[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 493 COMPTE RENDU A SES COMMETTANTS Par M. le comte DE POKETIER, Député de l’ordre de la noblesse de la vicomté de Couserans, aux Etats généraux de France. AVANT-PROPOS. Chaque député élu aux Etats généraux doit nou seulement à ses commettants, mais à la France et à l’Europe entière, un compte des motifs qui l’ont forcé à assister et à donner son opinion dans une assemblée inconstitutionnelle dans son principe et criminelle dans toute sa marche. Je suis sorti de cette assemblée lorsque les motifs qui m’avaient forcé à y revenir après la réunion des ordres n’ont plus existé, et j’ai cherché un asile dans les pays étrangers, ue pouvant trouver que des cendres sur mes foyers et l'aspect hideux d’un peuple qui jadis me nommait son père, et qui aujourd’hui voudrait être mon bourreau. C'est donc sur une terre étrangère que j’ai été forcé de rédiger mon compte rendu, je l’ai envoyé à la fin du mois de décembre 1790 à M. Pé-tion de Villeneuve qui présidait alors l’Assemblée. Ce président n’a pas jugé à propos d’en donner connaissance, et dès que j’en ai été convaincu, j’en -ai envoyé un double à un député du côté droit; ce second exemplaire n’a pas eu plus de sucrés que le premier. J’ai cherché alors à le faire imprimer dans les pays étrangers ; mais l’horreur qu’inspire l’histoire de notre Révolution a empêché les gouvernements auxquels je me suis adressé de permettre que ce tableau affreux fût connu dans leurs Etats. J’ai fait une nouvelle tentative dans le mois de mai dernier en envoyant une troisième copie à un autre député; et toujours aussi malheureux, je n’ai pu parvenir au but de mes désirs. Rebuté de tant de tentatives inutiles, j’attendais qu’un moment plus heureux me mît à même de faire imprimer moi-même mon ouvrage, lorsque jai appris que l’Assemblée nationale avait mis le comble à ses forfaits en faisant arrêter le roi, en le resserrant de plus fort dans sa prison, et en lui enlevant enfin le simulacre de royauté dont elle le laissait encore jouir. A eetie nouvelle, qui a inspiré à tous les bons Français une plus forte ardeur pour venger tant de crimes et tant d’outrages ; à cette nouvelle, dis-je, j’ai cru devoir employer tous lés moyens possibles pour mettre au jour l’exposé de ma conduite. Je ne cesserai donc de faire des envois de mon compte rendu à l’Assemblée nationale et aux journalistes, pour laver mon nom de la souillure ineffaçable dont il serait frappé s’il existait une personne au monde qui pût croire que je reste en silence au milieu des conjurés, et que j’approuve et que j’ai jamais approuvé les principes et la conduite d’une Assemblée dont les forfaits se sont élevés au-dessus de tout ce que nous présente l’histoire des peuples les plus féroces. Ce 15 juillet 1791. Le comte de Pannetier, député de l’ordre dé la noblesse de la vicomté de Gouse-rans aux Etats généraux et libres de France. J'écris non seulement pour mes commettants, mais pour tous les Français, pour les amis de la religion, de la monarchie et du roi ; s’il en est quelques-uns qui soient encore dans l’erreur, ils trouveront ici de quoi s’éclairer, eux seuls ont droit à mon intérêt, et c’est leur seule indulgence que je réclame. ... Je commence. Qu’un ministre (1) placé au faîte des grandeurs ait voulu substituer sa volonté absolue à celle de la loi, c’est ce que l’histoire des Empires nous présente très souvent ; mais ce qui n’eut jamais d’exemple, mais ce que les races futures auront peine à croire, c’est qu’il ait existé un ministre qui, profitant de la confiance entière que lui accorde son bienfaiteur, le renverse de son trône et le livre, lui et sa famille à des conjurés.... Tel est le spec'able horrible que M. Necker (1) C’est M. Necker qui a soldé les écrivains qui ont exalté l’imagination des Français et ont égaré le peuple, naturellement bon, et attaché à son roi... C’est M. Necker qui a excité les insurrections dans la Bretagne et la Provence avant la convocation des Etats généraux. C’est M. Necker qui a décidé, lui seul, le doublement du tiers Etat, malgré le vœu de la presque totalité des notables, les protesiations des princes du sang, l’expérience de tous les siècles, l’opinion des plus grands légistes, et qui a rompu ainsi l’équilibre qui doit toujours régner entre les éléments qui composent les Etats généraux, et sans lequel équilibre il ne peut exister d’ordre permanent, ni de liberté ..... C’est M. Necker ui a affamé Paris, qui a fait manquer de pain l’armée u roi ..... qui, de concert avec quelques vils courtisans aussi méchants que lui, a engagé le roi à ordonner à ses gardes de se laisser égorger sans se défendre, tandis qu’il avait autour de lui un grand nombre de fidèles sujets qui ne demandaient qu’un ordre pour purger à jamais la terre des brigands qui venaient l’assaillir dans son château .... C’est chez lui où se sont tenues les assemblées où l’on concertait le changement de gouvernement et le détrônement du roi. ... C’est lui, enfin, qui, après avoir vu ses projets accomplis, 494 [Assemblée nationale.] a donné au monde, tel est le chef-l’œuvre de l’ingratitude et de la dépravation du cœur humain, dont cet homme abominable a fourni un exemple pour le malheur d< s Français. En effet, Messieurs, lorsque M. Necker fut rappelé au ministère et fut honoré de la confiance entière du monarque, toutes les classes des citoyens français réunis dans le môme esprit, formaient des vœux pour voir assembler les Etats généraux, pour y voir réformer les abus, et rétablir le gouvernement monarchique dans toute son intégrité; tous réunis dans le même vœu n’en formaient d’autre que pour le bonheur de la France et la gloire du souverain ; nul sujet de discorde ne paraissait devoir troubler cet heureux accord. Le clergé et la noblesse sacrifiaient de leur propre mouvement leurs prérogatives pécuniaires, qui seules pouvaient être à charge aux peuples, et ceux-ci, de leur côté, satisfaits de cet acte généreux, ne voyaient dans ces classes distinguées que des corps'’ leurs protecteurs, et non des ordres leurs tyrans, l’objet et de leur haine et de leur jalousie. Tel était l’esprit des Français lorsque ce ministre repr it le timon des affaires ..... Ah ! qu’un homme vertueux se serait félicité d’entrer dans le minitère sous de si heureux auspices, au moment qu’une si belle union régnait parmi les citoyens de l'Empire! (. Heureux présage du bonheur des Français , que tu fus de courte durée!) Il était réservé à cet homme pervers de voir avec envie cet heureux pronostic: « Non, sedit-il, la France ne sera pas régénérée; je « vais, par mon souffle empoisonné, détruire la rno-« narchie ; et dûtl’anarchie engloutir' ce royaume, « et dût son roi être entraîné dans sa chute, j’é-« tahlirai le gouvernement républicain, je ren-« verserai l’autel, j’élèverai ma secte sur