68 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mars 1790.) dues que par le propriétaire ou possesseur d’un fonds, tant qu’il est propriétaire ou possesseur, et à raison de la durée de sa possession ; 2° Tous les droits casuels qui, sous les noms de quint, requint, treizième, lods et treizains, lods et ventes, mi-lods, rachats, venterolles, reliefs, relevaisons, plaids et autres dénominations quelconques, sont dus à cause des mutations survenues dans la propriété ou la possession du fonds par le vendeur, l’acheteur, les donataires, ou les héritiers et ayants-cause du précédent propriétaire ou possesseur. M. Lucas, député de Moulins , dit que dans l’énumération des droits rachetâmes, le comité féodal paraît avoir compris, comme cens emportant droits casuels, des redevances qui, quoi qu’ayant l’apparence du cens , ne participent aucunement de sa nature, qui n’ont même pas le caractère d’une rente foncière, puisqu’ils ne dérivent pas d’une concession de fonds, il entend parler de l’espèce de cens ayant lieu dans plusieurs provinces et qui n’ont d’autre origine qu’une somme d’argent donnée. Il demande donc que cette espèce de redevance soit exceptée du nombre des cens donnant lieu à un remboursement pour les droits casuels. M. Gaultier de Biauzat appuie cette motion en observant qu’il y a beaucoup de redevances en Auvergne, qui produisent tous les droits de directe seigneurie , quoique constitués à prix d’argent ; cet abus provient de la disposition de la coutume qui porte que « qui acquiert « cens ou rente sur l’héritage quitte et allodial, « acquiert la directe seigneurie pore (c’est-à-dire « quoique) de la directe ne soit aucune men-« tion ______ Celui qui est obligé ou condamné as-« seoir cens ou rente censuelle, selon la coutume « et à l’assiette du pays, il faut qu’il baille rente « en directe seigneuriale, et ne suftit qu’il baille « rente rendable, etc. » L’opinant propose de charger les propriétaires de directe, de la preuve que les redevances proviennent de délaissement d’immeubles. M. Tronchet. Je viens combattre une disposition aussi injuste que celle qui vous est proposée par le préopinant. Il convient de distinguer l’établissement de la directe, de la connaissance des droits qui en dépendent. Ce grand appareil de preuves n’est nécessaire que quand il s’agit d’établir la directe, ou l’existence de droits extraordinaires, tels que les banalités ; mais lorsque la directe étant établie, il ne s’agit que -d’en déterminer les droits, le seigneur n’est plus obligé à un genre de preuves aussi rigoureux, et alors il suffit d’avoir une reconnaissance avec possession et adminicule : d’ailleurs, il y a des provinces dans lesquelles la jurisprudence la plus ancienne a établi qu’il suffisait d’une reconnaissance unique pour faire foi ; les propriétaires de fiefs se reposant sur cet usage, n’ont pas exigé de leurs vassaux un plus grand nombre de reconnaissances. Il faut donc respecter les usages établis sur ce point, autrement ce serait anéantir les propriétés et les droits légitimes de plusieurs habitants du royaume. M. Gaultier de Biauzat fait remarquer que l’expression réputés est déterminée et lève toute incertitude sur le fait qui peut être incertain ; il propose de dire seront présumés tels, etc. M.Goupil de Préfeln appuie cet amendement par la citation des maximes de droit sur la différence de probabilité ou de certitude entre ce qui est légalement réputé ou seulement présumé. M. Merlin, rapporteur , modifie la rédaction de l’article qui est mis aux voix et adopté ainsi qu’il suit : « Art. 2. Et sont présumés tels, sauf la preuve contraire : « Toutes les redevances seigneuriales, annuelles, en argent, grains, volailles, cire, denrées ou fruits de la terre, servis sous la dénomination des cens, censives, surcens, capcasal, rentes féodales, seigneuriales et emphytéotiques, champart, tas-que, terrage, agrier, arage, comptant, soété, dîmes inféodées, corvées réelles, ou sous toute autre dénomination quelconque, qui ne se payent et ne sont dues que par le propriétaire ou possesseur d’un fonds, tant qu’il est propriétaire ou possesseur, et à raison de la durée de sa possession ; « 2° Tous les droits casuels, qui, sous les noms de