633 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 avril 1790.] sent mois et dans le mois prochain, qui nécessitent ce secoursextraordinaire, ainsique des fonds dont on doit présumer la rentrée ou craindre le déficit dans ces deux mois; ensemble l’état effectif des deniers existant dans les différentes caisses du Trésor public, et des impositions directes sur lesquelles il y aurait retard de paiement ou de remise, soit de la part des provinces, soit de la part des receveurs généraux. Décrète, en outre, qu’en conformité de ses précédents décrets, sanctionnés par le roi, lous les registres de recette et dépense relatifs à l’administration des finances, notamment ceux connus sous le nom de registres de décisions, ceux des ordonnances sur le Trésor public, et toutes autres pièces qui seront demandées par les comités, leur seront envoyées pour en prendre la communication libre et telle qu’ils aviseront, à l’exception des registres actuels et courants qui sont d’un besoin journalier pour le service des bureaux, et des feuilles originales qui ne sauraient être déplacées sans danger ou sans retard pour l’administration. M. Pison du Galand. Je fais la motion que le comité des linances soit spécialement chargé de prendre une connaissance détaillée des états annuels de recettes et de dépenses depuis et y compris l’année 1789, et d’en mettre le résultat sous les yeux de l’Assemblée. M. de JHontesquiou observe, à cet égard, que plusieurs décrets antérieurs ont pourvu suffisamment à l’objet de cette motion. Il demande l’ordre du jour qui est prononcé. M. Barrère de Vieuzac fait un rapport, au nom du comité des domaines, sur la vente et l'aliénation des domaines de la couronne { 1). Messieurs, l’Assemblée nationale a décrété, le 19 décembre 1789, qu’il serait aliéné jusqu’à concurrence dequatre cents millions des biens du domaine et du clergé, pour êire employés à l’amortissement de la dette publique et à la garantie des nou veaux engagemen ts de la caisse d’escom pte; ainsi, l’ancien principe de l’inaliénabilité du domaine paraît avoir été anéanti, sans avoir été discuté. Nous sommes loin de défendre aujourd’hui une maxime que l’on avait regardée dans d’autre temps comme utile pour la conservation des domaines, et qui peut être considérée, dans l’état actuel des choses, comme inutile. Mais nous avons cru qu’il n’aurait pas été conforme aux vues de sagesse qui président à vos décrets, de la révoquer sans l’avoir discutée, et de ne la décider que par le simple fait. Nous observerons donc qu’un principe, consacré par le vœu de plus de dix assemblées d’Etats généraux, méritait que l’on employât quelques instants à le discuter, parce qu’il était important d’en démontrer les inconvénients, et qu’il était essentiel de bien détruire l’opinion ancienne, pour bien fixer la confiance publique et pour rendre l’aliénation plus avantageuse. Quand il s’agit de détruire, même ce que l’on pourrait appeler ou une vieille erreur affermie par huit ou neuf cents ans d’habitude, par bien exprimé d’une foule d’Etats généraux et par un grand nombre de lois célèbres, il paraît nécessaire d’apporter de la réflexion et de la maturité dans la révoca-(1) Lt Moniteur ne donne qu’un sommaire du rapport. tion, afin que l’on ne craigne point de voir rétablir, par une législature postérieure, un préjugé que l’Assemblée actuelle n’aurait détruit qu’im-plicitement, sans abroger une foule de lois antérieures très solennelles. Nous ajouterons que le décret qui a été rendu exigeait plus de précision. En effet, il fallait révoquer formellement les anciennes lois, motiver cette révocation, et prononcer que les aliénations ordonnées seraient faites à titre incommutable et perpétuel. Il est certain que décider vaguement qu’il sera aliéné des domaines, ce n’est pas détruire le principe de l’inaliénabilité d’une manière exnresse, puisque, dans différents temps et par différentes lois, l’aliénation du domaine a été ordonnée, quelquefois même à perpétuité; mais toutes ces aliénations ont élé considérées comme toujours révocables : ainsi, le mot aliénation, simplement énoncé dans le décret de l’Assemblée nationale, n’est pas suffisant pour décider positivement que le domaine est aliénable. Examinons donc si la nation doit et peut aliéner. Pour y parvenir, nous discuterons d’abord les principes établis par les ordonnances du royaume sur les domaines, et nous espérons de démontrer la nécessité de changer la maxime de l’ina-liônabilité qui a été jusqu’à présent en vigueur. Nous vous présenterons ensuite le tableau des propriétés domaniales actuellement disponibles et aliénables. PREMIÈRE PARTIE. Sur la maxime de V inaliénabilité des domaines. C’est une vérité générale, fondée sur l’expérience dans l’administration des choses publiques, que les frais de régie absorbent presque toujours une grande partie du produit. L’administration des domaines corporels ou territoriaux doit réunir encore plus de vices et d’inconvénients que les autres administrations publiques. D’abord on répare peu et à grands frais ; ensuite des formes dispendieuses sont nécessaires pour constater, ordonner, vérifier et recevoir les réparations. Quant aux frais, le roi a cette préférence bien marquée, qu’ils sont plus considérables et plus chers pour lui qu’ils ne le seraient pour des particuliers. S’agit-il du revenu? tont concourt à l’atténuer. Les baux à ferme sont passés par des préposés qui n’ont jamais vu les biens qu’ils afferment, ou qui ne les connaissent que très superficiellement. Les baux sont à terme fixe. Le fermier, qui s’attend bientôt à voir expirer son bail, ou qui voit sans cela une éviction possible par don, échange, apanage ou engagement, cultive sans intérêt, n’améliore jamais et détruit prevue toujours. Tels sont, sans douie, les motifs qui ont atténué le revenu des biens domaniaux corporels, tandis que toutes les autres terres procurent des accroissements successifs dans le revenu et dans le prix ; les conserver dans cet état d’administration et d’inaliénabiiité, ce serait priver le Trésor public de toutes les augmentations de valeur dont cette portion de biens est susceptible dans la main des particuliers, au moyen des ventes. Un motif plus puissant encore est pris de l’insuffisance évidente des domaines, pour la dépense ordinaire de nos rois. Dans l’état actuel, le domaine et les bois doi- 634 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 avril 1790.] vent produire, au moins, treize millions; et sup-posons-les susceptibles d’augmentation, ils pourront s’élever à une somme de deux millions plus forte, ce qui ferait quinze millions; il ne serait donc pas possible, avec cette somme, de fournir au roi le montant de la liste civile. Un autre motif aussi fort de faire décréter l’aliénation, est pris de la nécessité d’enlever aux courtisans les moyens d’usurper les biens de la nation ou de tenter la bonlé des monarques. Les concessions, les engagements, les échanges, les déprédations déguisées sous toutes les formes, ont réduit les biens domaniaux à si peu de chose; ils ont été si longtemps l’objet des sollicitations, de la faveur et de l’importunité, dont le cours n’a été arrêté que par ce qu’il n'a plus resté des domaines, que c’est rendre un véritable service au monarque, même le plus réservé dans ses dons, de lui enlever les occasions de surprise, et de le délivrer ainsi des sollicitations importunes des courtisans. La maxime de l’inaliénabilité était bonne, quand les rois de France vivaient des revenus de leur domaine. Ce principe était aussi sacré que celui qui dit que l’impôt ne peut être établi sans le consentement de la nation. Ces deux principes ne sont même que des corrélatifs; car si le domaine a été primitivement consacré à l’entretien de la maison royale, la nation avait le plus grand intérêt à empêcher qu’il ne fût pas diminué, pour n’être point obligé d’en acquérir ou d’en former un nouveau, ou d’y suppléer par des impôts sur les peuples. Mais cette grande maxime, bonne pour les temps qui la virent naître, a été inutile, lorsque la prodigalité des guerres a conseillé les monarques. Elle a été illusoire, lorsque les courtisans se sbnt partagés les dépouilles du trône; elle a été enfin nuisible à la nation, lorsque