306 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE e Le président de l’administration du département de l’Indre-et-Loire annonce que des biens d’émigrés, estimés 1 297 595 liv. ont été vendus 2 792169 liv. (1). 35 Un membre du Comité des secours [BRIEZ] présente un rapport et fait rendre le décret suivant : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité des secours publics sur la pétition du citoyen François La-pierre, âgé de 51 ans, père de famille, chargé de sept enfans, laboureur à Oncieu, district de Mont-Ferme, ci-devant Saint-Rambert, département de l’Ain, qui, après cinq mois et demi de détention, a été acquitté à l’unanimité, et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 19 floréal présent mois; » Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera au citoyen Lapierre la somme de 500 liv., à titre de secours et indemnité, et pour l’aider à retourner dans son domicile, éloigné de 120 lieues. » Le présent décret ne sera pas imprimé » (2). 36 Un autre membre du Comité des secours [en réalité BRIEZ] termine la séance en proposant les quatre décrets suivans, qui sont rendus immédiatement après avoir entendu les rapports faits au nom de ce Comité, desquels rapports l’impression du premier est décrétée (3). BRIEZ : Citoyens : je viens, au nom de votre Comité des secours publics, appeler l’attention de la Convention nationale sur une question d’autant plus importante qu’elle intéresse les familles d’un grand nombre de défenseurs de la patrie. Vous parler des citoyens qui chaque jour versent leur sang pour la cause de la liberté et de l’égalité, c’est être assuré d’avance d’attirer toute la sensibilité et l’affection des représentants du peuple. Votre Comité m’a chargé de vous rendre compte des diverses pétitions et réclamations adressées à la Convention nationale par plusieurs citoyens, par des autorités constituées et des Sociétés populaires, contre l’exception portée en l’article III de la loi du 4 mai 1793, et dans l’article 1er du titre V de la loi du 22 pluviôse dernier, qui excluent des secours accordés aux familles des défenseurs de la patrie les parents des soldats de la liberté partis en remplacement. (1) J. Perlet, n° 600; J. Paris, n° 500; M.U., XXXIX, 390; J. Sablier, n° 1316. (2) P.V., XXXVII, 200. Minute de la main de Briez, (C 301, pl. 1073, p. 22). Décret n° 9141. Reproduit dans Btn, 25 flor. (suppl‘). (3) P.V., XXXVII, 200. Si des raisons plausibles ont fait prononcer cette exclusion lors de la loi du 4 mai 1793; si elles valurent encore à l’époque de la loi du 22 pluviôse dernier, rendue sur le rapport du Comité de salut public, il faut néanmoins convenir que des considérations assez puissantes se présentent pour que l’on examine de nouveau une question de cette nature; pour qu’on l’approfondisse, qu’on l’envisage sous tous les rapports, et qu’une discussion solennelle offre un résultat qui ne laisse plus rien à désirer. Votre Comité des secours publics ne s’est pas dissimulé les difficultés qui se rencontreraient à cet égard, ni les diverses objections que l’on pouvait opposer contre l’une ou l’autre détermination; mais il a cru qu’il était de son devoir de vous soumettre les réflexions que lui ont fait naître ses méditations sur un point qu’il a regardé comme très -important, soit en raison des principes, soit en raison des circonstances actuelles. La loi du 29 novembre 1792 (art. II) assurait des secours aux pères, mères, femmes et enfants qui n’avaient pour toute ressource que le produit du travail du citoyen soldat volontaire de tout grade au service de la République. L’article IV exigeait la remise au greffe de la municipalité ou de la section de l’extrait de l’acte de naissance, et de l’inscription du citoyen soldat pour servir comme volontaire. Cette loi du 26 octobre 1793, en n’accordant des secours qu’aux familles des citoyens soldats volontaires, excluait nécessairement les citoyens soldats des ci-devant troupes de ligne, soit à cause de leur engagement, soit à cause des avantages particuliers et pécuniaires qu’ils avaient reçus lors de cet engagement; mais on sentit bientôt les inconvénients et l’injustice d’une différence quelconque entre les mêmes soldats de la patrie, entre les mêmes défenseurs de la liberté et de l’égalité, enfin entre les citoyens rangés tous sous les mêmes drapeaux de la République, et en conséquence la loi du 4 mai 1793 accorda des secours aux familles des militaires de toutes armes. Voici le texte de l’article 1er de cette loi. « Il sera accordé des secours aux familles des militaires de toutes armes servant dans les armées, et aux familles des marins, ouvriers, navigateurs, canonniers et soldats de marine, en activité de service sur les vaisseaux et autres bâtiments de la République ». Mais la loi du 4 mai 1793, en faisant sagement disparaître la différence et l’exclusion que présentait celle du 26 novembre précédent, relativement aux soldats des troupes de ligne, établit elle même une différence et une exclusion d’un autre genre, en prononçant (art. III) que les