[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] 459 personne n’en dira jamais plus que moi : mais il faut que justice soit faite, et que lorsque la Provence et toutes les nations commerçantes de 1 univers s’épuisent pour Marseille, Marseille ne réponde pas à ce dévouement en dépouillant des voisins qui ne veulent et ne peuvent pas lui nuire, et qui se félicitent de sa gloire. En traçant ce mémoire, j’ai consulte mon cœur, la justice, les convenances et les décrets de l'Assemblée nationale. J’ai osé m’ériger en organe de vingt-quatre mille individus intéressants� qui ont compté sur mon zèle, comme ils espèrent tout de la justice des législateurs de la France. DEUXIÈME ANNEXE. Mémoire envoyé far M. le garde des sceaux à M. le président de l'Assemblée nationale , au sujet du décret portant réformation de quelques points de la jurisprudence criminelle (I). La promulgation d’une loi nouvelle donne toujours lieu à"un grand nombre de questions. Les unes se décident par une lecture attentive, et les juges ne les proposent sans doute que par un excès de précaution; les autres plus délicates, et sur lesquelles il est plus difficile de prononcer, portent sur des cas non prévus, non exprimés dans le texte qui n’embrasse jamais toutes les espèces. Celles-là ne peuvent être résolues en quelque sorte que par les rédacteurs eux-mêmes, il faut plutôt alors une interprétation qu’une explication, et pour la donner, il est nécessaire d’être pénétré de l’esprit de la loi et d’en connaître à la fois toutes les intentions. Le décret de l’Assemblée nationale, portant réformation de quelque points de la jurisprudence criminelle, a fait naître plusieurs difficultés. M. le garde des sceaux désirerait vivement les aplanir; il désirerait qu’une loi dictée par les sentiments d’humanité les plus dignes d’éloges, ne rencontrât pas d’obstacles dans son exécution ; que toutes les dispositions en fussent tellement connues, tellement saisies suivant leur véritable sens, que l’on pût se flatter que les juges en conserveront religieusement l'esprit dans tous les actes de leurs procédures. Il croit donner une nouvelle marque du zèle dont il est pénétré, et de l’application qu’il ne cessera d’apporter au maintien de la pureté de la loi, en s’adressant à l’Assemblée elle-même, et en se concertant avec elle sur les points qui ont fait naître des doutes raisonnables. On peut diviser en trois classes les questions proposées jusqu’ici: 1° celles qui ont rapport à la fonction des adjoints; 2° celles qui concernent la fonction des conseils; 3° celles qui tiennent à la forme de l’instruction et à celle des jugements. QUESTIONS RELATIVES A LA FONCTION DES ADJOINTS. La loi a voulu que des adjoints fussent présents à tous les premiers actes de la procédure qui se font toujours en l’absence de l’accusé. Dans cette première époque, elle les a constitués en quelque sorte les surveillants du juge instructeur, et les a proposés à l’investigation exacte et impartiale de la vérité. Ainsi, elle a dit qu’il en assisterait deux à la plainte (art. 3) ; deux aux procès-verbaux dressés par le juge (art. 5); et elle leur a imposé l’obligation de faire en leur âme et conscience, au juge, les observations tant à charge qu’à décharge qu’ils trouve-ron tnécessaires pour l’explication des dires des témoins, et V éclaircissement des faits déposés. Mais lorsqu’une fois l’accusé est présent, la procédure se faisant contradictoirement avec lui et publiquement, le ministère des adjoints devient superflu, et leur assistance doit cesser dès cet instant (art. 11). Voilà les dispositions précises de la loi ; elles sont claires, on en sent facilemnet l’intention. Cependant elles ne paraissent pas suffisantes, et elles laissent encore de l’incertitude sur l’étendue de la mission des adjoints, et le terme précis qu’il faut y donner. PREMIÈRE QUESTION. On demande si les adjoints doivent assister au rapport sur lequel interviendra le jugement qui prononce un décret, et qui dorénavant ne pourra être rendu que par trois juges, lorsqu’il s’agira d’un décret de prise de corps ou d’ ajournement personnel. La loi n’a rien prononcé de positif sur ce point et l’on ne peut dès lors eu chercher la solution que dans la combinaison des différents articles, ou dans l’esprit général qui a présidé à leur rédaction. Dans le texte relatif aux adjoints, on trouve deux sortes de dispositions; les unes qui prescrivent et déterminent activement leur mission, l’autre qui en fixe le terme. Les premières leur donnent l’assistance à la plainte, aux procès-verbaux, à V information qui précède le décret : voilà tout ce qu’elles expriment. Quelques juges se sont cru fondés à en tirer la conséquence que voilà aussi les