422 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] IV. SUITE DU COMPTE RENDU Par M. DE CUSTIHE À SES COMMETTANTS De ses opinions dans les délibérations de V Assemblée nationale, Du 1er au 28 octobre 1789. Le 1er octobre, le premier ministre des finances s’est rendu à l’Assemblée nationale, pour lui faire part du projet de décret qu’il désirait voir rendre par l’Assemblée, d’après le plan qu’il avait mis sous ses yeux, et qui avait été approuvé par elle : il fut décidé, après que le premier ministre se fût retiré, que le comité des finances se concerterait avec lui sur la réduction des articles, pour ensuite les voir décréter dans l’Assemblée. Sur la formation d'un comité militaire. Dans la séance de l’après-midi du même jour, il fut fait une motion par M. le baron de Wimp-fen, pour la nomination d’un comité militaire, pour former le plan d’organisation de l’armée. Sur cette proposition, plusieurs opinants ayant demandé la parole, les uns soutinrent que les forces de l’Empire étant confiées à la puissance exécutrice, il ne pouvait y avoir lieu à délibérer; d’autres ajoutèrent que l’Assemblée nationale, en voulant se mêler de l’organisation militaire, s’assimilerait à ces ministres qui, du fond de leur cabinet, voulaient diriger les plans d’opération des généraux, et le mouvement des armées. D’autres soutenaient que le militaire étant composé de citoyens, l’Assemblée nationale avait seule le droit de prononcer sur leur sort, de composer l’armée, de l’organiser. Sans doute, et les uns et les autres s’éloignaient de la vérité dans cette discussion. Il est certain que l’organisation de l’armée regarde le pouvoir exécutif, puisque organiser une armée n’est autre chose qu’en disposer le mécanisme, de manière à la faire marcher, camper, décamper, en diriger les mouvements, la former, et enfin lui donner les moyens de combattre : éminemment cette opération organique ne peut être du ressort de l'Assemblée nationale, mais l’opinion qu’il n’y avait lieu à délibérer sur la formation d’un comité militaire, que ce comité ne pouvait avoir aucune fonction, n’est pas une idée moins éloignée de la vérité que la première. En effet, une armée étant ou devant être composée de citoyens, l’Assemblée nationale a évi-demment le droit de régler la manière dont ces citoyens seront appelés au service de l’armée, de régler aussi le mode de la di-cipline militaire, et qu’elle soit telle, qu’en conservant la santé de. hommes, et par conséquent le bonheur de leur existence, elle ne les avilisse pas, elle ne les dégrade pas. Cette Assemblée a aussi le droit de décréter le code criminel militaire, puisque ce code doit décider de la vie, de la liberté, de l’honneur des citoyens militaires, et ces deux dernières propriétés sont trop chères à tout citoyen français, pour que les lois qui peuvent les leur ravir ne soient point décrétées par l’Assemblée nationale ; sans même parler de la vie, propriété chère à tous les hommes, et que l’on apprend dans les armées françaises à prodiguer et à mépriser. Il n’est pas moins certain que la dépense de l’armée ne doive être réglée par l’Assemblée nationale, et que pour régler une dépense, tout homme sensé jusqu’ici n’ait demandé à en connaître les détails ; car je n’ai jamais ouï dire, jusqu’à présent que l’on ait pu prouoncer, statuer sur ce qu’on ne connaissait pas. Lorsque je demandai la parole pour faire entendre cette opinion, l’Assemblée ne voulut plus entendre de discussion autre que sur les amendements à faire à la motion. Celui que je proposai fut de rédiger la proposition à mettre en délibération, de manière à fixer les fonctions du comité militaire, en sorte qu’il connût les bornes du pouvoir que lui donnait l’Assemblée. Voici les termes dans lesquels était conçue ma proposition : « Que l’Assemblée nationale nomme un comité militaire, composé de douze personnes, pour former, de concert avec le ministre de la guerre, le plan de la composition de l’armée, le nombre des hommes dont elle sera formée, le montant de sa dépense, sa discipline, et [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] m les lois qui doivent statuer sur les crimes et délits militaires. » Avec un tel décret, le comité aurait eu le vœu de l'Assemblée ; il aurait connu les limites du pouvoir qu’elle lui donnait. L’Assemblée, au contraire, a choisi une forme de décret qui est une preuve non équivoque de la confiance sans bornes qu’elle accorde à son comité ; car, comme cette confiance, il est sans limites. Sur le décret relatif à la proposition du premier ministre des finances. Le 2 octobre, fut présenté à l’Assemblée nationale, par le comité des finances, le décret rédigé de concert avec le premier ministre : après en avoir entendu la lecture, ie demandai la parole, et j’énonçai, dans l’Assemblée, le désir de le voir imprimé, pour pouvoir y réfléchir ; je dis qu’à la lecture rapide que nous avions entendue, il me semblait que son préambule était d’une sécheresse peu faite pour décider à de grands sacrifices ; que d’ailleurs ce préambule ne détaillait pont les remboursements extraordinaires qui forçaient à avoir recours à une aussi énorme contribution. Le vœu formé de pouvoir réfléchir sur cet arrêté, ayant été appuyé par M. Fréteau, qui en a demandé l’impression, cette opinion a été accueillie par l’Assemblée, quoique combattue par M. Le Ghapellie>\ A la fin de celte séance, M. le comte de Mirabeau fit entendre la lecture d’un préambule qu’il proposait de placer en tête de l’arrêté ; il a enlevé les suffrages dus à l’éloquence et au style nerveux de sm auteur. Sur le décret relatif aux prêts d'argent à courts termes. Dans la séance du 3 a été décrété, par l’Assemblée nationale, le pouvoir donné, dans toute l’étendue du royaume, à tous les capitalistes, même aux communautés et gens de mainmorte, de pouvoir faire des prêts légaux, et à courts termes, tels qu’ils sont permis, dès à présent aux laïcs en Lorraine et en Alsace; à peine 40 membres du clergé ont-ils voté contre, tous les autres ont été entraînés par les solides raisons qui ont été données par d�s ecclésiastiques même, pour adhérer à ce décret. Le 3, l’Assemblée a repris sa séance pour la discussion de la sanction accordée par le roi aux articles de la Constitution; celte sanction n’ayant pas paru énoncée d’une manière claire, il a été convenu que le président se retirerait par devers le roi, pour le supplier de vouloir bien énoncer si sa sanction était pure et simple ; l’opinion de l’Assemblée sur cette demande a passé à une grande majorité : il était en effet nécessaire de connaître quelle était la véritable intention du roi. Ce voile jeté par les ministres sur la sanction donnée par le roi aux articles de la Constitution, a amené la discussion de la forme dans laquelle le roi devrait sanctionner désormais les actes du pouvoir legislatif. Dans le cours de la même séance, se sont présentés des députés de la ville de Paris accompagnés d’un grand cortège de femmes de cette capitale, venant demander des vivres dont ils manquaient. A cette époque, j’étais sorti de la salle, et, en rentrant dans la cour,’ je la trouvai remplie de femmes, l’avenue de Versailles garnie de 3 canons entourés de femmes, et de quelques hommes peu armés. Je vins reprendre ma place, où bientôt après je me trouvai siégeant à côté de dép > tés en bonnets et mantelets. Un opinant se fit entendre, et demanda au président de faire sortir de la salle ce qui n'était pas député: j’appuyai cette demande ainsi que plusieurs autre membres de l’Assemblée; je le fis à diverses reprises, mais vainement. Bientôt la salle de l’Assemblée nationale fut remplie à un tel point, qu’il était impossible de se faire entendre ni d’opiner; l’Assemblée nationale ignorait ce qui se passait au dehors, la seule chose qu’elle entendit au milieu du tumulte de la salle, des cris qui s’y fanaient souvent entendre de ceux partant des galeries, était une fusillade as ez suivie dont le brnit arrivait de la place d’Armes. Elle était telle, que mon oreille assez exercée au bruit de l’artillerie, aurait pu la prendre quelquefois pour être un effet du canon ; c’est dans un tel mouvement que s’est passée l’Assemblée prolongée jusqu’à 3 heures du matin, toujours dans l’ignorance de ce qui se passait au dehors ; ce que je ne sais pas encore moi-même aujourd’hui, d’une manière assez sûre pour en rendre compte. Le 6, la séance s’ouvrit à 11 heures du matin; à peine commencée1, un opinant proposa à. l’Assemblée de la déclarer indivisible de la personne du roi, de former une députation de 36 membres, qui se rendrait près de sa personne, informerait l’Assemblée de ce qu’elle apprendrait des résolutions et dn parti que prendrait sa Majesté : ayant été forcé de sortir alors un instant, je trouvai le décret rendu à mon retour. Après le retour de la députation qui annonça à l’As-emblée la résolution du roi de se renure à Paris avec toute sa famille, un opinant proposa à l’Assemblée de décréter le projet d’arrêté rédigé par le comité, de concert avec le premier ministre des finances, ainsi que l’adresse qu’il avait rédigée, et qui devait en former le préambule; je demandai ia parole, et en louant les motifs de la proposition que venait de faire le préopinant, je demandai que l’Assemblée se contentât de décréter le préambule et le do t patriotique demandé par le premier ministre; qu’au moins elle réservât la discussion des articles 19 et 20 de cet arrêté qui devaient lui paraître susceptibles de modifications et dont le décret n’avait point été porté dans