pères, mères et autres ascendants, épouses, enfants, frères et sœurs de tous les militaires qui sont partis en remplacement n’auront aucune part aux secours. Cette disposition, malgré toute la sévérité qu’elle renferme, pouvait paraître d’une grande justice à l’époque du 4 mai 1793, où l’on présumait que les citoyens partis en remplacement, et où l’on avait même la certitude que plusieurs d’entre eux avaient reçu des avantages pécuniaires, ou s’étaient fait assurer des secours en faveur de leurs parents, par les individus qu’ils remplaçaient. Mais les circonstances n’étaient plus les mêmes à l’époque de la loi du 21 pluviôse dernier; et malgré cela, la même différence fut 306 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE e Le président de l’administration du département de l’Indre-et-Loire annonce que des biens d’émigrés, estimés 1 297 595 liv. ont été vendus 2 792169 liv. (1). 35 Un membre du Comité des secours [BRIEZ] présente un rapport et fait rendre le décret suivant : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité des secours publics sur la pétition du citoyen François La-pierre, âgé de 51 ans, père de famille, chargé de sept enfans, laboureur à Oncieu, district de Mont-Ferme, ci-devant Saint-Rambert, département de l’Ain, qui, après cinq mois et demi de détention, a été acquitté à l’unanimité, et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 19 floréal présent mois; » Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera au citoyen Lapierre la somme de 500 liv., à titre de secours et indemnité, et pour l’aider à retourner dans son domicile, éloigné de 120 lieues. » Le présent décret ne sera pas imprimé » (2). 36 Un autre membre du Comité des secours [en réalité BRIEZ] termine la séance en proposant les quatre décrets suivans, qui sont rendus immédiatement après avoir entendu les rapports faits au nom de ce Comité, desquels rapports l’impression du premier est décrétée (3). BRIEZ : Citoyens : je viens, au nom de votre Comité des secours publics, appeler l’attention de la Convention nationale sur une question d’autant plus importante qu’elle intéresse les familles d’un grand nombre de défenseurs de la patrie. Vous parler des citoyens qui chaque jour versent leur sang pour la cause de la liberté et de l’égalité, c’est être assuré d’avance d’attirer toute la sensibilité et l’affection des représentants du peuple. Votre Comité m’a chargé de vous rendre compte des diverses pétitions et réclamations adressées à la Convention nationale par plusieurs citoyens, par des autorités constituées et des Sociétés populaires, contre l’exception portée en l’article III de la loi du 4 mai 1793, et dans l’article 1er du titre V de la loi du 22 pluviôse dernier, qui excluent des secours accordés aux familles des défenseurs de la patrie les parents des soldats de la liberté partis en remplacement. (1) J. Perlet, n° 600; J. Paris, n° 500; M.U., XXXIX, 390; J. Sablier, n° 1316. (2) P.V., XXXVII, 200. Minute de la main de Briez, (C 301, pl. 1073, p. 22). Décret n° 9141. Reproduit dans Btn, 25 flor. (suppl‘). (3) P.V., XXXVII, 200. Si des raisons plausibles ont fait prononcer cette exclusion lors de la loi du 4 mai 1793; si elles valurent encore à l’époque de la loi du 22 pluviôse dernier, rendue sur le rapport du Comité de salut public, il faut néanmoins convenir que des considérations assez puissantes se présentent pour que l’on examine de nouveau une question de cette nature; pour qu’on l’approfondisse, qu’on l’envisage sous tous les rapports, et qu’une discussion solennelle offre un résultat qui ne laisse plus rien à désirer. Votre Comité des secours publics ne s’est pas dissimulé les difficultés qui se rencontreraient à cet égard, ni les diverses objections que l’on pouvait opposer contre l’une ou l’autre détermination; mais il a cru qu’il était de son devoir de vous soumettre les réflexions que lui ont fait naître ses méditations sur un point qu’il a regardé comme très -important, soit en raison des principes, soit en raison des circonstances actuelles. La loi du 29 novembre 1792 (art. II) assurait des secours aux pères, mères, femmes et enfants qui n’avaient pour toute ressource que le produit du travail du citoyen soldat volontaire de tout grade au service de la République. L’article IV exigeait la remise au greffe de la municipalité ou de la section de l’extrait de l’acte de naissance, et de l’inscription du citoyen soldat pour servir comme volontaire. Cette loi du 26 octobre 1793, en n’accordant des secours qu’aux familles des citoyens soldats volontaires, excluait nécessairement les citoyens soldats des ci-devant troupes de ligne, soit à cause de leur engagement, soit à cause des avantages particuliers et pécuniaires qu’ils avaient reçus lors de cet engagement; mais on sentit bientôt les inconvénients et l’injustice d’une différence quelconque entre les mêmes soldats de la patrie, entre les mêmes défenseurs de la liberté et de l’égalité, enfin entre les citoyens rangés tous sous les mêmes drapeaux de la République, et en conséquence