ses « ruines, et les philosophes et moi nous règne-« rons désormais sur la France. » Aussitôt des écrivains et des émissaires soudoyés formententles passions, et souillent partout le feu de la discorde ; les prétentions les plus outrées sont mises en avant, sont soutenues les armes à la main, et le sang des citoyens coule dans les provinces (1). La noblesse enfin, qui, 2 mois auparavant, était chérie de tous, est dévouée à la haine publique... Tels furent les projets et les succès de cet êtçe infernal dont le ciel dans sa colère fit présent à la France, et tels furent b s auspices funestes qui présageaient dès lors la chute de l’Empire. C’est ici, Messieurs, que j’aurai besoin de l’éloquence des Bossuet et des Maury pour vous présenter dans toute sa vérité le tableau de nos malheurs, et des moyens qui ont été pris pour les attirer sur nos têtes ; il ne m’est pas donné de vous peindre ces succès d’horreur et d’injustice ; non jamais les hommes ne furent témoins d’iniquités semblables à celles qui se sont passées sous mes yeux. Je laisse à des plumes plus exercées le soin de peindre ces vérités effrayantes, et le tableau frappant de la corruption humaine; pour moi, je vais me borner avoua faire un narré succinct de ma conduite ....... Une protestation qui fut déposée chez une homme public dans le mois de juin dernier, que je mets sous vos yeux, vous en fera connaître en abrégé les principales parties. a perdu lui-même la confiance du peuple qu’il avait égaré, et qui a quitté la France sans rendre compte de sa gestion, et après avoir eu l’audace de porter en dépense au comité des finances une somme énorme pour les frais de la Révolution. (1) Dans les provinces de Bretagne et de Provence'. [Annexes.] Quelques députés de la noblesse ayant bien voulu l'adopter, j’y parle collectivement. Protestation contre tous les décrets de l’Assemblée nationale. « Nous soussignés, députés de l’ordre de la no-« blesse aux Etats généraux, considérant que les « malheurs de la France sont parvenus à leur » comble; que l’Assemblée nationale, au lieu de « régénérer cet Empire comme elle en avait « flatté tous les Français, l’a précipité dans un « abîme de maux ..... « Que, sous prétexte de cette régénération, elle » a totalement renversé la monarchie française, et « a adopté, pour substituer à cette forme de « gouvernement, un système nouveau composé « d’un mélange monstrueux de principes démo-« cratiques entés sur quelques dispositions mo-« narchiques. . . Que l’établissement d’une pa-« reille Constitution inconnue jusqu’à ce jour « chez les peuples anciens comme chez les nou-« veaux, a rompu tous les liens de la société, et a « livré l’Empire français aux horreurs de l’anar-« chie ..... « Que, dans ces circonstances malheureuses èt « effrayantes pour tous les bous citoyens, il ne » suffit pas aux députés qui se sont opposés à « l’admission des principes dont les conséquences « ont été si funestes, du témoignage de leur « conscience ; mais qu’il est de leur devoir, nonce seulement de se mettre à l’abri des reproches « de leurs commettants, maisde consigner encore « dans un dépôt public leurs protestations contre « les lois nouvelles, et l'exposé fidèle de leur « conduite ..... Qu’il eût été cependaut à désirer « que cette protestation et cet exposé eussent été « faits en corps par tous les députés qui ont « marché sur la même ligne; mais que, comme « tout moyen de réunion est entièrement enlevé « à ceux qui désapprouvent les principes de la « prétendue Assemblée nationale, nous sommes « réduits à nous acquitter particulièrement de ce « devoir. c Nous déclarons donc, d’après tous ces motifs, « qu’appMés par le choix de la noblesse de nos « bailliages à l’honneur de la représenter aux » Etats généraux convoques en trois ordres sui-« vant la Constitution,� l’Etal, nous étions non « seulement chargés par nos mandats de rétablir « ceite Constitution dans toute son intégrité, d’en « assuier les fondements en faisant réformer les « abus, en établissant d’une minière irrévocable « la liberté individuelle, la responsabilité des « ministres et la périodicité des Etais généraux ; « mais qu’il nous était ordonné encore de faire « l’abandon des privilèges pécuniaires attachés « à notre ordre, et de condescendre à tous les sa-« orifices qu’on pourrait raisonnablement solli-« citer, pourvu qu’ils ne portassent pis atteinte « aux droits du trône, aux prérogatives politi-« ques de la noblesse, aux propriétés et à la jus-« tice due à tous les citoyens, sans l’exercice de « laquelle il n’existe jamais ni société libre ni « gouvernement. « Tels étaient les principaux articles de nos « mandats, auxquels nous nous sommes conforte més, et que nous avons soutenus dans la « Chambre de la noblesse, avec le respect reli-« gieux que tout mandataire doit avoir pour les « volontés de ses commettants, et avec le courage « qui fut toujours le principe d,es actions de la « noblesse française ; ni les menaces, ni les sé-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 495 « ductions, ni tons lesmoyenscriminel? employés « par les ennemis de la France, n’ont pu nous « engager à déroger à des principes aussi sûrs ; « c’est en vain qu’une cabale composée u'ambi-« tieux a voulu nous associer à ses crimes, sous a l’appât de l’élévation à la pairie... C'est en vain « que des scélérats ont excité contre nous une « populace effré née, et ont déugné nos têtes aux « coups des assassins... C’est en vain que nos « propriétés (1), nos familles et tout ce que nous " avons de plus cher ont été menacés; fermes « dams nos principes, suivant toujours la ligne « tracée par l’honneur et par nos commettants, « nous avons repoussé avec horreur l’insidieuse « morale du suborneur et tout sentiment de « crainte que la nature eût pu nous inspirer po >r « nous dévouer totalement à la défense des vrais « principes et à l’acquit de nos devoirs. « C’est au milieu de ces orages que nous arri-« vâmes enfin à l'époque de la séance royale « du 23 juin 1789. La déclaration du roi qui y fut « prononcée, fut discutée avec la plus grande « attention dans nos bureaux et dans la Cham-« bre de la noblesse, et après une et longue dé-« libération, elle fut acceptée, sans nous arrêter « à la forme dans laquelle elle fut prononcée; * nous pensâmes a\ec raison que ce défaut ne « suffisait pas pour nous autoriser à rejeter un « acte dans les dispositions duquel on trouvait « la conciliation entre les trois ordres sur le « mode de délibérer, et les bases de la liberté et « du bonheur des Français ; nous acceptâmes < donc c tte déclaration sans nous arrêter à sa « forme, et après avoir rempli celle qu’exigeait « la religieuse observation de nos mandats ; mais « ce fut en vain que nous usâmes de cebe con-« descendance. La majorité de la Chambre du « tiers état séduite par ses orateurs, refusa avec « mépris ce bienfait qui, accordé 3 mois plus « tôt, eût fait dresser des autels au Prince, qui « l’offrit à la nation; ainsi cette déclaration qui, « passaut par des mains pures, eût été la source « du bonheur des Français et de la prospérité « de l’Empire, empoisonnée par des mains cri-« minelles, devint un présent funeste, puisque « les méchants la présentèrent au peuple, comme « étant le prélude d’actes de tyrannie et d’oppres-« sion qui, depuis Néron, n’entrèrent jamais « dans le coeur d’un prince. « Le refus du tiers état, qui s’était déjà, cons-« titué Assemblée nationale, malgré l’opioion « contraire, soutenue par les gens sages et édai-« rés, qui leur représentaient en vain... qu’ils « n’avaient pas été envoyés pour former à eux « seuls les E ats généraux, encore moins pour se « créer Assemblée nationale ; que quoiqu’il fût « recommandé à la plupart d’entre eux, de voter «< par tête, leurs commettants n’avaient pas pré-« tendu leur pre-u rire parla d’usurper les droits « des deux premiers ordres, et de changer ainsi -< la nature des Etats généraux, qu’ils savaient « tous très bien qu’il existait une loi constitu-« tionnelle, qui avait été consacrée d’une manière « authentique par les Etats généraux de 1353, « 1357,1561,... qui s’explique eu ces termes : « Nul arrêté ne peut avoir force de loi sans le « consentement du monarque et des trois ordres « de l’Etat; qu’il était vrai que ces trois ordres « avaient le droit de voter en commun, mais que « ce ne pouvait être que de leur consentement (1) J’ai eu deux usines incendiées et mes forêts dévastées, et, dans ce moment, on me mande que mon homme d’affaires a reçu ordre de sortir de mon château. « libre, joint à celui du roi ; et que, votant en « commun ou séparément, ils formèrent toujours « les Etats généraux du royaume, et non une » Assemblée nationale... Que lorsque Philippe « le Bel appela le tiers état pour la première fois « aux Etals généraux, du consentement des deux « premiers ordres, il n’avait pas prétendu leur « concéder alors le droit de détruire un jour « ceux qui l’avaient constitué, et de méconnaître « ainsi l’autorité qui lui accorda la quatrième « partie du pouvoir législatif; ce fut en vain que « les députés, qui prévoyaient les suites fu-« nestes de cette insurrection contre les vrais « principes, employèrent tous les moyens propres « à ramener les esprits. Rien ne fut écouté (1) ; « et malgré l’arrêt du conseil, qui cassa cette « institution nouvelle, malgré les différentes op-« positions des deux premiers ordres, le tiers « état continua à délibérer dans cette forme, « après avoir reçu dans son sein plusieurs inein-« bres du clergé et quelques-uns de la noblesse, « attirés la plupart par des vues d’intérêt, de « vengeance ou de confiance aveugle. « Le refus obstiné du tiers état d’adopter, « même de délibérer sur une déclaration, dont « les dispositions n’étaient autre chos • que le « résumé complet de celles de presque tous leurs « cahiers, allait décider la Chambre de la no-u blesse à prononcer son veto contre l’usurpation « que le tiers état faisait de l’entier pouvoir « législatif, même de la portion qui appartenait * au roi, lorsqu’elle reçut une lettre du roi lui-« même, qui priait sa fidèle noblesse de lui « donner la marque d’amour et d’atlachement, « de passer à la Chambre commune, faisant an-« noncer en même temps que ses jours étaient « dans ce moment en danger, et que cette dé-« marche de l’ordre de la noblesse pouvait seule « les garantir... Cédant alors aux sentiments « d’amour pour son roi, sentiments dont la no-( t blesse française donna de tous les temps des « marques si touchâmes et si nobles, elle fit ce « que la crainie de la mort n’eût jamais pu ga-« gner sur la plupart de ses membres, elle passa « à la Chambre commune. Pour nous, croyant alors nos fonctions ter-« minées, nous fîmes nos protestations contre « tout ce qui serait délibéré par l’Assemblée na-« tionale, nous les déposâmes sur le bureau de « la chambre de la noblesse, qui nous en accorda « acte, et sur celui du tiers état, qui nous le c refusa, et nous nous mirâmes les uns dans « nos provinces, et les autres cessèrent de prendre « part aux délibérations, nous réunissant tous à « pônser que cette Assemblée était et serait tou-« jours incompétente pour proposer les lois qui « doivent régir la France. « Mais notre retraite ne peut être de longue « durée. G�tte création monstrueuse d’Assem-« blée nationale ayant été le signal dans tout « l’Empire d’une persécution contre les nobles, « le ferles poursuivit de toute part, le feu in-« cendia leurs possessions, et dans ces jours d’a-« veugiement féroce, on vit le moment où la (1) M. Martin d’Auch, député du tiers état de Castel-naudary, ayant eu le courage de protester contre l’arrêté de son ordre, évita, avec peine, le poignard qu’on voulait lui plonger dans le sein, au milieu de l’assemblée du Jeu de Paume... La députation du tiers état de ce bailliage est remarquable par l’action de ce député, et par le courage soutenu de son confrère M. de Guillermy, dont le nom passera à la postérité de la manière la plus honorable. 498 [Assemblée nationale.] « noblesse française serait entièrement éteinte « par les coups redoublés des assassins dans le « même jour. Plusieurs des nobles qui échap-« pèrent à cette conjuration générale,� mais qui « restèrent toujours exposés aux mêmes dan-« gers, nous prièrent, pour obtenir leur tran-« (juillité, de prendre nos fonctions dans cette « Assemblée nationale, d’où partaient les pros-« criptions... Sauver la vie à plusieurs de nos » commettants nous parut un motif assez puis-« saut pour nous engager à condescendre à « leurs vœux, en assistant physiquement aux « séances de cette Assemblée; quelques-uns « d’entre nous reçurent même de nouveaux pou-« voirs, demandés le fer à la main, et que les •' mêmes circonstances les forcèrent à présenter; « mais nous les regardâmes toujours, ces nou-« veaux pouvoirs , comme insuffisants pour re-« ti acter ceux qui, dressés par une assemblée de bailliage légalement constituée, portaient « l’empreinte de la raison et de la liberté; au « lieu que les nouveaux, provoqués par les bri-« gands, consentis par un petit nombre de mem-« bres isolés, portaient avec eux un signe de « réprobation et de nullité. Tels furent les mo-« tifs qui nous forcèrent à assister aux séances « de l’Assemblée prétendue nationale, à être té-« moins de tous ses décreis, des scènes horri-« blés, qui précédèrent et suivirent l’attentat des « 5 et 6 octobre, et, de toutes les suites funestes « qu’entraîna le séjour du roi à Paris, jusqu’au « jour cù, réunis dans le même esprit, nous dé-« durons au roi, aux Français, à la noblesse et « à l’Europe enlière, que persistant aux protesta-« lions par nous faites dans la Chambre de la « noblesse, nous déclarons protester