480 [Assemblée nationale.) Voulez-vous être fidèles au roi, nous dit-on? N’avons-nous pas juré d’être fidèles à la nation, à la Constitution et au roi ! Il n’est pas question de la nation, nous dit-on. Il est question de la nation, répondons-nous : ces trois pouvoirs sont inhérents et inséparables. Offre de la somme de mille écus aux conditions susdites. Cette offre est trop injurieuse pour qu’on la relève. Des moyens aussi bas n’ont jamais déterminé le régiment de Touraine. A-t-on pu croire qu’on obtiendrait notre désistement à prix d’argent? Dernière tentative de M. de Cholet : Que ceux qui veulent leurs cartouches se portent en avant. — Serment de notre part ne nous désunir jamais. Le fourrier des grenadiers est soupçonné de s’être laissé corrompre à prix d’argent; d’avoir séduit huit grenadiers. Ils sont arrêtés et ils subiront, sans doute, la peine due à des traîtres, si l’on parvient à les convaincre. Mais quelle interprétation peut-on donner à de pareilles offres? Nous savons les évaluer. Elles couvrent le dessein perfide de débander, de ruiner l’armée et de rendre au despotisme le pouvoir que l’aveuglement lui laissa trop longtemps et que la raison lui a ravi. En vain l’aristocratie nous assiège; en vain elle nous enveloppe : nous saurons déjouer ses menées insidieuses, et rien ne nous forcera à enfreindre le serment que nous fîmes à la patrie. Et vous, braves concitoyens! vous donnerez à notre justification et à nos motifs tout le poids dont ils sont susceptibles. Vous ne refuserez point à la vérité le témoignage qu’elle implore. Votre assentiment doit convaincre l’auguste Assemblée, à qui nous adressons nos griefs, que la rébellion et l’esprit de parti n’entrent pour rien dans le cruel devoir que nous remplissons aujourd’hui. Tel est, Messieurs, l’exposé fidèle de nos griefs : c’est dans votre sein paternel que le brave régiment de Touraine verse ses douleurs. Devait-il s’attendre à de pareils excès de la part de ceux dont il fit si longtemps la gloire? Notre reproche n’est pas général. Il est encore des officiers qui conservent des droits éternels à notre amour et à notre respect; mais ils voient nos peines, et ils se taisent! leur cœur est-il moins ulcéré que le nôtre? Nous sommes devenus, en quelque sorte, les objets de votre prédilection. Vous nous avez sauvés du joug dont le despotisme nous accabla si longtemps : le verrons-nous remplacé par un joug plus cruel encore ? nous verrons-nous frappés par la main qui devrait concourir avec vous à notre bonheur? Signé : les bas-officiers, grenadiers, fusiliers, etÀBOUL, député. M. "Vergés, député de la commune de Perpignan , prononce ensuite le discours qui suit (1) : Messieurs, L’adresse que je viens de lire n’est que la bien faible expression des sentiments que vos pénibles travaux ont gravés dans tous les cœurs des citoyens de Perpignan. Tous les jours ils se disent, comme le reste des Français : Si nos fers sont brisés, si les droits de l’homme sont reconnus, si nous goûtons les douceurs d’avoir une patrie, si tous les jours nous nous y attachons plus (1) Le Monit ur ’a pas reproduit le discours de M. Vergés. [26 juin 1790.] fortement, nous le devons aux dignes représentants de la nation, à leur infatigable activité, à leur inébranlable fermeté, aux lumières de leur saine philosophie. Eh! comment ce cri de reconnaissance n’aurait-il pas retenti d’un bout de la France à l’autre, dans le temps que vos décrets ont étonné l’univers attentif, dans le temps que des citoyens de toutes les nations sont venus vous payer, par leurs applaudissements, le tribut le plus mérité! Qu’il est doux pour moi, Messieurs, d’être dans ce moment l’organe d’un peuple que vous avez rendu libre, et qui, fier de sa dignité, sent tout le prix de ce que vous avez fait pour lui! Qu’il est doux pour moi d’exprimer son effusion, de pouvoir vous dire que sa reconnaissance se perpétuera d’âge en âge, que nous la transmettrons à nos derniers neveux, et qu’elle fera encore votre gloire dans le temps où vous n’existerez que par la sagesse de vos lois et par le souvenir de vos vertus. Je suis porteur encore d’un verbal de la muni-cipalité de Perpignan, approuvé par la commune, où sont constatés les faits relatifs à l’affaire du régiment de Touraine avec son colonel, et d’une nouvelle adresse qui annonce la délivrance de son maire et l’espoir d’une paix prochaine. Je n’ai rien à