69 [Assemblé® nationale-! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790.] j’habite, les commissaires chargés de mettre les rôles en recouvrement ayant négligé de remplir leur devoir, plusieurs paroisses ont commencé à payer et celles qui ont donné cette preuve de zèle ont été blâmées par les commissaires. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’Angely). Pour accélérer le paiement des impôts directs, je propose d’autoriser le comité des finances à demander à l’administration des finances la représentation des traités qu’elle a faits avec les receveurs généraux et des traités particuliers des receveurs généraux avec les receveurs particuliers des provinces. M. de Montlosier. On calomnie les anciens administrateurs et les percepteurs des impôts en leur imputant une mauvaise situation financière dont les causes sont indépendantes de leur volonté. La cause principale du retard qu’éprouve la perception des impôts réside dans la misère sous laquelle gémissent les provinces et la famine dont elles sont menacées. M. Gaultier de RIauzat. Si mon collègue de députation recevait des nouvelles exactes de la ville de Clermont qu’il habite, on lui aurait appris que les habitants se plaignent de n’avoir pas encore reçu les rôles des vingtièmes et de ce que les rôles des autres impositions ne sont pas encore en recouvrement. M. de Montlosier. J’ai parlé pour les campagnes surtout et non pour la ville de Clermont, et je puis affirmer, sans crainte d’être démenti par personne, pas même par le préopinant, que dans la province d’Auvergne, la cherté des subsistances occasionne dans les campagnes une extrême misère. Voilà la véritable cause du retard qu’y éprouve la perception des impôts. M. Vernier. Je prie tous les députés qui ont reçu des plaintes sur les embarras qu’éprouve la perception des impôts tant directs qu’indirects de les faire parvenir au comité des finances qui s’occupera incessamment d’en rechercher les causes et de trouver le moyen de les faire cesser. M. Le Chapelier présente un projet de décret qui est mis aux voix et adopté ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale renvoie à son comité des finances les plaintes relatives aux obstacles apportés à la perception des impôts. Elle charge ce comité de lui présenter incessamment un projet de décret sur les moyens à prendre pour que la perception des impôts indirects qui subsistent ne soit pas négligée; pour que les collecteurs des impôts directs puissent faire parvenir au trésor royal les fonds qu’ils ont reçus, et pour que les rôles soient mis partout en recouvrement. » M. de Toulongeon. J’ai fait tout à l’heure une motion par laquelle je demandais que dans les départements où la convocation des assemblées primaires pour parvenir à la formation des assemblées administratives ne serait pas faite au 25 de ce mois par les commissaires du roi, les municipalités des chefs-lieux de département fussent autorisées à les convoquer. Je renouvelle cette motion. M. le comte de Mirabeau. Cette motion me paraît contraire à tous les principes. Je ne pense pas que le Corps législatif ou constituant ait dans sa compétence de convoquer à telle époque les assemblées, lorsque le pouvoir exécutif a dû prendre, du consentement même de l’Assemblée, un moyen de le faire. Si nous apercevons qu’on y apporte des obstacles, nous devons détromper le roi et exercer dans toute sa force le mode de responsabilité; mais il n’est pas possible que, sans savoir les motifs qui arrêtent les ministres, nous allions établir un véritable conflit de juridictions. M. d’André. S’il y a des départements où la formation des assemblées ait éprouvé du retard, les députés doivent nous en faire des plaintes ; et, s’il est nécessaire, nous manderons le ministre à la barre pour nous rendre compte des motifs de ce retard. Plusieurs personnes crient: Bast, bast ! M. d’André. Il n’est pas question de bast! je ne veux pas m’emporter sans sujet contre les ministres; mais je défendrai les droits de la liberté jusqu’à la dernière goutte de mon sang. Si les ministres prévariquent et qu’on craigne de les dénoncer, on n’a qu’à me donner les pièces, et je les dénoncerai bien. Dans ce moment qu’il n’y a aucune plainte spécifiée, je demande qu'on passe à l’ordre du jour. (On réclame l’ordre du jour. Il est mis aux voix et adopté.) M. Millet de Mureau, dont les pouvoirs ont été vérifiés et trouvés en bonne forme, est admis en remplacement de M. de La Poype-Vertrieux, démissionnaire. M. le marquis de Ronnay, président , cède le fauteuil à M. le baron de Menou, ex-président, et va porter des décrets à la sanction du roi. M. le baron de Menou, président, annonce que l’ordre du jour est la question concernant l'état civil des juifs. M. l’abbé Maury. Je propose d’intervertir l’ordre du jour parce que j’ai à déposer sur le bureau un mémoire concernant les juifs et qu’il est juste que ces derniers le connaissent afin d’y répondre s’ils le peuvent. M. Rewbell. Je propose de ne rien statuer sur l’affaire des juifs avant d’avoir reçu les nouvelles observations que la province d’Alsace va adresser incessamment à l’Assemblée nationale sur cette question, et je demande l’ajournement jusqu’après la complète organisation des pouvoirs publics. M. le duc de La Rochefoucauld. Je demande l’ajournement à jour fixe, parce çpi’en éludant ainsi la délibération on s’expose à soulever le peuple contre eux. Les députés des juifs assurent qu’ils seront en sécurité aussitôt que l’Assemblée aura fixé l’opinion sur leur compte. Dans l’Alsace même on s’attend tellement à les voir déclarer citoyens, que certaines communautés ont réservé leur part dans le partage des biens communaux. Je demande que cette affaire soit renvoyée au comité de constitution, qui en rendra compte aussitôt qu’il se trouvera suffisamment préparé sur cette importante matière. 