les déprédations ministérielles ont déguisé l’aliénation des domaines, sous le nom d’échanges, de dons, de concessions, d’engagements, d’inféodations, etc, etc. Aujourd’hui que le domaine se trouve réduit par les concessions, les échanges et les envahissements de tous les genres à un tel état d’exiguïté, qu’il suffirait à peine à former un apanage, et que l’on sent partout la funeste stérilité du principe, que les fonds de la couronne sont inaliénables, il serait absurde d’appliquer ce principe au domaine d’un roi qui jouit d’une liste civile, qui est payé par des tributs. L’utilité que la nation retirerait de cette aliénation, est devenue d’ailleurs l’opinion commune et générale. Ici se présente à vos regards la loi de l’inalié-nabilité des domaines de la couronne, loi fondée sur la nécessité de les conserver, et qui, par là, semble devoir être regardée comme ayant toujours été une loi fondamentale du royaume dont on devait reconnaître l’autorité, même avant qu’elle eût été consacrée par les ordonnances, et par le serment solennel des rois lors de leur sacre. Cette maxime ne doit pas être considérée comme particulière à la France. Les anciens publicistes l’envisageaient comme la loi de tou? les Etats, et une sorte de Droit des gens. Car les rois étant faits pour les peuples, ne sont que des dépositaires et des administrateurs, obligés de transmettre à celui qui leur succède. Ce qui a fait considérer les couronnes comme une sorte de substitution ou de fidéicommis légal et perpétuel quant aux domaines qui y sont attachés. Si nçus ççospltops les monun;ents de l’histpire de France (1), nous verrons que la maxime de l’inal lénabilité des domaines était constante dès les premières races de nos rois, puisque ceux qui en usurpaient quelque partie, étaient regardés comme criminels et punis de bannissement et de confiscation. On convient cependant que cette maxime (2) n’a pas été déclarée par une loi sous les deux premières races. Qu’était-il besoin de la déclarer pendant la grande période de la féodalité? Les rois, chargés de leur dépense personnelle, y subvenaient avec les revenus de leurs domaines qu’ils administraient, qu’ils défendaient comme faisaient les autres seigneurs particuliers. Les guerres fréquentes nécessitèrent les premières aliénations. Les usurpations firent les secondes. Les libéralités et les fondations pieuses concoururent bientôt à l’épuiser. Une autre cause de la dégradation des domaines fut la dot des reines et des filles de France, qui consistait en domaines, usage qui a duré depuis Hugues-Capet, jusqu’au règne de Philippe-Auguste. Dans ce même temps les apanages des puînés mâles étaient aussi eu pleine propriété. Le premier trait de la sagesse de nos rois fut de rendre les apanages masculins sous Charles V : on imposa ensuite la condition du retour à la couronne, à défaut d’héritiers mâles, et cette loi subsiste depuis Philippe le Bel. L’époque à laquelle commence à être déclaré le principe de l’aliénabilité du domaine, remonte à Philippe V (le Long). Les aliénations multipliées de Philippe le Hardi firent sentir l’importance de ce principe, et portèrent les rois à lui imprimer, par leurs ordonnances, le caractère de leur autorité. L’ordonnance du 29 juillet 1318 est la première qui révoqua les usurpations et aliénations des domaines, en rappelant les noms des familles puissantes qui s’en étaient emparées. Le principe s’établit, mais sous la réserve des cas oû la raison serait un devoir d’y déroger. « Si ce n’est au cas que nous le doyons faire par raison » : Ordonnance de Philippe te Long, 29 juillet 1218. Ce fut vers le commencement du xiv® siècle que l’on se forma, dans différents Etats, des maximes constantes, et qu’on posa les principes qui ten-daieut à faire regarder le domaine de la couronne comme inaliénable : car les lois sont toujours nées des abus. On dilapidait les domaines, on trouva, dans la maxime de l’inaliénabilité, la matière d’une loi conservatrice, et on la promulgua (3) ; c’est d’après cette idee qu’on voit trois ordonnances, rendues par Philippe Je Long, qui portent révocation de tous les dons du domaine depuis saint Louis, et qui défendent de demander des dons à héritages. Dans la foule des ordonnances, je ne citerai que les principales : une, du 5 avril 1321, rendue par Charles le Bel, ordonne la révocation de toutes les aliénations du domaine comme contraires aux lois du royaume (4) ; une autre ordonnance conforme, de Philippe de Valois, du 22 octobre 1349 : celle de François II, de 1539, les suivit de près. (1) Mézerai, Abrégé historique, iw-12, édit, de 1717, sur la fin du règne ne Charlem igné. (2) Voyez la note qui se trouve sur l’ordonnance de Philippe le Long, du 18 juillet 1318. (3) 18 juillet, 29 juillet 1718, 16 novembre 1718. (4) Premier volume des rois de la première race. 635 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 avril 1790.] Enfin, cette série de lois nous conduit à l’époque remarquable de 1566 ; e’est alors que l’ordonnance de Moulins, ouvrage du grand L’Hôpital, loi aussi respectable par le génie de son auteur que salutaire par la justice de ses' dispositions, consacra solennellement la maxime, que le domaine de la couronne ne pouvait êtje aliéné qu’en. deux cas seulement. Mais est-il vrai que cette loi, provoquée par les Etats généraux, ait empêché les autres causes d’aliénation ? la réponse est facile. Voyez l’état auquel sont réduits aujourd’hui les beaux domaines de la couronne, malgré la rigueur du principe, et jugez si cette loi sévère a pu les garantir. La législation des domaines n’est que l’histoire des efforts faits par les rois pour les dissiper et les reprendre ,* la longue série des ordonnances sur les domaines ne présente qu’une alternative continuelle de l’exécution et de l’infractive de la loi ; des principes consacrés sous un règne, sont violés sous le règne suivant, quelquefois consacrés et violés sous le même règne ; enfin, une législation versatile, fiscale et dégradée, tantôt prodigue, tantôt avare et très souvent injuste, faisant presque à la fois des mouvements contraires pour se détruire et se raffermir. Deux exceptions à la maxime étaient portées par l’ordonnance de 1566: l’apanage à la charge du retour à défaut, d’hoires mâles, et les nécessités de la guerre à la charge du rachat perpétuel. Mais cette prohibition, plus stricte que celle des lois de François 1er et François II, ne fut pas plus respectée : lé domaine a été dissipé sous lesrègnes postérieurs avec plus de profusion encore qu’il l’avait été déjà sous les règnes précédents. Un simple aperçu des lois domaniales va vous en convaincre. Dès 1574, on vendit un grand nombre de terres, fiefs et seigneuries domaniales. Le ministère de Sully, qu’on ne peut rappeler sans un intérêt louchant, ne fut pas exempt de cette infraction à la loi domaniale ; mais les circonstances la rendaient excusable. Ce fut en 1591 et 1592 qu’on ordonna la vente à perpétuité de maisons, « terres, seigneuries et fiefs, greffes, sceaux, tabeilionnage, avec clause expresse qu’à ce moyen les justices deviendraient seigneuriales entre les mains des acquéreurs. » En 1619, un nouvel édit met en vente, à titre de perpétuité, les bois en gruerie, fégrairie, tiers et danger dans toutes les provinces du royaume. En 1641, on impose une taxe du douzième du prix des domaines aliénés, à titre de cens, rentes ou inféodation, et on leur assure laraainteuue à perpétuité en leur possession et jouissance. C’est ainsi qu’en portant atteinte à la perpétuité d’un premier titre, on le revendait une seconde fois, jusqu’à ce qu’une nouvelle loi, du 28 janvier 1651, réunît au doraainede la couronne tout ce qui avait été aliéné. Une inquisition fiscale s’établit; on fit payer des suppléments de finance : le domaine lui-même corrompait ses propres maximes. Je ne vous dirai pas, Messieurs, les nouvelles exceptions que Je besoin fit faire au principe de l’inaiiénabiliié, introduite parles édits et déclarations données eu 1658, 1667, 1 672, 1 697, 1702 et 1708, pour aliéner encore des domaines à titre de propriété inoommutable et d’inféodation perpétuelle, de petits domaines, de directes de justice, et même des bois et forêts. Eientôt après, cette législation