[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 mai 1791.] 65 M. Gossin, au nom du comité de Constitution, pronose un projet de décret tendant à transporter à Bayonne l'assemblée électorale qui devait se tenir à Üstaritz pour procéder au remplacement des ecclésiastiques fonctionnaires publics qui ont refusé de prêter le serment prescrit par la loi. Ce projet de décret est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité de Constitution sur l’arrê'é du directoire du district d’Ustaritz, décrète que l’assemblée des électeurs sera convoquée à Bayonne pour procéder au remplacement des curés et de tous ceux des fonctionnaires publics qui n’ont pas prêté le serment prescrit par le décret du 27 novembre dernier. » M. Barnaudat. Avant d’adopter de confiance, comme tant d’autres, le projet de décret qui vous est proposé par le rapporteur du comité de Constitution, il est de la sagesse de l’Assemblée de peser les motifs qui paraissent nécessiter un changement aussi considérable et qui pourrait avoir les suites les plus funestes. S’il est indispensable de changer l’ordre prescrit par l’Assemblée nationale dans quelques districts, il faut que ces changements soient commandés par les circonstances les plus impérieuses. Jusqu’à ce jour, j’ai toujours opiné en faveur de Bayonne pour les établissements qui pouvaient lui convenir; mais, au moins, il me semble qu’avant de contrarier l’ordre déjà établi et pour ne pas s’exposer à aigrir les esprits, il serait naturel et juste d’inviter les députés du département à se réunir avec M. le rapporteur pour examiner l’affaire. Je demande donc le renvoi de la délibération à lundi ou tout au moins à demain. M. Gossin, rapporteur. Je prie l’Assemblée de ne pas donner suite à la demande de renvoi qui lui est faite et j’observe que plusieurs députés du département, entre autres M. Garat, ont donné leur assentiment au projet. M. Darnandat. Quelques suffrages pris individuellement ne peuvent pas suffire lorsqu’il s’agit d’aller contre des décrets qui fixent le lieu des assemblées. (L’Assemblée, consultée, ajourne à demain le projet de décret.) M. le Président fait donner lecture, par un de MM. les secrétaires, d’une lettre de M. Raymond, un des cinq commissaires des personnes de couleur. Cette lettre est ainsi conçue : « Monsieur le Président, « Au nom de la justice, de l’humanité et de l’intérêt même de la France et des colonies, nous vous conjurons de vouloir bien nous entendre avant de porter une décision sur le sort de nos malheureux frères. «Vous n’avez jusqu’à présent d’idées sur les localités que d’après l’exposé des colons blancs; il ne nous sera pas difficile de prouver les inexactitudes qu’ils ont avancées. Serions-nous jugés sans être entendus ? Nous ne pouvons le croire. « Nous sommes prêts à paraître devant l’Assemblée; nous sommes aux portes de cette salle et nous attendons que les députés de cette Assemblée veuillent bien nous les faire ouvrir. (. Applaudissements dans les tribunes.) « Nous sommes, avec respect, etc. « Signé : RAYMOND, « Pour les cinq commissaires de couleur. » lre Série. T. XXVI. Plusieurs membres : Failes-les entrer ! (Murmures.) M. Pétion de Villeneuve. Depuis plusieurs jours, les citoyens de couleur demandent à être admis à la barre pour répondre à des faits hasardés à cette tribune. Je demande qu’ils soient entendus avant que la discussion soit terminée, et je pense que les motifs de mu demande seront sans doute aperçus par toute l'Assemblée. M. Martineau. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour. La lettre qui vient de vous être lue n’est pas une pétition des gens de couleur domiciliés dans nos colonies ; c’est une lettre de quelques particuliers qui sont à Paris, et j’oserai dire que c’est une lettre qui leur a été dictée par une certaine société. (Murmures.) M. Pétion de Villeneuve proteste contre cette assertion. M. Martineau. Il est contre les principes de l’Assemblée d’entendre à la barre, dans une affaire publique, de simples particuliers... Plusieurs membres : Vous avez bien entendu les commerçants ! M. Martineau. Il y a d’ailleurs un décret qui a rejeté la demande qu’on vous fait en ce moment et, d’un autre côté, les hommes de couleur ont eu leurs défenseurs dans cette enceinte. Je demande donc l’ordre du jour. M. Bouche. J’invoque en faveur de la députation vos décrets sur les pétitions et les droits de l’homme. La question du moment est d’une importance telle qu’elle ne vous permet pas de négliger une seule occasion de vous instruire. Le discours que vous allez entendre à la barre n’influera pas sur l’opinion de l’Assemblée; elle est faite. Mais vous aurez rempli un grand devoir, celui d’entendre avant de juger. (Murmures et interruptions.) On me dit qu'il ne s’agit pas de juger. Mais, vous déciderez que vous ne jugerez pas; et c’ed là un grand jugement. Une pétition vous est faite sur un grand sujet, sur le sort d’un grand nombre de citoyens. Que vous prononciez ou que vous ne prononciez pas, il faut que vous appreniez à la France, il faut que l’Europe sache que, dans cette affaire, vous n’avez rejeté aucun moyen d’instruction ; cette instruction est pour vous un devoir. Je demande que les pétitionnaires soient entendus à midi. M. Malouet. Ma réponse au préopinant sera simple : il ne s’agit pas en ce moment de savoir ce que vous prononcerez sur la condition des gens de couleur, mais bien de savoir si vous prononcerez avant d’avoir entendu les propositions des colonies. Des particuliers demandent à être entendus à la barre; je maintiens que vous ne pouvez les entendre avant de connaître le vœu des colonies ; car c’est aux colonies seules qu’appartient l’initiative sur les lois relitives à l’état des personnes. Vous leur avez accordé déjà cette initiative comme l’unique sauvegarde qui puisse les rassurer sur toute innovation dangereuse au système colonial. Je demande, d’ailleurs, si vous devez entendre des hommes dont vous ne connaissez même pas les pouvoirs. 5