la séance du 25 septembre, puisque ces articles n’étaient pas prononcés dans la même forme dans laquelle ils étaient présentés (lorsque le premier ministre se rendit à l’Assemblée, le 24 septembre). Mais sans avoir égard à ma réclamation, elle voulut prononcer ; j’ai voté seul contre le décret; les motifs qui m’ont décidé sont consignés dans mon opinion relative aux finance; et à la Caisse nationale, que j’ai eu l’honneur de vous adresser. J’avais envoyé un mémoire qui contenait à peu près les mêmes développements au ministre des finances, quelques jours avant que le décret parût, avec la lettre ci-jointe, à laquelle il n’a pas daigné répondre ; ce qui m’a déterminé à rendre cette opinion publique, pour faire connaître le développement des vérités qu’elle renferme : « Monsieur, » Je n’ai que très peu l’honneur d’être connu 4â4 [Assemblée nationale.] de vous; mais l’un des représentants de la r a-tioD, et à’ce titre lui devant le tribut de mes connaissances pour la tirer de la crise où elie se trouve, je dois, monsieur, adresser mes réflexions au seui mortel dont le crédit est tel qu’il peut commandera l’opinion publique. C’est à ce seul titre que je m’adresse à vous. » Depuis le jour, monsieur, où vous êtes venu dans PAsst mblée présenter le tableau effrayant de la situation du royaume, mon âme, toujours agitée de l’état de convulsion dans lequel peut être jetée cette belle monarchie, n’a pris vu avec moins d’effroi l’idée présentée dans votre discours, d’a-socier la caisse d'escompte à la fortune publique. « Vi'Us n’ignorez pas, monsieur, que la banque d’Angleterre tient les finances de cet Empire dans sa dépendance; la puissance factice de cette nation (1) qui n’est arrivée au degré de splendeur où elle est que par les fautes multiples de la France, a été forcée d’avoir recours à cette banque, dont vainement aujourd’hui elle voudrait secouer le joug, tant elle le trouve pesant! « Vous ne voulez pas sûrement, lorsque la fortune publique peut s’élever au plus haut degré (dans l’instant où on la croit détruite), laisser évanouir le moment, peui-être impossible à retrouver, de la fonder sur une base solide. <■ La nation doit sans doute être fidèle à ses engagements envers la caisse d’escompte, l’appel du quart des revenus qui vient d’être décrété, assure le moyen de les remplir; mais un établissement doit vous occuper, celui d’une caisse vraiment nationale. « Dans le mémoire ci-joint, vous trouverez les idées que je me suis formées sur un semblable établissement, après avoir vu la forme de toutes les caisses publiques qui existent aujourd’hui en Europe. « Je n’ai d’autre désir que de voir élever la fortune de cet Empire au plus haut degré où elle puisse atteindre : servir mon pays, contribuer à la gloire et au bonheur du règne du meilleur des rois, chef suprême de la nation, voilà nos lois ; elles ont été la base de mes opinions (abstraction faite de toute antre considération que je ne connus jamais), elles seront invariablement nos guides. « J’ai l’honneur d’être avec respect, Monsieur, votre, etc. » Le 8, j’ai proposé de ne point abandonner les prétentions du roi de France sur le royaume de Navarre, en lui conservant le titre qu’un opinant avait proposé d’abandonner, à moinsque l’Assemblée ne voulût ajouter le titre de rot des Français et du royaume de Navarre, ces mots et autres lieux; vous jugerez facilement, Messieurs, la valeur du sens que renferme cette proposition. La discu sion de cette question a été ajournée. Dans cette séance a été prononcée la formule dans laquelle le roi donnerait son consentement aux acles du Corps législatif, de même que celle dans laquelle il ferait connaître à l'Assemblée son refus suspensif. La décision de cet article fut ajournée au lundi. Dans les séances du 8 et du 9 se sont décrétées la plupart des lois provisoires concernant la jurisprudence criminelle; comme ces lois donnent un conseil à l’accusé, lui accordent la facilité de (1) L’argent est aujourd’hui si commun en Angleterre qu’on ne peut y trouver des placements à 3 0/0. [Annexes.] récuser un nombre des jurés destinés aux instt notions des procédures, qu’enfin, elles protègent le plus possible la sûretédesindividus, qu’elles rem-plissentsurce point le vœu de mescahiers, s’allient avec les opinions que je soutiendrai toute ma vie pour assurer la protection due à la liberté des individus qui respectent les lois ; je n’ai eu qu’à voter pour de semblables dispositions, et je me suis, en conséquence, bien gardé de me permettre la plus légère discussion, qui aurait pu retarder les opérations de l’A semblée, dont je dé.-ire si vivement voir arriver le terme. Dans la séance du 10, un opinant, à l’uuverture des discussion?, lit entendre une proposition relative à la sûreté des dé utés; ayant demandé la parole, je prononçai, en ces termes, mon opinion, qui reprenait les plaintes des opinants sur les libelles calomnieux, les fausses accusations portées contre plusieurs membres de l’Assemblée : « L’Assemblée nationa edoit sans doute protéger, par la sagesse de ses lois, la sûreté de tous les citoyens; les députés, à ce titre, sont sous leur sauvegarde, c’est par les attroupements que leur repos est le plus troublé, que leur sûreté est le plus compromise. Je propose donc, Messieurs ne rendre une loi martiale, pour empêcher ces attroupements ; je demande l’ajournement de ma motion à lundi, parce que je reconnais ia nécessité de suivre l’ordre du jour. Je m’étonne qu’il se trouve dans cette Assemblée quelques individus qui attachent aux libelles la plus légère importance; la calomnie retombe sur celui qui ia lance ; l'honnête homme ne la craignit jamais. » J’aurais pu ajouter que le calomniateur anonyme, semblable au reptile venimeux dont le poison s’exhale dans les airs, n’atteint jamais l’Être qui, sans prétendre passer pour philosophe, a, pour se parer de sa morsure, une vie sans reproches ; qu’enlin quelque brillante que soit l’écaille de ce vil reptile, il n’est jamais qu’un monstre vomi par la nature. Peu après mon opinion p ononcée, un opinant dit avec cette énergie, avec cette éloquence qui n’appartient qu’à lui, que s’il existait des listes de proscription, l’on ne pourrait atteindre les victimes désignées qu’en passant sur les cadavres sanglants des honnêtes gens de ces assemblées. Un homme caustique aurait pu le soupçonner d’avoir voulu se placer hors d’atteinte. L’homme né avec des pa-stons brûlantes, avivées pur une âme et Un sang arde d, ne do t jamais avoir qu’un principe, puur en m dérer les effets : prendre la vérité pour guide, ne jamais troubler l’ordre social, remplir dans leur plénitude les devoirs qui lui sont imposés, ne point faire parade de ses faiblesses, enfin, respecter Ja vertu, se respecter lui-même. Attaquer de front l’homme méchant, les fausses opérations des administrateurs, les abus, les opinions insidieuses ou erronées est chose facile avec une telle vie, dévoiler la calomnie d’un méchant ne serait pas plus difficile. Mais le mépris que je porte aux libelles, à leurs auteurs m’a décide à m’opposer avec force à leur suppression, dans la persuasion que ce n’est que la valeur qu’on y attache qui y donne quelque prix, qu lque bien écrits qu’ils soient d’ailleurs; car, alors, on les lit avec plaisir en s’écriant combien il est fâcheux que tant de talent et de noirceurs se trouvent réunis dans le même être. Dans la suite de cette séance se fit entendre la motion de l’évêque d’Autun, relative aux biens ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 425 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] du clergé. Je développerai mon opinion sur la proposition qu’il fit à l’Assemblée dans mon travail sur la disposition nécessaire à faire pour ramener à leur véritable destination les bi ns de cette clas e de citoyens. Dans la séance du lundi 12, je proposai au Président de mettre dans l’ordre des délibérations du jour, ma proposition relative à la loi martiale, dont j’avais demandé l'ajournement au lundi. Mais M. T rget ayant demandé au Président de fondre cette loi dans la Constitution dont il avait encore quelques articles à présenter, je me décidai à adhérer à sa demande. J’avais confié à M. Target, dès le samedi, et le développement sur la loi martiale et les articles que j’avais rédigés en conséquence ; il me demanda les articles afin de les fondre dans le projet des lois dont il s’était occupé. Ce développement et ces articles étaient conçus ainsi qu’il suit : Opinion relative à la loi martiale. « Messieurs, « Vous avez décrété que dans le cours de cette session, l’Assemblée nationale était inséparable de la personne du roi : Cette délibération vous a été dictée, sans doute, par un sentiment inhérent à l’âme de tout Français, de contribuer de toutes ses farces et de tous ses moyens à conserver la personne et la puissance exécutrice des rois qui, depuis tant de siècles, régnent sur cette vaste monarchie. « Sans doute, pressés par ce même sentiment, et pénétrés de la nécessité de ne laisser à nos commettants aucun doute sur la liberté et l’ordre qui doivent régner dans vos délibéraiions, vous rendrez un décret qui armera le pouvoir exécutif d’une loi martiale, par laquelle la milice nationale et ses chefs, les troupes réglées et leurs commandants auront la possibilité de maintenir l’ordre dans la capitale et dans tout le royaume, lorsqu’ils en seront requis par les officiers publics. « C’est dans l’instant où les tribunaux anciens sont sans vigueur où l’organisation d’une milice nouvellement créée n’a