seuls actes où les adjoints doivent être présents et que la loi n’y ayant point compris le rapport fait pour parvenir au décret, ils ne doivent pas s’y trouver. Cependant la foi ne fait cesser l’assistance des ad joints, qu’à l’instant où l’accusé se fera présenter sur le décret. A cette époque, le jugement qui a prononcé ce même décret est rendu, le rapport qui le précède est fait ; et aussi quelques juges ont-ils pensé que la présence des adjoints devait avoir lieu au rapport, par cela seul que leurs fonctions ne finissaient qu’après la présentation de l’accusé sur le décret. Ainsi, deux opinions différentes se sont élevées, et toutes deux se sont étayées du texte môme de la loi. Celui qui a embrassé la première ne suppose rien, n’ajoute rien, ne se permet point d’interprétation, d’induction. Il lit avec attention, et exécute avec scrupule; là où il ne voit pas d’ordre positif, il ne change rien à ce qui se pratiquait avant la loi. Celui qui a préféré la seconde, a besoin au contraire d’expliquer, de commenter, do raisonner par anologie, et de prétendre que les adjoints assisteront au rapport d’un juge, quoique le texte ne l’ait pas dit, et cela, parce qu’ils ne doivent se retirer qu’âpres que ce rapport aura nécessairement ôté fait. Peut-être si l’on se bornait à ce rapprochement, serait-on fondé à croire que la première opinion est celle qu’il faut préférer, comme étant la plus régulière : 1° parce que la loi a spécifié tous les actes où elle voulait la pré-(1) Ce mémoire n’a pas été inséré au Moniteur. 460 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] sence des adjoints, et n’a pas exprimé le jugement qui décrète; 2° parce que nulle part elle n’a parlé de leur présence à un jugement quelconque; 3° en tin, parce qu’elle n’a point dit même en termes généraux, que pendant la durée de leur mission, ils seraient présents à tous les actes de la procédure. Mais si l’on scrute ensuite l'esprit général qui a dicté le décret de l’Assemblée nationale, il est difficile d'écarter les adjoints d’un rapport qui va décider, sinon du sort de l’accusé, au moins de la suspicion légale qui s’établira contre lui. Les adjoints à la vérité ne sont point des défenseurs, ils ne lui doivent ni secours ni protection; mais ils doivent tous leurs soins à la véracité des preuves, à ce qu’on n’en altère pas le caractère, et peut-être à ce que l’on n’en outre pas les conséquences pour en rendre les effets plus affligeants. N’est-il pas naturel de penser qu’une loi dictée par l’humanité, qui donne un conseil à l’accusé, quant il est présent, qui veut qu’au moment du jugement définitif, il soit défendu, meme après le rapport et après les conclusions motivées du ministère public; qui avant que cet accusé soit connu, avant que la justice ait pu l'appeler, a proposé deux hommes choisis par la confiance de leurs concitoyens, pour faire au juge-instructeur les observations dictées par l’im-partialtté; qui ne fait cesser leur assistance, que quand il peut venir offrir sa justification, et y présider lui-même; n’est-il pas naturel de supposer ou plutôt d’apercevoir qu’une loi telle a voulu la présence de deux adjoints, au rapport qui déterminera le degré de sévérité dont la justice doit user dès les premiers pas, et qu’à ce moment si important, ils fissent encore aux juges, en leur âme et conscience, les observations à décharge que la connaissance parfaite de l’instruction peut leur fournir? Peut-être l’Assemblée nationale jugera-t-elle qu’il est essentiel de dissiper tous les doutes sur ce point par une disposition précise. Elle pensera du moins qu’il est nécessaire de fixer invariablement une règle commune à tous les tribunaux, sur une question qui se reproduit souvent et sous différentes faces, ainsi que l’on en sera convaincu par la suite de ce mémoire. SECONDE QUESTION. La loi a supposé partout que l’accusé ne refuserait pas d’obéir au décret, et elle ne s’est point occupée de prescrire la forme de procédure que l’on suivrait contre les coutumaces. Quand l’accusé ne comparaît pas, le ministère des adjoints doit-il continuer après le décret? doivent-ils assister au récolement, qui alors vaut confrontation? seront-ils présents au rapport, aux conclusions du ministère public et au jugement? 