30 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLËMENTAIRES. ayant et exerçant le même pouvoir que nous avons eu et que noos avons exercé. Préfère-t-on des Conventions à des époques fixes? C’est un système pris en Amérique, et qui ne peut appai tenir ni à la forme de notre gouvernement ni à l’étendue de notre* territoire. En Amérique, le gouvernement est composé de pe-tiies républiques et d’une association générale, d’un pacte fédératif entre toutes ces petites républiques ; une Assemblée constituante qui examine dans le pays la Constiiution trouve d’abord un territoire très étendu, peu d’habitants, des mœurs sattes et paisibles ; là l’examen de la Constitution ne fait pas une révolution; elle empêche une révolution. Ici, au contraire, où tous les hommes sont en quelque sorte pressés les uns contre les autres, où la popuiaiion est énorme, où tous les changements sont désirés avec u e sorte d’avidité, où les passsions sont vives et les caractères pétulants, où 1 esprit de la nation se porte souvent bien plus loin qu’il ne devrait aller, ici une Assemblée consiituante périodique serait toujours l’époque d’une révolution. Une autre combinaison est de prescrire des formes pour provoquer et exiger la convocation d’une Ass< mb ée constituante. Alors, Messieurs, les partis qui existent maintenant seraient encore perpétués, et vous verriez que, cherchant à acquérir la majorité pour provoquer une Assemblée constituante, on s’agiterait prodigieusement, on truublirait encore la tranquillité publique, et l’on parviendrait peut-être à obtenir sous très peu de temps une majorité factice qui appellerait une Assemblée de révision pour examiner la Constitution lorsque l’expérience n’aurait nullement éclairé sur les avantages ou sur les défauts de quelques-unes de ses parties. Ainsi un autre mode doit être suivi. J’arrive au moyen que vous proposent vos comités, c’est-à-dire à une Assemblée de révision, qui ne pourra jamais s’emparer de toute la G institution, mais bien examiner si les pouvoirs constitués sont restés dans les bornes prescrites, et si les points sur lesquels les citoyens, le Corps législatif et le roi se seront expliqués devront être réformés. C’est là le système où nous nous sommes arrêtés. Ce concours nous a paru le meilleur mode possible. Les grands agents du gouvernement sont ceux qui doivent le mieux connaître quels sont les ressorts qui empêchent le jeu général de la machine. Ne voulant donner que l’aperçu des raisons des comités, et me réservant de faire les diverses observations que la discussion rendra nécessaires, je vais vous donner lecture du projet de décret des comités : « L’Assemblée nationale, après avoir rempli la mission qui lui avait été donnée par le peuple français, après avoir établi une Constitution fondée sur les droits imprescriptibles de l’homme et du citoyen, et sur les principes de la raison et de la morale; « Considérant, d’une part, que, si les maximes qu’elle a prises pour bases de son ouvrage portent le caractère de l’évidence, et si un assentiment général, l’adhésion la plus solennelle de toutes les parties de l'Empire, l’exécution rapide et scrupuleuse des lois nouvelles n’ont laissé aucun doute sur la volonté de la nation de consacrer et de suivre les décrets constitutionnels faits par ses représentants, et sur l’opinion générale que ces lois atteignent le but d’une grande et heureuse régénération ; ® Considérant que, si cette réunion de seuti-[29 août 1791.) ments, ce mouvement spontané vers la liberté, qui a porté tous les habitants de l’Empire à se presser, pour ainsi dire, les uns sur les autres, pour confondre leurs droits et leurs intérêts, se rallier aux mêmes principes et se soumettre aux mêmes obligations, donne à l’Assamblée nationale le droit et lui impose le devoir d imprimer à son ouvrage le caractère inviolable de la volonté générale, et dé disposer de toute la puissance publique pour l’affermir et le maintenir; cependant ayant eu à lutter contre toutes les passions et tous les préjugés, ayant été obligée de substituer rapidement un corps d’institutions nouvelles à un amas monstrueux d’abus décriés -, ayant enfin donné, au milieu des chocs de toute espèce, des dangers de tont genre, des désordres trop exagérés, mais pourtant réels et malheureusement inséparables d’une révolution; ayant donné une nouvelle forme à un grand Empire, on peut craindre que. dans ces institutions, il ne se soit glissé quelques imperfections que l’expérience seule peut découvrir; « Considérant, d’autre part, que la nation a le droit inaliénable de revoir, de réformer, de changer et le système de ses lois constitutionnelles, et l’a te même de son association ; « Qu’il est donc nécessaire qu’en même temps que, pour l’utilité de tous, les représentants de lu nation exigent en son nom l’obéissance aux lois qu’ils ont d< crétées et qu’elle