de plus « fort contre tout ce qui a été délibéré par l’As-« semblée nationale comme étant inconstitu-« liunnelle ; et fût-elle revêtue des formes nécessaires pour lui attribuer les mêmes pouvoirs « qu’aux Etats généraux, nous protesterions en-« core contre tous les décroîs qu’elle a rendus, ;< comme ayant été extorqués par la force, FAs-« semblée ayant été sans cesse entourée inté-« rieurement et extérieurement de brigands scu-« doyés, qui, par des menaces, dictaient les « suffrages de ceux à qui il n’avait pas été « donné le courage de voter d’après les senti-« ments de leur conscience au milieu des assas-« sins (1). Protestons pareillement contre toutes a les sanctions et acceptations données par le « roi, comme n’étant pas l’effet de sa volonté « libre; ce prince, depuis sa prison dans le sein « de la capitale, ayant toujours été environné de « dangers, et étant journellement obsédé par les « conseils de ses plus dangereux ennemis; dé-« clarons donc, par tous ces motifs, ne pouvoir « ni ne vouloir adhérera aucun desdils décrets, « en appelant à toutes les nations policées, aux « bons Français et à la justice divine qui vengea « toujours les opprimés; et en cas que le dépôt « où nous déposerons la présente protestation « vînt à être violé, nous déclarons que nous en « avons déposé une conçue dans le même esprit « dans les pays étrangers, afin qu’il reste des « traces de notre conduite, et qu’il existe un « titre conservateur pour les bons Français qui « pourront un jour demander le rétablissement (1) L’on vit souvent des députés menacer ceux de leurs confrères qui étaient connus par leur faiblesse, et leur dire que s’ils ne donnaient pas leurs voix pour telle opinion, ils seraient dénoncés au peuple comme étant leur ennemi. [Annexes.] « de la monarchie, et qui voudront redonner à « notre sainte religion le lustre et les droits que « les philosophes et quelques hérétiques lui ont « enlevés dans ce royaume, qui fut si long-« temps l’asile de la vraie foi, c’est-à-dire, d’une « piété pure, dépouillée des superstitions et des « erreurs philosophiques. À Parij, ce 26 juin 1790. 11 me reste à vous rendre compte du temps qui s’est écoulé depuis le mois de juin jusqu’à l’époque où j’ai quitté Paris et l’Assemblée nationale... Vous le savez, Messieurs, il u’existait plus alors non seulement de monarchie, mais même de gouvernement; les pouvoirs usurpés par l’Assemblée nationale n’avaient pu se fixer dans son sein, ils étaient passés tous non entre les mains de la nation et du peuple, mais dans celle de cette horde de brigands soudoyés, que des associations criminelles (l), établies dans les grandes villes du royaume faisait mouvoir à leur volonté ; les nouvelles les plus affligeantes se succédaient journellement et la tribune ne retentissait plus que du récit funeste des citoyens égorgés dans le sein de nos cités et dans les bras de leur famille; des tr bunaux dévoués à la haine du peuple par les orateurs de l’Assemblée, n’offraient plus de ressources aux victimes malheureuses qui invoquaient en vain la protection des lois... et la force armée, entièrement insubordonnée, menaçait enfin tous les citoyens des calamités qui dépeuplaient la France, lorsque le grand Charles V expulsa b s compagnies armées connues dans notre histoire pour un des plus grands fléaux qu’ait supporté cet Empire..... Tel était le gouffre profond où les crimes d’une armée avaient précipité la France, ce superbe royaume qui, au moment de la convocation des Etats généraux, passait encore pour le mieux policé de l’univers. La minorité de l’Assemblée nationale employait en vain toute sou énergie pour provoquer des décrets propres à arrêter le cours de ces calamités ; c’était au nom de la patrie qu’elle conjurait les tyrans qui dominaient l’Assemblée de mettre enfin un terme à tous nos maux, mais ses instances furent sans effet, et les cris de la raison et de l’humanité furent toujours étouffés par ceux de la rage ....... Tant d’efforts inutiles avaient enfin jeté dans le découragement celte partie saine de l’Assemblée, qui oublia toujours ses propres malheurs pour ne s’occuper que de ceux de la patrie ; elle était, dis-je, entièrement découragée lorsque les magistrats chargés de découvrir et de poursuivre les auteurs do crime affreux commis les 5 et 6 octobre dans le palais de nos rois se présentèrent à la barre : « Le voile est enfin dé-* chiré... il est connu, ce secret plein d’horreur, » « s’écrièrent ces magistrats (qui seraient encore respectes si une faiblesse criminelle (2) n’eût fait oublier les services et les vertus de plusieurs siècles) : « ils sont connus (dirent-ils) ces scélérats « qui, après avoir ensanglanté les marches du « trône, ont voulu plonger le poignard dans le « sein du meilleur des rois et dans' celui de sou « auguste épouse, ils sont connus et plusieurs « siègent au milieu des législateurs. » Cette vérité, soupçonnée depuis longtemps, et dévoilée ainsi à la face de la France entière, donna quelque espoir aux honnêtes gens. « Voici donc « (dirent-ils) le moment où la raison va repren-(1) Les clubs des amis de la Révolution composés la plupart des hommes les plus mal famés de leur ville. (2) La condamnation do M. de Favras. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] « dre tous ses droits, le glaive de la justice est « suspendu sur la tête des coupables : qu’il « frappe; et la France, arrachée des mains des « scélérats, sortira du gouffre où leur crime « l’avait plongée... » Mais il fut bientôt évanoui, cet espoir consolant ; les orateurs de la minorité demandèrent en vain que le Châtelet eût à poursuivre et à faire justice, ils ne furent pas écoutés, et un des accusés (1) dicta lui-même le décret qui renvoyait la procédure au comité des rapports, à un comité dont la plupart des membres inspiraient avec raison les soupçons les mieux fondés sur l’indulgente opinion qu’ils portaient sur la nature de cet attentat, mais quoi ; un attentat! L’événement du 6 octobre n’en est pas un ; ce n’est pas même un crime, s’écriaient avec fureur ces anthropophages législateurs (2), c’est peut-être une erreur patriotique que l’Assemblée et la France auraient dû oublier : oui, Messieurs, la confiance des scélérats fut alors portéeàun tel point, qu’ils se faisaient gloire d’approuver publiquement un crime dont l’histoire des nations les plus féroces nous offre à peine quelques exemples. Leur audace depuis ce moment ne fit que s’accroître et vint au point qu’un député de la minorité (3) ayant eu le courage de reprocher à l’Assemblée de souffrir dans son sein les membres accusés de l’assassinat des princes, tandis qu’elle poursuivait avec acharnement un membre de la minorité (4) pour s’être livré à un acte de bienfaisance; leur audace, dis-je, fut telle qu’ils osèrent demander que celui qui avait fait cette sage remarque