70 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES** [15 avril! 790.] Le renvoi au comité de constitution est mis aux Voix et ordonné. La parole est donnée à un membre du comité des recherches. M. Palasme de Champeaux, rapporteur du comité des recherches , commence par annoncer que la capitale et les provinces sont infestées de libelles infâmes contre l’Assemblée nationale et même contre le roi; qu’il existe des ennemis acharnés contre la Révolution, qu’il n’en connaît ni les auteurs, ni les propagateurs. Un membre. C’est votre devoir de les découvrir, sans cela on vous appellera le comité sans recherches. M. Palasme de Champeaux. Eh bien ! nous avons découvert un coupable et c’est M. l’évêque de Blois. Ce prélat, mécontent de la révolution actuelle, ne cache pas ses sentiments. Sous prétexte d’éclairer un ecclésiastique qu’il suppose l’avoir consulté, il s’élève contre les décrets de l’Assemblée nationale, blâme le serment civique, et cherche à le rendre nul ; ailleurs, il annonce que les moines qui quitteront leurs maisons ne pourront plus dire la messe dans son diocèse ; qu’il défendra de les recevoir à confesse, excepté m articulo mortis. Voici ses expressions au sujet des moines : « De lâches déserteurs, car ils ne méritent plus le nom de religieux, en offrant leurs biens et en se mettant à prix, ont joint à l’inutilité des offrandes et des calculs mercenaires, la honte d’une apostasie publique et anticipée. « Si nous avons la douleur de voir les pierres de l’édifice dispersées dans les places publiques, des cadavres épars venir répandre dans le diocèse une odeur de péché et de mort et si la Providence ne nous raye pas du nombre des pasteurs, nous ordonnerons de ne point admettre les religieux à célébrer la sainte messe ou à exercer quelque sanction sans une permission spéciale signée de nous ; nous ordonnerons également à tous les confesseurs de ne pas les entendre, ainsi que les religieuses, sans un pouvoir particulier, excepté dans le cas de maladie, et de n’avoir alors pour eux ni réconciliation, ni miséricorde, que sous la promesse expresse de retourner dans le cloître pleurer leur scandaleuse désertion. » Le comité des recherches pense que les paroles de M. l’évêque de Blois sont coupables, et il vous propose de les déférer, par un décret, au procu-du roi au Châtelet. (On rit et on murmure ). M. Bouche. Je demande l’impression du rapport. M. l’abbé Manry. Et son renvoi à l’évêque de Blois. M. de Clermont-Tonnerre. La question préalable sur l’impression du rapport et sur le projet de décret. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’il n’y a lieu à délibérer. La séance est levée à 10 heures du soir. PREMIÈRE [ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 15 avril 1790. Opinion de M. le marquis de Montes-quiou (1) sur les assignats-monnaie (2). Messieurs, une masse considérable de domaines nationaux est destinée à acquitter la dette la plus urgente. Anticipera-t-on sur la vente de ces domaines par une création d’assignats ? Donnera-t-on à ces assignats un cours de monnaie? Voilà les deux grandes questions qui occupent aujourd’hui cette Assemblée. Quant à la première, elle n’en est plus une, vos décrets l’ont décidé depuis longtemps. Quant à la seconde, les opinions différentes, les divers intérêts la jugent de manières absolument opposées : et c’est au milieu des assertions les plus contradictoires et les plus touchantes, toutes appuyées ou de raisons ou de sophismes qu’il faut aller chercher la vérité ! Les assignats auront-ils cours de monnaie? Voilà la vraie question. Auront-ils un cours libre ou forcé ? Voilà comme elle nous a été présentée. A ce mot de liberté, son apologiste paraît environné de la faveur publique. Celui qui entreprend de la restreindre ose à ipeine élever la voix dans cette tribune qui lui est consacrée ; mais, Messieurs, n’a-t-on jamais abusé des mots les plus saints ? La liberté que nous avons tous juré d’établir et de défendre, est-ce celle qui donnait le pouvoir et des armes à un petit nombre d’hommes pour opprimer le reste de la nation ? Il me semble au contraire que c’est contre cette prétendue liberté que nous sommes venus combattre pour établir la vraie liberté, la liberté publique. C’est pour garantir cette dernière liberté, le but de nos travaux, qu’il est bien important de ne pas vous laisser abuser par des mots. Considérez, Messieurs, la position des affaires publiques et les motifs qui vous ont amenés à la grande entreprise qui vous occupe. Le numéraire en circulation est devenu insuffisant pour les besoins du commerce, et cependant vous ne pensez pas que le numéraire ait cessé d’exister dans le royaume. Le mal dont nous nous plaignons vient évidemment de son inégale distribution. Dans ce partage des richesses, le petit nombre possesseur des écus, fait la loi au grand nombre qui en désire. Tel a toujours été l’effet de toute concurrence. Un papier qui devrait être aussi bon que l’argent, qui le serait encore si le gouvernement n’en avait pas abusé de toutes les manières possibles, se trouve aujourd’hui répandu avec excès. Discrédité justement, parce que sans perdre sa forme d’acte de dépôt, il a cessé d’en être un, chacun cherche à s’en débarrasser, et le grand nombre d’acheteurs d’argent étant soumis, par la seule force des circonstances, au petit nombre de ceux qui le vendent, chaque jour le prix de la (1) L’opinion de M. de Montesquiou n’a pas été insérée au Moniteur. (2) La discussion ayant été fermée avant que mon tour de parole fût arrivé, j’ai pris le parti de faire imprimer mon opinion parce que ayant été interpellé sur celle que j’avais eue au mois de décembre, j’ai cru devoir faire connaître le motif que j’ai toujours eu.