quint, requint, treizième, lods et treizaines, lods et ventes et issues, mi-lods, rachats, venterolles, reliefs, relevoisons, plaids et autres dénominations quelconques, sont dus à cause des mutations survenues dans la propriété ou la possession d’un fonds par le vendeur, l’acheteur, les donataires, les héritiers et tous autres ayants-cause du précédent propriétaire ou posses’seur ; « 3° Les droits d’acapte, arrière-acapte et autres semblables dus à la mutation des ci-devant seigneurs. » M. Camus, archiviste, rend compte que le décret du 7 janvier n’a pas été remis sanctionné, et le président est chargé d’écrire à ce sujet à M. le garde des sceaux. M. le Président. L’affaire des colonies figure à votre ordre du jour; je donne la' parole à M. Barnave, rapporteur du comité colonial. M. Barnave monte à la tribune et donne lecture du l'apport suivant sur les pétitions du commerce et les pièces arrivées des colonies. Messieurs, le commerce de France vous a fait connaître ses vœux et ses inquiétudes sur plusieurs ues objets qui l’intéressent, et particulièrement sur les diverses relations de la France avec 8~‘s colonies. Au moment même où ces pétitions vous étaient adressées, des nouvelles arrivées de Saint-Domingue et de la Martinique ont fixé toute votre attention ; vous avez senti la nécessité de prendre, à l’égard de ces colonies, une résolution sage et prompte ; et, apercevant une liaison intime entre les causes de leur agitation et les demandes du commerce, vous avez nommé un comité pour s’en occuper conjointement, et vous présenter un résultat propre à concilier tous les intérêts. En nous pénétrant, Messieurs, de l’objet de notre mission, nous avons bientôt reconnu que toutes les questions qu’il présente se réduisaient, pour le moment actuel, à des termes extrêmement simples. L’intérêt de la nation française à soutenir son commerce, à conserver ses colonies, à favoriser leur prospérité par tous les moyens compatibles avec la métropole, nous a paru, sous tous les points de vue, d’une incontestable vérité. Les mesures à prendre, pour y parvenir, nous ont paru non moins clairement indiquées par les principes et par les circonstances. [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mars 1790.] 69 Rassurer les colonies sur leurs plus chers intérêts, recevoir d’ellés-mêmesles instructions sur le régime de gouvernement qui convient à leur prospérité, et qu’il est temps enfin d’établir; les inviter à présenter leurs vues, concurremment avec le commerce français, sur leurs rapports réciproques : telie est la marche que les circonstances, la justice et la raison nous ont paru prescrire. Avant de mettre sous vos yeux le projet de décret que votre comité a cru devoir vous proposer pour remplir ces vues, je dois, Messieurs, vous présenter rapidement les réflexions qui l’ont conduit à l’adopter. La matière serait immense ; mais j’élaguerai tout ce qui n’est pas nécessaire à la décision des seules questions qui vous sont actuellement soumises, car il est instant de prendre un parti ; et parmi tous les motifs dont l’opinion de votre comité pourrait être appuyée, je dois choisir ceux qui, en établissant suffisamment la nécessité de l’adopter, présenteront, au surplus, moins de surface à la discussion. Quelque alarmantes qu’aient pu paraître les relations des événements qui ont eu lieu à Saint-Domingue et à la Martinique, et dont les pièces originales vous ont été lues dans une des séances précédentes, nous n’avons pas cru, Messieurs, qu’ils exigeassent de votre part une attention séparée des causes générales auxquelles iis sont évidemment liés. Ces mouvements ont été produits, ou par des erreurs, ou par des abus que vous êtes dans l’intention de réformer. Loin qu’ils puissent justifier les craintes qu’on cherche à répandre, ou les insinuations anti patriotiques de ceux qui voudraient en faire un reproche à notre heureuse Révolution, ils cesseront, Messieurs, dès l’instant où vous aurez fait disparaître les injustices et les inquiétudes qui les ont excités. Les colonies ont es.