ajouter, Messieurs, au détail des faits consignés dans ce verbal : la seule réflexion que je puisse me permettre, c’est d’observer combien il eût été utile que M. de Mirabeau se fût parfaitement concerté avec les officiers municipaux: comme lui, ils auraient reconnu toute l’importance de maintenir la discipline et la subordination dans les corps militaires ; mais, comme eux, il aurait senti combien il était dangereux de heurter de front l’opinion commune, de vouloir rétablira force ouverte un adjudant dont il était public, dont il savait lui-même que le régiment avait de trop justes raisons dese plaindre. Gomme eux, il aurait senti de quelle conséquence il était d’épuiser, dans des circonstances aussi critiques, les moyens de douceur et de persuasion. Gomme eux, il aurait prévu les suites funestes que pouvait produire une démarche qui n’aurait pas été mûrement réfléchie, Gomme eux, enfin, il aurait senti combien l’enlèvement des cravates des drapeaux, dont le maire avait répondu sur sa tête, pouvait compromettre sa sûreté personnelle et la tranquillité publique. Lorsque ce respectable vieillard, qui, après avoir servi la patrie dans les combats, se plaît à la servir encore par ses conseils, fut conduit à la citadelle, ce fut un coup de foudre pour les citovens; mais le régiment avait été outragé, les cravates de ses drapeaux manquaient, il ne voyait plus ces signes de gloire qu’il avait tant de fois défendus au prix de son sang; il y allait de son honneur : pouvait-on attendre que des soldats français, calmes et tranquilles, écoutassent alors la voix de la raison ? Cependant le régiment de Touraine, même dans les premiers accès de sa fureur, n’a pas manqué aux égards dûs à l’âge et aux vertus civiles et militaires de notre maire, et il lui a rendu la liberté dès qu’il a su qu’il allait revoir ses drapeaux. Je n’ai pas été, Messieurs, le témoin oculaire des honneurs qu’on lui a rendus ; mais les milices citoyennes de Castelnaudary, de Carcassonne et Narbonne, et des endroits circonvoisins, confondues avec la garde nationale de Perpignan et avec les régiments de Touraine et de Verman-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790]. 48 1 dois, les soldats-citoyens, les citoyens-soldats, tous attendris , tous versant des larmes de joie, poussant tous des cris d’allégresse, célébrant à l’envi le triomphe de la vertu ; ou ma propre sensibilité me trompe, ou les traits de ce tableau doivent intéresser des cœurs français. Je ne répondrais pas, Messieurs, à la confiance dont me3 concitoyens m’ont honoré, si, en finissant, je n’exprimais à ce Sénat auguste le vif in-térêt que le régiment de Touraine leur a inspiré. Daignez, Messieurs, agréer cet intérêt; la commune de Perpignan vous en conjure, par les services que ce régiment a rendus à l’Etat, par la valeur qu’il a montrée dans toutes les occasions contre les ennemis du nom français ; elle vous en conjure par l’attachement inviolable qu’il a marqué pour la Constitution ; elle vous en conjure, enfin, au nom de la patrie qui trouvera dans les soldats de ce régiment des citoyens toujours prêts à mourir pour elle. M. Siau, médecin , député de la garde nationale de Perpignan , dit ensuite (1) : Messieurs, Je suis chargé de la part du corps des officiers des volontaires citoyens de Perpignan de vous porter le tribut de son admiration et de sa reconnaissance ; je suis encore chargé, Messieurs, de rendre le témoignage Je plus authentique du patriotisme, de la bonne conduite, des vertus civiles et militaires des régiments de Touraine et de Ver-mandois, pendant le long espace de temps qu’ils ont été en garnison dans notre ville : nos cœurs sont pénétrés de la manière dont ces vertueux militaires se sont constamment conduits envers nous ; et ce sentiment, que la garde nationale me charge de manifester, est partagé par toute la ville, et par tout ce qui fut autrefois province de Roussillon. On vous présentera, Messieurs, un tableau où le désordre, l’insurbordination, l’infraction à la règle paraîtront sous des couleurs qui inculperaient le brave régiment' de Touraine et terniraient sa gloire : mais pour apprécier ces mouvements et les motifs qui les ont déterminés, il est important de vous faire connaître tout ce qui les a précédés. Le régiment de Touraine a été témoin, pendant plus d’une année, du terrible choc des opinions de notre ville ; il a vu les bons citoyens