212 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE La commune d’Ichipe, dans le pays liégeois, n’ayant pas reçu de réquisition pour fournir du pain aux républicains, a envoyé en offrir 600 livres pour son contingent. Signé Duquesnoy et Gillet. [Les généraux command* VA. des Ardennes et l’aile droite de celle du Nord réunies, au C. de S.P.; Au quartier gal de Marchiennes-au-Pont\. Le 7 prairial, l’avant-garde des divisions de l’armée du Nord et des Ardennes réunies s’est mise en marche pour reprendre Montigny-le-Teigneux, que nous avions abandonné. Les hauteurs qui dominent ce village en rendaient l’accès difficile. Nous avons donc donné l’ordre au général Lorge d’attaquer la droite du camp de la Tombe et au général Hardy, de faire à la gauche, mine de vouloir passer la Sambre, et d'exécuter tous deux ce mouvement à l’instant où la fusillade de nos tirailleurs leur apprendrait que nous étions aux prises; tout a réussi à souhait; le terrain, vigoureusement défendu, a été emporté; mais le bois traversé, nous découvrîmes l’ennemi en bataille et retranché jusqu’aux dents. Nous n’en primes pas moins la position que nous voulions occuper, ses obus, ses bouiets, sa mitraille, sa cavalerie, tout tut inutilement employé pour nous débusquer. La canonnade fut des plus vives; l’ennemi perdit beaucoup de monde et entre autres le colonel Klecbeek. Avares du sang républicain, les généraux ne jugèrent pas à propos d'emporter de vive force et de front que nos dispositions pouvaient mettre en notre pouvoir; nous nous étabiimes donc sur la défensive; nous voulions amorcer l’ennemi et donner à Lorges et à Hardy le temps de l’envelopper. Il s'en aperçut et profita du silence de la nuit pour suivre ie mouvement de terreur que lui avait donné l’intrépidité de nos soldats; un brouillard épais facilita son évasion et retarda les coups que nous lui destinions. Le 8, nous fîmes nos dispositions pour le lendemain passer la Sambre et marcher sur Char-leroy. Le 9, nous exécutâmes notre plan, et le 10 nous nous avançâmes à la hauteur de cette place. Quelques coups de canon, quelques escarmouches nous ont procuré la position avantageuse que nous occupons. Le général Tharreau, chargé d’investir la ville, a déployé dans cette expédition l’intelligence d’un bon militaire. 2 compagnies d’Hollandais, ayant avec elles une pièce de canon, gardaient le pont et les villages de Montigny et de Chalet; il les a mises entre lui et l’armée, et par ce mouvement, il est parvenu à les faire prisonniers, et à prendre leur pièce de canon et les caissons. Deux épaulements sont prêts, les mortiers, les pièces de 16 vont jouer, une batterie de 12 sera bientôt en activité; mais le rapport ci-joint vous fera connaître plus particulièrement l’état de notre position. Signé Charbonnier. P.S. — Au moment où nous allions fermer cette lettre, le général Solland nous envoie 8 voitures de bagages et 36 chevaux qu’il a arrêtés à 4 petites lieues de Namur (1) . (On applaudit). 78 « Un membre du comité de salut public [BARÈREJ annonce à la Convention nationale que le comité, informé de quelques réclamations portées contre certains articles de la loi sur les rentes viagères, les a appréciées; qu’il en a trouvé plusieurs qui sont légitimes; qu’il doit faire un travail pour faire disparaître de ce décret les dispositions qui peuvent blesser ou compremettre les droits des citoyens. 11 propose, en attendant, de suspendre l’exécution de ce décret. « La proposition est décrétée » (2) . 79 Au nom du même comité, un membre [BA-RÈRE] propose un projet de décret sur la formation de l’Ecole de Mars, dans la plaine des Sablons, près Paris (3) . BARÈRE : Citoyens, il est dans toutes les grandes révolutions politiques un intervalle sur lequel le législateur doit porter ses regards et diriger ses travaux; cet intervalle est le temps qui s’écoule entre le commencement de la révolution et son terme. Ainsi, depuis le 14 juillet 1789 jusqu’au moment où l’ordre constitutionnel sera établi, il est des mesures urgentes à prendre, un gouvernement révolutionnaire à organiser, une éducation prompte à établir. Tout doit se ressentir de l’impulsion donnée à tous les esprits, et du mouvement imprimé à tous les travaux. Alors toutes les institutions anciennes sont brisées et anéanties; les établissements nouveaux ne sont bons qu’autant qu’ils participent à la rapidité de la révolution et prennent le caractère impétueux qui lui appartient. Il s’agit bien moins de raisonner que de faire; l’activité révolutionnaire est la première qualité civique, et l’exécution prompte est le mérite le plus nécessaire du gouvernement. Si l’on ne saisit à propos les diverses époques de la révolution, l’occasion de faire le bien de la république est perdu, ou le bien se fait sans fruit. Les institutions provisoires ne sont qu’un mal de plus, et les travaux pénibles des citoyens n’obtiennent aucun résultat. (1) Mon., XX, 612. (2) P.V., XXXVIII, 270. Minute de la main de Barère. Décret n° 9367. Mon., XX, 620; M.U., XL, 221; C. Eg., n° 654; J. Paris, n° 518; J. Matin, n° 681 (sic); J. S.-Culottes, n° 472; J. Fr., n° 616; Feuille Rép., n° 335; Ann. R.F., n° 185; J .Mont., n° 37; J. Perlet, n° 618; Mess, soir, n° 654; C. Univ., 14 prair.; Débats, nos 620, p. 195 et 621, p. 203; J. Univ., n° 1652; Audit, nat., n° 617; Rép., n° 164; J. Lois, n° 613. Voir Arch. pari. T. LXXXVII, séances du 1er germ., n° 78, et du 2 germ., n° 40; et T. XC, séance du 22 flor., n° 48. (3) P.V., XXXVIII, 271. 212 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE La commune d’Ichipe, dans le pays liégeois, n’ayant pas reçu de réquisition pour fournir du pain aux républicains, a envoyé en offrir 600 livres pour son contingent. Signé Duquesnoy et Gillet. [Les généraux command* VA. des Ardennes et l’aile droite de celle du Nord réunies, au C. de S.P.; Au quartier gal de Marchiennes-au-Pont\. Le 7 prairial, l’avant-garde des divisions de l’armée du Nord et des Ardennes réunies s’est mise en marche pour reprendre Montigny-le-Teigneux, que nous avions abandonné. Les hauteurs qui dominent ce village en rendaient l’accès difficile. Nous avons donc donné l’ordre au général Lorge d’attaquer la droite du camp de la Tombe et au général Hardy, de faire à la gauche, mine de vouloir passer la Sambre, et d'exécuter tous deux ce mouvement à l’instant où la fusillade de nos tirailleurs leur apprendrait que nous étions aux prises; tout a réussi à souhait; le terrain, vigoureusement défendu, a été emporté; mais le bois traversé, nous découvrîmes l’ennemi en bataille et retranché jusqu’aux dents. Nous n’en primes pas moins la position que nous voulions occuper, ses obus, ses bouiets, sa mitraille, sa cavalerie, tout tut inutilement employé pour nous débusquer. La canonnade fut des plus vives; l’ennemi perdit beaucoup de monde et entre autres le colonel Klecbeek. Avares du sang républicain, les généraux ne jugèrent pas à propos d'emporter de vive force et de front que nos dispositions pouvaient mettre en notre pouvoir; nous nous étabiimes donc sur la défensive; nous voulions amorcer l’ennemi et donner à Lorges et à Hardy le temps de l’envelopper. Il s'en aperçut et profita du silence de la nuit pour suivre ie mouvement de terreur que lui avait donné l’intrépidité de nos soldats; un brouillard épais facilita son évasion et retarda les coups que nous lui destinions. Le 8, nous fîmes nos dispositions pour le lendemain passer la Sambre et marcher sur Char-leroy. Le 9, nous exécutâmes notre plan, et le 10 nous nous avançâmes à la hauteur de cette place. Quelques coups de canon, quelques escarmouches nous ont procuré la position avantageuse que nous occupons. Le général Tharreau, chargé d’investir la ville, a déployé dans cette expédition l’intelligence d’un bon militaire. 2 compagnies d’Hollandais, ayant avec elles une pièce de canon, gardaient le pont et les villages de Montigny et de Chalet; il les a mises entre lui et l’armée, et par ce mouvement, il est parvenu à les faire prisonniers, et à prendre leur pièce de canon et les caissons. Deux épaulements sont prêts, les mortiers, les pièces de 16 vont jouer, une batterie de 12 sera bientôt en activité; mais le rapport ci-joint vous fera connaître plus particulièrement l’état de notre position. Signé Charbonnier. P.S. — Au moment où nous allions fermer cette lettre, le général Solland nous envoie 8 voitures de bagages et 36 chevaux qu’il a arrêtés à 4 petites lieues de Namur (1) . (On applaudit). 78 « Un membre du comité de salut public [BARÈREJ annonce à la Convention nationale que le comité, informé de quelques réclamations portées contre certains articles de la loi sur les rentes viagères, les a appréciées; qu’il en a trouvé plusieurs qui sont légitimes; qu’il doit faire un travail pour faire disparaître de ce décret les dispositions qui peuvent blesser ou compremettre les droits des citoyens. 11 propose, en attendant, de suspendre l’exécution de ce décret. « La proposition est décrétée » (2) . 