-uyé de grandes oppressions de la part du régime arbitraire et ministériel: elles ont longtemps fait entendre vainement leurs plaintes, et comme si le despotisme, exilé de la métropole, eût cherché à ?e dédommager sur les malheureux habitants des îles, le moment où la nation française s’est occupée à reconstituer ses droits, a été pour les colonies celui des plus cruelles vexations. Telle est incontestablement, Messieurs, laprincipalecause des insurrections qui ont eu lieu dans quelques parties. Aucune n’a été dirigée ni contre la nation, ni contre le roi. Tous les griefs sont articulés contre le régime arbitraire. En un mot, ces mouvements, qui se sont transmis de la métropole dans les colonies, ont porté la même empreinte et conservé le même caractère. Une cause de mécontentement s’est jointe à l’oppression qu’exerçaient les agents du pouvoir ministériel. Soit par une funeste négligence, ou plutôt par une suite de la disette que nous avons nous-mêmes éprouvée, les colonies ont souffert dans les derniers temps, relativement aux subsistances. De là se sont renouvelées ces plaintes articulées de tout temps contre l’extrême rigueur du régime prohibitif. La fermentation du moment leur a prêté plus de chaleur, elles ont dû contribuer aussi à l’accroître. Enfin, des ennemis du bonheur de la France ont employé divers moyens pour exciter le trouble et l’inquiétude parmi les colons. Tantôt vous supposant des intentions contraires à toutes les lois de la prudence, ils leur ont fait apercevoir, dans l’application de vos décrets, l’anéantissement de leur fortune, et le danger de leur vie; tantôt portant le trouble dans les habitations, ils ont cherché à confirmer, par des soulèvements, ces insinuations perfides. Leurs articles, Messieurs, ont excité de vives alarmes, mais ils ne vous ont point enlevé la confiance et l'affection des habitants des îles, et vous les retrouverez dans leurs cœurs du moment où vous aurez calmé leurs inquiétudes. C’est à ces trois causes, Messieurs, que nous ont paru se rapporter tous les événements qui ont eu lieu dans les colonies. C’est donc en y portant remède que vous les calmerez, que vous assurerez vos intérêts en assurant les leurs, que vous satisferez à ceux du commerce de France, immédiatement liés à la conservation, à la prospérité des colonies. Je n’ignore point, Messieurs, qu’il est au sein même de cette Assemblée des personnes qui mettent en question l’utilité des colonies et celle du commerce extérieur; de grands principes philosophiques et des spéculations ingénieuses s’offrent à l’appui de leurs opinions : il est même impossible de ne pas convenir que s’il existe une nation dans le monde à laquelle ces spéculations puissent heureusement s’appliquer, c’est celle qui renferme dans son sein toutes les richesses du sol, toutes les ressources de l’industrie, tous les moyens de se suffire. Mais il est aussi facile de concevoir que la décision de ces grandes questions est absolument étrangère à la position du moment. Il ne s’agit point, en effet, d’examiner si la France doit chercher à se créer un commerce, à fonder des colonies; ces choses existent dans l’état actuel. Au moment où nous parlons, toutes les parties de notre existence sociale sont intimement liées et combinées avec la possession d’un grand commerce, avec celle de nos colonies. Il est donc uniquement question de savoir si la suppression, si la perte subite de ces immenses ressources n’opérerait pas une secousse violente et destructive, ne serait pas un grand désastre pour la nation? Il s’agit de savoir surtout si, dans la position où nous sommes, engagés dans une révolution dont l’accomplissement assure à jamais la gloire et la prospérité de la nation française, et dont la chute la plongerait dans un abîmede maux, cette secousse violente ne présenterait pas le plus redoutable des écueils; si la situation de nos finances n’en éprouverait pas une atteinte saos remède; si la force des mécontents ne s’en accroîtrait pas hors de toute proportion; si enfin la constitution, qui pourrait seule avec le temps réparer ces grandes calamités, n’en serait pas elle-même renversée. Quand on voudra considérer la question sous ces points de vue, elle ne présentera plus de doutes; on sentira qu’il faut, avant tout, prévenir les maux qui nous menacent de plus près, et que toutes autres spéculations deviennent étrangères quand il s’agit de l’intérêt sacré de la Révolution