a approuvées, ils indiquent un moyen sûr et prompt de les réformer, et de profiter, à cet effet, de tous les secours que la nation puisera dans les vertus, les lumières, l’expérience dont ces lois mêmes vont devenir pour elle et la source et l’objet; « Qu’il faut seulement que les formes par lesquelles elle fera connaître son opinion soient fixées de manière à ne pas entraîner des erreurs et à ne pas donner à des mouvements tumultueux ou à des délibérations irréfléchies le caractère imposant de la volonté nationale, et fixer un délai auquel cette volonté sera examinée; délai qui ne doit être ni assez éloigné pour que la nation souffre de quelques parties vicieuses de son organisation sociale, ni assez rapproché pour que l’expérience n’ait pas eu le temps de donner ses salutaires leçons, ou que l’esprit de parti, le souvenir des anciens préjugés prennent la place de la raison et de la justice par lesquelles tous les citoyens doivent désormais être guidés; « Considérant enfin que la fixation de ce délai et la détermination de formes rasurantes pour la volonté nationale doivent, en portant toutes les idées vers l’utilité commune et le perfectionnement de l’organisation sociale, avoir l’heureux effet de calmer les agitations de l’époque présente et de ramener insensiblement les esprits à la recherche paisible du bien public, a décrété et décrète ce qui suit : Section Ire. De la formation de l'Assemblée de révision. « Art. 1er. Il y aura, en l’année 1800, le 1er juin, une Assemblée de révision dont le pouvoir sera déterminé ainsi qu’il sera dit ci-après. « Art. 2. Elle sera composée de 249 élus dans chaque département, dont un tiers à raison du territoire, les 2 autres tiers à raison de la population active. « Art. 3. Pour former l’Assemblée de révision, les assemblées primaires seront convoquées, et [Assemblée nationale.] 37 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1791.) des électeurs seront choisis uniquement pour cet objet, dans le même nombre et suivant les mêmes formes que pour les élections aux assemblées législatives. « Art. 4. Le Corps législatif et le roi sont chargés par la Constitution de proclamer, 3 mois au moins avant le 1er juin 1800, la réunion d< s citoyens en assemblées primaires et le lieu où l’assemblée de révision tiendra ses séances. « Le lieu du rassemblement sera éloigné de 20 milles au moius du lieu où siégera le Corps législatif. « Art. 5. L’Assemblée constituante une fois réunie sera libre de se transporter dans un autre lieu du royaume. « Aucun corps de troupes ne pourra être établi ni séjourner plus près d’elle qu’à 30 milles. « Art. 6. L’assemblée de révision pourra, ou suivre pour ses délibérations la forme des assemblées législatives, ou s’en prescrire d’autres, pourvu qu’elles n’abrègent pas le temps de la discussion. « Art. 7. Ceux qui seront alors membres du Corps législatif ne pourront pas être élus membres de l’Assemblée constituante. Section II. Fonctions et droits de l'Assemblée nationale constituante. « Art. 1er. Les fonctions de l’Assemblée de révision, qui sera tenue en 1800, seront d’examiner si les pouvoirs constitués, dont la division est la base fondamentale de toute Constitution, et a été l’unique objet de l'Assemblée nationale de 1789, ont gardé réciproquement les limites qui leur ont été prescrites ; et de les y rétablir, si l'un ou l’autre des pouvoirs constitués les avait franchies. « Art. 2. L’Assemblée de revisioo, en 1800, aura encore pour fonction de prononcer sur les demandes qui, suivant les formes qui vont être établies, pourront avoir été faites par les pétitions des citoyens, parle Corps législatif, ou par le roi, à l’effet de réformer quelque partie de la Constitution. Section III. Formes far lesquelles le vœu des citoyens et les demandes du Corps législatif et du roi seront constatés. « Art. 1er. Aucune pétition pour changer et réformer quelque partie de la Constitution ne pourr i être faite avant le 1er janvier 1796. « Art. 2. Après cette époque, tout citoyen qui croira qu’une des parties de la Constitution doit être réformée, sera libre d’exprimer sou vœu par une pétition signée de lui et de ceux qui partagent son opinion ; cette pétition sera déposée à la municipalité du domicile des pétitionnaires, et il en sera tenu registre. « Elle contiendra l’indication précise des parties de la Constitution sur lesquelles, suivant les pétitionnaires, la réforme devra porter. « Art. 3. Lorsque le nombre des pétitionnaires sur le même objet formera la majorité des citoyens qui composent une commune, les oüciers municipaux adresseront leurs pétitions à l’administration du département. « Art. 4. Les administrateurs dans chaque département constateront le nombre des citoyens qui auront demandé la réforme d’un ou de plusieurs points de la Constitution, en distinguant positivement les objets, s’il y en a plus