la loi du 4 mai 1793 accorda des secours aux familles des militaires de toutes armes. Voici le texte de l’article 1er de cette loi. « Il sera accordé des secours aux familles des militaires de toutes armes servant dans les armées, et aux familles des marins, ouvriers, navigateurs, canonniers et soldats de marine, en activité de service sur les vaisseaux et autres bâtiments de la République ». Mais la loi du 4 mai 1793, en faisant sagement disparaître la différence et l’exclusion que présentait celle du 26 novembre précédent, relativement aux soldats des troupes de ligne, établit elle même une différence et une exclusion d’un autre genre, en prononçant (art. III) que les pères, mères et autres ascendants, épouses, enfants, frères et sœurs de tous les militaires qui sont partis en remplacement n’auront aucune part aux secours. Cette disposition, malgré toute la sévérité qu’elle renferme, pouvait paraître d’une grande justice à l’époque du 4 mai 1793, où l’on présumait que les citoyens partis en remplacement, et où l’on avait même la certitude que plusieurs d’entre eux avaient reçu des avantages pécuniaires, ou s’étaient fait assurer des secours en faveur de leurs parents, par les individus qu’ils remplaçaient. Mais les circonstances n’étaient plus les mêmes à l’époque de la loi du 21 pluviôse dernier; et malgré cela, la même différence fut SÉANCE DU 24 FLORÉAL AN XI (13 MAI 1794) - N° 36 307 encore admise, la même exclusion fut encore prononcée contre les familles des défenseurs de la patrie, partis en remplacement. Cependant on sentit combien était excessive la rigueur de la loi du 4 mai 1793, et celle du 21 pluviôse apporta quelques changements et modifications propres à adoucir le sort des soldats remplaçants. L’article 1er du titre V n’exclut formellement des secours que les familles des citoyens partis en remplacement « d’après des arrangements particuliers faits avec ceux qu’ils ont remplacés ». Il résulte évidemment que l’on n’a pas entendu refuser les secours aux familles des citoyens qui sont partis en remplacement sans avoir fait aucun traité ou arrangement, et sans avoir reçu aucun avantage pécuniaire de ceux qu’ils ont remplacés, et l’on verra dans l’instant combien cette distinction était nécessaire. D’un autre côté, la même loi du 21 pluviôse décide que les veuves et enfants des soldats partis en remplacement, qui seraient morts dans les combats, ou par suite de leurs blessures, jouiront, dans ce cas des mêmes secours accordés aux veuves et enfants des autres défenseurs de la patrie. Enfin, les secours et les avantages sont aussi les mêmes pour tous les soldats indistinctement, que des blessures mettent hors d’état de continuer leur service et de pourvoir à leur subsistance; de manière que la seule différence qui existe encore en ce moment, c’est que les pères, mères, épouses et enfants des militaires partis en remplacement sont privés des secours annuels accordés aux familles des défenseurs de la patrie. Votre Comité des secours publics a été vivement frappé de cette différence entre tel ou tel défenseur de la patrie. Elle avait été établie par la loi du 26 novembre 1792, entre les volontaires et les soldats des ci-devant troupes de ligne, et on en avait depuis senti tous les inconvénients; mais la loi du 4 mai 1793, en voulant y remédier, présenta elle-même une autre discordance, en faisant deux classes des volontaires et en excluant des secours les familles de ceux partis en remplacement. La loi du 21 pluviôse, en modifiant cette rigueur relativement aux blessés et aux victimes des combats, laisse encore quelque chose de plus à faire. Votre Comité a pensé qu’il fallait anéantir entièrement toute ligne de démarcation quel-conaue entre les soldats de la liberté et de l’égalité. Tous, en effet, combattent pour la république; tous versent leur sang pour l’affermissement de la constitution populaire et démocratique, tous doivent donc jouir des mêmes avantages. J’ajouterai à cette idée, bien simple et naturelle, oui tient encore plus à l’intérêt public qu’à la politique que s’il est dur, si même il est humiliant pour plusieurs familles des défenseurs de la patrie d’être privés des secours que la nation accorde aux autres, il est bien plus dur encore pour un père, une mère, une épouse, ou des enfants, de n’en pouvoir espérer que dans le cas où une mort, bien aue glorieuse, puisqu’elle aura été reçue ou donnée au champ de l’honneur et de la victoire, les privera pour toujours de leurs affections les plus chères, et de toutes les espérances qu’ils avaient droit d’attendre de celui qui en était l’objet. Je dirai encore que, les secours accordés aux familles des défenseurs de la patrie ne l’étant qu’aux parents qui sont dans l’indigence, le trésor public ne retirerait aucun bénéfice d’en exclure les familles des soldats partis en remplacement; car la loi du 28 juin 1793 assure des secours annuels à toutes les familles indigentes; et puisqu’à ce seul titre elles auraient des droits certains aux secours de la nation, pourquoi leur refuserait-on, sous