79 Au nom du même comité, un membre [BA-RÈRE] propose un projet de décret sur la formation de l’Ecole de Mars, dans la plaine des Sablons, près Paris (3) . BARÈRE : Citoyens, il est dans toutes les grandes révolutions politiques un intervalle sur lequel le législateur doit porter ses regards et diriger ses travaux; cet intervalle est le temps qui s’écoule entre le commencement de la révolution et son terme. Ainsi, depuis le 14 juillet 1789 jusqu’au moment où l’ordre constitutionnel sera établi, il est des mesures urgentes à prendre, un gouvernement révolutionnaire à organiser, une éducation prompte à établir. Tout doit se ressentir de l’impulsion donnée à tous les esprits, et du mouvement imprimé à tous les travaux. Alors toutes les institutions anciennes sont brisées et anéanties; les établissements nouveaux ne sont bons qu’autant qu’ils participent à la rapidité de la révolution et prennent le caractère impétueux qui lui appartient. Il s’agit bien moins de raisonner que de faire; l’activité révolutionnaire est la première qualité civique, et l’exécution prompte est le mérite le plus nécessaire du gouvernement. Si l’on ne saisit à propos les diverses époques de la révolution, l’occasion de faire le bien de la république est perdu, ou le bien se fait sans fruit. Les institutions provisoires ne sont qu’un mal de plus, et les travaux pénibles des citoyens n’obtiennent aucun résultat. (1) Mon., XX, 612. (2) P.V., XXXVIII, 270. Minute de la main de Barère. Décret n° 9367. Mon., XX, 620; M.U., XL, 221; C. Eg., n° 654; J. Paris, n° 518; J. Matin, n° 681 (sic); J. S.-Culottes, n° 472; J. Fr., n° 616; Feuille Rép., n° 335; Ann. R.F., n° 185; J .Mont., n° 37; J. Perlet, n° 618; Mess, soir, n° 654; C. Univ., 14 prair.; Débats, nos 620, p. 195 et 621, p. 203; J. Univ., n° 1652; Audit, nat., n° 617; Rép., n° 164; J. Lois, n° 613. Voir Arch. pari. T. LXXXVII, séances du 1er germ., n° 78, et du 2 germ., n° 40; et T. XC, séance du 22 flor., n° 48. (3) P.V., XXXVIII, 271. SÉANCE DU 13 PRAIRIAL AN II (1er JUIN 1794) - N° 79 213 C’est ce qui est arrivé pour l’éducation publique. Il y a quatre ans que les législateurs tourmentent leur génie pour fonder une éducation nationale, pour ouvrir des écoles primaires, pour instituer différents degrés d’instruction, pour raviver les sciences et les lettres, pour encourager les arts et pour élever en républicains la nombreuse génération qui s’élève. Qu’ont-ils obtenu ? qu’ont-ils établi ? Rien encore. Les collèges, qui transvasaient le despotisme et les opinions fanatiques dans l’âme des jeunes citoyens que l’habitude, l’égoïsme et l’insouciance des parents leur livrait, sont heureusement fermés; mais aucun établissement n’a remplacé encore l’objet de ces maisons publiques. Cependant un vide nombreux menace la république dans les fonctions civiles et militaires. Le retard occasionné dans l’éducation publique par les secousses et la durée de la révolution se fera fortement sentir dans quelques années, et nous sommes forcés d’apercevoir de loin une lacune considérable dans les besoins de la république pour tous les emplois. Cet objet a frappé depuis longtemps le comité de salut public, et il a aussitôt cherché quels étaient les moyens les plus prompts de préparer des défenseurs, des fonctionnaires et des bons citoyens. Il a pensé qu’il pouvait d’un côté former à Paris une école où se formeraient des instituteurs, pour les disséminer ensuite dans tous les districts : cette pensée sera l’objet d’un autre rapport. Il ne s’agit dans celui-ci que de la manière prompte de former à la patrie des défenseurs entièrement républicains, et de révolutionner la jeunesse comme nous avons révolutionné les armées. H s’agit donc de hâter les lumières et d’accélérer l’enseignement public militaire. Il s’agit de prouver à ces esprits méthodiques et froids, qui calculent lentement toutes les opérations de l’enseignement, que ce n’est plus le temps d’opposer les usages aux principes, et les principes à la révolution. La révolution a aussi ses principes : c’est de tout hâter pour ses besoins. La révolution est à l’esprit humain ce que le soleil de l’Afrique est à la végétation. Il est une classe bien intéressante, à laquelle appartiennent la gloire et l’exemple de Bara et d’ Agricole Viala, dont vous honorez les vertus. Cette classe est devenue précieuse à la liberté, et cependant cette classe est entièrement abandonnée aux impressions fortuites des événements révolutionnaires et à l’incurie des familles et au développement des passions. C’est cette portion de Français qui sont trop jeunes pour entrer dans la réquisition militaire, et qui sont trop formés pour entrer dans les premiers degrés de l’instruction : les camps et les écoles primaires les repoussent également; l’éducation révolutionnaire doit les recueillir, doit les former. C’est à elle d’opposer à l’explosion de leurs passions, excitées par le régime même de la liberté une suite d’exercices et de travaux. C’est au moment où l’homme commence à être éclairé par la raison; c’est au moment où ses lumières commencent à se joindre à ses forces, que la patrie doit s’en emparer; le jeune homme à seize ans, à dix-sept et à dix-sept ans et demi, est dans les meilleures dispositions pour recevoir l’éducation républicaine; l’ouvrage de la nature est achevé. C’est alors que la patrie demande à chaque citoyen : Que feras-tu pour moi, et quels moyens prendras-tu pour défendre mon unité et mes lois, mon territoire et mon indépendance. La Convention répond aujourd’hui à la patrie : Une école de Mars va s’ouvrir. Trois mille jeunes citoyens, les plus intelligents et les plus robustes, ayant donné des preuves constantes de bonne conduite, vont remplir cette institution nouvelle. Trois mille enfants de bons citoyens vont se dévouer aux besoins communs, se former aux emplois militaires. C’est du milieu de la nouvelle génération, la plus propre aux études, qu’ils vont sortir, pour consacrer leurs veilles et leur sang à leur pays. Ils seront tous réunis dans une école commune : ils vivront sous la tente; ils mangeront à la même table; ils travailleront dans un camp, sous les yeux même des représentants du peuple. Les principes qui fondent cette résolution sont ceux des républicains. Là tout citoyen est soldat; chacun se doit à la défense de la patrie, et doit se préparer à la bien servir. Les principes qui doivent diriger les parents, c’est que les enfants appartiennent à la famille générale, à la république, avant d’appartenir aux familles particulières. Sans ce principe, il n’est point d’éducation républicaine. Les considérations qui doivent déterminer le législateur, c’est qu’il doit faire jouir de l’éducation républicaine ces jeunes citoyens, qui sont trop avancés en âge pour participer aux longs bienfaits de l’éducation ordinaire et commune et trop peu âgés pour faire partie de la réquisition pour les armées. Enfin, dans les circonstances présentes, l’éducation publique n’est rien si elle ne prend le caractère et l’accélération révolutionnaire. «Elles ont été jusqu’à présent inconnues, dit J.-J. Rousseau, aux peuples modernes, ces routes par lesquelles les institutions des peuples anciens menaient les hommes à cette vigueur d’âme, à ce zèle patriotique, à cette estime pour les qualités vraiment personnelles, dont les levains, dans les coeurs de tous les hommes, n’attendent, pour fermenter, que d’être mis en action par des institutions convenables. » Dirigez dans cet esprit l’éducation, les usages, les coutumes, les mœurs des jeunes gens, et vous développerez en eux ce levain qui n’est pas encore éventé par des maximes corrompues, par des institutions usées, par une philosophie égoïste qui pèche et qui tue. La nation datera sa seconde naissance de la crise terrible dont elle sort, et elle chérira des lois qui la rendront, qui la maintiendront heureuse et libre. Arrachant de son sein les passions qui éludent les lois, elle y nourrira celles qui les font aimer. Enfin, se renouvelant, pour ainsi dire, elle-même, elle reprendra dans ce nouvel âge toute la vigueur d’une nation naissante. Ne croyez pas que notre projet se borne à ne faire que des militaires; quoique cette éducation précoce ait le double objet de former en même temps des officiers et des soldats, des ingénieurs et des cavaliers, des artilleurs et des commissaires des guerres, elle a encore l’avantage aussi précieux de former des jeunes citoyens à tou-SÉANCE DU 13 PRAIRIAL AN II (1er JUIN 1794) - N° 79 213 C’est ce qui est arrivé pour l’éducation publique. Il y a quatre ans que les législateurs tourmentent leur génie pour fonder une éducation nationale, pour ouvrir des écoles primaires, pour instituer différents degrés d’instruction, pour raviver les sciences et les lettres, pour encourager les arts et pour élever en républicains la nombreuse génération qui s’élève. Qu’ont-ils obtenu ? qu’ont-ils établi ? Rien encore. Les collèges, qui transvasaient le despotisme et les opinions fanatiques dans l’âme des jeunes citoyens que l’habitude, l’égoïsme et l’insouciance des parents leur livrait, sont heureusement fermés; mais aucun établissement n’a remplacé encore l’objet de ces maisons publiques. Cependant un vide nombreux menace la république dans les fonctions civiles et militaires. Le retard occasionné dans l’éducation publique par les secousses et la durée de la révolution se fera fortement sentir dans quelques