pas encore reçu toute la perfection dont elle est susceptible, que par là même il lui devient [dus difficile de c ntenir des vagabonds, dont une aussi grande capitale que Paris ne peut jamais s’épurer en totalité, qui d’ailleurs s’y renouvellent sans cesse, que la réunion, dans cette grande ville du roi et de l’Assemblée nationale, invitera encore à s’y rendre en plus grand nombre; c’est alors, dis-je, qu’il est de votre sagesse, Messieurs, de, décréter une loi martiale qui donne un moyen légal et possible à employer pour protéger la liberté du citoyen et sa propriété, pour dissiper les attroupements, les foules séditieuse-, et éviter par là que l’effet de la séduction des gens mal intentionnés ne prenne assez d’empire sur quelques êtres faciles, poulies entraîner à des démarches dont on ne pourrait plus calculer les suites. L’Assemblée réfléchira que de tels événements pourraient être aussi le résultat de la fermentation que pourrait faire naître un seul homme mal intentionné, ou peut-être même un homme se formant une faus-e idée du bien public ; qui pourrait égarer des individus d’une milice pure, puisqu’elle est composée de citoyens reconnus et dévoués à la cause publique ; elle considérera sûrement qu’il est de son devoir de donner ce moyen légal de prévenir ces fâcheux effets; en conséquence, l’Assemblée croira sans doute de sa sagesse, de décréter la loi martiale qui suit : Art. 1er. « Toutes assemblées non autorisées par la loi, tous attroupements tumultueux, quelque peu nombreux qu’ils soient sont expressément défendus dans toute l’étendue du royaume et plus particulièrement encore dans la capitale, où résident le roi et l’Assemblée nationale, tous tumultes séditieux dans les spectacles, jardins, promenades, ou places publiques sont pareillement interdits. Art. 2. « Il est expressément ordonné à tout agent du pouvoir exécutif, de donner les ordres néces-sairt s et de tenir la main à l’exécution de la présente loi; et dès qu’elle s’exécutera sans résistance, il est expressément défendu d’attenter à la liberté d’aucun des individus qui composaient ces assemblées ou excitaient le tumulte. Art. 3. « Si un de ceux qui composent les attroupements, ou qui excitent le tumulte séditieux dans les foules, spectacles, places, assemblées publiques, se refuse à l’ordre exigé de lui, il sera sur-le-champ arrêté et remis à ses juges pour être jugé suivant l’exigence du cas. Art. 4. « Si la foui'1, l’assemblée ou l’attroupement se refuse séditieusement à l’ordre rejuis, l’officier ou commandant accompagné d’un officier civil ou municipal, après avoir requis à hante voix et à 3 reprises différentes, l’as-emblée, attroupement, foule séditieuse, de se dissip r ou d' reprendre l’ordre, et 5 minutes après la dernière signification, pourra exercer la voie de fait permi e alors par la loi, mais toujours par la moins rigoureuse que les circonstances le permettront, assez forte cependant pour faire cesser ou rentrer dans Ford t o l’attroupement ou la foule, n’étant plus responsable après ces sommations, d’aucun des événements qui pour.- aient résulter des moyens employés pour le rétablissement de l’ordre. Art. 5. « Tout officier, bas officier ou soldat, formant attroupement illicite, ou se refusant à l’établissement de l’ordre recommandé par la loi martiale, sera arrêté et mis au conseil de guerre. Art. 6. « Lorsque la désobéissance aura été marquée par gestes violent--, ou paroles insubordonnées le coupable sera puni de mort. Art. 7. « Le militaire requis d’obéissance par son supérieur, et s’y refusant, autoriserait par ce refus la voie de fait qui, à l’instant, pourrait être employée contre lui. » A la même séance du lundi, s’est reprise la discussion des articles de la Constitution, et nom- 426 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes . mément celai qui concernait l’intitulé de la sanction accordée par le roi aux actes du Corps législatif. Cette discussion a été terminée par une observation très juste faite par M. Emmery, qu’en effet les qualités que prendrait le roi de France dans l’intitulé des actes du pouvoir législatif, n’infirmeraient enrieu les droits que lui donnent les traités, et ne prononceraient point sur ceux que la politique le déciderait à continuer de garder ou à prendre vis-à-vis. des puissances étrangères, Un opinant a proposé à l’Assemblée de prononcer son opinion sur la question de savoir si les biens du clergé appartenaient à la nation. La discussion qui a été. la suite nécessaire de cette proposition, a employé beaucoup de temps dans deux séances (1) pour rester sans décret après plusieurs réclamations justes, qu’en effet cette proposition ne pouvait être traitée dans ces séances, où l’on ne devait s’occuper que de législation, dont il restait plusieurs points intéressants à traiter. Ces différents débats ont conduit jusqu’à la séance du 14, dans laquelle un opinant a fait entendre son développement, et les articles qu’il proposait, relatifs à la loi martiale. Quant à moi, je m’en étais rapporté au comité de Constitution pour fondre mes idées dans son travail, ce qui me décide à garder le silence sur ce point. L’Assemblée, n’ayant pas trouvé que la proposition de son comité, non plus que les articles de la loi proposée par M. de Mirabeau pussent remplir son vœu sur l’objet de la loi martiale, à ajourné cette question pour s’occuper des municipalités si désirées dans tout le royaume, et dont il aurait été difficile de s’occuper plus tôt, plusieurs préalables nécessaires à décréter, devant l’être dans l’Assemblée avant de commencer à en délibérer. A la lin de la séance du 15, l’Assemblée a été ajournée à Parts au 19 et a été séparée. La séance du 19 ayant été en grande partie occupée par des comptes rendus à l’Assemblée d’événements arrivés pendant l’interruption de ses séances, l’on n’a pu employer que peu d’instants à la Constitution. Je ne parlerai pas ici du discours prononcé par un opinant, après la réception de là députation de la commune de Paris, a yant dé ve! op pé mes réflexions sur ce discours dans une note de mon opinion sur les biens du clergé. Dans la séance du 20, après la lecture du procès-verbal, plusieurs membres de l’Assemblée se plaignirent du peu d’exactitude des ministres à promulguer les décrets portés par elle, du peu de forme que l’on mettait dans ces promulgations, même du travestissement que donnaient à ses décrets les arrêts du conseil qui les accompagnaient. Ayant demandé la parole dans le cours de la discussion qui s’éleva à cet égard, j’énonçai que je ne croyais pas que .l’Assemblée pût demander comnteaux ministres du défaut de forme u’ils pourraient avoir mis dans la promulgation e ses décrets, puis qu’en effet laforme prononcée par l’Assemblée leur était encore inconnue alors; qu’aujourd’hui même, quoique connue, elle n’avait point encore reçu la sanction royale; qu’en conséquence, l’Àsssemblée nationale ne pouvait, sur (1) Cette question, au moins inutile à décider dans cet instant, a déjà fait perdre quatre séances à l’Assemblée nationale; c’est je le crois le moment de gémir sur l’ascendant que peut donner à un homme une éloquence unie à une volonté qui semble décidée à prolonger la session et les travaux de l’Assemblée. ce point, mander aucun ministre du roi; qu’il en était bien autrement du travestissement de ses décrets dont, dans tous les temps, elle pouvait leur demander compte ; que je croyais de la prudence de l’Assemblée de s’assurer de ces faits avant de décréter cette démarche. Un opinant se Fit entendre et proposa-de prendre connaissance des partis pris par la puissance exécutrice, relativement à l’approvisionnement et à la subsistance de Paris ; beaucoup de voix se sont élevées pour réclamer contre cetie proposition, qui aurait entraîné l’Assemblée dans do discussions qui ne lui auraient que trop fait perdre de temps, pour l’engager à se mêler d’un objet qui n’était nullement de sa compétence ; mais l’habitude de cet opinant de se persuader que son éloquence doit toujours entraîner les discussions des objets qu’il propose, avait sans dou e décidé sa motion, à laquelle il était facile de répondre, et je me proposais de le faire en ces termes: « Messieurs, saisi d’admiration pour les grands talents de l’opinant que vous venez d’entendre, et persuadé que lui seul pourra plus, pour l’approvisionnement de la capitale et la surveillance des moyens à y employer, que l’As emblée qui ne peut ni ne doit s’en mêler, j’ai l’honneur de vous proposer de lui décerner cet emploi, et de décréter que cette nomination sera annoncée au public par les journaux et feuilles périodiques de la capitale, afin que, s’il y avait quelques doutes sur la bonté des moyens employés, on pût s’adresser à lui pour se convaincre que rien n’a été oublié pour pourvoir aux besoins de la capitale. » La séance du 21 s’ouvrit parla relation d’une scène d’horreur, dont frémit l’humanité. Le président d’un district -se rendit à l’Assemblée ; il y fit entendre la narration de l’événement le plus désastreux, produit par la colère de quelques personnes du peuple, animées contre un boulanger qui avait réservé chez lui quelques pains pour ses pratiques ; il est arrêté par les accusateurs; on demande sa mort. Cet homme, disculpé par son district, où sa haute probité était reconnue, où i’on rendit justice à son zèle et à son travail infatigable, déclare qu’il n’a jamais cessé et ne cessera de cuire; qu’il est et sera toujours sûr de son approvisionnement; qu’il peut mè ne pourvoir à celui de quelques-uns