le titre honorable de parents des défenseurs de la patrie, un avantage qu’on ne pourrait pas leur contester à raison même de leur indigence, dénuée de toute autre considération ? Mais votre Comité n’a pas cru pouvoir se borner à ces considérations générales; il a pensé qu’il devait discuter cette matière avec toute l’étendue dont elle était susceptible; il a pensé qu’il devait en approfondir tous les détails, et vous soumettre toutes les idées qu’elle présente. On pourrait d’abord argumenter avec quelque succès de ce que les militaires partis en remplacement ont assez payé le prix de leurs traités ou arangements particuliers avec ceux qu’ils ont remplacés, par la privation que leurs familles ont éprouvée de tout secours pendant la campagne dernière; on pourrait encore ai ou ter que ces remplaçants ont pu imaginer que leur engagement, ou plutôt leur enrôlement, ne les obligeait strictement que pour une campagne, à l’instar des volontaires enrôlés en 1792; mais nous ne nous arrêterons pas à ces idées, qui seraient injurieuses à la fidélité, à la bravoure et au courage des défenseurs de la patrie qui composent les armées de la république. Envisageons seulement et considérons quels sont les militaires partis en remplacement. 1° Plusieurs sont de l’âge de 18 à 25 ans; ils se trouveraient donc également aujourd’hui sous les drapeaux de la patrie, comme faisant partie de la première réquisition, et à ce titre leurs familles participeraient aux secours, sans aucune exception : les en priverez-vous plus longtemps parce que leurs époux ou leurs enfants se sont dévoués plus tôt à la défense des frontières ? 2° Plusieurs des remplacés sont eux-mêmes aujourd’hui sous les drapeaux de la patrie, tant par l’effet de la première réquisition que par des actes d’un dévouement libre et volontaire. En pareil cas, le remplacé, qui paie lui-même de sa personne, n’efîace-t-il pas le mot de remplaçant dans celui qui, l’ayant suppléé momentanément dans la campagne dernière, présente un soldat de plus, qui a le mérite de s’être dévoué au premier appel. Je dois citer ici un cas particulier, bien propre à éclairer la justice de la Convention nationale sur la question que nous agitons dans ce moment; je retracerai les expressions naïves et sincères de la pétition qui le renferme. « La citoyenne Elisabeth Boituzet, femme d’Ed-mé Fèvre, tissier en toile à Montbard, chef-lieu de canton, district de Semur, département de la Côte-d’Or, expose que son mari, dès la formation des bataillons de volontaires, avait conçu le dessein de s’enrôler pour le service de la patrie, et n’en était retenu qu’à cause de sa femme et de ses trois enfants, dont le plus âgé n’a que six ans. Au mois de mars 1793, le citoyen Guiod, notaire à Montbard, ayant su que le dit Fèvre était disposé à servir, lui proposa une somme de 300 liv. s’il voulait remplacer son fils tombé au SÉANCE DU 24 FLORÉAL AN XI (13 MAI 1794) - N° 36 307 encore admise, la même exclusion fut encore prononcée contre les familles des défenseurs de la patrie, partis en remplacement. Cependant on sentit combien était excessive la rigueur de la loi du 4 mai 1793, et celle du 21 pluviôse apporta quelques changements et modifications propres à adoucir le sort des soldats remplaçants. L’article 1er du titre V n’exclut formellement des secours que les familles des citoyens partis en remplacement « d’après des arrangements particuliers faits avec ceux qu’ils ont remplacés ». Il résulte évidemment que l’on n’a pas entendu refuser les secours aux familles des citoyens qui sont partis en remplacement sans avoir fait aucun traité ou arrangement, et sans avoir reçu aucun avantage pécuniaire de ceux qu’ils ont remplacés, et l’on verra dans l’instant combien cette distinction était nécessaire. D’un autre côté, la même loi du 21 pluviôse décide que les veuves et enfants des soldats partis en remplacement, qui seraient morts dans les combats, ou par suite de leurs blessures, jouiront, dans ce cas des mêmes secours accordés aux veuves et enfants des autres défenseurs de la patrie. Enfin, les secours et les avantages sont aussi les mêmes pour tous les soldats indistinctement, que des blessures mettent hors d’état de continuer leur service et de pourvoir à leur subsistance; de manière que la seule différence qui existe encore en ce moment, c’est que les pères, mères, épouses et enfants des militaires partis en remplacement sont privés des secours annuels accordés aux familles des défenseurs de la patrie. Votre Comité des secours publics a été vivement frappé de cette différence entre tel ou tel défenseur de la patrie. Elle avait été établie par la loi du 26 novembre 1792, entre les volontaires et les soldats des ci-devant troupes de ligne, et on en avait depuis senti tous les inconvénients; mais la loi du 4 mai 1793, en voulant y remédier, présenta elle-même une autre discordance, en faisant deux classes des volontaires et en excluant des secours les familles de ceux partis en remplacement. La loi du 21 pluviôse, en modifiant cette rigueur relativement