années, et nous sommes forcés d’apercevoir de loin une lacune considérable dans les besoins de la république pour tous les emplois. Cet objet a frappé depuis longtemps le comité de salut public, et il a aussitôt cherché quels étaient les moyens les plus prompts de préparer des défenseurs, des fonctionnaires et des bons citoyens. Il a pensé qu’il pouvait d’un côté former à Paris une école où se formeraient des instituteurs, pour les disséminer ensuite dans tous les districts : cette pensée sera l’objet d’un autre rapport. Il ne s’agit dans celui-ci que de la manière prompte de former à la patrie des défenseurs entièrement républicains, et de révolutionner la jeunesse comme nous avons révolutionné les armées. H s’agit donc de hâter les lumières et d’accélérer l’enseignement public militaire. Il s’agit de prouver à ces esprits méthodiques et froids, qui calculent lentement toutes les opérations de l’enseignement, que ce n’est plus le temps d’opposer les usages aux principes, et les principes à la révolution. La révolution a aussi ses principes : c’est de tout hâter pour ses besoins. La révolution est à l’esprit humain ce que le soleil de l’Afrique est à la végétation. Il est une classe bien intéressante, à laquelle appartiennent la gloire et l’exemple de Bara et d’ Agricole Viala, dont vous honorez les vertus. Cette classe est devenue précieuse à la liberté, et cependant cette classe est entièrement abandonnée aux impressions fortuites des événements révolutionnaires et à l’incurie des familles et au développement des passions. C’est cette portion de Français qui sont trop jeunes pour entrer dans la réquisition militaire, et qui sont trop formés pour entrer dans les premiers degrés de l’instruction : les camps et les écoles primaires les repoussent également; l’éducation révolutionnaire doit les recueillir, doit les former. C’est à elle d’opposer à l’explosion de leurs passions, excitées par le régime même de la liberté une suite d’exercices et de travaux. C’est au moment où l’homme commence à être éclairé par la raison; c’est au moment où ses lumières commencent à se joindre à ses forces, que la patrie doit s’en emparer; le jeune homme à seize ans, à dix-sept et à dix-sept ans et demi, est dans les meilleures dispositions pour recevoir l’éducation républicaine; l’ouvrage de la nature est achevé. C’est alors que la patrie demande à chaque citoyen : Que feras-tu pour moi, et quels moyens prendras-tu pour défendre mon unité et mes lois, mon territoire et mon indépendance. La Convention répond aujourd’hui à la patrie : Une école de Mars va s’ouvrir. Trois mille jeunes citoyens, les plus intelligents et les plus robustes, ayant donné des preuves constantes de bonne conduite, vont remplir cette institution nouvelle. Trois mille enfants de bons citoyens vont se dévouer aux besoins communs, se former aux emplois militaires. C’est du milieu de la nouvelle génération, la plus propre aux études, qu’ils vont sortir, pour consacrer leurs veilles et leur sang à leur pays. Ils seront tous réunis dans une école commune : ils vivront sous la tente; ils mangeront à la même table; ils travailleront dans un camp, sous les yeux même des représentants du peuple. Les principes qui fondent cette résolution sont ceux des républicains. Là tout citoyen est soldat; chacun se doit à la défense de la patrie, et doit se préparer à la bien servir. Les principes qui doivent diriger les parents, c’est que les enfants appartiennent à la famille générale, à la république, avant d’appartenir aux familles particulières. Sans ce principe, il n’est point d’éducation républicaine. Les considérations qui doivent déterminer le législateur, c’est qu’il doit faire jouir de l’éducation républicaine ces jeunes citoyens, qui sont trop avancés en âge pour participer aux longs bienfaits de l’éducation ordinaire et commune et trop peu âgés pour faire partie de la réquisition pour les armées. Enfin, dans les circonstances présentes, l’éducation publique n’est rien si elle ne prend le caractère et l’accélération révolutionnaire. «Elles ont été jusqu’à présent inconnues, dit J.-J. Rousseau, aux peuples modernes, ces routes par lesquelles les institutions des peuples anciens menaient les hommes à cette vigueur d’âme, à ce zèle patriotique, à cette estime pour les qualités vraiment personnelles, dont les levains, dans les coeurs de tous les hommes, n’attendent, pour fermenter, que d’être mis en action par des institutions convenables. » Dirigez dans cet esprit l’éducation, les usages, les coutumes, les mœurs des jeunes gens, et vous développerez en eux ce levain qui n’est pas encore éventé par des maximes corrompues, par des institutions usées, par une philosophie égoïste qui pèche et qui tue. La nation datera sa seconde naissance de la crise terrible dont elle sort, et elle chérira des lois qui la rendront, qui la maintiendront heureuse et libre. Arrachant de son sein les passions qui éludent les lois, elle y nourrira celles qui les font aimer. Enfin, se renouvelant, pour ainsi dire, elle-même, elle reprendra dans ce nouvel âge toute la vigueur d’une nation naissante. Ne croyez pas que notre projet se borne à ne faire que des militaires; quoique cette éducation précoce ait le double objet de former en même temps des officiers et des soldats, des ingénieurs et des cavaliers, des artilleurs et des commissaires des guerres, elle a encore l’avantage aussi précieux de former des jeunes citoyens à tou- 214 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE tes les vertus républicaines et de développer des talents que la nature a disséminés dans les chaumières comme dans les cités, et qui ne manquent que de circonstances pour être aussi brillantes qu’utiles. Une jalousie horrible a longtemps existé dans les armées; il y a plus de rivaux que d’émules, plus d’envieux que d’hommes instruits: Il faut substituer à ces viles passions le sentiment fécond de la fraternité. Nous avons eu souvent à gémir de l’indiscipline. Ces jeunes citoyens seront élevés dans le respect de cette discipline qui fait la force des armées composées d’hommes libres. Les habitudes attachées à la fortune et la dissipation des camps avaient établi un régime intempérant. Ces jeunes élèves recevront les leçons de la frugalité. Les mœurs n’ont pas obtenu les hommages des esclaves en uniforme. Les élèves de l’école de Mars apprendront à être aussi moraux que braves. L’amour de la patrie, ce sentiment pur et généreux qui ne connaît pas de sacrifices qu’il ne puisse faire, et qui ne relève que du cœur et de l’opinion publique; l’amour de la patrie, qui ne fut qu’un roman pour les monarchies, et qui a couvert d’héroisme et de vertu les annales des républiques, deviendra la passion dominante des élèves de l’école de Mars, car c’est la patrie qui les aura formés. C’est surtout la haine impérissable des rois qui, par des leçons journalières, passera dans leur âme; c’est ce sentiment nécessaire, c’est la haine de la tyrannie et l’exécration des tyrans, que tous les ornements militaires de cette école rappelleront sans cesse à tous les yeux. Vous sentez déjà que le projet du comité n’est pas de placer dans cette institution cette classe de jeunes gens qui ressemblent plus aux hochets de la monarchie qu’aux hommes d’une république, qui n’ont du citoyen que le costume et la carte, et de la noblesse que les passeports et les vices; ces muscadins qui ont constamment conservé au milieu du mouvement révolutionnaire un costume, un langage et des formes extérieures qui les rendent étrangers dans la république, et qui forment dans nos cités une espèce particulière et dégénérée, une caste hermaphrodite et efféminée qu’aucun peuple libre n’osera jamais dénombrer dans son utile population. Non, citoyens, la république n’a ni fortune, ni établissements, ni instituteurs pour ceux qui n’ont pas de patrie. Les trois mille élèves de l’école de Mars seront élus parmi les enfants des sans-culottes qui servent dans les différentes armées. La moitié de ces élèves sera choisie parmi les enfants des citoyens peu fortunées des campagnes, et l’autre moitié parmi les enfants des volontaires blessés dans les combats. (On applaudit ). C’est dans ces familles qu’est la plus grande ressource de l’Etat; c’est là le véritable peuple français, celui qui fertilise la terre et qui remplit les ateliers; celui qui forme nos armées et nos escadres, qui fabrique, qui manipule les subsistances et toutes les matières que l’industrie fournit aux citoyens; c’est lui qui donne à la république cette population saine et vigoureuse qui soutient la liberté, qui la nourrit, et l’égalité dont elle a besoin. Combien notre institution révolutionnaire sera différente de l’institution faite sous la monarchie pour l’éducation guerrière ! L’école militaire était royale. L’école de Mars est républicaine. Pour entrer dans l’école royale militaire, il fallait descendre de quelques brigand féodal, de quelques fripon privilégié, de quelque marquis ridicule, de quelque baron moderne ou d’un valet de la cour. Pour être appelé à l’école de Mars, il faudra appartenir à une famille républicaine, à des parents peu fortunés, à des habitants utiles des campagnes, à des