528 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 décembre 1789.] [Assemblée nationale.} L’Assemblée a chargé son président de présenter incessamment au Roi ce décret, en le suppliant de le revêtir de sa sanction. M. Rewbell. Le projet de décret est contraire à l’article constitutionnel qui permet à tous les citoyens de s’assembler , meme en armes, pour faire des pétitions. M. Emmery. Je propose de dire que les citoyens enrôlés ne pourront s’assembler, sans l’ordre de leurs chefs, pour tout ce qui regarde le service militaire. M. liaurendeau, député d’Amiens. Je réclame avec instance l’adoption du projet de décret tel qu’il vous a été proposé. Si vous ne vous hâtiez de prendre des précautions, vous causeriez certainement une insurrection sanglante dans une ville où plus de 18,000 ouvriers sont presque sans ouvrage depuis la conclusion du traité de commerce avec l’Angleterre. L’Assemblée prononce la question préalable sur l’amendement et adopte le projet de décret, sans modification. M. le Président. L’Assemblée reprend maintenant la suite de la discussion sur les impositions de Bretagne. Le comité propose de généraliser le décret et de le rendre applicable à tous les pays d’Etats. M. üérard , député de Bretagne , fait une motion pour la suppression des droits de détail et la répartition de leur produit sur toute la province, sans distinction, par un autre impôt représentatif. Cette motion est applaudie et ajournée. M. Camus propose de renvoyer le décret au comité des finances pour présenter un mode d’impôt uniforme sur les châteaux et les maisons de campagne. M. le comte Lévls de llirepoix. Pourquoi s’écarter de l’objet remis à votre délibération? 11 ne s’agit en ce moment que de la Bretagne; ne sortons pas de cette question. Cet avis est vivement appuyé. Le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale, instruite que les anciens Etats de Bretagne ont donné aux commissaires intermédiaires, pour l'administration de Ja province, des pouvoirs qui doivent expirer le 31 décembre présent mois, et n’ont prorogé que jusqu’à cette époque la régie des impôts connus en Bretagne sous le nom de devoirs , impôts , billots et droits y joints; considérant que le travail de l’organisation des municipalités et des assemblées de département sera incessamment terminé ; que néanmoins il est presque impossible que les assemblées de département soient réunies en activité le 31 de ce mois ; qu’il est par conséquent nécessaire de veiller à ce que la province de Bretagne ne soit pas sans administration, et à ce que la perception de ses impôts ne soit pas interrompue; « A décrété les articles suivants : « Art. ler.Les commissaires intermédiaires nommés par les anciens Etats de Bretagne, continueront leurs fonctions jusqu’à ce que les assemblées administratives soient réunies, et qu’elles puissent établir le régime d’administration fixé par la con-titution. Les commissaires veilleront aux affaires de" la province de Bretagne ; l’Assemblée leur continue, à cet égard, tous les pouvoirs nécessaires. « Art. 2. Les commissaires additionnels nommés par la délibération du 16 février dernier, pour concourir à l’administration, sous le bon plaisir du Boi, se réuniront, dans tous les évêchés, aux autres commissaires actuellement en exercice; et, comme il n’y a plus de distinction d’ordres en France, les ordonnances des commissions seront valables, et auront leur exécution dès qu’elles auront été prises en commission, et seront souscrites de trois commissaires indistinctement, tous réglements contraires demeurant abrogés. « Art. 3. Lesdits commissaires intermédiaires procéderont à la confection des rôles d’impositions de 1798, par un seul et même rôle, sur toutes personnes indistinctement pour les impôts personnels, et de même sur tous les biens-fonds pour les impositions réelles, ils procéderont pareillement à la confection du rôle supplétif sur les ci-devant privilégiés, ordonné par l’Assemblée nationale pour les six derniers mois de 1789. « Art. 4. Le trésorier des Etats de la province de Bretagne payera comme au passé les arrérages des rentes constituées sur les états, les appointements, et même les gratifications ordinaires accordées aux commis