aux blessés et aux victimes des combats, laisse encore quelque chose de plus à faire. Votre Comité a pensé qu’il fallait anéantir entièrement toute ligne de démarcation quel-conaue entre les soldats de la liberté et de l’égalité. Tous, en effet, combattent pour la république; tous versent leur sang pour l’affermissement de la constitution populaire et démocratique, tous doivent donc jouir des mêmes avantages. J’ajouterai à cette idée, bien simple et naturelle, oui tient encore plus à l’intérêt public qu’à la politique que s’il est dur, si même il est humiliant pour plusieurs familles des défenseurs de la patrie d’être privés des secours que la nation accorde aux autres, il est bien plus dur encore pour un père, une mère, une épouse, ou des enfants, de n’en pouvoir espérer que dans le cas où une mort, bien aue glorieuse, puisqu’elle aura été reçue ou donnée au champ de l’honneur et de la victoire, les privera pour toujours de leurs affections les plus chères, et de toutes les espérances qu’ils avaient droit d’attendre de celui qui en était l’objet. Je dirai encore que, les secours accordés aux familles des défenseurs de la patrie ne l’étant qu’aux parents qui sont dans l’indigence, le trésor public ne retirerait aucun bénéfice d’en exclure les familles des soldats partis en remplacement; car la loi du 28 juin 1793 assure des secours annuels à toutes les familles indigentes; et puisqu’à ce seul titre elles auraient des droits certains aux secours de la nation, pourquoi leur refuserait-on, sous le titre honorable de parents des défenseurs de la patrie, un avantage qu’on ne pourrait pas leur contester à raison même de leur indigence, dénuée de toute autre considération ? Mais votre Comité n’a pas cru pouvoir se borner à ces considérations générales; il a pensé qu’il devait discuter cette matière avec toute l’étendue dont elle était susceptible; il a pensé qu’il devait en approfondir tous les détails, et vous soumettre toutes les idées qu’elle présente. On pourrait d’abord argumenter avec quelque succès de ce que les militaires partis en remplacement ont assez payé le prix de leurs traités ou arangements particuliers avec ceux qu’ils ont remplacés, par la privation que leurs familles ont éprouvée de tout secours pendant la campagne dernière; on pourrait encore ai ou ter que ces remplaçants ont pu imaginer que leur engagement, ou plutôt leur enrôlement, ne les obligeait strictement que pour une campagne, à l’instar des volontaires enrôlés en 1792; mais nous ne nous arrêterons pas à ces idées, qui seraient injurieuses à la fidélité, à la bravoure et au courage des défenseurs de la patrie qui composent les armées de la république. Envisageons seulement et considérons quels sont les militaires partis en remplacement. 1° Plusieurs sont de l’âge de 18 à 25 ans; ils se trouveraient donc également aujourd’hui sous les drapeaux de la patrie, comme faisant partie de la première réquisition, et à ce titre leurs familles participeraient aux secours, sans aucune exception : les en priverez-vous plus longtemps parce que leurs époux ou leurs enfants se sont dévoués plus tôt à la défense des frontières ? 2° Plusieurs des remplacés sont eux-mêmes aujourd’hui sous les drapeaux de la patrie, tant par l’effet de la première réquisition que par des actes d’un dévouement libre et volontaire. En pareil cas, le remplacé, qui paie lui-même de sa personne, n’efîace-t-il pas le mot de remplaçant dans celui qui, l’ayant suppléé momentanément dans la campagne dernière, présente un soldat de plus, qui a le mérite de s’être dévoué au premier appel. Je dois citer ici un cas particulier, bien propre à éclairer la justice de la Convention nationale sur la question que nous agitons dans ce moment; je retracerai les expressions naïves et sincères de la pétition qui le renferme. « La citoyenne Elisabeth Boituzet, femme d’Ed-mé Fèvre, tissier en toile à Montbard, chef-lieu de canton, district de Semur, département de la Côte-d’Or, expose que son mari, dès la formation des bataillons de volontaires, avait conçu le dessein de s’enrôler pour le service de la patrie, et n’en était retenu qu’à cause de sa femme et de ses trois enfants, dont le plus âgé n’a que six ans. Au mois de mars 1793, le citoyen Guiod, notaire à Montbard, ayant su que le dit Fèvre était disposé à servir, lui proposa une somme de 300 liv. s’il voulait remplacer son fils tombé au 308 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE sort. Cette somme flatta Fèvre, qui en avait grand besoin pour payer quelques dettes et fournir à la subsistance de sa femme et de ses trois enfants, son état de tisseur en toile, vu la cherté des denrées n’étant pas suffisant pour gagner la vie à cinq personnes, ce qui l’engagea à accepter la proposition et à partir en remplacement, le 12 mars 1793 : il est à l’armée de Moselle, au 4e bataillon de la Côte-d’Or, en sorte que sa femme est restée avec ses trois enfants, n’ayant pas un sou de revenu et se trouvant dans une extrême misère. Elle demande de participer aux secours, d’autant