artisans sans biens, et à des volontaires blessés en défendant notre indépendance. Dans l’école royale, tout les ennemis du peuple étaient exclusivement favorisés, entretenus; le peuple n’était qu’un esclave toujours trop instruit et toujours dédaigné : dans l’école de Mars, le peuple seul et la partie du peuple la moins fortunée aura droit aux places fondées par la république. Les élèves de l’école militaire étaient les jeunes gens de l’armée qui bégayaient le mieux la langue des mathématiciens, qui dessinaient quelque paysage ou barbouillaient quelque profil, qui faisaient avec grâce l’exercice à la prussienne et ne tuaient aucun Prussien; qui connaissaient le mieux les places fortes sur la carte, et les éléments de la tactique dans les livres. Les élèves de l’école de Mars sauront, avant la levée du camp, manier les armes à la française, c’est-à-dire employer la baïonnette, et marcher audacieusement le pas de charge; ils sauront les manœuvres de l’artillerie et de l’infanterie; ils apprendront par pratique les principes de l’art de la guerre; celui des fortifications de campagne ne leur sera pas étranger, et du moins nous aurons des citoyens élevés de bonne heure à l’administration militaire, objet trop négligé, trop longtemps livré à l’improbité et à l’ignorance d’une armée de commissaires des guerres. Pour l’école militaire royale, il fallut élever, avec les sueurs du peuple, un grand édifice, qui ne témoignait que l’orgueil insolent du maître qui le fit construire. Pour l’école révolutionnaire de Mars, il ne faut qu’un sol aride, la plaine des Sablons, des tentes, des armes et des canons. Qu’est-il donc sorti de l’école militaire ?.. qu’a produit ce brillant enseignement ? pas un officier habile, pas un général, pas un administrateur, pas un guerrier célèbre. L’école de Mars sera un terrain fécondé par la liberté; il en sortira de nombreux défenseurs, des soldats intrépides et des officiers habiles : c’est de ce sol infertile qu’en frappant du pied il sortira, comme dans la fable, des bataillons armés, disciplinés, instruits dans l’art des combats. (On applaudit). D’où vint Cincinnatus, si ce n’est de la charrue, comme les élèves que nous allons former ? Aussi les peuples libres attachèrent toujours un grand prix à l’enseignement des arts de la guerre en faveur des citoyens des campagnes, non pas à la manière des rois de l’Europe, qui dressent des troupeaux militaires pour servir de pâture ou pour résister au canon, mais à 214 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE tes les vertus républicaines et de développer des talents que la nature a disséminés dans les chaumières comme dans les cités, et qui ne manquent que de circonstances pour être aussi brillantes qu’utiles. Une jalousie horrible a longtemps existé dans les armées; il y a plus de rivaux que d’émules, plus d’envieux que d’hommes instruits: Il faut substituer à ces viles passions le sentiment fécond de la fraternité. Nous avons eu souvent à gémir de l’indiscipline. Ces jeunes citoyens seront élevés dans le respect de cette discipline qui fait la force des armées composées d’hommes libres. Les habitudes attachées à la fortune et la dissipation des camps avaient établi un régime intempérant. Ces jeunes élèves recevront les leçons de la frugalité. Les mœurs n’ont pas obtenu les hommages des esclaves en uniforme. Les élèves de l’école de Mars apprendront à être aussi moraux que braves. L’amour de la patrie, ce sentiment pur et généreux qui ne connaît pas de sacrifices qu’il ne puisse faire, et qui ne relève que du cœur et de l’opinion publique; l’amour de la patrie, qui ne fut qu’un roman pour les monarchies, et qui a couvert d’héroisme et de vertu les annales des républiques, deviendra la passion dominante des élèves de l’école de Mars, car c’est la patrie qui les aura formés. C’est surtout la haine impérissable des rois qui, par des leçons journalières, passera dans leur âme; c’est ce sentiment nécessaire, c’est la haine de la tyrannie et l’exécration des tyrans, que tous les ornements militaires de cette école rappelleront sans cesse à tous les yeux. Vous sentez déjà que le projet du comité n’est pas de placer dans cette institution cette classe de jeunes gens qui ressemblent plus aux hochets de la monarchie qu’aux hommes d’une république, qui n’ont du citoyen que le costume et la carte, et de la noblesse que les passeports et les vices; ces muscadins qui ont constamment conservé au milieu du mouvement révolutionnaire un costume, un langage et des formes extérieures qui les rendent étrangers dans la république, et qui forment dans nos cités une espèce particulière et dégénérée, une caste hermaphrodite et efféminée qu’aucun peuple libre n’osera jamais dénombrer dans son utile population. Non, citoyens, la république n’a ni fortune, ni établissements, ni instituteurs pour ceux qui n’ont pas de patrie. Les trois mille élèves de l’école de Mars seront élus parmi les enfants des sans-culottes qui servent dans les différentes armées. La moitié de ces élèves sera choisie parmi les enfants des citoyens peu fortunées des campagnes, et l’autre moitié parmi les enfants des volontaires blessés dans les combats. (On applaudit ). C’est dans ces familles qu’est la plus grande ressource de l’Etat; c’est là le véritable peuple français, celui qui fertilise la terre et qui remplit les ateliers; celui qui forme nos armées et nos escadres, qui fabrique, qui manipule les subsistances et toutes les matières que l’industrie fournit aux citoyens; c’est lui qui donne à la république cette population saine et vigoureuse qui soutient la liberté, qui la nourrit, et l’égalité dont elle a besoin. Combien notre institution révolutionnaire sera différente de l’institution faite sous la monarchie pour l’éducation guerrière ! L’école militaire était royale. L’école de Mars est républicaine. Pour entrer dans l’école royale militaire, il fallait descendre de quelques brigand féodal, de quelques fripon privilégié, de quelque marquis ridicule, de quelque baron moderne ou d’un valet de la cour. Pour être appelé à l’école de Mars, il faudra appartenir à une famille républicaine, à des parents peu fortunés, à des habitants utiles des campagnes, à des artisans sans biens, et à des volontaires blessés en défendant notre indépendance. Dans l’école royale, tout les ennemis du peuple étaient exclusivement favorisés, entretenus; le peuple n’était qu’un esclave toujours trop instruit et toujours dédaigné : dans l’école de Mars, le peuple seul et la partie du peuple la moins fortunée aura droit aux places fondées par la république. Les élèves de l’école militaire étaient les jeunes gens de l’armée qui bégayaient le mieux la langue des mathématiciens, qui dessinaient quelque paysage ou barbouillaient quelque profil, qui faisaient avec grâce l’exercice à la prussienne et ne tuaient aucun Prussien; qui connaissaient le mieux les places fortes sur la carte, et les éléments de la tactique dans les livres. Les élèves de l’école de Mars sauront, avant la levée du camp, manier les armes à la française, c’est-à-dire employer la baïonnette, et marcher audacieusement le pas de charge; ils sauront les manœuvres de l’artillerie et de l’infanterie; ils apprendront par pratique les principes de l’art de la guerre; celui des fortifications de campagne ne leur sera pas étranger, et du moins nous aurons des citoyens élevés de bonne heure à l’administration militaire, objet trop négligé, trop longtemps livré à l’improbité et à l’ignorance d’une armée de commissaires des guerres. Pour l’école militaire royale, il fallut élever, avec les sueurs du peuple, un grand édifice, qui ne témoignait que l’orgueil insolent du maître qui le fit construire. Pour l’école révolutionnaire de Mars, il ne faut qu’un sol aride, la plaine des Sablons, des tentes, des armes et des canons. Qu’est-il donc sorti de l’école militaire ?.. qu’a produit ce brillant enseignement ? pas un officier habile, pas un général, pas un administrateur, pas un guerrier célèbre. L’école de Mars sera un terrain fécondé par la liberté; il en sortira de nombreux défenseurs, des soldats intrépides et des officiers habiles : c’est de ce sol infertile qu’en frappant du pied il sortira, comme dans la fable, des bataillons armés, disciplinés, instruits dans l’art des combats. (On applaudit). D’où vint Cincinnatus, si ce n’est de la charrue, comme les élèves que nous allons former ? Aussi les peuples libres attachèrent toujours un grand prix à l’enseignement des arts de la guerre en faveur des citoyens des campagnes, non pas à la manière des rois de l’Europe, qui dressent des troupeaux militaires pour servir de pâture ou pour résister au canon, mais à SÉANCE DU 13 PRAIRIAL AN II (1er JUIN 1794) - N° 79 215 la manière des Suisses, chez qui tous servent la mêmes patrie. Que ne firent pas les anciens pour donner toute la perfection possible à l’art terrible qui est devenu nécessaire à la défense de la liberté ? A Athènes et à Lacédémone, des écoles pour les guerriers, des joutes, des courses et des récompenses nationales; à Rome, le Cirque et le Champ-de-Mars. C’est de ces écoles primaires de l’héroïsme que l’on vit sortir tant de grands hommes, dont