11 y a des motifs puissants pour adopter l’affirmative, comme pour la rejeter. Le dernier texte qui soit applicable aux fonctions actives des adjoints, c’est celui des articles 6 et 7, qui veut qu’ils assistent à l'information qui précédera le décret et qu’ils fassent aux juges les observations à charge et à décharge. Là paraîtrait se terminer leur ministère. La loi nouvelle a voulu que l’ordonnance de 1670 continuât d’être exécutée en ce en quoi il n’y a pas été dérogé, c’est-à-dire, sur tous les points non prévus, non exprimés; et cette ordonnance prescrivait le secret du recolement, du rapport et au jugement. L’accusé qui refuse de se présenter, qui craint de se justifier ou néglige de le faire, ne paraît pas conserver de droits à la bienveillance et à la protection spéciale de la loi; il ne mérite peut-être pas les secours qu’elle ne prépare qu’à celui qui reconnaît son empire et s’y soumet. Ne serait-ce pas même nuire au contumace que de les lui accorder? Sa seule comparution fait tomber la condamnation, et rétablit les choses dans leur première intégrité. Mais si des adjoints avaient assisté au procès, l’examen qu’ils en auraient fait, la surveillance qu’ils y auraient apportée, ne donneraient-elles pas au jugement un caractère de force, une présomption légale d’équité qui s’élèveraient ensuite contre l’accusé même? Enfin il sera le maître, en se présentant, d'obtenir tous les secours de la loi, d’avoir communication de la procédure, de profiter des lumières d’un conseil, etc. Cependant les mêmes considérations que nous avons présentées sur la première question, et qui tendraient à faire assister les adjoints au rapport qui précède le décret, se reproduisent ici avec bien plus de force encore, puisque le jugement définitif est plus important que le jugement préparatoire. La loi ne fixe le terme de la fonction des adjoints, qu’après la présentation de ï accusé ; ne peut-on pas en conclure que s’il ne paraît pas, ils ne doivent pas se retirer? N’y aurait-il pas, d’ailleurs une sorte d’inconséquence à vouloir que des surveillants assistent à l’information, parce que l’accusé n’y est pas, et que sans qu’il ait comparu, le ministère des adjoints cessât au moment le plus essentiel, à celui du récolement, où les témoins peuvent changer leurs dépositions, ajouter les circonstances les plus essentielles, et qui est d’autant plus important dans l’espèce, qu’il vaut confrontation? TROISIÈME QUESTION. Lorsque dans la même procédure il y a des accusés qui se sont présentés, et d’autres qui sont contumaces, doit-on prendre des adjoints à raison de l’absence d’une portion des accusés? Gette question se décompose en deux parties. L’une s’applique à la procédure qui suit le décret, comme le récolement, la confrontation, les derniers interrogatoires des accusés présents, le jugement; et celle-là sera résolue en partie par la décision de la question précédente. Il faut observer seulement qu’une combinaison nouvelle semble rendre le ministère des adjoints plus nécessaire encore. Les accusés présents ont des conseils qui assistent au rapport, et peuvent prendre la parole ; ne serait-il pas utile que les adjoints veillassent à la cause des contumaces? L’autre partie de la question s’applique à une addition d’information qui peut être ordonnée, et qui a fréquemment lieu en pareilles circonstances. Il est en effet très-ordinaire dans une affaire compliquée, qu’après avoir entendu quelques témoins, le juge décerne des décrets, et ordonne la continuation de l’information. S’il y a, sur trois décrétés, un seul accusé qui ait obéi, la procédure deviendra publique : les adjoints se retireront-ils? L’intérêt des contumaces paraît plus que jamais réclamer leur surveillance. Il est évident que l’accusé présent aura besoin pour sa justification, de charger ses coaccusés, de faire en sorte que tout le poids des dépositions porte sur eux, et de détourner de lui les circon tances aggravantes. Il peut faire des observations aux témoins, il usera [9 décembre 1789.] 461 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMEN I AIRES. (b* celle faculté : qui s’opposera à ses efforts et rectifiera l’erreur où ils peuvent conduire? Quand le témoin était seul avec le juge, on a interposé entre eux deux scrutateurs: se retireront-ils, parce q-ue le danger de l’accusé est devenu plus pressant? Cependant, d’une part, la loi a dit que la présence de l’accusé, en rendant la procédure publique, ferait cesser le ministère des adjoints; ■d’un autre côté, ce même mioistère n’est positivement prescrit que pour l’information qui précédé le décret. QUATRIÈME QUESTION. Une nouvelle combinaison se présente encore par la différente position où les accusés se trouvent entre eux. Pendant le cours d’une instruction et après l’interrogatoire des accusés présents, les lumières acquises indiquent un nouveau coupable; le ministère public rend plainte, le juge informe : l’assistance des adjoints devient-elle nécessaire? - La connexité de cette seconde instruction avec la première, son indivisibilité, portent à croire que les accusés assisteront à l’information qui alors se fera publiquement. Mais est -ce donc assez pour la sûreté