que, depuis, le fils du citoyen Guiod, que son mari avait remplacé, s’est lui-même enrôlé volontairement pour le 6e bataillon de la Côte-d’Or, et est parti le 30 vendémiaire dernier ». Tous ces faits son attestés par la municipalité de Montbard. La Société populaire de la même commune vous a depuis adressé sur le même objet une pétition conçue en ces termes : «Le véritable philosophe est sévère dans ses principes; la vertu est son aliment; chez lui le vice est proscrit. « C’est sur des bases aussi pures, Législateurs philosophes, que vous vous proposez d’asseoir les colonnes inébranlables de notre gouvernement républicain; vos lois ne respirent que la plus saine morale; la raison nous confirme leur excellence, aussi les publions -nous tous les jours avec enthousiasme dans son temple. « Mais n’y aurait-il pas des circonstances où, sans altérer la dignité de votre plan, vous pourriez modifier l’exécution littérale d’une sévère décision ? « Vous avez décrété, par exemple, des secours pour les familles indigentes des défenseurs de la patrie; rien de plus sage que cette loi générale; une exception seulement nous a paru bien sévère : l’application de ces secours est refusée aux parents de ceux qui servent par remplacement, à moins qu’ils aient été tués ou blessés. Vous les regardez sans doute comme des êtres immoraux, ou bien vous avez présumé qu’ils auront pris des précautions pour assurer à leur famille des secours de la part de ceux qu’ils remplacent; mais combien de ces remplaçants n’ont-ils pas traité à forfait ? Combien d’entre eux remplacent-ils pas des gens qui n’avaient eux-mêmes aucune fortune ? « De ce nombre se trouve dans cette commune le citoyen Fèvre; en partant il a laissé une femme et trois enfants dont l’aîné n’a que 7 fins. Cette famille est sans propriété et dans la plus grande indigence. « Fèvre a traité à forfait avec un jeune homme établi à Semur, qui avait été nommé au scrutin, mais il se défiait à cette époque de ses forces, et n’avait d’autre ressource que son état et quelques talens naturels. Revenu de ce premier acte de faiblesse, ce jeune homme s’est lui même dévoué volontairement au service de la patrie. La famille de Fèvre a consommé le prix de son engagement, elle se trouve réduite à la plus profonde misère. — C’est ici le cas, ajoute la Société populaire de Montbard, de modifier la sévérité de la loi, c’est ici le cas de placer entre l’austérité des principes républicains et de faible coloris de la sensibilité un trait sublime de l’humanité bienfaisante ». 3° Parmi les remplaçants, il en est beaucoup qui n’ont fait aucun arrangement, ni traité, et la loi du 21 pluviôse dernier, modifiant en cela, celle du 4 mai 1793, n’exclut des secours que les familles de ceux qui ont fait des arrangements et traités. Cependant, et dans l’exécution, le seul titre de remplaçant fait rejeter les réclamations de leurs parents, parce qu’une preuve négative des arrangements ou traités est trop difficile à acquérir, pour ne pas dire qu’il serait peut-être même impossible de la faire admettre. Il est pourtant bien certain que plusieurs militaires sont partis en remplacement pour des parents, quelque fois même pour des amis, par le seul mobile du sentiment de la vertu, de l’humanité, et du respectueux dévouement pour des vieillards, ou pour des familles désolées, et que les remplaçants ont laissé dans les remplacés des bras nécessaires à leur subsistance et au travail qui leur procurait des aliments. Ces sentiments généreux se sont trouvés dans l’âme de plusieurs; il est d’ailleurs une vertu innée dans l’âme des vrais amis de la patrie, de chérir ses frères et d’être utile au bonheur de ses concitoyens. L’histoire nous fournit une multitude d’exemples de cette vertu du peuple, sous le règne même du despotisme, lorsque le tirage forcé de la milice arrachait sans pitié les pères à leurs enfants, les époux à leurs femmes, et les enfants laborieux à leur famille, pour les faire combattre sous les enseignes de la tyrannie. Doit-on s’étonner après cela que le génie de la liberté fait naître des sentiments encore plus touchants ? Ah ! pour l’honneur du nom français, et puisqu’il est vrai de dire que les vertus se propagent encore mieux dans des cœurs républicains, nous devons croire qu’elles ont aussi été partagées par le plus grand nombre des soldats de la patrie, partis en remplacement. De quelles vertus en effet ne sont pas capables ceux qui, chaaue jour, versent leur sang pour la cause de la liberté et de l’égalité ? Jugez-en par les traits de courage, de résignation, de bravoure, d’héroïsme et d’intrépidité qu’ils fournissent constamment. Je n’abandonnerai pas cet article des remplaçants vertueux, désintéressés, et conduits par le seul amour de la patrie, sans vous citer des traits encore plus frappants, et dont j’ai les preuves authentiques; car il ne faut pas laisser ignorer qu’il en est même plusieurs qui sont partis à la place de leur frère, dont ils ont considéré l’extrême jeunesse, ou qu’ils ont jugé plus utile aux travaux et au soutien de leur