de leur administration, et à leurs ingénieurs, les ordonnances pour payement des travaux faits et à faire en la présente" année pour compte de la province, et tous autres payements pour traitements, pensions et gratifications, demeureront suspendus jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. « Art. 5. Tous les octrois des villes de Bretagne continueront d’être perçus comme au passé, jusqu’à ce qu’il ait été statué à cet égard par l’Assemblée nationale, mais sans aucun privilège, exemption, ni distinction de personne. « Art. 6. L’Assemblée nationale proroge pour un an, à compter du premier janvier procnain, la régie des impôts connus sous le nom de « devoirs, impôts , billots, » et autres droits y joints, pour être faite ainsi et de la même maniéré qu’en 1789 par les régisseurs actuels, suivant le renouvellement de leur soumission, sans nouvelle prestation de serment par les commis, aux exceptions seulement ci après: « 1° L’eau-de-vie sera distribuée à toutes personnes indistinctement aux bureaux de la régie, et en telle quantité qu’elles le désireront, à raison de 50 sols le pot, faisant deux pintes mesure de Boi. Personne ne pourra acheter de l’eau-de-vie, ni en pièces ni en bouteilles, ailleurs qu’auxdits bureaux de la régie, ni en introduire en Bretagne, si ce n’est pour le commerce maritime ou en transit; ceux qui fabriquent des eaux-de-vie pourront en destiner à leur usage les quantités qu’ils jugeront convenables, en le déclarant aux bureaux de la régie, et en payant, lors de leurs déclarations, le droit de 20 sols par pot. Payeront également les marchands grossiers le droit de 20 sols par pot d’eau-de-vie employé à leur consommation seulement; et en cas qu’ils veuillent cesser le commerce d’eau-de-vie, sera tenu le régisseur de prendre leur reliquat au prix marchand, au moment qu’ils auront fait leurs déclarations. « 2° Sans rien changer aux dispositions de l’article 61 du bail des anciens Etats de Bretagne, les liqueurs étrangères, introduites dans la province pour y être consommées, seront assujetties, à un droit unique de 20 sols par pot lors de leur entrée en cette province. Il n’en sera introduit [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, qu’en vertu de permis des directeurs qui les délivreront sans frais, et ne pourront en refuser à personne. « 3° L’article 79 du bail des anciens Etats de Bretagne, est supprimé en ce qu’il a de contraire aux précédents décrets de l’Assemblée nationale. « 4° Aucun individu, aucune ville ou communauté, ne pourront, à l’avenir, prétendre droit de banc et étanche ; ce privilège demeure supprimé, sans exception, par le présent décret, sauf indemnité, s’il y a lieu, et ainsi qu’il sera vu appartenir. « 5° Les exemptions de devoirs ci-devant accordées, par l’article 33 du bail, aux concierges et buvetiers de divers tribunaux et de la chancellerie, sont également supprimées. « Art. 7. M. le président de l’Assemblée nationale se retirera très-incessamment vers le Roi pour demander à Sa Majesté la sanction du présent décret. » M. le Président lève la séance, et l’ajourne à lundi 14, à neuf heures du matin. lre ANNEXE. à la séance de l'Assemblée nationale du 12 décembre 1789. Mémoire historique et justificatif de m. le comte d’Albert de Rioms, sur l'affaire de Toulon (1). Je suis parvenu par quarante-six années de bons services, à la tête de mon corps. Le Roi m’a honoré du commandement de ses escadres, il m’a confié depuis cinq ans l’administration d’un de ses principaux ports, et les témoignages de bonté et de satisfaction que Sa Majesté m’a donnés en diverses occasions, me donnent le droit de croire que je ne me suis point montré indigne de la confiance qu’elle a daigné mettre en moi. Cependant, sans délit comme sans accusation, sans formes juridiques quelconques, j’ai été traité ainsi que les principaux officiers à mes ordres, comme si nous avions été convaincus des plus grands crimes. Outragés d’une manière qui n’a pas d’exemple, on a dû s’attendre que nous élèverions la voix pour nous plaindre. Oui, sans doute, nous devons le faire; mais avant que d’entrer dans le détail des injustices contre lesquelles nous avons à réclamer, il m’importe de remonter à l’origine