lût envoyé 8 jours en prison ; enfin l’Assemblée condamna ce franc et loyal gentilhomme à 8 jours d’arrêt. Ce fut par ce décret infâme, suivi bientôt de celui qui déclara n’y avoir pas lieu à inculpation contre les députés accusés de régicide, que la majorité de l’Assemblée naiionale refusa d’assumer sur sa tête les crimes qui, je vt-ux lecroire, n’étaient le fait que de quelques-uns de ses membres. Alors, Messieurs, convaincu par une longue expérience, que les efforts de la minorité pour s’opposer au torrent qui entraînait la France à sa perte étaient totalement impuissants,... que l’opposition aux volontés des factieux, au lieu de ralentir leur course criminelle, ne faisait, au contraire, qu’augmenter leur audace, et, craignante ifin qu’un plus long séjour dans le sein de l’Assemblée ne parût aux yeux de plusieurs une approbation de quelques-uns deses principes, je me suis décidé à abdiquer mes fonctions, et à quitter un séjour où les sentiments vertueux étaient condamnés, et où le crime toujours triomphant semblait avoir fondé à jamais son empire. Je vous devrai encore, Messieurs, un compte des avis que j’ai donnés dans les différents décrets rendus par l’Assemblée nationale; mais, comme, si je m’étendais beaucoup, je pourrais tomber dans des répétitions inutiles, je me bornerai à vous (1) Le comte de Mirabeau. (2) Ou peut avec raison appeler anthropophages ceux qui approuvent les crimes des 5 et 6 octobre, puisqu’on vit, dans ces jours d’horreur, des femmes orner leur tête de morceaux palpitants de chair humaine, et manger leur pain trempé dans le sang des innocentes victimes de la Révolution. (3) Le président de Frondeville, dont la noble sensibilité lui a acquis l’estime des bons Français et l’amitié sincère de ses confrères. (4) L’abbé de Barmont avait donné asile à M. de Bonne-Savardin, une des victimes du despotisme et de la tyrannie des comités de recherches. lre Série. T. XXXII. 497 faire connaître quelle a été mon opinion dans le3 questions les plus important -s. Je vous déclare donc, Messieurs, que dans la dernière délibération que, prenait la chambre de la noblesse lorsque le roi en arrêta le cours (1), je me rangeai à l’avis de ceux qui préféraient mourir à leur place, que de se rendre à la chambre commune pour y concourir à la destruction de la monarchie (2). Je n’ai pris part ni par ma présence, ni par mon adhésion au décret des 4 août et jours suivants, ni à celui qui porte déclaration des droits de l’homme (3), décret funeste, qui, dans les mains du peuple, est un continuel sujet d'opposition aux lois : car toutes dérogent et doivent déroger aux droits de l’homme qui est réduit, quand il en jouit, à l’état de nature, c’est-à-dire, dans celui de l’homme sauvage (4) vivant dans les bois. J’ai été de l’avis du décret rendu sur la question élevée par la faction d’Orléans, sur les droits de la maison d’Espagne à la succession de la couronne de France, parce que j’ai pensé que cette question proposée sans motif naturel, et soutenue par les moyens les plus criminels, cachait des vues sinistres que les événements n’ont q e trop fait connaître. J’ai été d'avis que le roi continuât de jouir du veto absolu, non seulement parce que nous n’avions pas le droit de le lui ôter, mais encore parce qu’il n’y a pas de monarchie quand celui qui porte le nom de roi n’est pas partie intégrante du pouvoir législatif; l’effet du pouvoir suspensif est de produire de continuelles agitations dans les corps politiques. Celui qui commande la force armée pouvant être aisément tenté de s’opposer à une loi à laquelle il a donné un consentement forcé, il est du moins, dans ce cas, t ujours disposé à ia faire mal exécuter; ce qui devient un continuel sujet de guerre entre le pouvoir législatif et l’exécutif qui entraîne finalement la destruction de l’un ou de l’autre, et par conséquent le despotisme ou l’insurrection, qui est bientôt suivie de la dissolution des biens sociaux, et enfin de l’anarchie. ..C’est dans ce dernier état que nous a conduit le veto suspeDsif,qu!, employé une seule fois (5) par le roi, a provoqué les premiers crimes qui commencèrent les 5 et 6 octobre, (1) Par la lettre qui nous annonçait que sa vie était en danger dans le moment. (2) Nous connaissions alors la conjuration, et ce fut cette connaissance qui fit résister si constamment à la vérification des pouvoirs en commun, qui entraînait naturellement le délibéré par tête. La noblesse savait bien qu’entraînée dans la chambre du tiers état, elle ne pourrait que faire des efforts impuissants pour arrêter le projet des factieux. (3) J’étais alors dans ma province, étant parti le 20 juillet de Versailles, et n'y étant revenu que le 29 août. (4) L’homme né sauvage est bien moins dangereux dans cet état, que ne le devient celui qui a vécu dans la société; l’âme du premier, accoutumée à céder à la nature, n’en connaît que les mouvements qui sont toujours justes, et rarement féroces... Celle du second, tourmentée par les passions inséparables des sociétés, qui sont la plupart étrangères à la nature, n’ayant plus de frein, conseille à l’homme tous les crimes nécessaires pour satisfaire la haine, la jalousie, l’avarice et tous ces mouvements désordonnés qui troublent si souvent les sociétés. (5) Ce fut au milieu des brigands que le roi fut forcé, le 3 octobre, de sanctionner les décrets des 4 août et jours suivants, sur lesquels il avait fait à l’Assemblée des réflexions aussi justes que judicieuses, réflexions qui furent reçues avec indignation, et même avec fureur par les chefs des facteux. 32 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.} 498 [Assemblée nationale.] Je n’ai pas été de l’avis du décret qui met les biens du clergé à la disporition de la nation; je pensai qu’ils é aient, ainsi que remploi de leur revenu, soumis à la surveillance du gouvernement et non à sa disposition. Je m'opposai au décret qui dépouille le clergé de l’administration de ses biens, par la certi uae que j’avais que le changement de leurs administrateurs entraînerait leur entière dilapidation. Je me suis opposé enfin à tous les décrets qui portaient atteinte aux propriétés, à la liberté individuelle, aux droits de l’Eglise gallicane, et à ceux surtout qui ont mis l’Assemblée dans l’état de schisme... J’ai suivi la minorité aux assemblées qu’elle a tenue-* aux Capucins, et j’ai signé sa déciatation, monument précieux, où l’on trouvera le nom de la plupart de ceux qui, éta 1 1 s vrais amis du peuple, ne l’ont jamais flatté et ont résisté avi c courage à tout ce que ses adulateurs ont fait pour son malheur; je me suis enfin opposé aux déere s sur les finances qui réforment certaines perceptions avant de les avoir remplacées à l’émission des assignats, dont l’elfet a ruiné le commence et l’industrie, dont le résultat bouleversera les fortunes particulières, après