dissipatrice dér trait son ouvrage ; de nouvelles ordonnances prononcent des réunions au domaine, des taxes, des suppléments de finances, des reventes. Enfin, le législateur lui-même fatigué, sans doute, de ces lois mobiles qui ne parlaientdu principe que pour le violer, qui n’aliénait que pour trouver de l’argent, qui ne réunissait au domaine que pour les reventes, ce législateur s’écrie lui-même, dans une de ces lois (1), que l’abus des reventes et augmentations de finances était tel qu’il n’en entraitaucun denier dans les coffres du roi. Jugez maintenant, Messieurs, quel bien a pu faire le principe de l’inaliéuabilité du domaine. Qu’a-t-il été ? si ce n’est une vaine théorie aussi impuissante contre la dilapidation des domaines, qu’illusoire pour les acquéreurs, et fatigante pour la confiance publique. Ce siècle n’a pas même exempté les lois domaniales de ce caractère de fiscalité et de variation qui les avait tant de fois dégradées. Depuis l’édit, de 1717, qui ordonna la vente.de tous les petitsdomaines, payables en billets d’État sur le pied du denier 30, une foule d’arrêts du conseil, prodigués jusques en 1777, dérogeant aux lois antérieures, ont purté de nouvelles atteintes aux véritables maximes; ils ont donné des règles aux abus mêmes ; ils ont introduit une fou le d’inventions fiscales pour les concessions à vie et les engagements par ventes et reventes, et n’ont servi que la fraude pour trafiquer honteusement des domaines de la couronne, Un ministre, dont le nom réveillerait des idées défavorables, si Je le prononçais, parce que ses opérations présentent plus de vues de finance que dejustice, nous apprit, par ses arrêts du conseil de 1771, les marchés désavantageux qu’avait faits le domaine. Aucun engagiste, quoique dépouillé du profit de la directe, du droit ue lods et vente, ne fut tenté de renoncer à son engagement. Où est donc, Messieurs, cette loi sacrée de l’inaliénabilité du domaine; et quels fruits la nation en a-t-elle retirés? n’a-t-elle pas été éludée sans cesse? n’a-t-elle pas été défigurée sous tous les règnes? n’a-t-elle pas transformé la législation en un vil agiotage? n’a-t-ei le pas enfin inutilement tourmenté les citoyens et ruiné les domaines de la couronne? et ne vaut-il pas mieux effacer ces taches honteuses de la législation domaniale par un plan utile à l’Etat, par une loi sage qui, portant le caractère de justice et d’immobilité qui assure leur exécution, changera totalement la maxime et établira l’aliénabilité des domiines? Ue projet aurait été exécuté, Messieurs, si le despotisme ministériel et la vue du trône avaient pu transformer des notables eu représentants de la natioh. Alors existait, avec un grand pouvoir, un homme capable de porter de grandes vues dans les finances, et qui les a ruinées; qui eût fait peut-être de grands biens sous le régime national, et qui ne sut qu’attenter aux propriétés sous un régime arbitraire, qui eut qu-dques talents de l’homme d’Etat et les vices d’un mauvais ministre : c’est cet homme qui, présentant avec art les circonstances nouvelles qui devaient faire admettre des exceptions et des dérogations aux lois anciennes, donnait ouverture à la puissance arbitraire eu empruntant le langage des lois. C’est lui qui proposa aux notables rassemblés en 1787, d’aliéner tous les domaines, excepté les bois; mais il n’y avait alors, pour aliéner, qu’un administrateur et (i) Édit d’avril 1667. 636 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [10 avril 1790.] non un propriétaire : la nation n’existait pas. La voici maintenant, Messieurs, par ses représentants, c’est à eux d’établir les véritables maximes et les principes qui doivent sauver l'Etat. C’est à eux qu’il appartient de prononcer l’aliénation des domaines. Il y a certainement un domaine de la couronne, sacré pour les nations comme pour les rois, inaliénable et imprescriptible pour l’administrateur comme pour le propriétaire, et que nulle force humaine ne peut séparer de la couronne; c’est tout ce qui est compris dans l’idée de celte couronne, comme étant attaché à cetteidée par la raison même : tels que les droits régaliens et la puissance exécutive dont le monarque est le chef. Voilà le cas où la nation assemblée déciderait inutilement le contraire; ou bien ce ne serait qu’une erreur politique, ou l’illusion du moment, que le temps seul détruirait bientôt : car le domaine naturel de la puissance publique est inaliénable. Mais il existe un autre domaine, il est des terres et des droits réels qu’une convention solennelle, écrite dans les lois de l’Empire, a unie et incorporée à la couronne, par une fiction qui, imitant la nature, renferme encore le domaine sous l’idée de la couronne. Or, c’est une convention qui forme ce lien, et une convention peut être rétractée par une convention contraire, lorsqu’un nouvel ordre de choses fait naître un intérêt différent. La nature seule fait des lois que la puissance humaine doit respecter; mais cette stabilité n’appartient pas aux lois politiques, et le domaine de l’Etat, le domaine de la couronne n’existe que par la loi politique. L’intérêt de l’Etat est donc que la maxime soit changée, et la volonté de la nation, jointe à sa puissance, suffit pour la changer : l’empêcher ce serait nuire à l’intérêt d’une réformation utile dans l’a Iministration domaniale, dans l’augmentation du revenu public, et dans l’encouragement de l’agriculture. J’ai prouvé que vous deviez et que vous pouviez changer la maxime. Il ne reste plus qu’une objection relative aux biens patrimoniaux et personnels du monarque, car tous les autres dérivent ou de la distribution faite entre la nation et le prince, ou des conquêtes; c’est-à-dire du sang des peuples, ou des réunions, ou des acquisitions, ou des échanges faits par le roi, comme chef de la nation. Une objection se présente. Les domaines patrimoniaux sont-ils séparés de la couronne? les rois peuvent-ils en disposer comme des biens qui leur sont propres et personnels ? Nous aurions, Messieurs, une faible idée de la constitution de l’autorité royale, si celui qui en est revêtu pouvait conserver des propriétés séparées de celles de la couronne : quels dangers vous ouvririez pour une nation qui laisserait à son monarque deux sortes d’empires; l’empire sur la nation, et l’empire de ses propriétés. Non, Messieurs : les rois ne peuvent être propriétaires pour eux; ils ne peuvent être propriétaires pour leur famille ; iis ne peuvent disposer comme les autres citoyens des biens qui leur viennent par succession. Un roi est un être élevé au-dessus de tous les autres citoyens, ne connaissant d’autre supérieur que la loi, d’autre intérêt que celui de la nation, n’ayant caractère de stipuler que pour elle. Dès qu’il monte sur le trône, tous ses biens, tous ses domaines se confondent dans les domaines de la couronne. Ces héritages, ces biens de tout genre, font accession aux domaines nationaux. C’est une chose remarquable dans nos Annales que cette question ne se soit élevée que sous le règne des meilleurs de nos rois; mais si Louis XII et Henri IV voulurent séparer leurs domaines de ceux de la nation, Louis XVI aura encore cette gloire au-dessus de ses ancêtres, de la voir décider par une nation qui substitua des tributs honorables et volontaires, à des domaines stériles et insuffisants. Vous le savez, Messieurs, Louis XII prétendit conserver les comtés de Blois, de Dunois, de Sois-sons, et la seigneurie de Goucy, comme domaines patrimoniaux, séparément de ceux de la couronne, et en disposer comme de biens propres. En 1509 (au mois de septembre) dix ans après être parvenu à la couronne, le prince fit expédier des lettres-patentes en forme d’édit, portant que les comtés et seigneuries de Blois, Uunois, Soissons et Coucy étant domaines particuliers du duc d’Orléans, il n’entendait pas qu’ils fussent confondus avec le domaine royal et public, mais il voulait qu’ils demeurassent dans leur première condition privée, comme héritage maternel et féminin du duc d’Orléans, aliénable et transitoire à tous ses héritiers du même sang et ligne. Personne n’a oublié ce que dit M. de la Guesle: « Cette exception, dit-il, confirme pour tout le reste la règle ou loi générale, et la dérogation montre qu’ordinaire