d’un ; et si la majorité des citoyens actifs du département s’est réunie pour former cette demande sur un ou plusieurs points, l’énoncé de leur pétition sera envoyé par les administrateurs au Corps législatif. « Art. 5. Lorsque les pétitions sur le même objet auront été formées dans plus de 41 départements, le Corps législatif fera le recensement du vœu qui lui aura été adressé. Chaque département sera compté dans ce recensement pour le nombre de députés qu’il aura fournis à l’Assemblée législative, de manière que le calcul s’établira pour 745 unités. « Art. 6. Après que, par le recensement, il aura été constaté que la pétition est formée par la majoriié absolue des citoyens des départements, le Corps législatif établira clairement et précisément l’objet des pétitions : si elles portent sur plusieurs parties de la Constitution, elles seront distinguées. « Art. 7. Le Corps législatif énoncera ensuite son opinion sur la question de savoir si l’objet doit être soumis à l’examen de l’Assemblée de révision. « Art. 8. Le roi déclarera également son opinion en sanctionnant ou en refusant de sanctionner le décret du Corps législatif. « L’adhésion du roi au décret du Corps législatif, sera exprimée par ces mots : le roi consent. Son refus de sanction sera exprimé par ceux-ci : le roi examinera. « Le silence du roi, après deux mois du jour de la présentation du décret, sera réputé adhésion. « Art. 9. Lorsque la pétition portera sur plusieurs articles constitutionnels, le Corps législatif et le roi les distingueront en déclarant leur opinion de manière à faire porter leur adhésion ou leur opposition sur tous les articles séparément. « Ait. 10. Si le Corps législatif et le roi sont d’accord avec les citoyens pétitionnaires sur le besoin de soumettre à l’Assemblée de révision un article de la Constitution, il sera définitivement arrêté que cet article sera présenté à l'Assemblée de révision. « Art. 11. Si la législature et le roi sont d’accord pour s’opposer à ce que l’objet, ou quelques-uns des objets, ou tous les objeis compris dans les pétitions, soient mis en discussion par l’Assemblée de révision, la pétition, le décret du Corps législatif et le refus du roi seront imprimés et publiés, et le tout sera laissé à l’opinion publique pendant toute la durée de la législature qui aura manifesté son opinion. « Art 12. Si la majorité des départements, en les comptant suivant la règle prescrite ci-dessus, est des trois quarts, ou autrement de 558 unités ; et si après 18 mois au moins que la législature et le roi auront fait publier leur opinion, le premier vœu des citoyens n’a pas été rétracté dans plus de 10 déparlements sur quelqu’un des objets, ou sur tous les objets compris dans leur pétition, le Corps législatif sera tenu de déclarer que l'article ou les articles constituiionnels seront présentés à l’Assemblée de révision, et la sanction du roi sera censée donnée. Art. 13. Si, dans plus de dix départements, les citoyens ont changé d’opinion, et que la majorité absolue soit néanmoins encore acquise, la légis- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1791.] 38 lature qui suivra celle qui aura déclaré sou opinion, exprimera la sienne ainsi que le roi. « Art. 14. Dans le cas où la législature et le roi seraient alors d’accord avec les citoyens pétitionnaires, l’aiticle sera définitivement arreté pour être présenté à l’Assemblée de révision. « Dans le cas contraire où la législature et le roi, ou l’un ou l’autre s’opposeraient à ce que l’obiet de la pétition fut portée à l’Assemblée de révision, la question serait remise jusqu’à la législature suivante, qui, si la majorité subsistait toujours serait tenue de déclarer que l’article ou les articles seront soumis à l’Assemblée de révision. « Dans le cas enfin où la majorité n’existerait pas la pé ition sera regardée comme non avenue. « Art. 15. Si i.ès le principe, aussi'ôt après le recensement des pétitions, le Corps législatif ou le roi ne s’accordent pas sur e conseniement ou l’opposition, et que l’un ou l’autre manifestent une opinion contraire au vœu des pétitionnaires, la question sera soumise à trois législatures consécutives; ou si la majorité des citoyens qui ont formé les pétitions existe toujours, l’article sera porté à l’Assemblée de révision. « Art. 16. Le Corps législatif et le roi auront le droit de proposer des articles à l’Assemblée de révision, en suivant les formalités qui vont être prescrites. « Ils ne pourront en proposer aucun avant le 1er juillet 1795. i Art. 17. Si deux législatures consécutives sont «l’accord avec le roi sur les articles à proposer, ils seront définitivement arrêtés pour être soumis à l’Assemblée de révision. « Art. 18. Si le roi refuse son adhésion au décret de la législature, son veto aura les mêmes effets et la même durée que celui à porter sur les autres actes du Corps