traversé la rivière à la nage ; le fcentre a chargé la cavalerie ennemie jusqu’à portée de fusil de la ville de Juliers; et sans le feu de la place, elle étoit entièrement massacrée. La nuit a fait cesser le combat, et nous étions en mesure ce matin pour recommencer, et profiter de la construction de nos ponts ; mais l’ennemi n’a pas jugé à propos de nous attendre, et il est parti à minuit. Un maudit brouillard des plus épais nous a caché sa retraite jusqu’à 8 heures. Nous avions profité de la nuit pour faire construire une batterie d’obusiers près de Juliers ; et aussitôt que le brouillard a permis de découvrir cette place, nous y avons jeté quelques obus. Les magistrats sont venus de suite nous remettre les clefs, et nous annoncer l’évacuation de cette place, que nous avons trouvée dans le meilleur état; nous y avons trouvé soixante pièces de canon, un arsenal fort en ordre, et beaucoup d’autres choses dont le détail ne m’est pas encore parvenu. La perte de l’ennemi peut être évaluée à 4 ou 5 mille hommes tués ou blessés, 7 à 800 prisonniers et beaucoup de chevaux, sans compter les déserteurs. Notre cavalerie poursuit l’ennemi; j’en saurai ce soir des nouvelles. Le représentant du peuple Gillet vous fera sans doute part de la manière dont les troupes se sont conduites. On m’annonce à l’instant qu’on vient de trouver dans Juliers cinquante milliers de poudre. Salut et fraternité. Signé, Jourdan. CARNOT propose et l’assemblée adopte le projet de décret suivant. On demande de toutes parts que le rapport de Carnot soit inséré au bulletin. MERLIN (de Thionville) : La Convention, par ses armées envoie la terreur à ses ennemis, comme un funeste présent. J’appuie la demande de l’insertion au bulletin du rapport de Carnot : il pourra servir pour la politique de (98) Débats, n 747, 284; Bull., 15 vend.; Moniteur, XXII, 168; C. Eg., n 780; F. de la Républ., n° 16; J. Fr., n° 742; J. Paris, n 16; J. Mont., n° 162; M. U., XLIV, 244-245. l’intérieur, comme ses plans ont servi pour nos victoires au-dehors. Vifs applaudissemens. La proposition est décrétée (99). Le décret suivant est rendu : La Convention nationale déclare que l’armée de Sambre-et-Meuse ne cesse de bien mériter de la patrie. La nouvelle de la victoire remportée par les troupes françaises sous les murs de Juliers, sera portée à toutes les armées de la République par des courriers extraordinaires. Les dépêches de l’armée de Sambre-et-Meuse, ainsi que le rapport du comité de Salut public, seront insérés dans le bulletin de la Convention nationale (100). 57 Sur le rapport [de CARNOT au nom] du même comité, La Convention nationale accorde au représentant du peuple Pinet un congé de quatre décades (101). 58 La Convention nationale, sur le rapport de son comité de Salut public, décrète que le représentant du peuple Jean-Claude Le-moyne [Lemoyne-Vemon] se rendra dans les départemens de Loire, Haute-Loire et Ardèche, pour y surveiller les travaux de l’exploitation des mines et des manufactures d’armes, d’après les instructions du comité de Salut public; mais attendu que le représentant Lemoyne est envoyé dans son département, ses fonctions seront restreintes exclusivement aux deux objets ci-dessus indiqués (102). 59 On relit un décret, la rédaction en est adoptée (103). (99) Débats, n° 745, 253 ; Moniteur, XXII, 168. (100) P. V., XL VI, 334. C 321, pl. 1331, p. 55, minute de la main de Carnot, rapporteur. Bull., 15 vend., 16 vend. (suppl.) ; Débats, n° 745, 253 ; Moniteur, XXII, 168 ; Ann. Patr., n° 644 ; Ann. R. F., n° 15; C. Eg., n° 779; Gazette Fr., n' 1009; J. Fr., n" 741 ; J. Mont., n” 160 ; J. Perlet, n” 743 ; M. U., XLIV, 236; Rép., n° 16. (101) P. V., XL VI, 334. C 321, pl. 1331, p. 56, minute de la main de Carnot, rapporteur. (102) P. V., XLVI, 334. C 321, pl. 1331, p. 57, minute de la main de Carnot. Décret anonyme selon C* II 21, p. 6. J. Perlet, n” 743; M. U., XLIV, 265. (103) P. V., XLVI, 334.