et de la destinée de plusieurs millions de Français attachés à la prospérité de notre commerce, à la possession de nos colonies. Ce serait, en effet, le fruit d’une grande ignorance, ou d’une étrange mauvaise foi, que de prétendre séparer la prospérité du commerce national de la possession de nos colonies. Non seulement elles forment la portion la plus considérable de nos relations maritimes et extérieures, mais la valeur de nos productions, l’activité de nos manufactures, nos transports, nos 70 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mars 1790.] échanges intérieurs, sont, en grande partie, l’effet de nos rapports avec elle. Tandis qu’une population immense est occupée, dans toutes les parties du royaume, à cultiver, à préparer, à manufacturer les diverses productions que nous portons dans nos colonies, une multitude également nombreuse est occupée à travailler les matières que nous en recevons. Une partie se distribue et se consomme parmi nous; une autre se vend aux étrangers avec l’augmentation de valeur qu’elle a reçue de notre travail. Les échanges, le transport, le partage, le débit de ces diverses productions, exportées ou importées, font exister des classes entières, et répandent de toutes parts l’aisance et l’activité. La culture des terres est encouragée par un débit avantageux et assuré de ses productions. Les revenus publics sont soutenus par les moyens que chacun puise dans ces divers profits, pour acquitter sa portion d’impôt. Abandonnez les colonies, et ces sources de prospérité vont disparaître ou décroître. Abandonnez les colonies, et vous recevrez, à grands frais, des étrangers ce qu’ils achètent aujourd’hui de vous. Abandonnez les colonies, au moment où vos établissements sont fondés sur leur possession, et la langueur succède à l’activité, la misère à l’abondance : une foule d’ouvriers, de citoyens utiles et laborieux, passent subitement d’un état aisé à la situation la plus déplorable; enfin, l’agriculture et les finances sont bientôt frappées du désastre qu’éprouvent le commerce et les manufactures. Et combien ne serait-il pis facile, en portant plus loin ses regards, d’établir la liaison de cette branche de notre commerce, avec toutes ses autres parties, avec notre existence maritime, avec le système général des puissances européennes ? Il est puéril de dissimuler ce que personne n’ignore. Le commerce de nos colonies et toutes les branches de navigation qu’il met en mouvement sont l’école et la pépinière de nos matelots. Nous n’avons point, comme nos voisins, pour former des matelots, un cabotage intérieur entretenu par les côtes de deux grandes îles et leurs continuelles relations, d’importantes pêcheries, des possessions immenses dans les grandes Indes, un commerce établi dans la Baltique. Presque toute notre navigation, dans le moment où nous sommes, est l’effet médiat ou immédiat de la possession de nos colonies. De là je conclus qu’en les abandonnant, nous perdrions les moyens de former et d’occuper, pendant la paix, le nombre de matelots nécessaire pour soutenir nos forces navales pendant la guerre. Dès tors, non seulement les produits du commerce qui nous resterait, seraient sans aucune proportion avec les frais de la marine militaire, nécessaire pour le protéger, mais il nous deviendrait même impossible d’entretenir cette marine. Réduits sur toutes les mers, à l’impuissance de faire respecter notre pavillon, nous verrions nos relations avec le Levant, et toutes celles qui pourraient exister ailleurs, successivement nous échapper, et toute espèce de commerce maritime cesserait d’exister pour nous. Dès lors aussi, les proportions de forces seraient changées entre les autres puissances. Les Anglais acquerraient sur toutes les mers une supériorité Sans obstacle. L’Espagne, ne peut leur résister que par l’union de ses forces avec les nôtres, ferait bientôt, ainsi que nous, renfermée sur son territoire; ses possessions d’Amérique deviendraient enfin, comme nos colonies, la conquête de nous rivaux. Condamnée, par sa situation géographique, à n’avoir jamais sur le continent une grande influence par ses forces de terre, elle disparaîtrait, pour ainsi dire, du système politique de l’Europe, et son alliance ne