de ses confrères. Il ne peut parvenir à loucher ses accusateurs, qui, impatients de ne pas voir prononcer selon leurs vœux, le mettent à mort. Les témoignages rendus à la probité de cet homme, venaient à l’appui de la demaodeinstante que faisait le président du district, au nom de la commune, du décret de la loi martiale; venait encore à l’appui de cette demande, la réflexion qu’en effet la terreur dont seraient frappés les boulangers, dans le cas où il ne serait pas possible de contenir le peuple, les déciderait certainement à fuir, ce qui ne manquerait pas d’amener la famine. D’après ces réflexions, le président de l’Assemblée nationale convoqua le comité de rédaction et celui de Constitution, pour aller de suite se réunir, rédiger la loi et la présenter à l’Assemblée. Pendant que l’on s’en occupait, la délibération est ouverte sur cette matière; plusieurs opinants développent la nécessité de décréter cette loi, dès le jour même. Deux opinants se font entendre avec infiniment d’éloquence; pour combattre cette nécessité, ils énoncent que, dans le moment actuel, cette loi est du plus grand danger;, un d’eux a fait entendre ces mots: Je ne redoute rien, qu’un peuple affamé. C’était le même opinant qui avait ait entendre [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes,] 427 un projet de cette loi, qu’il ne voulait étendre qu’à 15 lieues [de la capitale . Il insistait sur la motion qu’il avait faite la veille, à laquelle il donnait l’interprétation suivante : elle n’avait (disait-il alors) pour objet que de connaître les moyens dont avait besoin le pouvoir exécutif, pour pourvoir à l’approvisionnement de Paris, afin, de les décréter, et de le rendre responsable de l’événement. Ayant demandé la paro’e, j’ai cherché à développer la nécessité indispensable qu’il y avait à décréter, dès le jour même, une loi qui n’avait été que trop retardée, à l’étendue au royaume entier ; ce qui devenait d’autanhplus nécessaire au salut de la capitale, qu’il était démontré, par les comptes rendus précédemment à l’Assemblée, que c’était les attroupements et les entreprises de toutes les milices des municipalités où passaient les subsistances de Paris, qui empêchaient cette capitale d’être approvisionnée ; qu’une loi qui n’aurait d’effet qu’à Paris et dans ses environs, n’autoriserait pas les chefs des municipalités ni des milices, neleur permettrait pas d’établir les règles nécessaires à l’ordre, qui seul peut faciliter la libre circulation des grains, si la loi n’avait point vigu-ur également dans tout le royaume; qu’enûn il est inutile de consulter le pouvoir exécutif, pour connaître les moyens qufil requérait de l’Assemblée pour pouvoir à l’approvisionnement de la capitale; que la loi suffisait à promulguer, puisque c’était à ce pouvoir de la faire exécuter; que sitôt après sa promulgation, ses agents devenaient responsables de leur négligence. Il était prouvé par ce qui avait été entendu le jour même dans l’Assemblée que c’était moins le défaut de subsistance que le désordre qui régnait chez les boulangers, qui causait la disette dont on se plaignait ; que le seul moyen d’établir cet ordre, était d’en imposer par une loi qui mît la force dans les mains du pouvoir exécutif : en conséquence, je concluais à ce que le décret de la loi martiale fût porté dans le jour, et que la séance fût continuée jusqu’à ce qu’elle fût décrétée. Cette loi a été décrétée, et l’ordre rétabli dans le jour même, dès que son prononcé a été connu. Dans le cours de cette séance, j’eus connaissance que la lettre écrite au nom M. de Neufbourg, mon collègue, et au mien, à MM. de Ph aïs-bourg, dont nous sommes représentants, ainsi que des autres bailliages et prévôtés de l’arrondissement, pour leur faire part de la motion faite par M. de Volney, était imprimée et circulait, ainsi que la réponse de MM. les officiers municipaux de cette ville, réponse que je n’ai jamais reçue. J’y ai lu, avec le plus grand étonnement, je l’avouerai, la manière dont avait été interprétée, l’on pourrait ajouter travestie, dans cette ville, une phrase de cette lettre qui est cependant excessivement simple. Le sens littéral de cette phrase est que la représentation qui sera fixée par l'Assemblée, sera vraiment légale, oui, plus légale que celle qui a été prononcée par le législateur, provisoire. Assurément, il n’e.st personne qui ne doive convenir qu)une loi définitive, portée par le pouvoir législatif ou les représentants d’un grand peuple, ne soit plus légale que la loi d’un législateur provisoire, qui n’use de cette autorité qu’en l’absence du pouvoir législatif réel. L’on s’est bien gardé de dire que la législature future aurait plus d’autorité, plus de pouvoir de faire des lois que la législature présente; mais on a dû dire qu’elle serait plus légale, et pour l’avoir énoncé, l’on ne peut et l’on ne doit pas s’attendre à se voir imputer gratuitement les opinions que prête la municipalité de Phalsbourg aux auteurs de la lettre, dont, au reste, les opinions et la loyauté sont connues pour pouvoir être inculpées. Le repos d’une bonne conscience fonde la tranquillité de ces deux représentants qui assurent MM. delà municipalité de Phalsbourg qu’ils en auront peut être de plus selon leur goût, mais jamais de plus irréprochable. MM. de Custine et deNeurbourg énoncent cette opinion avec le respect qu’ils doivent à ceux qu’ils représentent, et l’assurance que leur donne la pureté de leurs intentions. Cette lettre a été interprétée de diverses manières : je crois cependant qu’il n’y en avait u’une dont elle pût être entendue, qu’elle ne evait paraître autre chose qu’une preuve non équivoque du respect des deux députés pour leurs commettants, et du désir de leur prouver leur intime persuasion que ne se croyant rien que par eux, ils désiraient connaître, par l’organe des municipalités, quelle était l’opinion la plus générale, afin de la prendre pour guide, dans une circonstance non prévue parleurs mandats, ainsi qu’on pourra le. juger par la copie littérale de cette lettre qui est placée ci-après : Versailles, le 18 septembre 1789. « Nous avons l’honneur de vous faire part, Messieurs, d’une proposition qui a été faite à l’Assemblée nationale, par M. de Volney, et appuyée de suite par un très grand nombre de membres de l’Assemblée, parmi lesquels nous nous sommes empressés de fai/ e connaître notre vœu de voir procéder à une nouvelle convocation d’Assemblée nationale, formée d’après le nouveau plan de répartition qui sera arrêté dans l’Assemblée, afin que la représentation puisse y être vraiment légale. L’Assemblée aujourd’hui existante continuera ses travaux jusqu’à l’époque où s’assembleront les représentants élus dans les nouvelles assemblées, époque à laquelle ceux qui sont ici présents, et n’auront point été compris dans les nouvelles convocations se retireront, laissant les travaux qu’ils auront ébauchés à finir aux représentants choisis par la nation. Nous nous empressons de vous faire part d’une disposition qui, sans être arrêtée, a paru trop unanimement accueillie, pour ne pas espérer la voir se réaliser; vous serez à même de vous choisir, Messieurs, des représentants qui puissent remplir, selon vos vœux, les mandats qu’ils recevront de vous. En attendant, croyez que, jusqu'au dernier moment, nous apporterons la même activité, le même zèle, à remplir de notre mieux les fonctions qui nous sont données de coopérer à la régénération de ce royaume, unique objet de nos travaux et de nos vœux : nous vous prions de vouloir bien en faire part aux trois ordres. « Nous avons l’honneur d’être, avec les sentiments d’un respectueux a! lâchement, Messieurs, vos, etc. » Sur les qualités nécessaires pour être électeur et éligible. Le 22, j’ai vu à regret décréter qu’une contribution aussi faible que celle égaie à 3 jours de travail, suffisait pour obtenir la qualité d’électeur : j’aurais préféré qu’elle fût prononcée 428 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] égale au moins à 3 onces d’argent. J'avouerai qu’il est possible qu’il se trouve des moments où de pareils électeurs deviennent faciles à gagner, et qu’alors l’aristocratie des riches pourrait prendre un grand empire : aussi n’est-ce qu’à regret que j’ai vu porter ce décret. Ce regret serait fort augmenté si les assemblées primaires s’élevaient jusqu’à 800 électeurs, car, alors, comment y établir l’ordre ? Les lois que porte l’Assemblée nationale dans cet instant, devraient, cependant, présenter un caractère immuable, que la sagesse de ses décrets pourra seule leur donner. Ce qui a été décrété jusqu’ici par l’Assemb!