famille. Peut-on jamais imaginer qu’en pareil cas le citoyen qui remplace son frère ait pris des arrangements et fait des traités avec lui ? Un dévouement de cette nature peut-il avoir été conduit par d’autre sentiment que celui, je ne dirai pas de l’amitié ou de la tendresse fraternelle, mais bien de la piété filiale ? Aura-t-il donc encore la douleur de voir sa famille privée des secours accordés aux parents des autres défenseurs de la patrie ? Eh bien, il faut que je vous apprenne encore quelque chose de plus : le frère, qui était d’abord remplacé, se trouve aussi maintenant sous les drapeaux de la république. Sa famille, qui, aux termes de la loi du 21 pluviôse, devrait recevoir les secours à raison des deux enfants, en sera-t-elle privée pour le premier parce qu’il n’est parti d’abord qu’en remplacement de son frère qui depuis s’est aussi dévoué à la défense de la patrie ? 308 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE sort. Cette somme flatta Fèvre, qui en avait grand besoin pour payer quelques dettes et fournir à la subsistance de sa femme et de ses trois enfants, son état de tisseur en toile, vu la cherté des denrées n’étant pas suffisant pour gagner la vie à cinq personnes, ce qui l’engagea à accepter la proposition et à partir en remplacement, le 12 mars 1793 : il est à l’armée de Moselle, au 4e bataillon de la Côte-d’Or, en sorte que sa femme est restée avec ses trois enfants, n’ayant pas un sou de revenu et se trouvant dans une extrême misère. Elle demande de participer aux secours, d’autant que, depuis, le fils du citoyen Guiod, que son mari avait remplacé, s’est lui-même enrôlé volontairement pour le 6e bataillon de la Côte-d’Or, et est parti le 30 vendémiaire dernier ». Tous ces faits son attestés par la municipalité de Montbard. La Société populaire de la même commune vous a depuis adressé sur le même objet une pétition conçue en ces termes : «Le véritable philosophe est sévère dans ses principes; la vertu est son aliment; chez lui le vice est proscrit. « C’est sur des bases aussi pures, Législateurs philosophes, que vous vous proposez d’asseoir les colonnes inébranlables de notre gouvernement républicain; vos lois ne respirent que la plus saine morale; la raison nous confirme leur excellence, aussi les publions -nous tous les jours avec enthousiasme dans son temple. « Mais n’y aurait-il pas des circonstances où, sans altérer la dignité de votre plan, vous pourriez modifier l’exécution littérale d’une sévère décision ? « Vous avez décrété, par exemple, des secours pour les familles indigentes des défenseurs de la patrie; rien de plus sage que cette loi générale; une exception seulement nous a paru bien sévère : l’application de ces secours est refusée aux parents de ceux qui servent par remplacement, à moins qu’ils aient été tués ou blessés. Vous les regardez sans doute comme des êtres immoraux, ou bien vous avez présumé qu’ils auront pris des précautions pour assurer à leur famille des secours de la part de ceux qu’ils remplacent; mais combien de ces remplaçants n’ont-ils pas traité à forfait ? Combien d’entre eux remplacent-ils pas des gens qui n’avaient eux-mêmes aucune fortune ? « De ce nombre se trouve dans cette commune le citoyen Fèvre; en partant il a laissé une femme et trois enfants dont l’aîné n’a que 7 fins. Cette famille est sans propriété et dans la plus grande indigence. « Fèvre a traité à forfait avec un jeune homme établi à Semur, qui avait été nommé au scrutin, mais il se défiait à cette époque de ses forces, et n’avait d’autre ressource que son état et quelques talens naturels. Revenu de ce premier acte de faiblesse, ce jeune homme s’est lui même dévoué volontairement au service de la patrie. La famille de Fèvre a consommé le prix de son engagement, elle se trouve réduite à la plus profonde misère. — C’est ici le cas, ajoute la Société populaire de Montbard, de modifier la sévérité de la loi, c’est ici le cas de placer entre l’austérité des principes républicains et de faible coloris de la sensibilité un trait sublime de l’humanité bienfaisante ». 3° Parmi les remplaçants, il en est beaucoup qui n’ont fait aucun arrangement, ni traité, et la loi du 21 pluviôse dernier, modifiant en cela, celle du 4 mai 1793, n’exclut des secours que les familles de ceux qui ont fait des arrangements et traités. Cependant, et dans l’exécution, le seul titre de remplaçant fait rejeter les réclamations de leurs parents, parce qu’une preuve négative des arrangements ou traités est trop difficile à acquérir, pour ne pas dire qu’il serait peut-être même impossible de la faire admettre. Il est pourtant bien certain que plusieurs militaires sont partis en remplacement pour des parents, quelque fois même pour des amis, par le seul mobile du sentiment de la vertu, de l’humanité, et du respectueux dévouement pour des vieillards, ou pour des familles désolées, et que les remplaçants ont laissé dans les remplacés des bras nécessaires à leur subsistance et au travail qui leur procurait des aliments. Ces sentiments généreux se sont trouvés