du nouvel accusé avec qui elle n’est pas contradictoire? ne peut-on pas dire qu’il est dans la même position que celui contre lequel on a rendu une plainte principale, et que le fait d’une plainte incidente ne peut le priver d’aucun des avantages que la loi avait préparés ? CINQUIÈME QUESTION. La présence des adjoints peut-elle dans certains cas redevenir nécessaire quand elle aura cessé de fait et de droit? voici dans quelle espèce la question se présente. Un accusé a été décrété d’ajournement personnel, il a subi son interrogatoire ; la procédure est restée sans activité, parce qu’il n’y avait point de charges concluantes. De nouveaux indices laissent entrevoir la possibilité de se procurer des preuves, le juge ordonne une addition d’information ; le procureur du Roi fait une sommation à l’accusé de comparaître, et celui-ci ne vient pas, il prend au contraire la fuite, et il est évident qu’il ne se mettra pas en état : faut-il appeler des adjoints, attendu l’absence? Leur fonction a dû cesser au moment de l’interrogatoire, et la loi ne les a appelés d’une manière positive qu’à l’information qui précède le décret. L’on peut ajouter que l’accusé averti, sommé juridiquement, et qui refuse de comparaître, n’a plus de droit à la juste sollicitude de la loi, et ne mérite pas d’être traité avec indulgence. Cependant on ne peut se dissimuler que dans l’espèce proposée, l’addition d’information deviendra la pièce importante du procès ; c’est d’elle que l’on attend les charges et les véritables lumières : sera-t-elle donc revêtue de moins de formalités quand elle est la plus essentielle ? On vient de considérer les fonctions des adjoints quant aux actes extérieurs : il faut maintenant savoir à quoi elles les obligent. SIXIÈME QUESTION. Quand ils sont requis par le plaignant, ou appelés par le juge, peuvent-ils refuser leur ministère ? par quel acte constatera-t-on la réquisition et le refus? leur fera-t-on une sommation? Dressera-t-on un procès-verbal? que fera le juge? pourra-t-il user d’une voie de contrainte, prononcer des peines? Quelles seront-elles? sur tous ces points la loi est absolument muette. Ici même se présente une autre question sur laquelle elle ne s’est pas expliquée davantage, et c’est à regret qu’on se voit forcé de la proposer. Le ministère des adjoints, si intéressant, si respectable dans ses motifs et son objet, n’est pas vu du même œil par tous les citoyens. Il s’en rencontre malheureusement qui sont dépourvus du zèle que la société a droit d’attendre d’eux, et rejettent des fonctions auxquelles la confiance les appelait. Un notable sera-t-il maître de refuser la qualité d’adjoint qui lui aura été déférée? mettra-t-on cette fonction au rang des charges publiques dont on ne peut s’affranchir ? sera-t-on tenu indéfiniment d’accepter-, ou quand on en aura rempli les fonctions pendant un an, quelle révolution ramènera la nécessité de les accepter encore? pourra-t-on donner sa démission dans le cours de l’année? SEPTIÈME QUESTION. Une autre question plus étonnante encore paraît solliciter une disposition ' expresse. Quant un adjoint aura été appelé par le juge, qu’il aura volontairement prêté son assistance, pourra-t-il se retirer au milieu de l’opération commencée, quitter par le seul effet du caprice un procès-verbal, une information ? quelle peine encourra-t-il pour l’avoir fait? M. le garde des sceaux est pressé de donner une réponse notamment sur ce point. Il est arrivé non-seulement qu’un adjoint a voulu se retirer dans le cours d’un procès-verbal auquel il s’était rendu, mais même que le juge s’étant opposé à sa sortie, il s’était écrié qu’on lui faisait violence, et a ameuté le peuple qui est venu le délivrer, dans la persuasion que sa sûreté était compromise. HUITIÈME QUESTION. Les adjoints sont-il3 récusables ou reprochables? à quel instant et par qui peuvent-ils l’être? Cette question paraît bien importante à résoudre, puisque la validité d’une instruction achevée peut eu dépendre et que le juge serait dans la nécessité d’en prononcer la nullité à l’instant du jugement définitif. 11 ne me semble pas qu’on puisse appliquer aux adjoints la récusation proprement dite, puisqu’elle n’a lieu qu’à l’égard des juges, et qu’il n’en font point les fonctions. Mais ils en remplissent une qui exigent la même impartialité, et sous ce rapport, ils seraient peut-être susceptibles des moyens de reproche. Cependant dans quel cas, par qui, et comment ces moyens pourront-ils être proposés? Les adjoints que le plaignant aura pris pour l’assister, ne doivent, en apparence être reprochables par aucuns moyens. La loi a laissé le choix le plus illimité à l’accusateur. Mais le juge qui dresse un procès-verbal ou qui informe, est obligé d’appeler deux adjoints suivant l’ordre du tableau (article 5 et 6 ). Cette combinaison peut faire que l’un d’eux soit parent de l’accusateur ou de l’accusé : celui-là deviendra-t-il suspect? La loi n’a pas autorisé le juge à faire aux ad- [9 décembre 1789.] 