législatif. Il cessera lorsque trois législatures consécutives auront présenté le même vœu, et l’article sera remis à l’Assemblée de révision. « Art. 19. Dans le cas où ce sera le roi qui proposera de présenter à l’Assemblée de révision un ou plusieurs articles de la Constitution, il fera sa proposition par un message motivé au Corps législatif, qui sera tenu de délibérer. « Art. 20. Si trois législatures consécutives refusent d’adhérer à la proposition du roi, elie sera regardée comme non avenue. « Art. 21. Les pétitions qui seront formées ne pourront contenir aucune protestation contre l’ordre établi, ni aucune expression contraire à l’obéissance provisoire due à la loi existante ; au surplus, quelles que soient les propositions de changement ou de réforme qu’elles renferment, elles ne pourront être opposées à ceux qui les auront signées, comme empêchement à obtenir aucune place, emplois publics, ou délégations données par le peuple. « Art. 22. L’Assemblée de révision ne pourra, sous aucun prétexte, s’occuper d’autres objets que de ceux qui lui seront soumis, suivant les formes ci-dessus prescrites ; les décreis qu’elle rendrait au delà, seront nuis et de nul effet. « Elle ne pourra s’occuper ni d’aucune disposition dans l’ordre législatif, ni d’aucune inspection dans quelque partie que ce soit de l’ordre administratif. Elle n’aura aucun autre pouvoirque celui d’examiner les articles qui lui seront soumis; elle pourra cependant donner tous les ordres nécessaires pour assurer son entière liberté et sa parfaite indépendance, et elle aura, comme le Corps législatif, la police dans le lieu de ses séances. <• Art. 23. Elle sera parfaitement libre dans ses opinions; et quelle que soit la majorité des pétitions, quelle que soit la réunion ou l’opposition du Corps législatif ou du roi, chacun des membres de l’Assemblée de révision n’aura d’autre obligation que celle de voter, suivant ses lumières et sa conscience, pour ce qu’il croira le plus conforme à la justice et à l’utilité générale. « Art. 24. Le Corps législatif et le roi nomme* ront chacun quatre commissaires pour remettre à l’Assemblée de révision, lors de son ouverture, les articles arrêtés pour être les objets de son travail. " Art. 25. Aussitôt que ce travail sera terminé, l’Assemblée de révision en fera prévenir le Corps législatif et le roi. « Elle nommera 24 commissaires pour setrans� porteraupiès du Corps législatif, ei, en sa présence et en celle du roi, faire solennellement à la Constitution, sur la minute déposée aux archives, les changements et réformes qui auront été décrétés. <■ L’Assemblée de révision se séparera aussitôt. « Art. 26. Dans les réformes qu’elle pourra décréter, elle prendra pour règles les droits de l’homme et du citoyen, et ces principes éiernels de libtrté et d’égalité que les formes du gouvernement doivent assurer, et qu’elles ne peuvent altérer sans être injustes et oppressives. (La discussion est ouverte sur ce projet de décret.) M. llalouet. Messieurs, on vous propose de déterminer l’époque et les conditions de l’exer* cice d’un nouveau pouvoir constituant. Il me semble que M. le rapporteur vient de vous indiquer, par ses observations, quelques-uns des inconvénients de son projet de décret, il a insisté avec raison sur le danger d’une grande fermentation des esprits, lorsqu’on annonce, pour une époque précise, des cha gements dans la Constitution. Et cependant tel est, en substance, le plan qu’il vous propose; celui que je vais vous soumettre, en diffère, essentiellement, en ce que je pense que la Constitution que vous venez d’arrêter ne peut êire que provisoire, jusqu’à ce qu’elle ait été soumise à un examen réfléchi, â une acceptation libre, tant de la part du roi que de la part de la nation. Ce sont donc les motifs et les conditions de cet examen définitif que je viens vous proposer. Je ne prétends pas renouveler ici la tentative que j’ai faite inutilement de m’expliquer devant vous sur les points principaux de la Constitution (. Murmures à gauche ) ; la dernière tâche qui me reste à remplir est de vous parler librement ues moyens de la réformer. Qu’il me soit enfin permis de vous dire tout ce que je crois utile et vrai. Vous voulez, sans doute, que cette Constitution soit exécutée, qu’il en résulte le rétablissement de l’ordre, que nous jouissions de la liberté, de la paix intérieure. Tel est aussi l’objet de mes voeux, cherchons-en donc les moyens. Fixer une époque éloignée pour la réforme d’une Constitution, c’est süppuser que, pendant l’intervalle de temps qui s’écoulera jusqu’à cette époque, il ne s’y développera aucun vice essentiel qui en altérera la !-olidité. Si, à cette supposition, on substituait celle des grands inconvénients constatés, de vices essentiels reconnus, il serait absurde de dire qu’il faut attendre vingt-cinq ans de désordre et d a-narchie pour y remédier.