les actions font aujourd’¬ hui notre admiration et notre exemple. Qui fit naître les Thémistocle, les Aristide, les Timoléon, les Epaminondas, si ce n’est les instituteurs nationaux de tactique et les jeux publics ! Qui forma les Scipions, les Marcellus, et les meilleurs patriotes parmi les Grecs, si ce n’est l’enseignement de l’art militaire et les spectacles belliqueux ? C’est chez ces peuples que les pères inspiraient aux enfants l’amour de la gloire et leur rappelant les exploits des guerriers, et que les jeux nationaux leur donnaient l’habitude du courage et l’émulation des applaudissements publics. Citoyens, la république aura des ennemis à combattre tant que les rois auront de l’argent pour payer des soldats et des soldats pour extorquer de l’argent. Il ne faut donc pas se rallentir sur l’éducation militaire et sur son perfectionnement rapide. Cette éducation est la base de l’éducation des hommes libres. Sans doute, jusqu’à présent, les soldats républicains n’ayant pour tactique que leur courage, et pour discipline que la haine des rois, ont vu fuir ou détruit les hordes mercenaires, façonnées depuis longtemps aux combats; mais, pour les exterminer entièrement, et pour délivrer l’Europe de ce système militaire, qui, depuis le tyran Capet XIVe, opprime et ruine les peuples, il faut que tous nos jeux, tous nos exercices publics prennent le caractère belliqueux. Si des soldats levés à la hâte, si de simples réquisitions armées subitement ont déjà été victorieux contre des mercenaires du Nord aguerris dans les camps, que ne devons-nous pas espérer des républicains élevés avec plus de soin ? Quels succès ne devons-nous pas avoir lorsqu’une éducation martiale et républicaine aura formé une jeunesse vigoureuse à toutes les évolutions et à tous les besoins de la guerre ? Ce n’est point ici une simple école de théorie; dans deux mois vous aurez dans la plaine des Sablons des simulacres de guerre, d’attaque et de défense. Nous n’aurons plus cette manie pédantesque de surcharger la mémoire des élèves d’une foule de connaissances inutiles ou précoces. Il faut à leur âge des démonstrations pratiques, qui excitent leur curiosité, qui fixent leur attention, et qui les instruisent en les amusant. Imaginez donc à côté de Paris un camp dont la police sévère écartera les vices d’une grande ville et les suggestions perfides des intrigants et des ennemis de la république. Là sera formée une petite armée de jeunes citoyens, divisée en différents corps de troupes, tels que fantassins, cavaliers, dragons, hussards, chasseurs, piquiers et autres soldats de toutes armes : C’est l’image d’une armée. Là seront rassemblés tous les instruments de guerre, des canons, des mortiers, des obusiers, des pontons, des caissons, des chariots, des paniers, des fascines, et tout ce qui sert aux opérations de campagne ainsi qu’à l’attaque ou à la défense des places. Les élèves de l’Ecole de Mars les plus propres aux combats se précipiteront, comme Achille, sur les armes en les voyant. Les travaux de fortifications y seront enseignés, et les ouvrages de terrasse y seront faits de manière à apprendre aux élèves de la patrie à remuer la terre aussitôt qu’ils auront pris une position avantageuse, genre de travail que l’Autrichien ne néglige jamais de faire, et dont la négligence a amené souvent chez nous les défaites ou des retraites forcées. Les fonctions y seront temporaires et de courte durée. Les élèves apprendront par ce moyen que la place d’officier ne donne aucun droit à être toujours officier, et ceux qui commandent apprendront à obéir. Il faut qu’elle cesse cette manie d’avoir des places, parce qu’elle a manqué de nuire fortement aux progrès de la république; l’ambition d’une petite autorité, et le plus souvent de l’argent que donnent les places, les a fait solliciter par des intrigues ou ambitionner par l’ignorance, et souvent par le crime. Nous avons vu le moment dans la révolution où tous voulaient être gouvernants, et où il ne serait pas resté de gouvernés. Les jeunes élèves retireront du moins de cette éducation révolutionnaire le principe de la stabilité des républiques; c’est que les diverses fonctions doivent être d’une courte durée dans les mêmes mains. Les divisions militaires, les costumes, les drapeaux, la musique et les opérations y prendront un grand caractère. C’est l’essai des armées républicaines que nous allons faire, c’est l’expérience des institutions guerrières que nous allons vous présenter. L’Ecole de Mars sera divisée en trois corps de mille hommes chacun, sous le nom de mille - rie; chaque millerie se divisera en dix parties de cent hommes chacune, sous le nom de centurie; et chaque centurie sera divisée en dix parties, dont chacune de dix hommes sera nommée décurie. Ces divisions donneront plus d’ensemble et de facilité. Tout réclame depuis longtemps un changement de costume national; les mœurs de la monarchie lui avaient imprimé une indécence mesquine, révoltante, et un ridicule indélébile; le soldat était à peine vêtu; sous prétexte d’alléger son costume, l’art des ministres et des colonels consistait à échancrer si bien un habit de soldat, et à tourner si habilement un pli ou une poche, qu’ils pussent gagner beaucoup de drap pour les profits particuliers. Le despote et ses suppôts militaires croyaient avoir traité le soldat avec magnificence quand ils lui avaient donné un habit écourté de gros drap sans substance, fourni par un entrepreneur dont la fraude lucrative et impunie avait le droit de devenir à chaque fourniture encore plus criminelle et plus dévorante. Maintenant que toutes nos fabriques travaillent pour les armées, et que la république donne à ses défenseurs la bonne matière que le luxe et la richesse consommaient auparavant, il faut que le soldat ait un costume plus décent et plus sain; il faut qu’il soit garanti des in-SÉANCE DU 13 PRAIRIAL AN II (1er JUIN 1794) - N° 79 215 la manière des Suisses, chez qui tous servent la mêmes patrie. Que ne firent pas les anciens pour donner toute la perfection possible à l’art terrible qui est devenu nécessaire à la défense de la liberté ? A Athènes et à Lacédémone, des écoles pour les guerriers, des joutes, des courses et des récompenses nationales; à Rome, le Cirque et le Champ-de-Mars. C’est de ces écoles primaires de l’héroïsme que l’on vit sortir tant de grands hommes, dont les actions font aujourd’¬ hui notre admiration et notre exemple. Qui fit naître les Thémistocle, les Aristide, les Timoléon, les Epaminondas, si ce n’est les instituteurs nationaux de tactique et les jeux publics ! Qui forma les Scipions, les Marcellus, et les meilleurs patriotes parmi les Grecs, si ce n’est l’enseignement de l’art militaire et les spectacles belliqueux ? C’est chez ces peuples que les pères inspiraient aux enfants l’amour de la gloire et leur rappelant les exploits des guerriers, et que les jeux nationaux leur donnaient l’habitude du courage et l’émulation des applaudissements publics. Citoyens, la république aura des ennemis à combattre tant que les rois auront de l’argent pour payer des soldats et des soldats pour extorquer de l’argent. Il ne faut donc pas se rallentir sur l’éducation militaire et sur son perfectionnement rapide. Cette éducation est la base de l’éducation des hommes libres. Sans doute, jusqu’à présent, les soldats républicains n’ayant pour tactique que leur courage, et pour discipline que la haine des rois, ont vu fuir ou détruit les hordes mercenaires, façonnées depuis longtemps aux combats; mais, pour les exterminer entièrement, et pour délivrer l’Europe de ce système militaire, qui, depuis le tyran Capet XIVe, opprime et ruine les peuples, il faut que tous nos jeux, tous nos exercices publics prennent le caractère belliqueux. Si des soldats levés à la hâte, si de simples réquisitions armées subitement ont déjà été victorieux contre des mercenaires du Nord aguerris dans les camps, que ne devons-nous pas espérer des républicains élevés avec plus de soin ? Quels succès ne devons-nous pas avoir lorsqu’une éducation martiale et républicaine aura formé une jeunesse vigoureuse à toutes les évolutions et à tous les besoins de la guerre ? Ce n’est point ici une simple école de théorie; dans deux mois vous aurez dans la plaine des Sablons des simulacres de guerre, d’attaque et de défense. Nous n’aurons plus cette manie pédantesque de surcharger la mémoire des élèves d’une foule de connaissances inutiles ou précoces. Il faut à leur âge des démonstrations pratiques, qui excitent leur curiosité, qui fixent leur attention, et qui les instruisent en les amusant. Imaginez donc à côté de Paris un camp dont la police sévère écartera les vices d’une grande ville et les suggestions perfides des intrigants et des ennemis de la république. Là sera formée une petite armée de jeunes citoyens, divisée en différents corps de troupes, tels que fantassins, cavaliers, dragons, hussards, chasseurs, piquiers et autres soldats de toutes armes : C’est l’image d’une armée. Là seront rassemblés tous les instruments de guerre, des canons, des mortiers, des obusiers, des pontons, des caissons, des chariots, des paniers, des fascines, et tout ce qui sert aux opérations