402 [Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. joints une interpellation quelle qu’elle soit; elle s’est contentée du serment général qu’ils ont prêté à l’instant de leur nomination. Il ne paraît donc pas qu’il ait le pouvoir de les interroger sur leur parenté; leur intimité avec l’une ou l’autre des parties, encore moins de leur enjoindre de s’abstenir de leurs fonctions. Gomment croire néanmoins que lorsque des témoins nécessaires sont reprochables, et sont écartés par une présomption légale de partialité, les surveillants de la procédure entière, ceux que le législateur a constitués les scrutateurs de la véracité des témoins, ceux qui peuvent par leurs observations, leurs interpellations, les conduire à un résultat plus ou moins important, soient à l’abri de toute suspicion ? Gomment concevoir que des fonctions si essentielles soient livrées indifféremment et sans examen, à ceux qui peuvent prendre l’intérêt le plus vif à l’une ou l’autre des parties? Cependant si l’on admet le reproche, qui pourra le proposer, et à quel moment ? L’accusateur en aura-t-il la faculté ? faudra-t-il qu’il soit partie civile ? suffira-t-il qu’il soit dénonciateur ? 11 faudra donc alors lui faire connaître le nom des adjoints, et interpeller de déclarer s’il entend les reprocher. Dans son origine, l’accusédoitignorer l’existence de la procédure; elle lui sera peut-être toujours étrangère, puisqu’il n’y a que le décret qui l’y appelle, etfasse résider sur sa tête la qualité d’accusé. Sera-t-il temps encore pour lui de proposer le reproche après l’information faite, et après qu’ilen aura pris communication ? Ge n’est pas tout : la plainte est souvent rendue contre un quidam, ou bien contre un seul accusé; l’information fait connaître les vrais coupables. Ge sont ceux-là qui donneraient lieu au reproche. L’adjoint est-il tenu de se retirer à l’instant où l’un de ses parents, de ses amis est nommé par les témoins? qui l’interpellera de s’abstenir? comment le remplacera-t-on? S’il ne se retire pas néanmoins, et si lorsque le reproche sera proposé par l’accusé dans la suite de sa défense, il est jugé admissible, toute la procédure deviendra-t-elle nulle par un fait que l’accusateur ne pouvait ni prévoir, ni prévenir? 11 paraîtrait bien important de fixer des règles certaines sur un point qui deviendra le principe d’une multitude de prétentions, qui serviraient de ressources aux coupables, et qu’il serait dangereux peut-être de livrer à la diversité des jurisprudences. NEUVIÈME QUESTION. Quelle place les adjoints prendront-ils au tribunal lorsqu’ils viendront y remplir leurs fonctions? Quand ils assistent à la plainte rendue par un particulier en l’hôtel du juge, ou par le ministère public en la chambre du conseil, il n’y aura pas de difficulté de ce genre à craindre. Mais dans les cours, M. le procureur générai rend plainte à la chambre, les magistrats assemblés. Déjà l’espèce s’est présentée, et les adjoints ont réclamé une séance d’honneur que la cour ne croyait pas leur être due; ils ont voulu être placés à la suite des magistrats, et sur les mêmes formes qu’eux. On leuraobservé qu’assistant M.le procureur général, ils devaient rester près de lui, au barreau, et sur le banc des gens du Roi. Ils ont répondu qu’amenés par le plaignant, ils n’étaient pas pour cela ses adjoints, qu’ils ne signaient pas la plainte avec lui mais avec le juge (article 3); qu’ils ne demandaient rien, et qu’on ne devait pas dès lors leur assigner la place destinée à celui qui vient supplier la justice et réclamer son autorité; que vouloir les confondre avec les parties, c’était dégrader des fonctions honorables qui les associent à beaucoup d’égards avec les juges eux-mêmes. On leur a offert de les placer au bureau du greffier et ils ont refusé. Le zèle des magistrats ne leur a pas permis de s’arrêter à une vaine forme, et d’apporter, à raison d’un cérémonial, un retard quelconque à l’exécution de la loi ; ils ont cédé, en faisant des réserves : mais, ne faut-il pas prévenir l’arbitraire où des prétentions de cette nature peuvent conduire? Le jugement qui prononce un décret dans les cours, est rendu par la chambre. Si les adjoints doivent assister au rapport qui le précède; si dans le cas de contumace, leurs fonctions se prorogent jusqu’au jugement définitif, il paraît inévitable d’assigner tellement le lieu de leur séance, qu’il n’y ait plus lieu à des difficultés sur celle qu’ils