avoir totalement ruiné la fortune publique; et à ceux enfin qui, dépouillant le roi de tontes les prérogatives que les besoins du peuple avaient attachées au trône, l’ont rendu étranger à la nouvelle Constitution. Tel a été mon vœu dans les différentes occasions où j’ai donné ma voix, et quoique j’aie toujours regardé les décrets de l’Assembée comme n’ayant pas tes qualités requises pour faire la loi, je me suis toujours fait un devoir sacré de voter d’après ma connaissance et l’impulsion de ma conscience. Vous qui lirez le tableau que je viens de tracer; vous qi i, du fond des provinces, ne connûtes l’Assemblée nationale que sous de? couleurs empruntées, ouvrez enfin les yeux et jetez un regard attentif sur la conduite de vos représentants : vous les chargeâtes tous de travaiil r, de æonc.ert avec le princé bienfaisant qui les appela auprès de lui, au rétab is-ement de l’ordre dans toutes les parties de l’administration, et à procurer à la France le surcroît de gloire et de prospérité dont elle était susceptible... Des discussions nui paraissaient étrangères au bonheur public retardèrent 1’heureux effet des vues salutaire? du monarque; il en gémit et son cœur magnanime ne put souffrir qu’uue dispute de forme retardât plus longtemps les jouissances de son peuple; il prit alors vos cahiers, il en combina les dispositions et il vint au milieu de vos mandataire� présenter un nouveau code de lois (1), dans les dispositions duquel se trouvaient les principal sclaust s de vos mandats; il venait vous offrir le bonheur et poser au milieu de vos représentants la première pierre du vaste et brillant é dfice que peu d’années de travaux eussent mené à la perfection ... Oui, Fiançais, si les soins de ce prime bienfaisant avaient eu le succès qu'il devait en attendre, vous seriez heureux aujourd’hui, libres (c’est-à-dire) soumis à la loi et n’ayant rien à redouter que la peine due à son infraction; l’abondance et les richesses environneraient votre séjour, et les cris d’allégresse et de bonheur retentiraient sans cesse autour de vous... Mais qu’est itonc devenue cette lui bienfaisante qui (levait produire de si heureux elle s? (1) La déclaration du roi du 23 juin 1789. Ce qu’elle est devenue, Français! elle fut rejetée avec indignation; elle fut repoussée avec horreur; et la main qui présentait ce bienfait inappréciable vous fut peinte par la plupart de vos représentants comme celle d’un tyran prêt à plonger le poignard dans le sein de ses sujets; ils vous dir nt alors, ces reptésentants infidèles : cette loi n’est pas celle qu’il vous faut, c’est uu serpent qu’ou a environné de roses pour blesser plus sûrement et c’est nous qui voulons donner de boni es lois, et qui nous chargeons seuls de faire voire bonheur... C’est ainsi que vous parlèrent les législateurs perfides et présomptueux qui sacrifient votre bonheur certain à l’orgueil-leu e satisfaction de tout détruire pour créer une non \ elle forme de gouvernement dont l’histoire des peuples n’offrit jamais de modèle (1). Mais regardez autour de vous, et contemplez les effets de ces lois annoncées avec tant d’emphase, et voyez quel est le bonheur promis avec tant d’assurance... Des décombr es immenses vous environnent de toute part, voyez le sol de la France inondé du sang de ses habitants, voyez la guerre, la famine, et tous ces fléaux qui, à l’envi, se disputent leur proie. Que sont devenus celle foule d’étrangers qui venaient partager le bonheur que la France procurait à ses habitants; que sont-ils devenus? Vous le savez, Français, ils ont fui un séjour où l’humanité était tous les jours offensée, et où le? droits les plus saints étaient impunément violés; ils ont tous fui, et ont été suivis par ceux de vos compatriotes, qui ont pu porter avec eux de quoi subsister sur des terres étran-gè es. Et ce commerce brillant qui attirait dans vos murs les richesses du nouveau monde, et les manufactures d'où des millions de vos frères liraient leur subsistance et celle de leur famille, que sont-elles devenues? Tout a disparu, les baïonnettes ont remplacé le fus> au et la navette; le papier a remplacé l’or, et chacun armé pour garder sa propriété est toujours prêt à livrer un combat pour la préserver des mains d’une foule de malheureux que la France ne peut plus nourrir dan? son sein... Voilà, Français, l'effet des lois que vous avez reçues sans les connaître; voilà ce bonheur et cette liberté si vantés; cette liberté t il n’en existe d’autre que celle de faire du mal im-puné i eut. Ouvrez donc les yeux, il en est encore temps, demandez compte à vos représentants du dépôt sacré que vous leur confiâtes; dtmandez-leur où est la monarchie, qu’est devenu votre roi, ce roi si bon, et cette religion sainte qui vous fut trammisepar vos pères dans toute sa pureté, mais Us n’oseraient répondre à cette demande; ils savent que le crime vous fit toujours horreur, et plusieurs n’auraient à vous présenter qu’une longue suite de forfaits dont le tableau vous ferait frémir; mais moi je vais vous le dire : écoutez. La monarchie n’existe plus, une partie de vos représentants l’a vendue à un prince assassin; d autres altérés de la soif de régner ont voulu établir le gouvernementrépublicain.et s’en rendre (1) Je ne prétends pas inculper la plupart des députés du tiers état du Comminges, ma patrie ; je dois leur rendre justice ; M. Pegot , de Saint-Gaudens, a mérité l’estime des honnêtes gens par sa fermeté et sa droiture; M. Latour , d’Aspet, rempli de bonnes intentions mériterait les mêmes éloges, si un peu plus de courage lui eût donné la force de suivre toujours l’impulsion de sa conscience ; M. Laviguerie, de Muart, a toujours témoigné de l’horreur pour les actions criminelles. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [Annexes . ] 499 les seuls arbitres-, et le plus grand nombre, sans courage, n’ont jamais osé résistera leurs projets criminels. Votre roi ! Il gémit depuis 18 mois dans une Erison et pleure sur des sujets ingrats et mal-eureux qui le laissent depuis cette époque sous le couteau des assassins. La religion! Une philosophie barbare l’a remplacée, l’autel est renversé, toutes les sectes partagent ses dépouilles. vos finances ! Elles sont entièrement dilapidées. A l’ouverture des états généraux, la contribution des privilégiés et quelques réformes pouvaient combler le déficit, aujourd’hui legoulfre est incommensurable, la dette a augmenté avec une progression effrayante, et le Trésor public, sans cesse alimenté par les plus grands sacrifices, ne peut plus suffire aux sangsues qui l’épuisent : il ne reste qu’un gouffre profond dans lequel la valeur de la France ne paraîtrait qu’à peine. Voilà le résultat des travaux de vos législateurs, voilà le présent funeste qu’ils vous ont fait... mais l’espérance vous reste encore, une planche vous est offerte dans le naufrage ; prenez la déclaration du roi du 23 juin 1789, pesez-en toutes les dispositions, et vous verrez que toutes tendent à votre soulagement, à votre bonheur et à la prospérité de l’Empire ; demandez donc son exécution, qui ne sera autre chose que celle de vos propres cahiers, et par conséquent l’exécution de la volonté générale du peuple français, exprimée librement et légalement. C’est à vous au milieu de qui s’éleva mon enfance, c’est à vous peuple du Couserans et du Gomminges, que je m’adresse aujourd’hui plus particulièrement, vous ne les aurez pas sans doute oubliées les années passées au milieu de vous, ces années employées à faire du bien à mes vassaux, et ces dernières surtout, dans le cours desquelles je défendis si souvent vos droits dans l’administration de la province... Croyez celui qui fut toujours votre ami, et qui ne vous trompa jamais et repoussez les conseils insidieux de ceux que vous ne connûtes jusqu’à ce jour que par leur tyrannie et leur mauvaise foi. Je sais que la tâche que je viens de remplir et que les conseils que je vous donne m’attireront l’animadversion des méchants ; je sais que celui qui a le courage de dévoiler la conduite des tyrans se fait en eux des ennemis implacables; je le sais, mais je sais aussi que le règne des méchants est de courte durée, que la vengeance céleste est suspendue sur leur tête et que, du laite des grandeurs acquises par le crime, il n’y a qu’un pas jusqu’à l’échafaud ; pensez-y donc sérieusement et suivez mes avis, dans un moment où vous pouvez en faire un mérite éclatant ; sinon, tremblez vous-mêmes qu’un Dieu irrité ne fasse tomber sur vous la peine que ceux qui vous ont trompés devraient seuls supporter. Puissiez-vous profiter des conseils que je vous donne puissiez-vous, les premiers, débuter; dans la carrière de la raison et de la justice, c’est une gloire dont vous êtes dignes, qu’elle ne vous soit donc pas enlevée, et que les races futures puissent un jour dire de vous : « Ils «<♦ furent les premiers qui demandèrent le réta-«* blissement de la religion et de la monarchie, « et qui firent le premier pas qui mena les Fran-c çais au bonheur... >> Si nos vœux sont exaucés, ’est à ce degré de gloire que vous monterez au-ourd’hui. Copie de la lettre que fai écrite au Président de If Assemblée, le 26 décembre 1790, et qui n’a pas été lue , je ne sais pour quel motif. Monsieur le Président, je vous prie de pré venir l’Assemblée que je n'assisterai plus à ses séances, et que, fidèle au mandat qui me fut confié par mes commettants, et au serment que j’ai fait librement au pied des autels, je répandrai jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour en soutenir et défendre les dispositions. Le comte de Panetier, député de l’ordre de la noblesse de la vicomté de Couserans aux états libres et généraux de France. Vœu de la plus grande partie de la minorité de l'Assemblée nationale , sur la réforme des finances et le soulagement des peuples. Suivant le discours de M. Necker, fait à l’ouverture des états généraux, le déficit à cette époque se portait à cinquante-six millions de revenu, ci .......... . ........ 56.000.000 liv. Manière de combler le déficit Accepter les 400 millions offerts plusieurs fois par le clergé, le revenu de cette somme serait porté à vingt millions, ci ........ ....... ... 20.000.000 L’impôt des privilégiés doit se,porter, suivant le comité des finances de l’Assemblée nationale, à quarante millions, ci.. 40.000.000 Réduction sur les pensions, douze millions, ci ... . ........ 12.000.000 Réduction sur les dépenses des maisons du roi, de la reine et des princes, huit millions, ci .......................... 8.000.000 Amélioration sur les régies des domaines et bois et autres, huit millions, ci ............. 8.000.000 Réduction de la dépense sur les départements de la g >erre, de la marine, des affaires étrangères et autres, douze millions, ci .................... 12.000.000 Cent millions de rente viagère, qui sont dus par le gouvernement, convertis en rente perpétuels, diminution de dépense, quarante millions, ei.. 40.000.000 Total, cent quarante millions, ci ............. . ..... . . 140.Q00.00Q liv. Le déficit se portait à cinquante-six millions, ci ....... 56.000.000 liv. Restent quatre-vingt-quatre millions de revenu, dont on aurait pu diminuer les impôts; cette somme est équivalente à celle de la taille avant laRévo-lution, ci. ....... . ..... ..... 84.000.000 liv. [Annexes .] 500 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. L’Assemblée nationale a prétendu soulager le peuple en le déchargeant de la dîme et en s’emparant des biens du clergé. La dîme est évaluée à 70 millions de revenu, les biens à 60 millions, ce qui fait u ie somme de 130 millions. La dépense des frais du culte d’après le nouveau régime se portera à 140 millions chaque année, donc il y aurait 10 millions de perte, sans compter les dépenses immenses qui vont rester à la charge de chaque communauté pour l’entretien des églises, des presbytères et des pauvres. Mais, lorsqu’on voit qu’il y a déjà pour un miliard de biens du clergé dévoré, sans qu’on ait payé la moindre dette, et qu’on joint à cela les spoliations faites par les titulaires, les déprédations des brigands et de certaines municipalités, les dépenses de l’Assemblée nationale, les frais pour soutenir la Révolution en soudoyant les clubs, prétendus patriotiques, établis dans les différentes villes du royaume, et les brigands qui sont à leurs ordres, on s’aperçoit que les biens du clergé seront consommés dans 6 mois, sans qu’ils aient servi à diminuer la dette... Les peuples alors seront forcés d’en remplacer la valeur par un impôt énorme, qui, joint à celui destiné pour ayer les administrations et les nouveaux éta-lissements multipliés à l’intini, doublera la totalité de ceux qu’ils payaient avant la Révolution. Accepter les 400 millions offerts par le clergé, faire exécuter les saints canons dans ses articles, et particulièrement dans ceux qui regardent l’emploi des revenus ecclésiastiques et la résidence dans les bénéfices, réduire la dîme au 15e dans les lieux où elle se paye à un taux plus cher, en accordant la permission au clergé de réformer plusieurs bénéfices dans le nombre de ceux qui ne sont pas à charge d’âmes, et celles des maisons réligieuses qui sont devenues inutiles dans l’ordre moral comme dans la politique, était une opération juste, avantageuse à la religion et au peuple, et était par ce double motif dé-siréedans l’Assemblée nationale par ceux qu’on y nomme aristocrates, c’est-à-dire royalistes et défenseurs de la religion catholique et du vrai bonheur du peuple. Tels étaient leurs vœux. Comparez cet ordre des choses avec celui qui existe. Différentes protestations que j’ai faites et que j'ai rendues publiques dans le temps que je suivais les séances de