des troubles qui depuis plus de neuf mois agitent la ville de Toulon. Je veux mettre sous les yeux demesjuges, etsurtoutsousceuxdu public, la conduite que j’ai tenue depuis le 23 mars dernier, époque du premier tumulte. On verra quels sont mes principes et si je m’ensuis départi; on jugera si l’homme qui, sans mission expresse, dans plusieurs occasions s’est toujours mis en avant pour maintenir l’ordre ou rétablir la tranquillité, et qui n’a jamais craint de s’opposer aux méchants qui cherchaient à les troubler, est un mauvais, un dangereux citoyen. J’ai rendu compte de ces troubles à mon ministre, dans un temps où ma conscience ne me laissait pas craindre que j’eusse (l)Le mémoire de M. le comte d’Albert de Rioms n’a pas été inséré au Moniteur. lra Série, T. X. [12 décembre 1789.] 529 jamais besoin de me justifier. Ces comptes sont authentiques; les originaux doivent exister dans les bureaux de la marine; je porterai d’ailleurs au soutien les témoignages de satisfaction et de reconnaissance, qu’en divers temps la municipalité de Toulon m’a donnés; on jugera par eux du cas qu’on doit faire des inculpations dont elle me charge aujourd’hui. Je vais donc commencer ma justification par l’exposé des comptes officiels rendus par moià l’occasion de la première émeute; ensuite je donnerai l’historique de tout ce qui s’est passé jusqu’à l’étonnante catastrophe du 1er décembre. Lettre à M. le comte de La Luzerne, du 24 mars 1 789. « Monseigneur, « Hier, dans l’après-midi, les rédacteurs des cahiers du tiers s’étant assemblés, il survint dans la salle de l’hôtel de ville, lieu de l’assemblée, quelques femmes qui s’écrièrent qu’il fallait assom mer M. Lan tier, ancien consul, l’un des rédacteurs et M. Baudin, secrétaire de l’hôtel de ville, et qui en cette qualité a la plus grande influence dans l’administration des revenus delà ville. Vainement les valets de ville voulurent faire sortir ces femmes dont le nombre devint bientôt plus considérable, et auquel quelques bommess’étaientjoints. On futde-mander du secours dans un poste voisin ; il en vint 8 soldats qui furent désarmés à l’instant et bientôt le trouble fut extrême. La générale fut battue; un des régiments qui composent la garnison se porta sur la place de l’hôtel de ville, pleine d’une populace effrénée qui disait vouloir absolument massacrer MM. Lantier et Baudin, réfugiés pour lors dans un cabinet dont on m’a assuré qu’un homme armé d’un fusil avait eu le courage de défendre la porte. Pendant ce temps, ou à peu près, un semblable attroupement eut lieu devant le palais épiscopal ; les mutins entrèrent dans les cours, s’emparèrent de la voiture de M. l’Évêque, la mirent en pièces et furent en jeter les débris dans le port; je ne sais point encore quels ont été les autres excès commis dans ce palais. Les mutins de l’hôtel de ville n’y trouvant plus rien à détruire (MM. Lantier etM. Baudin ayant, je ne sais comment, trouvé le moyen de leur échapper), furent à la maison du dernier, qu’il dégradèrent. Ils en arrachèrent jusqu’aux balcons et aux fers des fenêtres. Vous serez sans doute étonné, Monseigneur, que de pareils excès se soient commis dans une ville de guerre, où il n’y a pas moins de 3,000 hommes de troupes et un corps considérable d’officiers. Jesens que je me dois une justification, j’espère que vous la trouverez dans le détail particulier de la conduite que moi et tous ceux qui sont à mes ordres ont tenue. « J’étais sorti de la ville à 4 heures après-midi; à 5 ont vint me dire qu’on battait la générale, que les portes étaient fermées, et qu’il y avait ordre de me laisser entrer. On me dit en entrant que M. de Goincy me priait de passer chez lui; j’y courus : il me dit l’état de choses tel qu’on le lui avait rendu. MM. Lantier et Baudin étaient morts, disait-on. J’offris à ce commandant tous les secours qui dépendaient de moi : il avait déjà demandé qu’une partie des canonniers matelots fût se mettre en bataille sur le quai de la Patache. Je sortis sur-le-chamf) pour donner des ordres en conséquence, et après m’être assuré à la porte de l’arsenal que M. du Castellet y était, et qu’il avait six compagnies de nos canonniers I sous les armes, je m’acheminai vers l’hôtel de 34