et de droit est la confusion de ces domaines. « Il ajoute que Louis Xll n’ayant aucun enfant mâle, mais seulement des filles qui ne pouvaient succéder ni au royaume, ni à son apanage, poussé par un mouvement d’affection paternelle, et ne pouvant soutenir la pensée qu’elles dussent être privées des biens qui venaient du chef de leur aïeule, se détermina à faire procéder à l’enregistrement des letires de désunion de 1509; sur quoi à toute peine, et employant toute son autorité, il fit vérifier cette déclaration au parlement, mais sans que son procureur général, alors seul et légitime défenseur des droits de la couronne, eût été entendu. Aussi jamais, ajoute M. de la Guesle, cette déclaration ne sortit-elle à aucun effet, sinon pour l’érection de la chambre des comptes de Blois; mais ni les fils ou filles de France n’ont eu, ni prétendu droit en ces terres, et de bonne fortune pour Louis Xll, sa fille aînée fut mariée au successeur de la couronne; car autrement, il n’eût été sans hasard que sa déclaration eût été combattue par cette ancienne maxime, qu'il n'y a qu'un seul domaine public et royal , et non pas un domaine particulier et distinct du domaine royal. » En effet, Messieurs, il n’a pas été néceasaire d’apporter dans la suite une dérogation spéciale à la déclaration de Louis XII ; toutes les terres de la maison d’Orléans ont été regardées par l’édit de Charles IX de 1566, comme confuses depuis longtemps avec le domaine de l’État ; cet édit ne prononce pas d’union expresse de ces terres, il ne les regarde point comme des domaines particuliers qui, demeurés séparés du domaine de l’Etat, et qui eussent besoin d’y être consolidés par une déclaration positive ; il en parle comme de terres déjà accrues et avenues à la couronne par l’avènement de Louis Xll, auquel, avant qu’il fût roi, elles appartenaient à titre particulier, et qui, du moment qu’il avait commencé de les posséder comme souverain, avait transmis cette même possession royale à ses successeurs à la couronne. [10 avril 1790. | 637 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Le même principe devait être confirmé sous Henri IV, pour être encore plus inaltérable. Lorsqu’il parvint à la couronne, le 2 août 1589, il avait extrêmement à cœur de satisfaire ses créanciers ; et n’ayant poiut d’enfants, toutes ses affections se portaient du côté de la princesse Catherine de Navarre sa sœur. Il se proposait de remplir ces objets avec les domaines qui lui avaient appartenu comme roi de Navarre, et comme prince du Béarn. Ce fut sous ce point de vue que, par une déclaration du 13 avril 1590, il avait déclaré qu’il n’entendait pas réunir à la couronne de France les biens patrimoniaux de sa maison, mais les posséder à titre particulier. Le parlement de Paris refusa d’enregistrer cette déclaration; il fit plusieurs remontrances pour établir qu’elle était contraire aux lois du royaume, qui voulait que tout ce qui appartenait au souverain ne formât avec le domaine de la couronne qu’un seul et même patrimoine. Deux lettres de jussion des 18 avril et 29 mai 1591, furent inutilement adressées à cette cour. M. de la Guesle, procureur général, s’étant formellement opposé à cet enregistrement, il intervint sur les troisièmes lettres de jussion, le 29 juillet 1591, un arrêt, portantque le parlement ne devait, ni ne pouvait procéder à la vérification de ces lettres. La duchesse de Bar mourut en 1604, sans laisser de postérité. Par l’édit de juillet 1607; Henri IV révoqua la déclaration du 13 avril 1590, et les arrêts intervenus en conséquence dans quelques parlements. Il confirma, en tant que de besoin serait, l’arrêt du parlement de Paris du 29 juillet 1591; «il déclara en même temps les vicomtés, duchés, baronnies, et autres seigneuries qui lui appartenaient dans la mouvance de la couronne, ou des parts et portions des domaines tellement accrues et réunies à icelui , que dès lors de son avènement à la couronne de France, elles étaient devenues de même nature et condition que le reste de l’ancien domaine d’icelui. » Les motifs employés dans le préambule de cet édit sont le serment du sacre, les grands avantages qu’a produits le soin de conserver le domaine, le mal qu’a causé la dissipation, et surtout l’alliance étroite, et le mariage politique que les rois contractent avec leur couronne. Cet édit célèbre fut enregistré au parlement de Paris, au mois de septembre 1607, sur les conclusions de M. Lebret. Ce n’est pas une union que Henri IV prononce par cet édit, de ses biens patrimoniaux à ceux du domaine; il reconnaît au contraire, que cette union s’est opérée par le seul fait de son avènement à la couronne; il rend hommage à ce principe, et à la fermeté avec laquelle le parlement de Paris en avait soutenu les conséquences. Ainsi, Messieurs, il n’est plus permis d’agiter comme une question l’union des biens patrimoniaux du prince à ceux de la nation, au moment et par le seul fait de son avènement à la couronne. C’est un principe même de notre ancien droit public, principe reconnu et confirmé par l’édit de 1607, émané du prince même qui l’avait combattu. Cette loi, publiée dans toutes les cours, bannit donc tous les doutes sur cette question importante. Nous avons déjà prouvé que la maxime de l’inaliénabilité imaginée pour conserver les domaines, n’avait servi qu’à les détruire. Cette maxime dangereuse, ou du moins inutile, doit encore plus disparaître devant une liste civile, et surtout devant une nouvelle Constitution qui, ralliant tous les intérêts et tous les droits à l’intérêt et à la suprématie de la nation, ne permet plus d’acquitter tous les services publics qu’avec des tributs libres et volontaires. Vous pouvez donc, Messieurs, vous devez même décréter que les biens domaniaux, connus sous le nom de domaines de la couronne, sont aliénables par la nation seulement, en vertu d’un décret spécial de ses représentants, en abrogeant toutes les lois contraires. SECONDE PARTIE. Des biens domaniaux qui peuvent être aliénés dès à présent. L’Asœmblée nationale a décrété, le 23 janvier, que le comité ecclésiastique et celui des domaines présenteraient un tableau des biens domaniaux etecclésiastiques qui pouvaient être aliénés. Le comité ecclésiastique vous a déjà iudiqué quelques objets susceptibles d’être vendus. Le comité des domaines vient sur le même objet vous présenter aujourd’hui le résultat de ses travaux, et vous soumettre un projet de décret sur le changement d’une maxime qui régit les domaines depuis quatorze siècles. S’il ne fallait que rassurer les créanciers de l’Etat par le tableau des propriétés nationales, pour la solidité des assignats, nous leur présenterions plus d’un million d’arpents de forêts, des domaines territoriaux nombreux, des droits féodaux et censuels dans toutes les parties du royaume, dont le rachat seulement peut fournir tous les ans des ressources assez considérables, enfin la rentrée dans les engagements et autres aliénations, qui produiront des sommes immenses. Mais il ne s’agit que de traverser pendant quelques instants une époque de révolution, de ranimer le crédit public, de faire cesser la méfiance des possesseurs du numéraire, et de rassurer le patriotisme des rentiers, car ils savent tous que les biens domaniaux de toute nature ne peuvent manquer à leur créance et à l’acquittement de la dette publique. Nous allons donc, Messieurs, bannir toutes ces craintes véritables ou factices, donner à l’Assemblée une idée générale des travaux de son comité sur la consistance des domaines, et détacher de cette masse la portion qui, en vivifiant l’agriculture et le commerce, peut augmenter le nombre des propriétaires, en faire de véritables citoyens, et fournir des assignats réels sur les biens domaniaux les plus propres à être aliénés dans l’état actuel des choses. Nous ne vous dirons rien des droits appelés régaliens, de cette partie des droits domaniaux, qui forme un attribut de la puissance publique. Il en est cependant que l’Assemblée nationale ne confondra pas avec les véritables droits de cette puissance, tel que le droit barbare et injuste de succéder à un étranger ou à un bâtard ...... Votre comité vous proposera bientôt l’abolition absolue de ce droit odieux, et de celui d’aubaine, dérivé de la tyrannie féodale, conservé par l’intérêt du lise, au milieu de la civilisation de l’Europe, et vous penserez sans doute que ces droits domaniaux doivent disparaître à la voix des législateurs d’une grande nation. Il ne s’agit aujourd’hui que des propriétés foncières, et les droits réels du domaine proprement dit; et c’est à cet objet que nous allons nous borner. 