de campagne ainsi qu’à l’attaque ou à la défense des places. Les élèves de l’Ecole de Mars les plus propres aux combats se précipiteront, comme Achille, sur les armes en les voyant. Les travaux de fortifications y seront enseignés, et les ouvrages de terrasse y seront faits de manière à apprendre aux élèves de la patrie à remuer la terre aussitôt qu’ils auront pris une position avantageuse, genre de travail que l’Autrichien ne néglige jamais de faire, et dont la négligence a amené souvent chez nous les défaites ou des retraites forcées. Les fonctions y seront temporaires et de courte durée. Les élèves apprendront par ce moyen que la place d’officier ne donne aucun droit à être toujours officier, et ceux qui commandent apprendront à obéir. Il faut qu’elle cesse cette manie d’avoir des places, parce qu’elle a manqué de nuire fortement aux progrès de la république; l’ambition d’une petite autorité, et le plus souvent de l’argent que donnent les places, les a fait solliciter par des intrigues ou ambitionner par l’ignorance, et souvent par le crime. Nous avons vu le moment dans la révolution où tous voulaient être gouvernants, et où il ne serait pas resté de gouvernés. Les jeunes élèves retireront du moins de cette éducation révolutionnaire le principe de la stabilité des républiques; c’est que les diverses fonctions doivent être d’une courte durée dans les mêmes mains. Les divisions militaires, les costumes, les drapeaux, la musique et les opérations y prendront un grand caractère. C’est l’essai des armées républicaines que nous allons faire, c’est l’expérience des institutions guerrières que nous allons vous présenter. L’Ecole de Mars sera divisée en trois corps de mille hommes chacun, sous le nom de mille - rie; chaque millerie se divisera en dix parties de cent hommes chacune, sous le nom de centurie; et chaque centurie sera divisée en dix parties, dont chacune de dix hommes sera nommée décurie. Ces divisions donneront plus d’ensemble et de facilité. Tout réclame depuis longtemps un changement de costume national; les mœurs de la monarchie lui avaient imprimé une indécence mesquine, révoltante, et un ridicule indélébile; le soldat était à peine vêtu; sous prétexte d’alléger son costume, l’art des ministres et des colonels consistait à échancrer si bien un habit de soldat, et à tourner si habilement un pli ou une poche, qu’ils pussent gagner beaucoup de drap pour les profits particuliers. Le despote et ses suppôts militaires croyaient avoir traité le soldat avec magnificence quand ils lui avaient donné un habit écourté de gros drap sans substance, fourni par un entrepreneur dont la fraude lucrative et impunie avait le droit de devenir à chaque fourniture encore plus criminelle et plus dévorante. Maintenant que toutes nos fabriques travaillent pour les armées, et que la république donne à ses défenseurs la bonne matière que le luxe et la richesse consommaient auparavant, il faut que le soldat ait un costume plus décent et plus sain; il faut qu’il soit garanti des in- 216 ARCHIVES PARLEMENTAIRES CONVENTION NATIONALE tempéries des saisons. Laissons aux tyrans coalisés l’effroyable usage de commander à des milliers de fusils portés par des machines achetées à vil prix et économiquement habillées en hommes; la république ne peut avoir que des armées composées de républicains bien armés et bien vêtus. Le génie de David, en s’occupant de l’amélioration du costume national, prépare un costume militaire tel qu’il convient à nos climats, à nos mœurs, à notre révolution. Les drapeaux ont attiré aussi les regards du réformateur des usages monarchiques. Cette partie des signes auxquels on se rallie dans les combats acquerra une perfection nécessitée par le changement de mœurs et de gouvernement. Il faut que la république assiste par ses symboles aux batailles données pour son affermissement et pour sa défense. Le coq des Français surpassera l’aigle des Romains, et l’inscription du peuple français sera plus pure et surtout plus démocratique que celle du sénat et du peuple romain. L’institut national fournira à l’Ecole de Mars un corps de musique dont les tons sévères et majestueux seront propres à exalter tous les courages, au lieu d’efféminer et d’amollir les âmes. Il faut que la république pénètre par tous les sens dans l’âme des citoyens. La musique, qui fit faire tant de prodiges de valeur sous Tyrtée, nous a rappelé ses moyens dans l’hymme de la liberté, chantée à la bataille de Jemmappes, à la prise du Port-la-Montagne, et à l’invasion du Piémont. C’est dans l’Ecole de Mars que la jeunesse, accoutumée de bonne heure à entendre et à répéter, au milieu de ses évolutions, des chants faciles, expressifs et belliqueux, y puisera avec plaisir l’amour du devoir et le désir de la victoire; c’est dans le camp de la plaine des Sablons que la musique efféminée et muscadine de nos cités, secouant le joug des théâtres, et dirigée par une philosophie républicaine, redeviendra une des plus belles institutions politiques, et remontera les âmes au ton d’énergie et de grandeur qui convient à des hommes libres. Ils ne seront pas perdus pour les autres citoyens les effets de cette innovation subite dans l’éducation militaire. Dans peu de jours la plaine des Sablons, souillée longtemps par la présence de Capet, à certaines époques, et les revues des esclaves à uniforme qui entouraient le palais du tyran, sera purifiée par le rassemblement de jeunes républicains, qui couvriront ce sol stérile. Dans peu de jours un jeune soldat républicain, couvert de blessures et connu par la récompense que la Convention lui a décernée, sera placé à la tête de ce camp, Bertêche est désigné, sous l’approbation de la Convention nationale, pour commander l’Ecole de Mars, en qualité de général de cette jeune armée. Elle sera administrée par un commissaire des guerres en chef, nommé par le comité de salut public. L’instruction sera dirigée par un instructeur général d’infanterie par mille élèves, un instructeur général pour la cavalerie, un instructeur général pour l’artillerie, et un autre pour le génie. Les cent cinquante instructeurs de centuries d’infanterie, les quinze instructeurs de centuries pour les cavaliers et les artilleurs, seront choisis parmi les défenseurs de la république que des blessures glorieuses empêchent de combattre encore l’ennemi. Ils seront choisis parmi les volontaires blessés, et la première qualité pour obtenir le choix sera d’être bon républicain. Ainsi, le camp des élèves présentera le touchant spectacle de la reconnaissance nationale et de l’éducation républicaine; il présentera de jeunes élèves pris dans les familles peu fortunées, des instructeurs choisis parmi les défenseurs de la patrie blessés dans les combats, et un général couvert de blessures. Il n’appartient qu’à la vertu d’élever des républicains. Deux barraques ou bâtiments seront élevés en forme d’amphithéâtres, aux extrémités du camp, pour contenir le plus grand nombre d’élèves qui seront destinés à recevoir la partie des connaissances qui ne peut pas leur être donnée sur le terrain. Les élèves feront eux-mêmes la butte et tous les travaux que l’emplacement exigera pour apprendre à tirer et ajuster; partout seront tracés les préceptes inaltérables de l’égalité. Les fonctions du camp ne seront remplies par les élèves que pendant dix jours; après ce temps, ils rentreront dans les rangs, sans titres ni prérogatives. Les décuries tireront au sort le rang qu’elles doivent avoir dans la centurie, et de même pour le rang que les centuries doivent avoir dans la millerie. Chacun sera décurion à son tour, en commençant par le plus ancien d’âge. Le sort qui prescrit, mais qui n’afflige personne, nommera le centurion parmi les décurions, et les centurions choisiront de même le millerion. Nul ne pourra être dans les fonctions une seconde fois qu’après que tous les élèves auront exercé la même fonction. L’instruction est le besoin de tous, et le passage dans les diverses fonctions est une instruction nécessaire. Mais, quant aux repas, tous, sans distinction de rang, mangeront à la gamelle dans la décurie dans laquelle ils seront attachés. L’argent ne viendra point corrompre nos jeunes élèves, il n’y aura point de solde; ainsi l’avarice et ses signes chéris sont bannis de l’école de Mars. Les élèves seront campés, habillés, armés et entretenus en nature aux frais de la république. Chaque district enverra sans délai au camp des Sablons six jeunes sans-culottes; Paris en enverra quatre-vingts, à cause de son immense population, sans compter ses districts de campagne, qui fourniront six élèves comme les autres districts. Les agents nationaux choisiront avec une sévère impartialité, d’après les conditions prescrites par le décret; ils sont tenus de faire imprimer et d’afficher les choix qu’ils auront faits : il en répondront au gouvernement révolutionnaire. Il ne sera reçu aucun élève après le 20 messidor exclusivement. Le camp sera fermé à ceux qui ne témoigneront pas assez de zèle pour se rendre au poste d’éducation que la patrie leur indique aujourd’hui. C’est aux familles, c’est aux agents nationaux à accélérer l’exécution d’une mesure aussi patriotique et aussi nécessaire