ée nationale, peut prendre ce caractère, mais il faut que toutes les lois qui émaneront d’elle pour régler ses précédents arrêtés, soient faites avec une grande justesse : car de ces lois dépend aujourd’hui le succès de ses travaux. Si les biens clu clergé appartiennent ou non à la nation. Dans la discussion qui s’est élevée dans la séance du 23, pour prononcer si les biens du clergé appartiennent à la nation, grand nombre d’opinions se sont fait entendre, qui toutes avaient pour bases, que le véritable propriétaire était celui qui pouvait disposer de ses biens; que le clergé n’était qu’usufruitier, n’ayant pas la disposition des siens, ne pouvait être être considéré comme un véritable propriétaire; que la nation pouvait seule disposer de ses propriétés; que les rois ayant en grande partie doté les bénélices ecclésiastiques avec les biens du domaine, et ces biens, de leur nature, étant inaliénables, la nation pouvait en disposer. Tel est en substance ce qui a été dit pour accréditer que les biens du clergé appartenaient à la nation. A mon sens, j’avouerai que je trouve que ce raisonnement n'est pas même spécieux : car Ton pourrait en induire qu’un substitué, un mineur, un possesseur de fief, qui ne peuvent pas plus vendre et aliéner qu’un mainmortable, ne sont pas de véritables propriétaires, que par conséquent, leurs biens appartiennent à la nation, et de raisonnements en raisonnements, on finirait par conclure qu’il n’y a pas de propriétés. La seule partie de ce raisonnement qui paraissait, en effet, soutenable, était celle qui portait la dotation des bénéfices faites par les rois; encore ce raisonnnmerit n’a-t-il pas le même valeur pour toutes les provinces du royaume, au moins si Ton suit les règles de la justice (1). Une saine politique exige aussi qu’on se contente de rappeler à leur véritable institution les biens du clergé; car un grand nombre de bénéfices existant en France, ont leurs biens situés sous une domination étrangère, et l’on assure que la perte de la France, dans cette balance, serait dans le Hainant, le Carabrésis, la Flandre, et toute cette frontière, de près de 3 millions de revenus par an : cette raison énoncée a peu fait de sensation dans l’Assemblée nationale. Il en a étédonnéune qui, autre selon moi, ne de-(1) It est plusieurs provinces réunies au royaumedont les anciens souverains pouvaient aliéner leurs domaines; telle était la Lorraine, où il fallait que les souverains se réservassent la faculté de réachat; ce n’est donc que depuis la réunion de la Lorraine à la France, que les domai-des aliénés sous cette faculté peuvent être réunis. vait point arrêter l’Assemblée, et je dois la réfuter pour la province que je représente. Cette raison est que les provinces où sont situés les biens ecclésiastiques, ne verront pas avec plaisir vendre ces biens, pour en payer la créance de l’Etat : Je demande ce que peut faire à ces provinces la vente de ces biens à des capitalistes créanciers de l’Etat. Dans un gouvernement où tous prennent part à l’administration, ces capitalistes devenus possesseurs de biens-fonds, sous peine de perdre toute considération, de devenir des êtres nuis dans la société, doivent venir habiter les arrondissements où seront assis leurs fonds; et alors, que l’on me dise quel tort pourrait faire aux provinces la vente de ces fonds. Ce ne sont pas de telles raisons qbliss> ment et de placement de fonds, c’est alors qu’il sera temps de libérer les créances de l’Etat. Cette créance, aujourd’hui, est le Trésor de la nation, puisque c’est elle qui lui vaut la liberté; sans cettecréance, les Français condamnésàunéter nel esclavage, n’auraient jamais rompu les entraves du joug ministériel. C’est ce joug qu’il faut secouer ; l’autorité législative des rois n’en sera que plusgranle; l’amour d’une nation qui, par caractère (ainsi que me le dit un jour un souverain), ai me ses rois, ne leur sera que plus assuré. A quelles actions, à quels sacrifices, une flamme aussi pure (1) ne peut-elle pas porter une nation ? Je le répète, il n’est que les profond s racines qu’a jetées parmi nous l’amour de celte autorité arbitraire ministérielle, qui puisse aveugler au point d’obscurcir une vérité qui, dans les beaux jours de la liberté française, luira dans tout sou éclat; mais ne vous y trompez pas; si vous ne conservez encore quelque temps votre créance, votre liberté n’aura été qu’une effervescence qui n’aura produit autre chose que le désordre et la licence : pour les réprimer, vous verrez renaître les persécutions ministérielles, qu’emploieront les dé positaires de l’autorité, avec d’autant plus de sécurité que l’effervescence sembh ra les justifier. Français, votre roi est bon, il est juste; et ce serait de ces vertus mêmes que les homme -s amoureux de l’autorité arbitraire se feraient des armes contre vous ; ils ne manqueraient pas de faire valoir, d’exagérer tous les événements, suite nécessaire des nouvelles lois, que Fou interpréterait pour en imputer les effets aux Assemblées nationales : ils chercheront les moyens d’en corrompre les représentants pour parvenir à éloigner vos a-semblées, bientôt après à les détruire. Iis faut bien, sans doute, que la force publique soit entretenue : l’on ne pourra se dispenser de continuer les impôts qui y seront affectés ; il n’est que ceux nécessaires aux payements des arrérages de la créance qui, cessant si les assemblées ont un terme, puissent enchaîner les préjugés et les forcer au silence. Avant qu’aient disparu de la terre ceux avec lesquels ont vieilli les préjugés, ceux dont il serait injuste d’exiger le changement, car on ne peut commander aux opinions (2), ce qu’il faut, c’est de les enchaîner par un ordre de choses auquel ils ne puissent se soustraire : cet ordre (l) Elle est chez les Français le feu de l’électricité. (2) En semblable occurrence, que fait l’homme sage? il fait des vœux, pour que la lumière apparaisse à celui qui est daus les ténèbres, car telle est l’atmosphère des préjugés. 432 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 1 Annexes .] précieux à conserver encore quelques instants, c’est votre créance publique, que j exhorie à ne point acquitter jusqu’à l’époque où, remplacée par une caisse nationale acci éditée, qui aura dans ses mains tous les fonds des capitalistes, elle aura aussi intéres é toute la nation à ne pas laisser aux mains du pouvoir arbitraire la fortune de tous les individus. Nul ne peut ignorer les efforts encore récents de celui que l’opinion a investi du crédit qui l’a placé à la tête des affaires, pour reconquérir ce pouvoir arbitraire-, le refus de sanction des arrêtés de l’Assemblée nationale n’est-il pas une preuve de l’espoir qu’il en conservait pour l’avenir? Et quelle raison induire de l’avoir vu céder le roi, après l’avoir compromis? sinon que sa pusillanimité ne lui a pas permis de soutenir ce que son audace irréfléchie lui avait fait entreprendre (1). N’en est -ce pas assez pour prouver à l’Assemblée nationale qu’il n’e.'t pas temps encore de faire cesser la créance publique? Il s’eu faut que je veuille exciter sa défiance, ni diriger ses délibérations vers l’abolition de la puissance royale : ma profession de foi est faite depuis longtemps. Je crois que, dans cette vaste monarchie, il ne peut y avoir de liberté publique si la puissance exécutrice n’est dans sa plénitude entre les maies d’un seul ; mais je ne crois pas, avec une foi moins inébranlable, qu’il ne soit indispensable qu’une Asseihblée nationale, réunie chaque année, impose une sainte terreur aux agents de ce pouvoir, quels qu’ils soient, s’ils étaient tentés d’en abuser. L’on me verra toujours déployer une égale fermeté pour assurer l'entière exécution des deux principes; également, je serai toujours disposé à les sceller de la dernière goutte du sang qui coule dans mes veines. Les plus grands ennemis de ma patrie seraient à mes yeux ceux qui voudraient ailénuer l’un de ces deux principes (2). (1) Je dis avec confiance, ce ministre pusillanime et audacieux. Ce que j’ai dit, je vais le prouver. Cet homme a-t-il pris un parti, au milieu îles discussions des ordres ? Son silence sur le fait sur lequel il s’était avancé en compromettant l’Assemblée nationale, lors de son triomphe à l’Hôtel de Ville de Paris, ne sont-ce pas là des preuves d’audace et de pusillanimité ? Un homme dont l’âme eût été vraiment grande, les moyens vraiment justes, je dirai plus, le génie vraiment patriotique, n’aurait-il pas parlé le langage de la vérité aux ordres assemblés? n’aurait-il pas su que ce langage seul peut avoir de l’empire sur les hommes? n’aurait-il pas partant du même principe en arrivant à l’hôtel de ville de Paris, annonçant le vœu du Corps helvétique, en faveur du baron de Bezenval, ajouté que pour le faire valoir, il voulait lui-même connaître la vérité, la mettre en évidence ; que ce n’était qu’après l’avoir connue qu’il voulait faire valoir ses raisous auprès d’un peuple juste et généreux, au lieu de tenir une telle conduite, il se croit le crédit de faire tomber à sa voix les décrets de l’Assemblée : étonné de ce qu’elle n’a pas produit l’effet qu’il eu attendait, depuis cet instant, le silence est devenu son rôle. (2) L’Assemblée nationale, sollicitée par un de ceux qui la composent, dont l’éloquence persuasive, les spécieux raisonnements, le grand art d’émouvoir les sensations qui dirigent les hommes, forment le caractère, n’a cependant pas encore prononcé si, oui ou non, les biens au clergé appartenaient à la nation ; l’opinion du promoteur do cette demande est sur cet objet trop connue, pour qu’il lui fût nécessaire de la développer. Il a sans doute compté sur l’influence que, depuis Je reviens à mon sujet : si les biens du clergé ne pouvaient être donnés à la nation, ce qu’en effet je serais assez tenté de soupçonner re pouvoir avoir lieu, même par la volonté des possesseurs actuels, qui, n’étant que des usufruitiers, ne peuvent disposer, quel parti prendre alors? Je le crois simple, tout autant au moins que celui de déclarer les bn ns du clergé appartenir à la nation. D’une part, elle peut décréter la conversion des dîmes, en une prestation en argent, la Dation peut aussi, observant l’abus fait des revenus ecclésiastiques, les ramener à leur véritable destination, diminuer le nombre des évéchés, supprimer les maisons religieuses en les réunissant, supprimerde même lesabbayes en commen-des, vendre les enclos et les maisons de ces établissements