638 (Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. (10 avril 1790.] Pour vous donner une idée des différentes propriétés du domaine corporel, il faut les diviser en deux sortes, les bois, forêts, et les terres et les fonds du domaine. Votre décret du 21 décembre dernier, article 2, a sagement excepté les forêts, qui offrent une hypothèque assurée aux créanciers de l’Etat. Cette branche des domaines qui en forme une portion précieuse, soit relativement au produit qu’on doit en retirer pour les finances, soit par la grande utilité dont elle est pour la marine, la construction, les forges et les approvisionnements des villes, est l’objet d’une régie et d’une administration particulière, sur laquelle vous aurez bientôt à délibérer. Il vous suffira aujourd’hui de vous présenter un aperçu de cette belle et immense propriété nationale. Un travail ordonné sous le ministère de Colbert en 1689, portait la masse des forêts domaniales à dix-sept cent quatre-vingt-six mille deux cent quarante et un arpents. Suivant les états actuels de ces forêts, envoyés par l’intendant des finances au département des domaines et bois, il ne s'en trouve plus aujourd’hui, y compris les bois de la Lorraine, que neuf cent trente-sept mille sept cent soixante-dix-sept arpents. 11 est vrai de dire que l’époque du travail de Colbert, était celle des conquêtes de Louis XIV, qui avait réuni, à ce titre, une partie des Pays-Bas, qui fut rendue à l’Emper< ur, par l’un des traités de i aix conclu à Rtsvick en 1697. Cette restitution comprenait environ cent mille arpents de bois, qui réduisent le déficit à 749 275 arpents; mais le comité a l’honneur de vous observer qu’un partie de ce déficit se trouvecouvert: 1° par les bois qui ont été cédés pour former les apanages des princes ; 2° par les bois affectés à quelques salines; 3° par ceux compris dans les engagements faits jusqu’en 1763, dont le total s’élève à 542,605 arpents. Ce qui réduit en dernière analyse le déficit à 494,371 arpents que vcdre comité espère retrouver dans les échanges et les différentes aliénations qui ont été faites à toute sorte de titre, onéreux pour l’Etat, sur la validité desquels vous aurez bientôt à délibérer. Après ce court aperçu, il ne doit plus être question des forêts dans ce rapport, puisqu’elles ne doivent pas être comprises dan-les vues d’aliénation que vous avez sagement décrétées pour les autres domaines; vous jugerez également qu’il convient d’excepter les terres incultes qui se trouvent dans l’enceinte et sur les bords des forêts. Je passe aux autres fonds et biens domaniaux maintenant disponibles. Suivant l’état généial des domaines et droits domaniaux affermés ou régis pour le compte du roi, fourni à votre comité, pour chaque généralité, par l’intendant des finances, auquel le département des domaines est confié, le produit des domaines foncierset droits domaniaux sYst. porté, pour l’année 1788, à deux millions dix-sept cent trente-deux livres six sols. iMais plusieurs de ces droits, tels que ceux de péages, de pontonage, hallage, amendes de délits et autres de cette espèce sont abolis; vous avez cru devoir les sacrifier aux grands intérêts du commerce et de l’agriculture. Le surplus de ces domaines corporels consiste en terres, seigneuries, châteaux, parcs, maisons, bâtiments, emplacements, corps de fermes et métairies, forges, fourndaux, moulins et autres usines, terres labourables, prés, vignes, etc., etc., Les états qui en ont été fournis ne contiennent que desdétails d’approximation sur la consistance et la véritable valeur de ces différents objets. Votre comité attend sur ce point des renseignements et des détails qui seront encore perfectionnés par le secours des assemblées administratives; il est déjà fondé à croire que les renseignements offriront une masse plus forte que celle qui vous est présentée. Cependant, Messieurs, pour satisfaire, autant qu’il est possible, au décret de l’Assemblée nationale, votre comité mettra d’abord sous vos yeux le tableau des domaines fonciers qui existent dans la ville de Paris et ses environs, ainsi que dans iesdifférente� provinces et généralité:- du royaume, lesquels peuvent être dès à présent mis eu vente. Ces domaines fonciers, situés dans la capitale, consistent en plusieurs hôtels, maisons et bâtiments loués à différents particuliers, ou dans lesquels il a été accordé des logements qui, distraction faite des objets qui doivent être conservés à Sa Majesté, et de ceux d’utilité et de service public, offrent un capital au moins de dix millions, en y comprenant la Bastille, l’Arsenal et l’Ecole royale militaire (1). La vente des bâtiments de l’Arsenal a été déjà plus d’une fois délibérée au conseil du roi; le dernier projet d’aliénation est de 1787. L’Arsenal, inutile depuis longtemps, plus inutile encore depuis que des mains libres ont démoli la Bastille, produira une somme assez consi iérabie au Trésor national, et une économie réelle dans les finances, quant aux réparations, et par la suppression des places. Je viens de prononcer le nom de la Bastille parmi ceux des objets qui offrent des terrains à vendre. Déjà, plusieurs ingénieurs et artistes ont présenté soit au comité, soit à l’Assemblée nationale, des plans magnifiques d’une place publique à construire sur l.e terrain de la Bastille. Mais peut-être penserez-vous que cette terrible propriété, trop longtemps déshonorée par le pouvoir arbitraire, doit expier son ancienne destination, en voyant s’élever au milieu de ses ruines un monument national qui n’empêchera pas que la vente de l’Arsenal et des terrains de la Bastille, adjacents à l’emplacement qui doit être conservé pour l’utilité publique, ne produise deux millions, suivant les estimations déjà faites. Loin de nous toute idée de dépense, de décoration et de place publique sur un terrain consacré aux vengeances ministérielles. Ce n’est pas dans de pareils lieux que les arts doivent flatter les rois ou les peuples; ce sont des ruines qu’il faut y conserver ; cVst sur leur masse effrayante, que la postérité doit venir apprendre à détester le despotisme, et jurer de défendre la liberté ..... Un simple obélisque s’élèvera au milieu de ces cachots entr’ouverts, et des ruines toujours subsistantes du palais du despotisme; on y gravera l’époque de leur destruction, et les noms des victimes illustres de toutes les tyrannies ..... Voilà les monuments qui conviennent à des peuples libres ..... Je passerais aux détails des domaines situés dans les environs de Paris, si avanttout je ne devais vous rappeler un décret que vous avez déjà (I) On pourrait surseoir à la vente des bâtiments de l’école royale militaire, jusqu’à ce que l’Assemblée eût déterminé les établissements nécessaires à l’éducation nationale : Ce qui a été demandé par le ministre de la guerre. [Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [10 avril 1790.] rendu pour la liste civile. Au mois de janvier dernier, vous avez olfert au monarque une partie des tributs des peuples pour ses dépenses, et vous lui avez envoyé une députation solennelle , pour vaincre un instant la sévère simplicité de ses mœurs en faveur de la dignité de la couronne. Une nouvelle occasion se présente aujourd’hui de consacrer aux jouissances du roi et à l’éclat du trône une partie des domaines. Il cherche depuis si longtemps son bonheur dans celui de ses peuples ! C'est aux représentants du peuple à chercher aujourd’hui tout ce qui peut influer sur le sien. Qu’une nouvelle députation lui exprime donc vos vœux, qu’elle lui témoigne combien, en respectant ses vertus et son économie, qui sont le gage le plus assuré du bonheur des Français, vous chérissez aussi ses jouissances personnelles. Il est d’ailleurs une pompe nécessaire à la représentation du pouvoir. Ainsi, Messieurs, loin de nos regards ces beaux domaines qui attestent trop peut-être le