nous présenterait plus aucune utilité. Nous serions enfin réduits à recevoir de nos voisins toutes les productions des autres climats ; leur jalouse domination nous poursuivrait jusque dans nos ports : réduits à notre territoire, nous n’aurions pas même la liberté de naviguer sur nos propres côtes ; et bientôt, pour leur sûreté, nous serions obligés d’y rassembler des troupes et d’y construire des forteresses. En traçant ce tableau, Messieurs, je n’ignore point tout ce que peuvent opposer au cours naturel des événements, les incalculables efforts d’une nation puissante et libre ; je sais que ce n’est pas au moment où la France travaille à s’assurer les grandes destinées qui iui furent promises par la nature, qu’il peut être question de présenter ici des idées de découragement. La connaissance de nos moyens, au moment surtout où les nouvelles institutions seront affermies, nous rassurera toujours contre la perspective des événements, en nous garantissant la certitude ou de les prévenir ou de les réparer; et fussions-nous même réduits à nous voir privés de toutes nos ressources extérieures, qui doute qu’en nous repliant sur nous-mêmes avec la confiance et l’énergie qui caractérisent les hommes libres, nous ne trouvassions, dans notre industrie et dans la fécondité de notre sol, l’assurance d’une nouvelle et d’une solide prospérité? Mais combien ces dédommagements ne seraient-ils pas loin de nous? combien le passage à ce nouvel état ne pourrait-il pas être long et pénible? combien le changement subit de notre position n’entraînerait-il pas des malheurs généraux et particuliers? combien enfin, d’obstacles n’opposerait-il pas au succès de la Révolution? Tous les citoyens qui s’occupent et qui s’alimentent au moyen des travaux relatifs aux branches actuelles de notre commerce, des cités flo ¬ rissantes qui lui doivent tout leur éclat, des provinces entières qu’il vivifie, tomberaient par son inaction dans la plus affreuse détresse; la nation entière s’en ressentirait : il n’est aucune branche d’industrie, aucun genre de propriété qui n’en essuyât le contre-coup. Témoins de tant de maux, Messieurs, vous n’auriez à leur appliquer aucun remède efficace; associés aux douleurs de vos concitoyens par cette profonde humanité, qui ne fut jamais étrangère aux âmes vraiment fières et libres, vous n’auriez plus pour consolation, la perspective assurée d’un bien général : cette constitution chérie, dans laquelle vous avez placé toutes vos espérances, serait elle-même en péril; la situation des finances deviendrait alors réellement et profondément désastreuse; enfin, et pardessus tout, quels moyens ces calamités n’offriraient-elles pas à ceux qui voudraient amener sur notre patrie le retour du despotisme ou la plus cruelle anarchie? Une foule de malheureux aveuglés par le désespoir leur offrirait des instruments. Vous aviez du travail, leur dirait-on, avant de vouloir être libres; vous aviez du pain sous les anciennes lois, et ceux qu’on vous a présentés comme des tyrans implacables assuraient au moins voire subsistance et veillaient à yos pre- 71 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mars 1790.] miers besoins : ah ! croyez encore à leur zèle, et vous verrez renaître votre ancien bonheur ..... Artifices usés autant que coupables; langage banal, auquel un peuple ingénieux, instruit par les événements, est accoutumé de sourire ; mais toujours perfide, toujours dangereux quand le désespoir est dans les âmes, et quand le sentiment d’une profonde misère étouffe dans le cœur tous les autres sentiments. Si donc la prospérité de notre commerce est liée à la prospérité, à la conservation de nos colonies; si la nation a l’intérêt le plus pressant, le plus incontestable à les protéger également, les mesures à prendre sur leur situation ne sauraient être trop décisives; et tout, Messieurs, doit aussi vous faire concevoir qu’elles ne sauraient être trop promptes. Trois objets de considération, comme je l’ai déjà annoncé, indiquent la division de ce travail : 1° la nécessité de constituer les colonies; 2° les plaintes réciproquement formées par le commerce et par les colons, sur l’état actuel du régime prohibitif; 3° les alarmes que les uns et les autres ont conçues