à l’intérêt général 216 ARCHIVES PARLEMENTAIRES CONVENTION NATIONALE tempéries des saisons. Laissons aux tyrans coalisés l’effroyable usage de commander à des milliers de fusils portés par des machines achetées à vil prix et économiquement habillées en hommes; la république ne peut avoir que des armées composées de républicains bien armés et bien vêtus. Le génie de David, en s’occupant de l’amélioration du costume national, prépare un costume militaire tel qu’il convient à nos climats, à nos mœurs, à notre révolution. Les drapeaux ont attiré aussi les regards du réformateur des usages monarchiques. Cette partie des signes auxquels on se rallie dans les combats acquerra une perfection nécessitée par le changement de mœurs et de gouvernement. Il faut que la république assiste par ses symboles aux batailles données pour son affermissement et pour sa défense. Le coq des Français surpassera l’aigle des Romains, et l’inscription du peuple français sera plus pure et surtout plus démocratique que celle du sénat et du peuple romain. L’institut national fournira à l’Ecole de Mars un corps de musique dont les tons sévères et majestueux seront propres à exalter tous les courages, au lieu d’efféminer et d’amollir les âmes. Il faut que la république pénètre par tous les sens dans l’âme des citoyens. La musique, qui fit faire tant de prodiges de valeur sous Tyrtée, nous a rappelé ses moyens dans l’hymme de la liberté, chantée à la bataille de Jemmappes, à la prise du Port-la-Montagne, et à l’invasion du Piémont. C’est dans l’Ecole de Mars que la jeunesse, accoutumée de bonne heure à entendre et à répéter, au milieu de ses évolutions, des chants faciles, expressifs et belliqueux, y puisera avec plaisir l’amour du devoir et le désir de la victoire; c’est dans le camp de la plaine des Sablons que la musique efféminée et muscadine de nos cités, secouant le joug des théâtres, et dirigée par une philosophie républicaine, redeviendra une des plus belles institutions politiques, et remontera les âmes au ton d’énergie et de grandeur qui convient à des hommes libres. Ils ne seront pas perdus pour les autres citoyens les effets de cette innovation subite dans l’éducation militaire. Dans peu de jours la plaine des Sablons, souillée longtemps par la présence de Capet, à certaines époques, et les revues des esclaves à uniforme qui entouraient le palais du tyran, sera purifiée par le rassemblement de jeunes républicains, qui couvriront ce sol stérile. Dans peu de jours un jeune soldat républicain, couvert de blessures et connu par la récompense que la Convention lui a décernée, sera placé à la tête de ce camp, Bertêche est désigné, sous l’approbation de la Convention nationale, pour commander l’Ecole de Mars, en qualité de général de cette jeune armée. Elle sera administrée par un commissaire des guerres en chef, nommé par le comité de salut public. L’instruction sera dirigée par un instructeur général d’infanterie par mille élèves, un instructeur général pour la cavalerie, un instructeur général pour l’artillerie, et un autre pour le génie. Les cent cinquante instructeurs de centuries d’infanterie, les quinze instructeurs de centuries pour les cavaliers et les artilleurs, seront choisis parmi les défenseurs de la république que des blessures glorieuses empêchent de combattre encore l’ennemi. Ils seront choisis parmi les volontaires blessés, et la première qualité pour obtenir le choix sera d’être bon républicain. Ainsi, le camp des élèves présentera le touchant spectacle de la reconnaissance nationale et de l’éducation républicaine; il présentera de jeunes élèves pris dans les familles peu fortunées, des instructeurs choisis parmi les défenseurs de la patrie blessés dans les combats, et un général couvert de blessures. Il n’appartient qu’à la vertu d’élever des républicains. Deux barraques ou bâtiments seront élevés en forme d’amphithéâtres, aux extrémités du camp, pour contenir le plus grand nombre d’élèves qui seront destinés à recevoir la partie des connaissances qui ne peut pas leur être donnée sur le terrain. Les élèves feront eux-mêmes la butte et tous les travaux que l’emplacement exigera pour apprendre à tirer et ajuster; partout seront tracés les préceptes inaltérables de l’égalité. Les fonctions du camp ne seront remplies par les élèves que pendant dix jours; après ce temps, ils rentreront dans les rangs, sans titres ni prérogatives. Les décuries tireront au sort le rang qu’elles doivent avoir dans la centurie, et de même pour le rang que les centuries doivent avoir dans la millerie. Chacun sera décurion à son tour, en commençant par le plus ancien d’âge. Le sort qui prescrit, mais qui n’afflige personne, nommera le centurion parmi les décurions, et les centurions choisiront de même le millerion. Nul ne pourra être dans les fonctions une seconde fois qu’après que tous les élèves auront exercé la même fonction. L’instruction est le besoin de tous, et le passage dans les diverses fonctions est une instruction nécessaire. Mais, quant aux repas, tous, sans distinction de rang, mangeront à la gamelle dans la décurie dans laquelle ils seront attachés. L’argent ne viendra point corrompre nos jeunes élèves, il n’y aura point de solde; ainsi l’avarice et ses signes chéris sont bannis de l’école de Mars. Les élèves seront campés, habillés, armés et entretenus en nature aux frais de la république. Chaque district enverra sans délai au camp des Sablons six jeunes sans-culottes; Paris en enverra quatre-vingts, à cause de son immense population, sans compter ses districts de campagne, qui fourniront six élèves comme les autres districts. Les agents nationaux choisiront avec une sévère impartialité, d’après les conditions prescrites par le décret; ils sont tenus de faire imprimer et d’afficher les choix qu’ils auront faits : il en répondront au gouvernement révolutionnaire. Il ne sera reçu aucun élève après le 20 messidor exclusivement. Le camp sera fermé à ceux qui ne témoigneront pas assez de zèle pour se rendre au poste d’éducation que la patrie leur indique aujourd’hui. C’est aux familles, c’est aux agents nationaux à accélérer l’exécution d’une mesure aussi patriotique et aussi nécessaire à l’intérêt général SÉANCE DU 13 PRAIRIAL AN II (1er JUIN 1794) - N° 79 217 et à l’éducation publique. Le Bulletin servira d’organe à la publication du décret. Les élèves étant réunis dans le camp des Sablons sous les yeux de leurs concitoyens, sous l’inspection des instructeurs, et sous la surveillance du comité de salut public, demeureront sous la tente pendant tout le temps que la saison le permettra. A cette époque le camp sera dissous; chaque élève pourra revenir dans ses foyers y porter l’exemple des vertus républicaines, y répandre la haine des tyrans et l’amour de la république. L’éducation est le plus grand bienfait qu’un homme puisse recevoir; c’est le patrimoine le plus inaliénable et celui que les révolutions n’emportent ni ne diminuent jamais. Ce bienfait est assez grand pour qu’il doive suffire aux élèves de l’école de Mars. Cependant ceux qui auront montré le plus de vertus civiles et morales, ceux qui annonceront le plus d’aptitude et de talent, seront admis à d’autres degrés ou genres d’instruction, ou placés dans des fonctions ou travaux analogues à leurs vertus et à leurs talents. L’avantage incalculable des révolutions, c’est que le mérite obtient le rang qui lui est dû, et que chaque citoyen remplit les fonctions qui lui sont dévolues par le genre de talent qu’il a montré. Mais il est nécessaire que les élèves reviennent dans leurs familles pour apprendre que cette éducation nationale ne donne pas un privilège, ne fournit aucun titre particulier pour avoir droit aux places. Dans l’école royale militaire on acquérait le droit d’être placé officier dans les armées, sans avoir appris à l’être : ici l’on apprend surtout à être citoyen, à être soldat, à obéir aux lois, à aimer son pays, et à attendre que la patrie nous appelle. L’homme, dans les républiques, doit se former, recevoir de l’éducation et devenir meilleur sans autre ambition que celle d’être un bon citoyen. Le républicain doit s’instruire et se préparer en silence aux diverses fonctions publiques; mais il ne doit annoncer aucune prétention; il doit attendre, dans son honorable solitude, que la république et ses concitoyens l’appellent à exercer un emploi. Intrigants de tous les départements, agioteurs de places, qui venez vous agglomérer à Paris; ambitieux, hypocrites, qui venez importuner le gouvernement révolutionnaire, allez être spectateurs à l’école de Mars; arrêtez vos désirs ambitieux à la plaine des Sablons; vous y verrez trois mille jeunes citoyens élevés, instruits par la république, ne remplissant que des fonctions temporaires, et se retirant ensuite dans leurs familles pour attendre qu’ils puissent lui être utiles, en se conduisant en bons citoyens. En fondant cette belle institution révolutionnaire, la Convention nationale doit s’adresser aux familles des sans-culottes qu’elle appelle à l’école de Mars. « Citoyens, trop longtemps l’ignorance a habité les campagnes et les ateliers; trop longtemps le fanatisme et la tyrannie se sont emparés de concert des