inutiles, qui ne seraient qu’onéreux; autoriser un jour le réachat des dîmes; employer les fonds qui en proviendront à l’acquittement d’une dette égale à celle du clergé, à doter des cures, des vicariats, des hôpitaux, des collèges. Quelle facilité un semblable parti ne donnerait-il pas pour établir économiquement de nombreuses et riches manufactures qui, répandues dans les campagnes, y verseraient la richesse. Je ne vois pas que, pour une semblable opération, que pour établir cet ordre de choses, il soit nécessaire que le clergé donne ses biens à la nation, ou que ses représentants se donnent l’air de les lui arracher. Pour moi, qui aime l’ordre, mais non la violence, j’avouerai que je préférerais infiniment ce dernier ordre de choses, qui ne serait pas, je le pense, moins utile à la nation ; en conséquence, je proposerais de fixer, dès ce moment, le nombre des curés, celui des vicaires, celui des archevêques et évêques, le lieu de leur résidence; la réunion des monastères, la forma-quelque temps, il a su prendre sur l’Assemblée, influence qu’elle n’a cependant pas tardé à reconnaître lui avoir fait mettre trop de précipitation dans ses délibérations et même en omettre de sages qu’elle aurait u prendre ; que déjà nombre de nos commettants sem-lent regretter de n’avoir pas vu arrêter. Je partage la sensation irrésistible de cette éloquence ; mais, mes yeux, frappés de l’éclat du génie de cet opinant, n’ont cependant presque jamais reconnu dans ses opinions ue des éclairs éblouissants, cachant des précipices et es erreurs. J’ai souvent regretté que personne ne pût, par une éloquence égale, développer les sophismes que je voyais enveloppés de ces lueurs d’éloquence ; et à ce rang, je placerais les milices des municipalités ; il n’a pu entraîner l’Assemblée à les sanctionner, mais le royaume les a formées ; le décret des dîmes du clergé, l’epoque à laquelle l’adresse aux commettants a été décrétée. Serait-il donc possible qu’un aussi éclatant génie ne pût s’allier à cette justesse, vertu si nécessaire dans les grandes révolutions ? Ou que la nature n’eût pu placer, dans le même être, avec tant de facilité, qu’un penchant tel, une pente telle qu’ils le conduisent toujours irrésistiblement à des résultats er-ronnés ? Cet homme n’a pas hésité de vous exhorter à la paix, à la concorde, dans la séance du 19 octobre, en parlant devant la municipalité de Paris, de faire connaître son vœu de voir les vrais amis de la liberté, les bons citoyens ne plus troubler cette harmonie par un excès de zèle, lui qui, naguère, a accusé un ministre du roi, soutenu son accusation sans en avoir fait connaître les preuves; lui qui précédemment avait cité un autre pour avoir avancé des faits peu exacts, sur le commerce des grains, accusation que, le lendemain, il a été forcé de rétracter. Il aurait pu, cet opinant, mettre en évidence les faux partis pris sur le commerce des grains ; il n’aurait pas été forcé de se rétracter ; mais une accusation d’inexactitude pourrait difficilement trouver croyance ; et, en dernière analyse, il aurait pu se contenter de prendre pour lui la leçon qu’il voulait donner aux autres. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 433 lion des collèges ; je proposerais de décréter, pour l’avenir, la suppression de certains évêchés, de certains archevêchés, de toutes les abbayes en commende ou régulières. L’Assemblée nationale devrait décréter aussi que tous les curés des cures supprimées pourraient conserver l’habitation de leur cure, leur vie durant; que ces habitations après eux seraient vendues, à mesure qu’il mourrait un de ces curés, qu’il serait placé un vicaire de plus au presbytère central; que tous les vicaires placés dans cet instant seraient pris parmi les moines mendiants; que tous ces ordres seraient supprimés; qu’il ne serait plus nommé à de nouveaux évêchés ni archevêchés jusqu’à ce que le nombre en fût réduit à 80. Que, vacance arrivant, l’cn ne nommerait plus aux évêchés supprimés; que les évêchés conservés ne seraient remplacés que par les évêques qui occuperaient les sièges supprimés, et cela, jusqu’à leur réduction à 80. Il en serait de même des curés. Tous les collèges et couvents fondés qui ne seraient pas suffisamment dotés, tous les ordres religieux supprimés qui n’auraient pas de fonds pour acquitter la pension de 800 livres accordée aux individus de ces ordres, parce qu’ils ne seraient point employés, seraient, ainsi que la dotation des hôpitaux, celle des aumôniers, le payement des invalides, des hôpitaux de terre et de mer, pris de même sur les fonds des évêchés, archevêchés, abbayes et monastères supprimés, ainsi que ceux nécessaires à l’entretien des ateliers ou des maisons de charité ; et à raison d’insuffisance de ces fonds, il serait levé un tribut sur tous les ecclésiastiques (et cela, en sus des impositions auxquelles ils sont tenus), pour pourvoir à la dépense des hôpitaux militaires, même en guerre; ceux de marine doivent de même être payés par eux. Cette dépense, je ne la dissimule pas être énorme en guerre ; elle ne produirait d’autre effet que la diminution d’un vain luxe, et les individus qui le forment seraient employés utilement pour le service de l’Etat. Les représentants de la nation, justes envers le clergé, en établissant cet ordre de choses procureraient un immense soulagement au Trésor public, puisque les dépenses des hôpitaux, bâtisse des églises, payement des aumôniers, abolition de la mendicité, et tant d’autres objets grèvent immensément le Trésor public. Les représentants de la nation ne doivent jamais consentir à un forfait avec le clergé, pour en recevoir, outre la contribution ordinaire une contribution extraordinaire pour pourvoir à toutes les dépenses que l’on vient d’effacer des états du Trésor public, puisque ce serait laisser un moyen de ramener l’esprit des ordres, et d’une aristocratie toujours dangereuse : de belles dispositions con-duisentà desassemblées du clergé. L’Assemblée nationale doit aussi décréter que tout ecclésiastique absent du royaume, doit voir son pouvoir temporel saisi, pour être appliqué à des charités. J’avoue que je ne vois point sans horreur un ministre des autels, qui a jeté cette nation dans l’état de crise où elle est, décoré, enivré de la pourpre romaine, en soutenir le luxe hors du royaume, avec le produit des bénéfices immenses que son avarice sans pudeur a accumulés sur sa tête, dans le court espace d’une administration sacrilège : quel nom donner en effet à l’administration de celui qui, sans plan, sans idées comme sans génie, n’ayant d’autre esprit que celui des cercles et de l’intrigue, n’a Série. T. XXXII. paru à la tête des affaires que pour y donner des preuves de son impéritie, de son audace et de sa nullité? Je me résume. Tout concourt à prouver que le clergé ne peut donner ses biens à la nation; il n’en peut même pas aliéner une portion. La nation ne pourrait même recevoir ce don pour en faire l’emploi qu’indique l’auteur de la nation sur les biens du clergé, puisque cet emploi tendrait manifestement à dépouiller le pauvre, véritable propriétaire de ces biens, pour en investir le riche qui en deviendrait l’usurpateur. J’ai prouvé que les calculs faits par l’opinant pour la partie des biens que doit conserver le clergé d’une manière durable sont infiniment exagérés ; car, en laissant, par la distribution qui en est faite, assez de latitude aux revenus du clergé conservé pour soutenir son état avec décence et venir au secours de l’indigent, les sommes nécessaires pour subvenir à cette dépense ne s’élèveraient pas au-dessus de 74,572,000 liv. Il n’existe plus de précision dans la demande que fait l’opinant, de fonds nécessaires pour subvenir à la dépense du clergé actuel, puisque, même en dépouillant une partie des possesseurs, ne leur laissant que ce qu’il y aurait injustice criante à leur refuser pour leur subsistance, les 100 millions demandés par l’auteur de la motion, ainsi qu’on peut s’en convaincre par le tableau, seraient insuffisants pour subvenir à la dépense qui lui serait affectée. Il resterait les hôpitaux à doter, la mendicité à abolir; il ne peut être de l’intérêt de la nation d’acquitter dans ce moment-ci la créance publique; il est bien moins de son intérêt, encore, de vendre les fonds du clergé : de si faux calculs, un prononcé aussi peu juste que serait le décret qui déclarerait les biens du clergé appartenir à la nation, toutes ces considérations ne doivent-elles pas décider les représentants à se renfermer dans leurs fonctions, à réformer les abus faits de ces biens, à désigner, dès ce moment, la suppression des archevêchés, des évêchés, des cures trop nombreuses, mais par l’extinction des titulaires actuels ; la création des vicaires, mais ne les plaçant que dans la proportion de la réunion des annexes aux cures conservées; l’extinction des ordres mendiants, en faisant servir les sujets dans l’âge où l’homme est propre au travail, comme vicaires dans les cures ; prononcer enfin la création de collèges, la réunion des maisons religieuses des deux sexes, la suppression des archevêchés et évêchés désignés pour être retranchés ; la dotation de toutes les maisons d’éducation avec les biens des maisons supprimées, la dotation des hôpitaux avec ces mêmes biens ; la fixation de ceux qui seront dotés, à l’avenir, avec les fonds appartenant aux maisons qui seront supprimées à l’extinctioo des moines, avec ceux des abbayes, prieurés en commende, chapitres et collégiales, supprimées de même à l’extinction des titulaires actuels, et qu’en attendant tous les ecclésiastiques les doteront dans la proportion de leur revenu : voilà ce que présente la proposition faite par les articles suivants : Art. 1er. Toutes assemblées du clergé, chambres ecclésiastiques, seront et demeurerout à jamais sup-28 [Annexes.] 