sur l’application de quelques décrets. Sur le premier point, Messieurs, votre comité a pensé que les différentes lois, décrétées pour les provinces françaises, ne pouvaient être également applicables au régime de nos colonies. Les colonies offrent, certainement, dans l’ordre politique, une classe d’êtres particuliers qu’il n’est possible ni de confondre, ni d’assimiler avec les autres corps sociaux. Soit qu’on les considère dans leur intérieur, soit qu’on examine les rapports qui les lient avec la métropole, on sentira que l’application rigoureuse et universelle des principes généraux ne saurait leur convenir. Dans l’hypothèse particulière que nous avions à examiner, la différence des lieux, des mœurs, du climat, des productions, nous a paru nécessiter une différence dans les lois, les relations d’intérêt et de position entre la France et ses colonies, n’élant point de la même nature que celles qui lient les provinces françaises soit avec le corps national, soit le s unes avec les autres, les relations politiques entre elles doivent également différer; et nous n’avons point cru que les colonies pussent être comprises dans la constitution décrétée pour le royaume. En prononçant que les colonies auraient leurs lois et leur constitution particulières, votre comité a pensé, Messieurs, qu’il était avantageux et juste de les consulter sur celles qui pouvaient leur convenir; il a cru que, dans une matière où leurs droits les plus précieux étaient intéressés, et où les plus exactes notions ne pouvaient venir que d’elles, c’était essentiellement sur leur vœu qu'il convenait de se déterminer. Mais en les appelant à l’exprimer, en leur laissant, sur tout ce qui les concerne isolément de nous, la plus grande latitude, votre comité a pensé qu’il était des points principaux formant les rapports essentiels entre les colonies et la métropole, desquels il serait impossible de s’écarter sans trahir tous les intérêts, sans briser tous les liens ; il a cru convenable de déterminer ces points préliminaires à tout, et il a annoncé qu’il serait envoyé aux assemblées coloniales une instruction sur les points généraux, auxquels les plans de constitution qu’elles présenteraient devraient être assujettis. Pour obtenir le vœu des colonies, il faut y former des assemblées; mais votre comité a pensé que dans celles où il existe des assemblées coloniales librement élues et avouées par les citoyens, ces assemblées devaient être admises à exprimer le vœu de la colonie. La condition essentielle de la représentation est certainement la confiance. Il a paru bien plus convenable de traiter avec des assemblées à qui elle est d�jà acquise, que d’envoyer dans des pays lointains des règlements de convocation, nécessairement tracés d’après des notions imparfaites, capables d’allumer des rivalités, de retarder les opérations, d’accroître ou de prolongeruoe fermentation dangereuse. Les mêmes considérations nous ont convaincus que les instructions nécessaires pour la formation des assemblées, dans les colonies où il n’en existe pas qui soient propres à énoncer un vœu certain et général, devaient être extrêmement simples. La nécessité d’organiser promptement l’administration, et de maintenir l’ordre dans les colonies, a fait penser à votre comité que les assemblées coloniales devaient être autorisées à mettre incessamment à exécution ceux de vos décrets sur les municipalités et les assemblées administratives, qui pourraient convenir aux localités. Il a même pensé qu’il était nécessaire qu’elles fussent autorisées à les modifier provisoirement, en réservant l’approbation du roi et de l’Assemblée nationale. Sur le second point, Messieurs, c’est-à-dire sur les plaintes articulées relativement au régime prohibitif du commerce entre la métropole et les colonies, il a paru à votre comité qu’il était nécessaire, avant de se prononcer, de recueillir les plus grandes instructions. Il vous proposera donc de décréter que les assemblées coloniales présenteront leurs vues sur les modifications qu’elles désirent, et qu’après avoir entendu leurs représentations et celles du commerce, l’Assemblée nationale statuera ce qui lui paraîtra convenable et juste. Le régime prohibitif est, sans doute, une condition