doivent prendre. QUESTIONS RELATIVES A LA FONCTION DES CONSEILS. Les vues d’humanité qui ont dicté la loi, l’ont portée à assurer à l’accusé les secours et les lumières d’un conseil. Il a le droit de s’en choisir un ou plusieurs, de conférer librement avec eux; et quand il ne peut en avoir un par lui-même, le juge doit-il en nommer un d’office, à peine de nullité? PREMIÈRE QUESTION. Si le crime est si grave que personne ne veuille accepter la qualité de conseil, que fera-t-on? sera-t-on placé par cela seul dans l’impossibilité absolue d’instruire valablement? Cette espèce s’est déjà présentée. SECONDE QUESTION. L’accusé refuse successivement les conseils qu’on lui a nommés d’office, et cela pour apporter un obstacle insurmontable à la procédure; comment le juge se conduira-t-il? TROISIÈME QUESTION. Faut-il nommer un conseil à l’accusé con-tumax ? Peut-être entre-t-il dans les principes qui ont dicté la loi, de ne pas refuser le secours d’un défenseur à celui qui est absent. Cependant on serait autorisé à croire que telle n’a pas été son intention. Elle ne parle en effet du conseil que dans ses relations avec l’accusé présent. C’est lui qui doit le choisir, c’est à lui qu’on en doit nommer d’office, s’il a déclaré ne pouvoir en avoir par lui-même. La publicité de la procédure est la suite inévitable de la nomination du conseil qui en prend communication, et cette procédure doit être secrète, sauf l’assistance des adjoints jusqu’à la présentation de t’accusé. C’est du moins ce que l’on peut induire des termes de l’article 6, qui le prescrit ainsi en termes formels relativement à l'information qui précédera le décret. Enfin la qualité de contumax, la résistance à obéir au décret, font présumer quel’accusé absent ne mérite pas la faveur ni les secours prodigués à celui qui vient se justifier. 463 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789.] QUESTIONS RELATIVES A LA FORME DE L’iNSTRUC-TION ET DES JUGEMENTS. PREMIERE QUESTION. Quand, la procédure est faite par coutumace, le rapport doit-il être public, et le jugement prononcé à l’audience ? On serait autorisé à penser que cela n’est pas nécessaire, la loi nouvelle n’ayant prescrit la publicité qu’au moment de la comparution de l’accusé. SECONDE QUESTION. La copie de toutes les pièces de la procédure, doit être délivrée sans frais à l’accusé, s’il la requiert. L’orsqu’il y en a plusieurs , chacun d’eux peut-il exiger "une copie entière? suffit-il de leur donner séparément la partie de l’instruction qui les concerne? La nécessité de fournir un grand nombre de copies entières est onéreuse, et entraînera des retards inévitables. Mais la copie morcelée est sujette à des inconvénients peut-être plus graves ; car celui qui la fera, jugera alors de ce qu’il doit y insérer, et comment s’assurer qu’il y comprendra tout ce qui est important? Ne doit-il pas arriver que ce sera précisément dans la partie qui concerne l’un des accusés, que l’autre puisera son moyen de justification? La loi nouvelle n’a pas pu s’expliquer sur cet objet; elle paraît s’être en général occupée de l’espèce où il n’y avait qu’un seul accusé (1). TROISIÈME QUESTION. Les accusés seront-ils interrogés en présence l’un de l’autre? cela aura-t-il lieu pour le premier interrogatoire, ou seulement pour les subséquents? La loi n’a point décidé cette question bien importante dans les effets qui doivent en résulter. Souvent la contradiction qui subsistait dans les réponses, conduisait à la découverte de la vérité. Se privera-t-on de ce moyen salutaire, et fournira-t-on à des complices la facilité de concerter entre eux leurs déclarations? Cependant, du moment où l’accusé s’est mis en état, la procédure doit lui être connue ; tous les actes de l’instruction se font en sa présence. V aura-t-il une exception pour les interrogatoires? L’article 12 n’a point exprimé qu’il lui en serait donné communication. Il dit seulement que «< Dans les vingt-quatre heures de l’emprisonnement, le juge le fera paraître devant lui, lui fera lire la plainte, la déclaration du nom du dénonciateur, s’il y en a, les procès-verbaux ou rapports, et l’information. » Le texte s’arrête là, et il n’a point prescrit ce que l’on ferait des interrogatoires, lorsqu’à raison de la pluralité des accusés il y aura déjà des interrogatoires subis. Si l’on ne donne pas la communication de ceux qui existent, il paraîtrait naturel d’en conclure que les accusés seront, dans le cours de la (1) Le seul article où elle en suppose plusieurs, est l’article 17, qui parle de leur récolement et de leur confrontation. procédure, interrogés séparément. Mais nous l’avons déjà observé, on ne peut pas, en cette matière, tirer d’induction certaine des expressions dont