434 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. primées, pour les intérêts de cette classe respectable de citoyens, être désormais réunis à la masse générale de ceux de la nation, dont elle ne fait qu’une légère partie. Art. 2. Tous agents du clergé, officiers, en organisant l’assemblée, de quelque rang qu’ils soient, seront et demeureront supprimés de même ; et cependant ils achèveront la comptabilité qui leur est confiée, pour leurs registres être fermés par les commissaires nommés par l’Assemblée nationale à l’époque désignée par elle pour la nouvelle administration des biens du clergé, la nouvelle répartition de ses impôts, qui seront confiés, ainsi que ceux de tous les citoyens, aux assemblées. Art. 3. Il ne sera conservé dans le royaume que 72 é-vêchés et 8 archevêchés qui seront ....... Art. 4. 11 ne sera conservé dans le royaume que 800 cures qui seront ............... Art. 5. 11 sera créé 40,000 vicariats, dont les vicaires habiteront avec les curés, dans les presbytères où ils seront répartis, à raison d’un par cure ou annexe, et encore à raison de la force des paroisses dans les grandes villes. Tous ces vicaires seront sous la discipline immédiate des curés, archiprêtres, et ces derniers sous celle des évêques. Les maisons religieuses conservées seront sous leur discipline de même. Art. 6. Tous les archevêchés, évêchés et cures surnuméraires et non énoncés ci-dessus, ainsi que les abbayes, prieurés, collégiales, chapitres et cathédrales, monastères et maisons religieuses non é-noncées dans l’énumération des maisons conservées, seront et demeureront supprimées, dès aujourd’hui, et cependant, les curés actuels des cures supprimées continueront à les desservir, ne devant y avoir de vicaires placés au presbytère central qu’à leur mort. Vacance d’aucun de ces bénéfices arrivant, nul ecclésiastique ne pourra y être promu; et si aucun évêché ou archevêché conservé vient à vaquer, ce siège sera rempli par un des archevêques on évêques supprimés. Art. 7. Il en sera de même des cures, et on aura seulement attention de ne choisir aucun curé pour remplacer les cures vacantes au-dessus de l’âge de 50 ans. Art. 8. Les moines mendiants seront employés comme vicaires dans toutes les paroisses auxquelles il en sera, dès cet instant, donné. Art. 9. Tous les ordres mendiants, savoir les maisons ci-après dénommées, celles de, etc ............. seront et demeureront dès aujourd’hui supprimées, et les ordres éteints; les individus de ces ordres trop âgés pour être employés utilement à la surveillance spirituelle, seront placés dans des collèges où ils vivront dans la règle monastique, sous la discipline des supérieurs ecclésiastiques. Art. 10. Il sera conservé 440 maisons des ordres ci-après désignés, et dans les lieux marqués ci-après, savoir celles de ....... ................. pour former les collèges destinés à l’instruction de la jeunesse. Art. 11. Toutes les autres maisons d’ordres religieux seront réunies dans des maisons où ils pourront vivre 40 en communauté ; expresse défense leur sera faite de recevoir des novices. Les officiers publics et municipaux, les assemblées de province et d’arrondissement seront chargés d’y tenir la main. Art. 12. Toutes les maisons supprimées par ce nouvel ordre de choses, seront affichées et mises en vente dans 8 mois, à dater de ce jour. Art. 13. Toutes les abbayes en commende et prieurés réguliers ou séculiers seront et demeureront, dès aujourd’hui supprimés ; expresses défenses faites de remplacer aucun des pouvoirs actuels, qui continueront à jouir, leur vie durant, de leurs abbayes ou prieurés. Art. 14. Tous les biens des maisons supprimées seront administrés par les assemblées secondaires, sous la surveillance des assemblées provinciales, et leurs revenus, versés au Trésor public. Art. 15. La dîme sera convertie en une prestation en argent, sur le pied estimatif du bail actuel, en déduisant un sixième de sa valeur ; et le montant de cette estimation sera réparti par les municipalités, à raison de ce qu’il était prélevé de cette dîme sur les terres de possesseurs qui y étaient assujetties. Dans les dîmes qui n’auraient point été affermées, il sera fait une estimation à l’amiable entre les propriétaires des terres et les possesseurs des dîmes, où les officiers municipaux des deux municipalités les plus voisines, seront appelés comme arbitres en cas que les parties ne conviennent point de la prestation pécuniaire qui devra remplacer la dîme; dans le cas où les propriétaires des terres assujetties à la dîme préféreraient continuer à la payer en nature, ils y seraient autorisés. Art. 16. Tous les presbytères et collèges du royaume, hôpitaux et maisons religieuses églises et cathédrales seront désormais bâtis sur les fonds des évêchés, archevêchés et maisons religieuses, collégiales, et chapitres abbayes, monastères, prieurés [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 4g5 et séminaires supprimés; sur ces mêmes fonds, seront de même payées les dépenses des hôpitaux militaires tant de terre que de mer, en paix comme en guerre, ainsi que la bâtisse et les réparations desdits hôpitaux, de même que les appointements et traitements des aumôniers militaires de terre et de mer, tous les hôpitaux, collèges et maisons d’éducation conservés, séminaires conservés de même, qui ne seraient point suffisamment dorés ; il y serait pourvu sur les fonds des maisons supprimées. Art. 17. Les ateliers de charité seront payés par les mêmes fonds. Il en sera de même des bourses établies dans les collèges pour l’éducation et l’instruction des pauvres; le payement des vicaires sera pris sur les mêmes fonds, auxquels seront joints les revenus des dîmes de toutes les cures supprimées. Les 8,000 cures conservées seront portées à 3,000 livres de portion congrue, qui seront réparties selon les lieux, pourvu que la moindre soit de 1,800 livres ; et en outre, dans les villes et bourgs, le casuel sera payé par toute personne qui sera imposée à plus de 6 livres, pour la contribution publique. Art. 18. Toutes les maisons religieuses des 2 sexes de quelque ordre qu’elles soient, non employées à l’éducation, seront et demeureront supprimées, ainsi que les ordres entiers qui n’auraient point les fonctions attribuées à l’instruction de la jeunesse. Tous les moines et toutes les religieuses de tous ces ordres supprimés, ceux qui habiteront des maisons non employées à l’éducation seront réunis dans des maisons où ils pourront être établis 40 en communauté, pour voir arriver l’extinction de ces communautés et maisons. Art. 19. Lorsque ces maisons seront réduites à 6 personnes, elles seront réparties dans celles conservées, destinées à l’éducation, et les maisons qu’elles habitaient, vendues. Art. 20. Aucune maison de religieux ni de religieuses, ne pourra plus recevoir de novices, à dater de excepté dans les collèges et couvents destinés à l’éducation. Art. 21. 11 ne sera plus fait de vœu avant l’âge de 25 ans révolus. Art. 22. Tous les séminaires qui ne seront pas sous la discipline des archevêchés et évêchés conservés, seront et demeureront supprimés, et seront réunis à ceux des archevêchés et évêchés conservés. Art. 23. Tous les revenus des maisons religieuses des 2 sexes qui seront supprimées, les dîmes des cures non remplacées à l’époque de leur extinction, ceux des abbayes non remplacées de même; les revenus des archevêchés et évêchés, aussi non remplacés, seront employés au payement de toutes les portions congrues des curés des cures conservées, au payement de tous les vicaires, à la dotation des hôpitaux, des collèges, des séminaires, des couvents d'éducation de tilles, et des bourses à établir dans ces différentes maisons dans lesquelles, selon la force de ces maisons, il en sera fondé 12, 18, 24 ou 40 ; au supplément nécessaire aux charités publiques, pour abolir la mendicité, au payement des fonds des ateliers de charité. Art. 24. Les archidiacres de chaque diocèse seront choisis dans le nombre des chanoines, et il y aura une double prébende attachée à cet emploi, pour en former le traitement et remplacer celui auquel suffisaient les déports. Art. 25. Tous ecclésiastiques de tous rangs et dignités, qui résideront hors du royaume (le seul ambassadeur de Rome excepté) pendant l’espace de 2 mois, verront tous leurs bénéfices saisis, et prononcer que tous ces mêmes revenus sont im-pétrables ou supprimés s’il y a lieu : l’absence de son emploi, en faisant cesser toutes les fonctions, doit aussi en faire cesser les émoluments ; pour ces revenus être appliqués à leur destination, qui ne peut être de fournir au luxe des prélats ; et à cet effet, ils seront versés, à dater de ce jour, dans ia caisse nationale, si dans 2 mois ils ne sont rentrés dans le royaume, époque à laquelle il y sera nommé, et les revenus versés dans la caisse. Art. 26. Tous les ecclésiastiques, de même absents de leurs diocèses, ou de l’emploi auquel ils sont destinés pendant plus de 3 mois, quoique dans le royaume, verront les revenus de leur bénéfice saisis et versés, dans la caisse nationale, pour être appliqués aux usages destinés aux revenus ecclésiastiques, et cela pour tout le temps qui aura excédé les 3 mois d’absence qui leur sont accordés