essentielle de l’union de la métropole et des colonies ; il est le fondement de l’intérêt qu’elle trouve dans leur conservation, il est le dédommagement des frais qu’elle est obligée de soutenir pour les protéger; mais l’intérêt non moins réel pour elle à favoriser leur prospérité, mais l’augmentation de profits qu’elle recueillerait de l’accroissement de leur culture, doivent aussi fixer son attention. Enfin, les commerçants doivent sentir qu’il n’est aucune espèce de droits qui n’entraîne aussi des devoirs ; que réclamer le droit exclusif d’approvisionner les colonies, c’est contracter rengagement d’apporter dans l’exercice de ce même droit, justice, exactitude, modération ; que la solidité des conventions résulte, surtout, de l’intérêt réciproque, et que le moment qui assurera la durée de leurs profits et le succès de toutes leurs entreprises, sera celui, où par la perfection de l’art, la simplification du travail, l’économie de la navigation, ils seront assurés de soutenir partout la concurrence des autres peuples, Enfin, Messieurs, le troisième objet concerne les alarmes qui se sont élevées sur l’application de quelques décrets. Vous ne devez, vous ne pouvez parler ici qu’un langage, c'est celui de la vérité, qui consiste à désavouer la fausse extension qu’on leur a donnée. Vous n’avez pu rien changer dans tout ce qui concerne les colonies, puisque les lois que vous avez décrétées ne les ont pas eu pour objet ; vous n’avez pu rien changer, puisque le salut public et l’humanité même offraient des obstacles insurmontables à ce que vos cœurs vous eussent inspiré; dites-le donc en ce moment, puisqu’il s’est élevé des incertitudes ; 7$ [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mars 1790.1 vous n’avez rien innové; cette déclaration suffit, elle ne peut laisser subsister aucune alarme. Il est seulement juste de l’accompagner d’une disposition propre à rassurer les colonies contre ceux qui, par de coupables intrigues, chercheraient à y porter le trouble, à y exciter des soulèvements; ces hommes qu’on a trop affecté de confondre avec de paisibles citoyens occupés à chercher par la réflexion les moyens d’adoucir la destinée de la plus malheureuse portion de l’espèce humaine, ces' hommes, dis-je, ne peuvent avoir que des motifs pervers, et ne peuvent être considérés que comme des ennemis de la France et de l’humanité. C’est à ces différents articles, Messieurs, que se réduit le projet du décret que votre comité vous propose. La partie sur laquelle nous avons cru devoir surtout arrêter votre attention, est celle qui concerne les formes indiquées pour constituer les colonies. La justice et la confiance nous ont paru la seule politique qui pût convenir à elles et à vous ; la justice est désormais le garant de tous les traités, le fondement de toutes les puissances; rien, Messieurs, n’a pu faire douter de l’attachement des colonies à la métropole ; mais rien n’est plus propre à l’affermir que la marche que nous vous proposons. Si la franchise et la bonne foi conviennent dans toutes les transactions à la majesté d’un peuple libre; si, dédaignant les ressources d’un art qui n’appartient qu’à la faiblesse, vous voulez suivre désormais la marche qu’indique votre loyauté et qui sied à votre puissance, vous ne balancerez point à l’adopter avec des frères, des concitoyens, des Français comme vous. Ah! puisqu’aujourd’hui la liberté nous donne à tous une existence nouvelle; puisque, pour la première fois, nous sommes appelés à remplir la dignité d’hommes, à exercer, comme peuple, les droits des peuples, renouvelons, confirmons les liens qui nous tiennent unis avec les Français des colonies. Disons-leur dans notre épanchement : «Vous avez partagé notre oppression, notre servitude, partagez aujourd’hui notre bonheur et notre liberté 1 vous ne sauriez exister dans une indépendance absolue ; soyez-nous à jamais unis, et nous jurons de vous associer à tous les bienfaits de notre destinée! « Tout a changé parmi nous, une nouvelle administration vient de remplacer celle dontvous eûtes tant à vous plaindre; nos nouvelles lois sont toutes dirigées à votre avantage; toutes tendent à honorer, à faire fleurir l’agriculture, le commerce, les manufactures; toutes tendent à rendre nos relations commerciales les plus avantageuses qui puissent exister, nos relations politiques les plus franches, les plus équitables dont aucun peuple ait donné l’exemple. « Vous ayez en France vos’ femmes, vos enfants, votre première patrie. Cet attachement ineffaçable et cet orgueil du nom français, que vous professâtes dans des temps où les mots de nation et de patrie étaient sans force parmi nous, quelle énergie nouvelle n’acquerront-ils pas dans vos âmes toujours brûlantes, quand vous recueillerez avec nous les fruits d’une glorieuse liberté ! 