despotisme et le luxe destructeur des Empires, et la magnificence ruineuse d’un de nos rois. N’oublions point que c’est là le lieu où vous avez jeté les fondements de la liberté, où un roi citoyen a convoqué la seule Assemblée législative qu’ait euela nation française. Vous penseiez sans doute que tous les domaines de Versailles doivent être conservés, et qu’ils seront augmentés de quelques objets si le roi paraît désirer d’en réunir. Vous connaissez, Messsieurs, les autres domaines dece genre, qui, tour à tour chéris et abandonnés par nos rois, ne sont plus que des monuments gothiques, dégradés parle temps, et doublement dispendieux par un entretien inutile, des officiers sans fonctions, et des logements accordés par la faveur. Je n’emploierai ici que les propres paroles du roi dans un édit du mois de février 1788 : « A l’égard des châteaux, des maisons royales que nous projetons de mettre hors de nos mains, nous avons considéré qu’ils ne présentent que des objets qui n’ont été ou ne pourraient être désormais que des lieux de plaisance, onéreux par un entretien que nul produit possible ne ctpin-pense, parce qu’ils ne tiennent à aucun domaine. Nous avons jugé que de semblables bâtiments ne pouvaient être assimilés qu’à ces terrains infructueux dont l’aliénation ne peut être qu’utile. » Ges caractères d’inutilité dispendieuse conviennent surtout aux châteaux de Ghoisy, Madrid, Blois (1), la Muette. Vincennes et autres. Les aliéner au plus tôt, c’est procurer aux finances une décharge présente des frais considérables d’entretien, et des sommes pour la libération de l’Etat. L’acquisition de Ghoisy, proposée au nom et pour Monsieur, frère du roi, est resté en simple projet qui n’a pas eu d’exécution. Le fief de Ghoisy est très resserré, les droits domaniaux et autres qui s’y perçoivent, font partie de l’administration des domaines et de la régie générale; ce qui peut être mis en vente se réduit au château, jardins, maisons et bâtiments qui étaient destinés au service du roi et de la cour; il existede plus à Villeneuve-le-Uoi,un parc clos de murs, qui peut contenir environ 3,000 arpents, dont 200 en terres labourables, affermés à 14 livres l’arpent, 80 en bois taillis, et 20 arpents en non valeur ; ce parc fait partie des plaisirs du roi. (1) Ce château sert de logement à la garnison envoyée dans cette ville. 6B9 Celui de Madrid fl) peut être acheté par des entrepreneurs de batiments, pour tirer partie des démolitions ; il y a encore néanmoins des terrains formant un espèce de parc, qui en dépendent, mais vos commisaires examineront s’il y a des inconvénients à introduire des propriétaires étrangers dans le bois de Boulogne, où est situé le château de Madrid et les terrains en dépendant; il paraîtra peut-être plus convenable de conserver en nature de bois, tels qu’ils sont en partie, et de se borner à vendre le château et les bâtiments en dépendant (2). Quant à Vincennes et ses dépendances (3), il v a déjà des offres pour l’acquisition : l’odieuse destination que le pouvoir aroitraire avait donnée à cette ancienne demeure de nos rois, doit vous presser d’en ordonner la vente, et la destruction qui doit en être la suite. Cet objet, en exceptant toutefois l’ancienne enceinte du bois, pourra produire environ sept à huit cent mille livres, et sa démolition formera uu grand atelier de travail et de charité dans cette année désastreuse pour les manouvriers de tout genre. Outre le château de la Muette et les jardins en dépendant, qui ne formaient qu’une simple maison de plaisance, dont le sol a été détaché du bois de Boulogne, le roi possède encore une maison contiguë, dans laquelle est un monument destiné aux sciences, un cabinet de physique; mais comme cette maison provient d’un échange qui n’est pas consommé, la vente doit en être différée. Fontainebleau ne présente que très peu d’objets qui puissent être mis en vente, les maisons et bâtiments qui en dépendent étant presque tous destinés au service. A peu de distance de cette maison royale, est le château de Monceaux, qui fait partie des attributions du gouverneur; il est ancien et délabré : il peut être mis en vente. Compïègne est dans le cas d’être réservé par Sa Majesté, ainsi que les maisons et bâtiments destinés à son service. A Saint -Germain-en-Laye, l’ancien château présente une masse très solide, dont l’entretien est peu dispendieux ; il est habité par plusieurs personnes auxquelles il a été accordé des logements à titre de grâce et de récompense. Il y a dans la ville plusieurs maisons et bâtiments qui ont leur destination au service du roi. Mais il n’existe plus du château neuf de Saint-Germain que des vestiges, depuis la démolition que M. le comte d’Artois eu a fait faire, pour employer les matériaux à des constructions restées en projet. Le château de Chambord, très vaste, assez bien cooservé, et auquel il a été fait des dépenses (1) Il y aurait quelque arrangement à prendre avec la famille le Pelletier, qui en a la jouissance. (2) Les plombs de Madrid renferment beaucoup plus d’argent que tous autres, et avant de les vendre il serait bon d’en faire l’épreuve. (3) 11 a été adressé à l’Assemblée nationale une pétition de M. le curé de Vincennes, qui demande, au nom des habitants, que la Sainte-Chapelle soit réservée pour en faire l’église paroissiale, avec quelques dépendances pour le logement du curé. L’église paroissiale de Vincennes menace ruine, et la Samte-Ch ipelle est un monument digne d’être conservé ; la nation disposant des biens ecclesiastiques, est chargée des constructions et des réparations des monuments religieux. On s’occupera de cette demande des habitants de Vincennes, lors de l’adjudication de la vente ; il serait à propos d’en excepter ces objets. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 ayril 1790.] 640 [Assemblée nationale.] considérables, présente avec ses dépendances un objet très important ; il consiste dans le parc, dans 10,200 arpents de bois, prés, terres labourables, marais, bruyères, landes et pâtis. Cette propriété domaniale a été concédée au duc et au marquis de Polignac en survivance l’un et l’autre, pour y établir et entretenir un haras : elle offre un objet de valeur de plus de cinq cent mille francs. Vous jugerez, Messieurs, de la validité de ce don ou concession, ainsi que de plusieurs autres de ce genre, sur le rapport que vous fera incessamment votre comité, pour vous en proposer la réunion au domaine, et être ensuite mis en vente. Il dépend encore du domaine, une ferme appelée de Maison vil le, qui forme une dépendance de l’école vétérinaire établie à Alfort, près i.harenton. Elle consiste en 227 arpents de terres labourables, en pièces détachées, bü arpents de prairies artificielles, et 49 arpents 92 perches de prairies naturelles, ou bas prés; cette ferme, qui avait été acquise pour faire des essais d’agriculture, peut être vendue en détail. L’école vétérinaire occupe en bâtiments, cour, jardin et parc, 25 arpents 46 perches; mais on pense qu’un établissement si utile mérite d’être conservé. Le Château-Trompette et les terrains en dépendant ont longtemps fait l’objet des spéculations de différentes compagnies qui en sollicitaient la démolition et la concession des terrains ; mais comme il formait un gouvernement militaire sous l’administration du ministre de la guerre, celle du domaine ne pouvait rien statuer sans le concours de 1 autre, qui s’opposait à cette aliénation : ces deux administrations s’étant accordées, sous le ministère de M. de Galonné, pour la vente, deux compagnies se présentèrent en concurrence et des différentes propositions qui furent faites par l’acquisition de ce château, celles du sieur Reboul de Villeneuve, et du sieur Mangin de Montmiraii, comme camion, ayant paru les plus avantageuses, furent acceptées. Ils olfirirent: 1° de payer au Trésor royal une somme de sept millions; 2° De faire construire à leurs frais auprès du fort du Hâ, les casernes nécessaires pour le logement de la garnison ; 3° De former une place, et d’y élever un monument; 4° D’abandonner tous les terrains destinés tant à la formation de la place, qu’à celle des rues et marché pour l’usage public, conformément aux plans qui seraient arrêtés ; 5° Ils se soumettaient