chaque année. Art, 27. Il y aura un hôpital dans chaque district pour y recevoir les pauvres malades de l’arrondissement ; ces nouveaux hôpitaux, ainsi que les anciens, seront dotés par les fonds des maisons ecclésiastiques, archevêchés, etc... supprimés ; et, en attendant leur suppression, il sera attribué à ces hôpitaux des fonds payés par le clergé. En cas d’insuffisance des fonds ci-dessus désignés, il y sera suppléé par une contribution extraordinaire, répartie sur tous les pourvus de bénéfices, en proportion de leurs revenus, et cela, indépendamment de ceux payés pour la contribution de ces biens, pour l’entretien de la force publique, nécessaire à leur protection. Ces articles ne sont que des idées jetées, mais contenant celles développées dans le mémoire 436 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] que je soumets au jugement du public et de l’Assemblée nationale. Il est beaucoup de ces mêmes articles qui sont la matière d’un règlement que je n’eutreprends pas de former, et que peut développer le comité ecclésiastique. Il est inutile de remarquer ici que je me suis bien gardé de proposer une assemblée du clergé, non plus qu’une chambre ecclésiastique, et j’ai même fait observer qu’à jamais toutes assemblées du clergé seraient et resteraient supprimées, le clergé ne pouvant plus former ni un ordre, ni un corps. ÉTAT des ecclésiastiques employés au service du culte, à l’instruction de la jeunesse , au service des hôpitaux , etc. et de leur salaire. Nota. — Il y a 34,498 curés en France et la réduction des curés à 8,000 • formerait une suppression de 26,498, auxquels on donnerait 900 livres de retraite; mais cette dépense n'aurait pas lieu, puisque les curés actuels resteraient possesseurs de leurs cures, et que celle marquée pour être le chef-lieu d’un arrondissement, ne jouirait des 3,000 livres fixées pour son traitement, que quand les curés viendraient à mourir ou à se retirer; to archevêques à supprimer, à 50,000 livres de retraite, 500,000 livres ; 45 évêques à 25,000 livres de retraite, feraient 1,125,000 livres ; plus 18 chefs d’ordres à 3,000 livres, fait 54,000 livres. État. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 437 ÉTAT de ce que Von donnerait aux ecclésiastiques supprimés. La séance du lundi 26 a été employée aux débats qu’avait fait naître la convocation de la province du Dauphiné, par la commission intermédiaire de cette province; il fut énoncé dans ces débats que le seul moyen d’intervertir tout ordre dans le royaume, serait d’autoriser ces assemblées de province, avant qu’un nouveau mode de convocation et une nouvelle répartition eussent été fixés par l’Assemblée nationale ; que le seul moyen d’acquérir cette uniformité, si nécessaire dans un gouvernement où il y a un corps législatif toujours existant, qui ne peut particulariser les lois pour diverses localités; la seule manière, dis-je, de pouvoir obtenir le calme et la tranquillité sans lesquels il ne peut exister d’ordre public, était que toutes provinces reçussent le mouvement et les lois du Corps législatif des représentants de la nation. Sur ce qu’il fut dit et énoncé que c’était détruire toute liberté publique, que de s’opposer à ces assemblées; que dans tout pays libre, le droit devait toujours rester à ceux dont les représentants assemblés n’étaient que les mandataires, de pouvoir leur donner des ordres et par conséquent de s’assembler; qu’en Angleterre même, les comtés, les corporations, faisaient des pétitions au Parlement, pendant le temps de ses séances; je crois qu’il faut distinguer entre ces assemblées de province, dans un Etat où la Constitution n’étant point encore assise, ces assemblées pourraient produire l’effet d’arrêter, dans leur marche, les opérations du Corps législatif, par conséquent jeter le corps politique de l’Etat dans les crises et les convulsions d’une telle anarchie, que tout remède à un si grand mal deviendrait inapplicable, et des assemblées de corporations ou de petites divisions qui ne peuvent jamais avoir le projet de former obstacle à la marche du Corps législatif. Que d’ailleurs, toute corporation, toute classe de citoyens, toute municipalité, peuvent toujours faire leurs pétitions, mais qu’une province ou un peuple assemblé ne peut exister dans le temps où ils ont délégué leurs pouvoirs; l’on n’en peut donner une meilleure preuve que l’état d'anarchie dans le-quelest plongée la ville de Paris, par l’assemblée de tous ses districts; il n’en peut être autrement et cette anarchie est impérieusement décidée, lorsqu’un grand corps politique, qui a délégué ses pouvoirs, veut conserver l’autorité qu’il a cédée; pour qu’il en fût autrement, il faudrait qu’un coup d’électricité frappât en même temps tous ces corps séparés, pour leur communiquer la même impulsion. Je demande aux partisans d’un système semblable, quand même un tel ordre de choses serait possible à établir, à qui rendraient compte ceux dont émaneraient les résultats, et si l’on pourrait s’assurer que, dans un tel état de choses, il en résulterait, qu’il y aurait le moins possible de parties lésées; cependant ce doit être là le but que doit se proposer une association politique. 11 est évident qu’au milieu d’un pareil tumulte les intérêts des absents seraient toujours peu ménagés : que doit-on en conclure ? Qu’il n’existerait jamais d’ordre so- 438 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] lide et durable de liberté publique que lorsque, les véritables intéressés à la conservation de la propriété, par conséquent, ceux qui en ont, seront seuls appelés à nommer ceux qui feront les lois. Que lorsque ces lois faites seront obligatoires pour tous, jusqu’à ce qu’elles soient réformées par d’autres représentants; que lorsque ce corps de législateurs n’aura aucun pouvoir exécutif, mais seulement celui de surveiller ceux auxquels l’exécution aura été donnée dans sa plénitude, par conséquent de les citer en jugement; que lorsque ceux qui préparent les moyens d’exécution seront circonscrits dans une mesure telle que le cinquième de leur nombre suffise à l’exécution de radministration qui leur est confiée; ce cinquième doit être comptable à ceux qui les choisissent, ces derniers aux représentants de la nation entière; un tel ordre de choses ne pourrait exister s’ils étaient toujours réunis. Ce n’est que de cette surveillance toujours égale, toujours proportionnée et balancée de manière que les surveillés ne puissent opposer aux surveillants une force irrésistible, que peut naître une véritable liberté. Os réflexions m’ont paru superflues à faire à l’Assemblée, dans l’instant de la discussion, puisqu’on effet elle paraissait décidée à adopter un parti qui conduisait à l’établissement d’un tel ordre de choses. Je n’aurai jamais qu’un désir, celui d’accélérer la marche de ses sages délibérations. Les lois qui en émaneront sont si nécessaires au royaume, que tout autre principe serait criminel. Je n’ai fait que demander deux amendements, l’un, que la loi fût généralisée, qu’aucune province n’y fût nommée ; l’autre, que les assemblées qui pouvaient nuire au pouvoir administratif confié aux municipalités, fussent proscrites, de même pour celles des provinces. Y SUITE DU COMPTE RENDU Par .11. DE ClfSTISJE A SES COMMETTANTS De ses opinions dans les délibérations de l'Assemblée nationale , Du 27 octobre 1789 jusqu’au 9 janvier 1790. Les séances du 27 et du 28 ont été employées à la continuation de la discussion des qualités nécessaires pour être électeur et éligible. Un opinant ayant proposé que les banqueroutiers, les faillis et les hommes insolvables fussent rayés de la liste des citoyens ; que même les fils de faillis et hommes morts insolvables ne fussent pas réputés citoyens, s’ils n’acquittaient la portion de la créance de leur père, égale à celle du bien qu’ils en auraient reçu s’ils étaient morts ab intestat ; ces deux articles obt été décrétés avec quelques amendements. Si l’article de cette loi qui porte sur les enfants paraît rigoureux, il ne peut être injuste; car enfin, les lois doivent avoir pour objet de resserrer les liens des familles, de rendre les hommes vertueux, d’empêcher les moyens frauduleux qui peuvent être employés pour éluder les engagements que les hommes contractent envers la société; enfin, elles doivent tendre à rendre la vertu nécessaire et à faire fleurir le commerce qui vivifie les grands Empires : aucune loi ne peut être plus propre à remplir ces objets que celle qu’a décrétée l’Assemblée ; je parle du second article de cette loi. L’Assemblée nationale a décrété aussi que nul ne pourrait se faire représenter par procuration dans les assemblées ; rien n’est sans doute plus juste que ce décret, pour ce qui porte sur les assemblées de district et de canton, puisqu’il obvie à ce que des procurations données, qui ne fournissent que les moyens de réunir, sur une seule tête, des suffrages qui peuvent n’être pas mérités, ne conduisent qu’à des nominations qui ne seraient pas le résultat du vœu général. J’aurais cependant voulu une exception à cette règle dans les assemblées primaires seulement, et accordée uniquement à des hommes qu’un service public empêcherait de se trouver à l’assemblée de leur municipalité, puisque enfin, dans ces assemblées, il se traitera souvent des affaires où l’intérêt de ceux qui ne seront pas représentés pourra être compromis, et qu’être utile au service public, ne peut être une raison pour éprouver lésion dans ses intérêts. En restreignant cette faculté de se faire représenter aux