0 vous, que l’univers a vu dans les guerres les plus mallieu-reuses, au comble de notre détresse, partager sans murmure notre destinée, et préférer, à tout ce qui vous était offert, l’inaltérable fidélité; le moment est venu de renouveler l’auguste serment qui réunit au corps national toutes les parties de la domination française. Venez donc aujourd’hui le prêter comme nous, et qu’il soit désormais le premier article de tous les traités entre la métropole et les colonies !» Voici, Messieurs, le projet de décret que votre comité a unanimement arrêté de vousfproposer : décret. L’Assemblée nationale, délibérant sur les adresses et pétitions des villes de commerce et de manufactures, sur les pièces nouvellement arrivées de Saint-Domingue et de la Martinique, à elle adressées par le ministre de la marine, et sur les représentations des députés des colonies, Déclare que, considérant tes colonies comme une partie de l’empire français, et désirant les faire jouir des fruits de l’heureuse régénération qui s’y est opérée, elle n’a jamais entendu les comprendre dans la constitution qu’elle a décrétée pour le royaume, et les assujettir à des lois qui pourraient être incompatibles avec leurs convenances locales et particulières. En conséquence, elle a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er Chaque colonie est autorisée à faire connaître son vœu sur la constitution, la législation et l’administration qui conviennent à la prospérité et au bonheur de ses habitants, à la charge de se conformer aux principes généraux qui lient les colooics à la métropole, et qui assurent la conservation de leurs intérêts, respectifs. Art. 2. Dans les colonies où il existe des assemblées coloniales, librement élues parles citoyens, et avouées par eux, ces assemblées seront admises à exprimer le vœu de la colonie : dans celles où il n’existe pas d’assemblées semblables, il en sera formé incessamment pour remplir les mêmes fonctions. Art. 3. Le roi sera supplié de faire parvenir, dans chaque colonie, une instruction de l’Assemblée nationale, renfermant ; 1° les moyens de parvenir à la formation des assemblées coloniales, dans les colonies où il n’en existe pas; 2° les bases générales auxquelles les assemblées coloniales devront se conformer, dans les plans de constitution qu’elles présenteront. Art. 4. Les plans, préparés dans lesdites assemblées coloniales, seront soumis à l'Assemblée nationale, pour être examinés, décrétés par elle, et présentés à l’acceptation et à la sanction du roi. Art. 5. Les décrets de l’Assemblée nationale, sur l’organisation des municipalités et des assemblées administratives, seront envoyés auxdites assemblées coloniales, avec pouvoir de mettre à exécution la partie desdits décrets qui peut s'adapter aux convenances locales, sous la décision définitive de l’Assemblée nationale et du roi, sur les modifications qui auraient pu y être apportées, et la sanction provisoire du gouverneur, pour l’exécution des arrêtés qui seront pris par les assemblées administratives. Art. 6. Les mêmes assemblées coloniales énonceront leur vœu sur les modifications qui pourraient être apportées au régime prohibitif du commerce entre les colonies et la métropole, pour être, sur leurs pétitions, et après avoir entendu les représentations du commerce français, statué par l’Assemblée nationale , ainsi qu’il appartiendra. Au surplus, l’Assemblée nationaledéclarequ’elle n’a entendu rien innover dans aucune des branches du commerce soit direct, soit indirect de la France avec ses colonies; met les colons et leurs propriétés sous la sauvegarde spéciale de la nation ; déclare criminel, envers la nation, quiconque