ne pouvant d’abord élever qu’une voix faible, odieusement persécutés, calomniés, victimes des manœuvres les plus perfides : il a vu une assemblée patriotique contre laquelle on armait indignement le fanatisme civil et religieux ; il a vu des protestations indécentes contre vos sages décrets, dont deux mille exemplaires étaient déjà prêts et ont été saisis : il a vu les préparatifs de ce jour qui devaient répondre et coopérer avec les journées fatales de Nîmes et de Montauban : il a été témoin de la manière dont les bons citoyens . ont prévenu cet attentat en dissipant l’assemblée qui devait le commencer; ce régiment, enfin, a distingué les bons d’avec les mauvais : il a résisté avec intrépidité aux caresses, aux insinuations; il fallait bien que le cœur de ces braves soldats s’armât de défiance. Ils n’ignoraient pas que le royaume voisin était plein de fugitifs, de gens dangereux ; tout donnait l’éveil au patriotisme: enfin, Touraine voit les mêmes personnes, dont il connaissait et désapprouvait les principes, être (1) Voyez aux Annexes de la séance de ce jour la réponse faite à M. Siau par M. de Mirabeau le jeune. lre Série. T. XVI. à la tête et porter les flambeaux d’une fête nocturne qu’on donne à son colonel. Il voit une foule tumultueuse secouant la torche de la discorde : il entend le nom de son colonel mêlé à des acclamations, que celui-ci désavoue sans doute, mais qui jetaient les bons citoyens dans la consternation : il voit tous ces corps à protestation aller successivement lui rendre hommage ; il apprend que l’orateur de l’un d’eux a appelé M. de Mirabeau sauveur et rédempteur. Ce brave régiment s’est rempli de ce feu sacré de l’amour ae la patrie, qui, en élevant et exaltant les âmes, ne leur permet plus cette régularité de mouvements qu’on ne peut attendre que d’une Constitution achevée, et telle que nous la promettent vos travaux immortels. Soldat et citoyen français, je ne parlerai jamais qu’en faveur de la subordination, et j’en donnerai l’exemple; mais quand ce devoir est en opposition avec le devoir plus sacré de l’attachement à la Constitution, quand le soldat est placé entre son supérieur et la patrie , quel nom donnerons-nous à la désobéissance ? Je mejrappelle, Messieurs, le jour où elle fut une vertu : nous lui dûmes notre salut et celui de l’Empire. Nous recommandons à votre partiotisme, des guerriers qui n’ont cédé qu’à l’impulsion de ce sentiment : conservez à la France des défenseurs pleins d’honneur et de courage... conservez-leur des drapeaux qu’ils n’abandonnèrent jamais, et que la victoire couronna partout... Ah ! si vous aviez vu Touraine au moment où il venait de les perdre, je n’aurais pas besoin de vous parler en sa faveur 1 que son désespoir était beau ! On voyait des soldats courant au hasard dans les rues de notre malheureuse ville ; les larmes inondaient leur visage ; ils déchiraient leur honorable vêtement; le célèbre Thurel, le plus ancien soldat de France, à la tête des vétérans, montrant à mes concitoyens son triple médaillon, leur redemandait des enseignes qu’il avait suivies pendant quatre-vingts ans sous trois rois victorieux. Nous qui avons été les témoins de ce spectacle attendrissant à la fois et terrible, nous venons vous demander de ne pas nous séparer de nos frères, de nos amis de Touraine et de Verman-dois : nous vous le demandons par vos vertus civiques et par le droit que nous donne nos efforts pour les imiter... Placés aux bornes de ce vaste Empire, perpétuant un sang jadis étranger, conservant des habitudes et un langage qui ne sont pas les vôtres, votre feu nous a pénétrés, et vous n’avez pas de meilleurs frères : la fidélité des Français du département des Pyrénées-Orientales sera immuable comme les montagnes au pied desquelles ils habitent, qui sont les limites du royaume superbe dont vous venez d’assurer les hautes destinées. M. le Président répond aux trois députations : L’Assemblée nationale prendra en considération les plaintes, les réclamations et les faits dont vous venez de lui présenter les détails. Divers membres demandent l’impression des discours des députés de Perpignan. Cette impression est ordonnée. L’Assemblée décrète ensuite que les pièces déposées sur le bureau par les trois députations seront remises aux comités militaire et des rapports pour en être rendu compte à l’Assemblée. M. de Pardieu, secrétaire, fait ensuite lec-31