la loi s’est servie, puisqu’elle n’a pas prévu le cas où la même poursuite serait dirigée contre plusieurs personnes. QUATRIÈME QUESTION. Un délinquant est arrêté à la clameur publique, et constitué prisonnier sans décret. Il doit être interrogé dans les 24 heures. Le sera-t-il publiquement, et l’information qui doit suivre, sera-t-elle faite en sa présence? Cette espèce se rencontre très-fréquemment, et elle a déjà donné lieu à une diversité d’opinions entre les juges, et à une différente méthode d’opérer. Le tribunal du Châtelet, jaloux d’exécuter les décrets de l’Assemblée nationale avec la plus grande exactitude, a présenté ses doutes à M. le garde des sceaux, en le priant de vouloir bien sentir qu’il est urgent de les lever et de donner sur ce point une règle invariable. Toute la difficulté réside dans l’application que l’on doit faire de l’article 11 du décret, qui veut « qu’aussitôt que l’accusé sera constitué prisonnier... tous les actes de l’instruction soient faits contradictoirement avec lui publiquement, et les portes de chambres d’intructions ouvertes». Si l’on ne s’arrêtait qu’aux expressions que nous venons de rapporter, si l’on prenait l’article d’une manière isolée, il serait difficile d’y trouver de l’équivoque. Dès l’instant que l’accusé est présent, tout doit lui être connu. Mais ce même article suppose un décret existant, une information préalable faite secrètement, aux termes de l’article 6, et avec l’assistance de deux adjoints seulement. On pourrait penser, avec une apparence de fondement réel, que la loi n’a considéré comme prisonnier que celui qui est décrété; jusque-là il est détenu de fait et non de droit. La sûreté publique exige qu’on ne lui laisse pas sa liberté ; mai s la loi ne sait pas encore qu’il en est privé, et ce n’est qu’après le décret décerné, et l’écrou de sa personne, qu’on peut lui appliquer les dispositions de l’article 11, et de ceux qui le suivent. Il y aurait en apparence de grands inconvénients à adopter un autre ordre de procédure, et si à l’instant de la capture on donnait un conseil au prisonnier, si son premier interrogatoire se faisait publiquement , si l’information qui le suivra était également publique, on pourrait craindre que les complices promptement avertis, ne s’échappassent avant qu’on ait pu s’en assurer, ou que les témoins intimidés par la publicité, ne voulussent pas déclarer tout ce qu’ils savent, pour ne pas exposer leur propre sûreté. 11 paraîtrait conforme et à l’intention de la loi, et à l’intérêt public qui sollicite la punition des délits, de prescrire qu’en pareilles circonstances, et lorsque l’emprisonnement aura été fait à la clameur publique, le prisonnier subira son interrogatoire en présence de deux adjoints seulement, et que ce ne sera qu’après le décret intervenu que l’accusé aura un conseil, la communication des pièces et le bénéfice de la publicité. Mais quelle que soit l’opinion que l’on doive préférer, il paraît bien important de fixer une régie invariable. CINQUIÈME QUESTION. L’article 21 ne s’exécute pas non plus avec 464 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1789. J uuiformité dans les différents tribunaux du royaume. Après avoir prescrit le rapport public et la prononciation du jugement à l’audience, cet article porte que l’accusé n’y comparaît que pour-le dernier interrogatoire; « mais que son conseil pourra être présent pendant la séance entière, et parler pour sa défense après le rapport fini, les conclusions données et dernier interrogatoire prêté; et que les juges seront tenus de se retirer ensuite à la chambre du conseil, d’y opiner sur délibéré, et de reprendre leur séance publique pour la prononciation du jugement. » Le plus grand nombre des juges laisse prendre la parole au conseil de l’accusé, immédiatement avant le jugement et après les conclusions du ministère public, de manière qu’il a l’avantage dé parler le dernier. Dans d’autres tribunaux il parle aussitôt le rapport et avant les gens du Roi. Peut-être ne doit-on cette diversité qu’à une faute de ponctuation glissée dans l’une des éditions imprimées de la loi; faute qui rendait le texte équivoque, mais faute qui, par les soins de M. le garde des sceaux, fut rectifiée aussitôt que connue. Cependant les juges qui ont adopté l’usage de donner la parole au conseil de l’accusé immédiatement après le rapport, et avant les conclusions du ministère public, préféreraient de le conserver, et en exprimant ici leur vœu, il est indispensable d’en indiquer les principaux motifs. Ils sont fondés sur des vues d’équité, de sagesse et d’ordre public. Sans doute il faut laisser à l’accusé toutes les voies possibles de justification, et lui faciliter tous les moyens