premières pensées des jeunes citoyens pour les asservir ou en arrêter le développement. Ce n’est pas à des esclaves ni à des mercenaires à élever des hommes libres; c’est la patrie elle-même qui vient aujourd’hui remplir cette fonction importante, et elle ne l’abandonnera plus aux préjugés, à l’intérêt et à l’aristocratie. « Il faut que l’esprit des familles particulières disparaisse, quand la grande famille vous appelle. La république laisse aux parents la direction de vos premières années; mais, aussitôt que votre intelligence se forme, elle fait hautement valoir les droits qu’elle a sur vous. Vous êtes nés pour la république, et non pour l’orgueil ou le despotisme des familles. Elle s’empare de vous dans cet âge heureux où l’âme ardente et sensible s’épanouit à la vertu et s’ouvre naturellement à l’enthousiasme du bien et à l’amour de la patrie. « Placés sous ses regards, elle vous suivra avec intérêt; c’est d’elle que vous recevrez les vêtements, la nourriture et les préceptes; c’est en son nom que des représentants du peuple se rendront dans vos camps, iront présider à vos jeux, assisteront à vos exercices; c’est sous les ailes de la représentation nationale que vous serez instruits, et c’est à côté de la cité du peuple français, de celle qui a été le siège de la révolution, et qui est le foyer du patriotisme et la patrie des arts, que vous viendrez recevoir une instruction nécessaire à tout républicain. Les vieillards viendront souvent honorer de leur présence vos premiers essais; les mères viendront jouir du spectacle consolateur d’une éducation simple, donnée à des enfants nés dans des familles peu fortunées ou de parents blessés à la défense de nos droits. Tous les citoyens chercheront à démêler dans vos paroles, dans vos actions, dans vos travaux, quelque germe de vertu et de talent, et vous apprendront, par leur curieuse sollicitude autour de vous, que la république n’a rien de plus précieux que les enfants des citoyens peu fortunés ou qui se sont dévoués à sa défense. « Elle remet en vous ses espérances et sa gloire. » A la suite de ce rapport, interrompu par de fréquents applaudissements, Barère présente le projet de décret suivant [ adopté ] (1). « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BARÈRE, au nom] du comité de salut public, décrète : « Art. I. - Il sera envoyé à Paris, de chaque district de la République, six jeunes citoyens, sous le nom d 'Elèves de l’Ecole de Mars, dans l’âge de 16 à 17 ans et demi, pour y recevoir, par une éducation révolutionnaire, toutes les connoissances et les mœurs d’un soldat républicain. « II. - Les agens nationaux des districts feront, sans délai, le choix des six élèves parmi les enfans des sans-culottes. » La moitié des élèves sera prise parmi les citoyens peu fortunés des campagnes; l’autre moitié dans les villes, et par préférence parmi les enfans des volontaires blessés dans les combats, ou qui servent dans les armées de la République. (1) Mon., XX, 622-627. Rapport sur l’éducation révolutionnaire et militaire et sur l’Ecole de Mars. Broch., in-8°, 16 p. (Arsenal, 8° NF 83249). SÉANCE DU 13 PRAIRIAL AN II (1er JUIN 1794) - N° 79 217 et à l’éducation publique. Le Bulletin servira d’organe à la publication du décret. Les élèves étant réunis dans le camp des Sablons sous les yeux de leurs concitoyens, sous l’inspection des instructeurs, et sous la surveillance du comité de salut public, demeureront sous la tente pendant tout le temps que la saison le permettra. A cette époque le camp sera dissous; chaque élève pourra revenir dans ses foyers y porter l’exemple des vertus républicaines, y répandre la haine des tyrans et l’amour de la république. L’éducation est le plus grand bienfait qu’un homme puisse recevoir; c’est le patrimoine le plus inaliénable et celui que les révolutions n’emportent ni ne diminuent jamais. Ce bienfait est assez grand pour qu’il doive suffire aux élèves de l’école de Mars. Cependant ceux qui auront montré le plus de vertus civiles et morales, ceux qui annonceront le plus d’aptitude et de talent, seront admis à d’autres degrés ou genres d’instruction, ou placés dans des fonctions ou travaux analogues à leurs vertus et à leurs talents. L’avantage incalculable des révolutions, c’est que le mérite obtient le rang qui lui est dû, et que chaque citoyen remplit les fonctions qui lui sont dévolues par le genre de talent qu’il a montré. Mais il est nécessaire que les élèves reviennent dans leurs familles pour apprendre que cette éducation nationale ne donne pas un privilège, ne fournit aucun titre particulier pour avoir droit aux places. Dans l’école royale militaire on acquérait le droit d’être placé officier dans les armées, sans avoir appris à l’être : ici l’on apprend surtout à être citoyen, à être soldat, à obéir aux lois, à aimer son pays, et à attendre que la patrie nous appelle. L’homme, dans les républiques, doit se former, recevoir de l’éducation et devenir meilleur sans autre ambition que celle d’être un bon citoyen. Le républicain doit s’instruire et se préparer en silence aux diverses fonctions publiques; mais il ne doit annoncer aucune prétention; il doit attendre, dans son honorable solitude, que la république et ses concitoyens l’appellent à exercer un emploi. Intrigants de tous les départements, agioteurs de places, qui venez vous agglomérer à Paris; ambitieux, hypocrites, qui venez importuner le gouvernement révolutionnaire, allez être spectateurs à l’école de Mars; arrêtez vos désirs ambitieux à la plaine des Sablons; vous y verrez trois mille jeunes citoyens élevés, instruits par la république, ne remplissant que des fonctions temporaires, et se retirant ensuite dans leurs familles pour attendre qu’ils puissent lui être utiles, en se conduisant en bons citoyens. En fondant cette belle institution révolutionnaire, la Convention nationale doit s’adresser aux familles des sans-culottes qu’elle appelle à l’école de Mars. « Citoyens, trop longtemps l’ignorance a habité les campagnes et les ateliers; trop longtemps le fanatisme et la tyrannie se sont emparés de concert des premières pensées des jeunes citoyens pour les asservir ou en arrêter le développement. Ce n’est pas à des esclaves ni à des mercenaires à élever des hommes libres; c’est la patrie elle-même qui vient aujourd’hui remplir cette fonction importante, et elle ne l’abandonnera plus aux préjugés, à l’intérêt et à l’aristocratie. « Il faut que l’esprit des familles particulières disparaisse, quand la grande famille vous appelle. La république laisse aux parents la direction de vos premières années; mais, aussitôt que votre intelligence se forme, elle fait hautement valoir les droits qu’elle a sur vous. Vous êtes nés pour la république, et non pour l’orgueil ou le despotisme des familles. Elle s’empare de vous dans cet âge heureux où l’âme ardente et sensible s’épanouit à la vertu et s’ouvre naturellement à l’enthousiasme du bien et à l’amour de la patrie. « Placés sous ses regards, elle vous suivra avec intérêt; c’est d’elle que vous recevrez les vêtements, la nourriture et les préceptes; c’est en son nom que des représentants du peuple se rendront dans vos camps, iront présider à vos jeux, assisteront à vos exercices; c’est sous les ailes de la représentation nationale que vous serez instruits, et c’est à côté de la cité du peuple français, de celle qui a été le siège de la révolution, et qui est le foyer du patriotisme et la patrie des arts, que vous viendrez recevoir une instruction nécessaire à tout républicain. Les vieillards viendront souvent honorer de leur présence vos premiers essais; les mères viendront jouir du spectacle consolateur d’une éducation simple, donnée à des enfants nés dans des familles peu fortunées ou de parents blessés à la défense de nos droits. Tous les citoyens chercheront à démêler dans vos paroles, dans vos actions, dans vos travaux, quelque germe de vertu et de talent, et vous apprendront, par leur curieuse sollicitude autour de vous, que la république n’a rien de plus précieux que les enfants des citoyens peu fortunés ou qui se sont dévoués à sa défense. « Elle remet en vous ses espérances et sa gloire. » A la suite de ce rapport, interrompu par de fréquents applaudissements, Barère présente le projet de décret suivant [ adopté ] (1). « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BARÈRE, au nom] du comité de salut public, décrète : « Art. I. - Il sera envoyé à Paris, de chaque district de la République, six jeunes citoyens, sous le nom d 'Elèves de l’Ecole de Mars, dans l’âge de 16 à 17 ans et demi, pour y recevoir, par une éducation révolutionnaire, toutes les connoissances et les mœurs d’un soldat républicain. « II. - Les agens nationaux des districts feront, sans délai, le choix des six élèves parmi les enfans des sans-culottes. » La moitié des élèves sera prise parmi les citoyens peu fortunés des campagnes; l’autre moitié dans les villes, et par préférence parmi les enfans des volontaires blessés dans les combats, ou qui servent dans les armées de la République. (1) Mon., XX, 622-627. Rapport sur l’éducation révolutionnaire et militaire et sur l’Ecole de Mars. Broch., in-8°, 16 p. (Arsenal, 8° NF 83249).