l’Assemblée. Protestation faite lors de la réunion ■ des trois ordres. Messieurs, Mes pouvoirs ne traitent pas la question du délrbéré par ordre ou par tête ; la noblesse de la vicomté de Couserans, assemblée trois semaines après l’ouverture des états généraux (1), avait pensé qu’elle serait légalement décidée au moment où son cahier serait présenté à cette auguste assemblée... Ces motifs l’ont engagée à ne point annoncer de vœu sur cette question. Elle n’aurait jamais pu croire que l’opinion qui a séduit dans ce moment une partie intéressante de la nation pût être au moment d’être adoptée par des considérations impérieuses, que nul bon Français n’tût pu prévoir, et auxquelles les races (1) Je ne suis arrivé aux états généraux que le 18 juin 1789. futures auront peine à croire... J’avais pris sur moi d’accepter la déclaration du roi du 23 juin dernier; intimement convaincu que nul sacrifice raisonnable ne coûterait âmes commettants pour accélérer l’exécution des propositions paternelles de notre monarque, et prouver à l’ordre du tiers état l’attachement particulier dont ils sont pénétrés pour eux ..... ; mais lorsque la Constitution de l’Etat est attaquée dans toutes ses parties, que les prérogatives du trône et la distinction des ordres sont envahies et détruites par l’établissement d’une Assemblée nationale, qui n’a reçu ni la sanction royale, [ni leconsentement desdeux premiers ordres, je ne puis ni ne dois coopérer en rien à un pareil bouleversement, sans connaître préalablement le vœu du corps qui m’a honoré de sa confiance. A cet effet, je demande, Messieurs, que vous receviez ma protestation contre tout ce qui pourrait être fait et délibéré de contraire aux formes établies par les anciens usages, ou par la déclaration du roi du 23 juin dernier, jusqu’à ce que le vœu clairement et librement énoncé de la noblesse de la vicomté de Couserans puisse guider son député dans une carrière aussi épineuse. J’ai l'honneur de vous prier, Messieurs, de m’accorder acte de la présente protestation, déclarant en avoir déposé le jour d’hier sur le bureau de la Chambre du tiers état une qui a le même objet. A Versailles dans la Chambre de la noblesse, le 1er juillet 1789. Le comte de Panetier. Collationné à l’original resté entre les mains de MM. les secrétaires. Le Président D’ORMESSON. Secrétaire de l’ordre de la noblesse. Protestation contre le décret par lequel l'Assemblée prétend réformer la noblesse. L’Assemblée nationale a-t-elle pu, a-t-elle dû dépouiller le roi du droit de créer des nobles?... Une monarchie peut-elle exister sans distinction de rang parmi les peuples qui la composent?... Et, enfin, peut-il exister une autorité qui ait en son pouvoir le droit de faire que tel qui est noble ne le soit plus à l’avenir? C’est sous ces trois rapports que l’Assemblée nationale eût dû envisager la question sur la noblesse, qu’elle a décrétée sans discussion dans sa séance du soir du 19 juin dernier... Je dis sur la première question que l’Assemblée nationale n’a pu dépouiller le roi du droit inhérent à la couronne de récompenser la vertu par le don de la noblesse, et l’Assemblée eût-elle ce droit, elle n’aurait pas dû en faire usage, puisqu’elle enlève par là à tous les Français un sujet d’émulation propre à les exciter aux plus grandes actions, et qu’elle ôte en même temps au gouvernement une source inépuisable de récompense, qui n’eût jamais été à charge au Trésor public. L’Assemblée nationale aurait donc dû, par justice et par politique, respecter le droit de la couronne, et se borner à décréter que la noblesse ne serait plus affectée à l’acquisition d’une charge, mais que telle récompense honorable serait destinée à l’avenir pour ceux qui auraient bien mérité de la patrie... Je pense, sur la seconde question, que là, où il n’y a pas de distinction dans les rangs, existe le gouvernement purement démocratique, qui ne peut être propre pour un grand Empire. Il ré- 501 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] soltera encore du décret rendu contre la noblesse, qu’il n'y aura plus d'intermédiaire entre le roi et le peuple; qu’il y aura toujours un combat entre ces deux puissances, dont le résultat sera que l’anarcbie s’établira en France, et entraînera la division du royaume en plusieurs républiques, qui finiront toutes par être soumises à un despote. Je dirai enfin, sur la troisième question, que l’Assemblée nationale empêchera peut-être les nobles de porter les marques extérieures qui désignent leur condition, mais qu’il n’est pas en son pouvoir d’enlever à la noblesse française le titre qu’elle a acquis par sa valeur, qu’elle a transmis et qu’t lie transmettra toujours à ses enfants, et quelle que soit l’autorité dont s’est revêtue l’Assemblée nationale, elle ne pourra jamais effacer le souvenir des actions généreuses faites à telle époque par ceux qui méritèrent alors le titre de noble, et des vertus qui acquirent à leurs descendants de nouveaux droits à la reconnaissance publique; et cela est si vrai que, si l’on voit quelquefois les enfants des plus illustres maisons dégénérer des vertus de leur père, leurs vices, loin de faire oublier la grandeur de leur origine, et de faire perdre à leurs descendants les droits acquis par leurs ancêtres; leurs vices, dis-je, servent au contraire d’ombre au tableau de leur antique noblesse, et dévouent simplement à l’opprobre celui-là seul qui, ayant des grandes vertus à imiter et par conséquent de grandes obligations à remplir, ne s’en est pas acquitté. Mû par tous ces motifs, par le serment que j’ai fait librement à la face des autels, de défendre de tout mon pouvoir les prérogatives politiques de mes commettants, je déclare, comme député de l’orde de la noblesse de la vicomté de Gou-serans aux états libres et généraux du royaume, protester contre le décret rendu par l’Assemblée nationale le 19 juin dernier, comme portant atteinte aux droits de tous les Français, à ceux du roi, des princes deson sang, et enfin de toute la noblesse; déclare en même temps n’avoir pris aucune part audit décret. A Paris, le 23 juin 1790. Le comte de Panetier. (L’Assemblée nationale a refusé acte de la présente protestation.) Dernière protestation. Gomme député aux états généraux de France, et comme catholique, je proteste contre le décret impie et schismatique, rendu par T Assemblée nationale le 27 novembre dernier, pour forcer le clergé de France à prononcer un serment dicté par les ennemis de notre sainte religion, je déclare avec M. le marquis de Laqueille, mon respectable confrère, vouloir vivre et mourir dans la sainte religion catholique, apostolique et romaine; et, glorieux de marcher sur les traces de ce digne chevalier français, je forme le même vœu que lui en priant Dieu de me rendre digne de mourir pour ma foi et pour mon roi. Ge 25 décembre 1790. Le comte de Panetier.