enfin, à ne commencer la destruction de l’enceinte et du château, qu’après que tous les nouveaux établissements militaires convenus devoir être faits auprès du fort du Hâ, auraient été finis et perfectionnés. Le ministre de la guerre et celui des finances se réunirent pour prendre les ordres du roi, sur la soumission des sieurs Reboul et de Montmiraii; elle fut agréée par un bon de Sa Majesté, du 14 novembre 1784. Mais dans la crainte bien ou mal fondée que les acquéreurs du Château-Trompette, chargés de la construction des casernes, ne les fissent pas avec toute la solidité qu’exigeait un pareil établissement, l’administration crut devoir s’en charger, et il fut aussi question de déterminer l’époque du paiement des sept millions, et de mettre à la vente d’autre conditions qui n’avaient pas été prévues. Le ministre des finances proposa en conséquence : l°de décharger le sieur de Montmiraii et compagnie, de la construction des casernes, à la charge de payer une somme de 400.000 livres pour fournir aux frais de cette construction, qui serait faite au compte du roi ; 2° De stipuler que les sept millions seraient payés; savoir : deux millions dans l’année de fenregislrement des lettres-patentes qui ordonneraient la suppression du Château-Trompette, et les cinq millions restants, en trois paiements égaux qui seraient effectués dans les trois années suivantes; 3° D’accorder l’exemption de tous droit des lods et ventes, centième, dernier, contrôle, insinuation, et ensaisinement pour les trois premières mutations, et aux étrangers qui acquerraient tous les privilèges de régnicoles; 4° Enfin de ne faire la concession des terraius qui ne seraient pas employés soit pour la place, les rues et le marché, que moyennant un cens de six deniers par toise carrée, emportant lods et ventes à la troisième mutation au profit du roi. Ces nouveaux arrangements acceptés furent approuvés par un second bon de Sa Majesté, et il fut en conséquence expédié des lettres-patentes au mois d’août 1785, en 13 articles, dont le premier ordonne la suppression et démolition du Château-Trompette et la vente des matériaux de tous les bâtiments en dépendant; le deuxième, la construction des casernes; le troisième, la formation d’une place; le quatrième et cinquième contiennent un règlement sur celle des rues et d’un quai, ainsi que sur l’entretien du pavé; le sixième ordonne que tous les ouvrages seront faits aux frais du sieur deMontmiuail sous la conduite et direction du sieur Louis, architecte, conformément aux plans approuvés par Sa Majesté; l’article 7 porte accensement, en faveur du sieur de Montmiraii, de l’emplacement du Château-Trompette, glacis et dépendances, à l’exception des terrains destinés à la formation de la place, rues et quai sous un cens annuel de 6 deniers par toise carrée emportant lods et ventes aux mutations; l’article 8 permet au sieur de Montmiraii de disposer desdits terrains par vente, cession, échange ou autrement, pour en jouir par les' acquéreurs, à titre de propriété incommutable; l’article 9 excepte les trois premières ventes de tous droits de lods, contrôle, etc.; l’article 10 enjoint de se conformer aux plans arrêtés pour les constructions; l’article 11 permet aux étrangers d’acquérir, et ordonne que ceux qui seront propriétaires de 60 toises carrées de superficie, et qui auroot fait construire des maisons, seront réputés régnicoles; rarticle'12 veut que sur le produit de la vente des matériaux du Château-Trompette, il soit pris une somme de 3u0,000 livres pour contribuer aux dépenses de la construction dune église au faubourg des Chartreux; l’article 13 ordonne enfin la suppression du droit appelé huitain. Ces lettres-patentes ont été enregistrées au parlement de Bordeaux, le 9 septembre 1785. Mais il paraît qu’il est survenu beaucoup de contestations sur leur exécution, qui, réunies au dérangement des affaires du sieur de Montmiraii, ont laissé les choses à peu près au même état où elles étaient auparavant; mais il n’eu résulte pas moins que cet objet présente une rentrée assez prochaine de plus de sept millions, dont voire comité s’occupe, et qu’il fera en sorte de procurer, le plus promptement possible; il a déjà pris une connaissance plus particulière des obstacles que [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 avril 1790.] cette rentrée éprouvait, et d’après les renseignements qui lui ont été fournis, il s’est occupé des moyens de l’accélérer; il vous rendra, en cessant, compte de cette affaire et de toutes les manœuvres qui y ont présilé. JNous croyons, Messieurs, devoir vous instruire d’une acquisition faite il v a quelques années au nom du roi, de M. de la Gbaussade, des forges et fourneaux de Gosrte et Guérigny et de plusieurs seigneuries, bois, terres et prés dépendants de cet établissement, connu sous la dénomination de forge de la Chaussade et situé dans la province du Nivernais. Ils sont régis, pour le compte de Sa Majesté, sous l’inspection de M. Chardon, maître des requêtes, auquel l’administration en est confiée. Le produit net annuel s’en trouve porté, dans le compte rendu par le premier ministre des finances, pour unesommede80,000 livres, sans compter les intérêts acquitlés-par la caisse des forges, des 2,500,000 liv. du prix principal de l’acquisition, sur lequel il a été pris, parle roi, des époques de paiements avec le sieur de la Chaussade. On croit que le prix de l’acquisition faite par le roi a excédé trois millions, y compris les matières propres à fabriquer les marchandises fabriquées, les outils et ustensiles, ainsi que les meubles et effets mobiliers du château. Votre comité a demandé à l’administration les renseignements nécessaires sur cette propriété. L’envoi lui en a été fait, et vous jugerez, lorsque nous vous soumettrons cet objet en particulier, si, malgré son utilité pour la' fourniture des ancres de la marine, il serait plus avantageux, à l’Etat et au roi, de mettre ces biens en vente, que de les laisser régir par une administration particulière, quelque économique qu’eiie puisse paraître; vous pourrez, avant de prendre un parti sur cet objet, consulter le département de Nièvre. La manufacture de porcelaine de Sèvres, qui occupe des bâtiments considérables tant pour son exploitation que pour les différents logements des directeurs, commis et ouvriers qui y sont employés, pourra peut-être vous paraître, Messieurs, sous ce rapport, un établissement beaucoup plus onéreux qu’utile; mais comme cet établissement tient essentiellement à la perfection des arts, à une branche d’industrie qui doit être précieuse à une grande nation, le comité a pensé qu’en rendant cet objet plus économique, cette manufacture pourrait être conservée. Mais un objet plus intéressant pour toutes les parties du royaume, consiste dans les biens territoriaux qui forment une masse de plus de 20 millions. On peut mettre dès à présent en vente tous ces fonds, les corps de ferme et métairies, et notamment les châteaux, maisons et autres bâtiments, les moulins et usines qui sont plus onéreux que profitables au roi, parce que les reconstructions, réparations et entretiens en absorbent les produits. Quant aux domaines territoriaux qui peuvent être mis actuellement en vente, nous croyons, Messieurs, qu’il importe à la chose publique de ne les vendre que par parties divisées, autant qu’il sera possible, pour que les citoyens les moins riches puissent devenir propriétaires. Les grandes propriétés sont nuisibles au bien général de l’Etat, contraires à la population, destructives du commerce et de l’agriculture : leur division seule peut procurer les plus grands avantages: elle se rapporte d’ailleurs à l’esprit général de la Constitution. 