d’une légitime défense; mais il faut aussi que la justice prononce des décisions sûres, et le moment qui les précède immédiatement, doit appartenir à l’impartialité. Trop souvent les conseils sont tentés de faire fléchir les principes à la nécessité de la défense, de dénaturer les circonstances pour atténuer la force des preuves, d’en altérer l’ensemble pour en écarter les conséquences. Alors des notions vagues et incertaines sont substituées à des idées précises et exactes, qu’il est si important de recueillir à l'instant des opinions. Les efforts et les ressources de l’éloquence, le prestige qui l’accompagne, les impressions qu’elle produit, sont autant de dangers qu’il faut écarter peut-être du moment qui précédé la délibération. Ne serait-il pas de toute équité qu’un magistrat fut chargé du soin de présenter aux juges un dernier ensemble auquel ils pussent accorder toute leur confiance, que ce fût lui qui en mît le tableau fidèle sous leurs yeux, et qu’un organe avoué par la loi, sans passion comme sans intérêt, fût entendu immédiatement avant l’arrêt? Cette fonction doit appartenir au ministère public. 11 est à la vérité la partie coupable; mais quand il reconnaît la calomnie de l’accusation, il s’empresse d’être l’appui, le défenseur de l’innocent, et de solliciter lui-même la proscription d’une poursuite qu’il avait engagée, ou à laquelle il s’était joint. Le cercle étroit de l’affaire particulière n’est pas celui dans lequel il est renfermé. Tout ce qui tient à l’ordre général, à l’utilité publique, à l’intérêt de la société, est également de son ressort, et c’est sur tous ces rapports qu’il peut et doit présenter le compte d’une procédure criminelle. Des considérations aussi graves paraîtront peut-être à l’Assemblée nationale dignes d’être pesées et réfléchies par elle, et de nature à déterminer une modification au décret qu’elle a rendu. Elle a senti elle-même que l’expérience et l’usage pouvaient seuls découvrir les avantages comme les inconvénients d’une loi, et dans sa sagesse elle n’a voulu faire qu’un décret provisoire. Aujourd’hui diverses questions la porteront à un seul examen de quelque-unes des dispositions qu’elle avait adoptées, et elle jugera si en donnant au conseil de l’accusé la faculté de le défendre après le rapport du juge, et au ministère public le droit de porter le dernier la parole, elle n’aura pas concilié ce qu’elle doit à l’humanité, avec ce qui peut assurer l’exercice, le bien et l’avantage de la justice. Signé : Champion DE GiCÉ, -g Archevêque de Bordeaux. Addition. Depuis la rédaction de ce mémoire, on a présenté à M. le garde des sceaux une nouvelle question. L’article 12 porte : « Pour cet interrogatoire (le premier) et pour tous les autres, le serment ne sera plus exigé de l’accusé, et il ne le prêtera pendant tout le cours de l’instruction, que dans le cas où il voudrait alléguer des reproches contre les témoins. » Deux accusés sont impliqués dans la même procédure, et l’interrogatoire de l’un des deux fait charge contre l’autre. Quand on le lui a opposé, il l’a rejeté en disant que rien n’attestait la vérité d’une déclaration qui n’avait pas été précédée du serment, etc., etc. La loi n’a pas néanmoins paru au juge permettre d’imposer à l’accusé la condition de le prêter, puisqu’on n’en peut exiger un que lorsqu’il s’agit de proposer un reproche. Il est impossible de supposer l’intention d’annuler la preuve résultant respectivement contre les accusés de leurs interrogatoires. Ne serait-il pas indispensable de prescrire alors les conditions sous lesquelles ils feraient charge; de déterminer la portion de son interrogatoire que l’accusé seraitobligé d’assertion ner par le serment, de fixer le moment où le juge pourrait l’exiger de lui? Ne serait-il pas naturel que lors de l’affrontation à son coaccusé, il fût soumis à la nécessité que l’on impose à tous les témoins? 3e ANNEXE. Rapport fait au comité féodal sur les usements de la Basse-Bretagne, par M. Baudouin de ülaisonblanche, député de Lannion et Morlaix , et membre du comité féodal. Messieurs, une tâche peu brillante, mais difficile, m’est imposée : celle d’analyser les lois territoriales de la Basse-Bretagne, et de vous en présenter les rapports avec les décrets de l’Assemblée nationale du 4 août dernier. Dans les discussions ordinaires sur les fiefs, chacun de nous est entouré des lumières de tous; chaque membre de ce comité trouve des guides éclairés dans ses collaborateurs. Mais je dois mettre sous vos yeux des localités concentrées dans une frontière de la France, et presque inconnues au reste du royaume. Seul parmi vous, habitant de ces cantons reculés, je suis réduit à mes propres forces dans le travail que je soumets