641 Mais votre comité a pensé qu’il serait très dangereux de livrer ces propriétés foncières à des compagnies qui ne spéculeraient que sur les bénéfices qu’elles pourraient faire en cherchant à tirer tout le parti possible des circonstances. Les compagnies furent souvent le fléau de la fortune publique, la ressource funeste de quelques ministres, et toujours la tyrannie exercée sur les propriétés par la richesse. Ge n’est pas une Assemblée nationale, dont les vues politiques ont dirigé tous les citoyens vers la propriété qui préférera ces compagnies. Nous croyons devoir vous observer qu’on ne peut vendre dans ce moment les fonds, venus au roi à titre d’échange, surtout à l’égard de ceux non consommés, que l’Assemblée nationale jugera peut-être à propos de révoquer. Je passe à un objet plus considérable. Il résulte de l’état général du produit des cens et redevances dus au domaine, de celui des droits seigneuriaux casuels, des droits d’ensaisinement, échange, sol pour livre et droits d’usage pour 1788, qui a été envoyé à votre comité par l’iutendant des finances au département des domaines et bois : 1°. Que les revenus des cens, rentes et redevances perçus (I) pendant cette année dans les différentes généralités du royaume, ont monté à ................... 768,107 liv. 6 s. 5 d. 2° Les droits sei-tous les droits ci-dessus pendant l’année 1788 ................. 4,438,675 liv. 4 s. 1 d. L’aliénation des cens, rentes et redevances de toute nature, tant en grains qu’en argent, celle des droits seigneuriaux casuels dus aux mutations, va s’opérer successivement par le rachat que les propriétaires des fonds qui y sont assujettis sont autorisés à en faire en exécution de vos décrets, et d’après le rapport qui va lui être fait par le comité féodal sur les prix et teneur du rachat. Nous vous proposerons, pour cet objet qui se porte à environ 60 millions, d’établir dans chaque département une caisse du résultat des droits féodaux; là, chaque propriétaire qui voudra racheter les rentes et droits qu’il paie au roi, comme seigneur féodal, ou à tout autre titre, excepté d’engagement et d’usage, déposera le prix du rachat, et les fonds qui en proviendront seront destinés à la libération de la dette nationale et à 1 extinction des assignats versés à cet effet de ht caisse de département dans la caisse de l’extraordinaire, à des époques fixes et rapprochées. Quant aux autres droits, tels que ceux d’ensaisinement, qui ont lieu dans toutes les provinces du royaume, à l’exception de l’Alsace et de la Lorraine, ceux d’échange qui ne sont pas dus dans certaines, au moyen des rachats, et qui (1) Que les revenus des cens, rentes cl redevances consistent en 883,869 liv. 13 s. 9 d. ; mais la rentrée ordinaire, vu la motlicilé de plusieurs ventes féodales, se porLe annuellement de 730 à 760 mille, comme le justifieront les deux tableaux de 1787 et 1788, qui sont imprimés à la fin du rapport. lr3 Série, T. XM. 41 642 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 avril 1790.] présentent un caractère odieux de fiscalité, les sols pour livre des droits domaniaux, et enfin les droits d’usage, n’ont pas paru à votre comité de nature à être placés dans la classe des objets qui peuvent être aliénés et mis en vente. Nous terminerons notre rapport en vous annonçant les ressources immenses que la nation peut retirer de la rentrée de tous les domaines, engagés à vil prix, donnés ou aliénés à toutes sortes de titres, dans des temps où la faveur et l’intrigue, entourant Je trône, ont tant de fois trompé les vertus mêmes des rois. En 1781, un arrêt du conseil d’Etat avait ordonné aux engagistes de faire des déclarations, et offres de supplément de rente, pour acquérir une confirmation pendant la durée du règne. On espérait de cette opération une grande augmentation de revenus ; mais comment se serâit-il présenté des engagistes à qui l’on n’offrait qu’un nouveau titre aussi précaire que le premier? Comment pouvait-on attendre des offres du juste prix, sans la concurrence des autres citoyens ? la nation, donnant aujourd’hui un autre caractère à ces engagements, verra la véritable valeur de ces domaines s’établir par le concours des acquéreurs. Le comité vous propose, en conséquence, de recevoir toutes personnes à faire des offres ; c’est le seul moyen de parvenir à la connaissance des divers” domaines engagés, et de leur véritable valeur. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, considérant que la nation est seule propriétaire des domaines de la couronne et de ceux qui lui ont été unis et incorporés, et que la maxime qui les a déclarés inaliénables ne peut être révoquée que par elle ; Que l’ancien patrimoine de la couronne est tellement diminué par des abus de tous les genres, qu’il ne reste plus dans cette nature de biens, que les propriétés les plus onéreuses et les moins productives ; Que les réclamations des états généraux et les nombreuses ordonnances rendues contre l’abus de l’aliénation des domaines et sur la nécessité d’en arrêter les progrès, n’ont pu empêcher leur diminution sensible et leur perte presque totale ; Qu'un des plus grands moyens de soulager les peuples, est de les délivrer des embarras "et des contestations que fait naître si souvent le seul soupçon de la domanialité, et de procurer aux engagistes, détenteurs des domaines, et à tous les citoyens, la facilité d’acquérir des propriétés à titre incommutable ; Que le moyen le plus assuré de pourvoir au bien de l’Etat, à l’amélioration des finances, à la libération de la dette publique, à l’accroissement de l’agriculture et du commerce, est de vendre en détail les biens domaniaux qui en sont susceptibles, et d’admettre dès à présent au rachat des rentes et redevances foncières des droits féodaux casuels, et de toutes autres charges, ceux qui voudront en affranchir leurs propriétés ; Voulant donner au roi un nouveau témoignage de son attachement et de son désir de contribuer à ses jouissances personnelles, autant qu’à tout ce qui peut relever la diguité du trône ; A décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er Les domaines de la couronne, corporels et incorporels, sont aliénables, à titre perpétuel et incommutable, par la nation seulement, en vertu d’un décret de ses représentants accepté par le roi ; abrogeant, en tant que de besoin, toutes lois et ordonnances contraires. Art. 2. Les propriétés foncières du prince qui parvient au trône, et celles qu’il acquiert pendant son règne, à quelque titre que ce soit, sous la seule exception comprise en l’article suivant, sont de plein droit unies et incorporées au domaine de la couronne; et l’effet de cette réunion est perpétuel et irrévocable (1). Art. 3. Les acquisitions faites par le roi à titre singulier, et non en vertu des droits de la couronne, sont et demeureront, pendant son règne, à sa libre disposition; et ledit temps passé, elles se réunissent de plein droit, et à l’instant même, au domaine de la couronue. Art. 4. Décrète, en conséquence, qu’à l’exception des bois et forêts, ainsi que des terrains incultes qui se trouvent dans l’enceinte et sur les bords desdites forêts, dans l’étendue fixée par les ordonnances, il sera procédé incessamment, suivant les formes décrétées, à la vente et aliénation des domaines territoriaux, qui sont actuellement dans les mains du roi, et qui sont régis par ses fermiers. Art. 5. Seront néanmoins exceptés de ladite vente et aliénation tous les châteaux, domaines, maisons royales et autres objets qu’il plaira à Sa Majesté de se réserver ; à l’effet de quoi il lui sera fait une députation pour la supplier d’indiquer tous ceux desdits objets qu’elle trouvera à propos de conserver, ainsi que les objets d’agrément et de convenance qu’elle désirerait y réunir. Art. 6. H sera établi dans chaque département une caisse d’amortissement, dans laquelle seront versés les deniers provenant du rachat des rentes foncières, albergues, redevances seigneuriales des droits féodaux et casuels, ainsi que de toutes les autres charges dues au domaine, sous quelque dénomination qu’elles puissent exister, ouïes assignats qui seront donnés en paiement; et Je produit de ce rachat sera également versé dans la caisse de l’extraordinaire. Art. 7. Ne seront néanmoins comprises dans le rachat ci-dessus, les rentes dues par les engagistes et les concessionnaires, à titre d’emphy-téose à temps ; celles dues par les communautés et autres particuliers, pour droit d’usage dans les bois, pâtures et autres fonds appartenant au domaine, sur lesquels objets il sera statué d’après des rapports particuliers que le comité des domaines fera à l’Assemblée. (I l Les articles 2 et 3 sont tirés du projet de décret, proposé par M. Enjubault de la Roche, au nom du comité. (Voy. ce projet, page 655.)