dans l’âme de plusieurs; il est d’ailleurs une vertu innée dans l’âme des vrais amis de la patrie, de chérir ses frères et d’être utile au bonheur de ses concitoyens. L’histoire nous fournit une multitude d’exemples de cette vertu du peuple, sous le règne même du despotisme, lorsque le tirage forcé de la milice arrachait sans pitié les pères à leurs enfants, les époux à leurs femmes, et les enfants laborieux à leur famille, pour les faire combattre sous les enseignes de la tyrannie. Doit-on s’étonner après cela que le génie de la liberté fait naître des sentiments encore plus touchants ? Ah ! pour l’honneur du nom français, et puisqu’il est vrai de dire que les vertus se propagent encore mieux dans des cœurs républicains, nous devons croire qu’elles ont aussi été partagées par le plus grand nombre des soldats de la patrie, partis en remplacement. De quelles vertus en effet ne sont pas capables ceux qui, chaaue jour, versent leur sang pour la cause de la liberté et de l’égalité ? Jugez-en par les traits de courage, de résignation, de bravoure, d’héroïsme et d’intrépidité qu’ils fournissent constamment. Je n’abandonnerai pas cet article des remplaçants vertueux, désintéressés, et conduits par le seul amour de la patrie, sans vous citer des traits encore plus frappants, et dont j’ai les preuves authentiques; car il ne faut pas laisser ignorer qu’il en est même plusieurs qui sont partis à la place de leur frère, dont ils ont considéré l’extrême jeunesse, ou qu’ils ont jugé plus utile aux travaux et au soutien de leur famille. Peut-on jamais imaginer qu’en pareil cas le citoyen qui remplace son frère ait pris des arrangements et fait des traités avec lui ? Un dévouement de cette nature peut-il avoir été conduit par d’autre sentiment que celui, je ne dirai pas de l’amitié ou de la tendresse fraternelle, mais bien de la piété filiale ? Aura-t-il donc encore la douleur de voir sa famille privée des secours accordés aux parents des autres défenseurs de la patrie ? Eh bien, il faut que je vous apprenne encore quelque chose de plus : le frère, qui était d’abord remplacé, se trouve aussi maintenant sous les drapeaux de la république. Sa famille, qui, aux termes de la loi du 21 pluviôse, devrait recevoir les secours à raison des deux enfants, en sera-t-elle privée pour le premier parce qu’il n’est parti d’abord qu’en remplacement de son frère qui depuis s’est aussi dévoué à la défense de la patrie ? SÉANCE DU 24 FLORÉAL AN II (13 MAI 1794) - N° 36 309 Voici d’ailleurs comment la question est posée par l’administration du district de Meaux. « Une veuve a trois enfants, elle est dans l’indigence. » Deux sont à la défense de la patrie, le troisième reste seul avec sa mère et la soulage à peine par le travail de ses bras. L’un des deux est parti en remplacement de son frère. Cette veuve doit-elle jouir des secours pour celui qui est parti en remplacement de son frère. » L’administration du district observe que cette veuve a droit aux secours nationaux, le fils n’ayant jamais pu faire, avec son frère, aucun arrangement pécuniaire. Cette administration ajoute que «la question proposée est applicable à plusieurs citoyens qui sont dans le même cas. » Il est donc vrai que ces exemples de vertu et d’un généreux dévouement sont multiples de la part des militaires partis en remplacement, comme nous vous l’avons annoncé. Mais votre Comité a dû prévoir toutes les objections qu’on pourrait faire contre les remplaçants; il a dû les discuter attentivement, et vous les présenter avec ses réflexions aussi suc-cintement que le permet une question aussi importante. On oppose d’abord que plusieurs des remplaçants ont fait des arragements et des traités particuliers, et qu’ils ont touché une somme quelconque; mais il faut observer que le plus grand nombre a traité à forfait et pour une somme une fois payée. Les uns ont reçu 300 liv., les autres plus, d’autres moins; il n’y a peut-être pas un traité uniforme, et cependant l’exclusion est totale et frappe tous indistinctement. Un fait bien constant, relativement aux pères de famille, c’est que le prix de ces traités à forfait a été absorbé aussitôt et employé aux besoins pressants de leur femme et de leurs enfants. Vous en avez vu un exemple dans la famille infortunée du citoyen Fèvre, soldat au 4e bataillon de la Côte-d’Or; d’autres l’ont employé en nippes et effets d’équipement; et s’il en est enfin qui l’aient dissipé en dépenses frivoles, leurs familles doivent-elles en souffrir ? n’est-ce pas l’intérêt de ces familles que vous avez envisagé en leur assurant des secours annuels qui puissent les mettre à l’abri d’une indigence et des besoins occasionnés uniquement par la privation du travail de leur père, de leur époux, ou de leurs enfants ? Une pétition de Rethel sur Aisne, adressée au Comité de salut public, qui l’a renvoyée à celui des secours, présente à cet égard des réflexions très-judicieuses. Voici comme elle est conçue : «Des secours annuels sont décrétés pour les familles des défenseurs de la patrie; mais il nous paraît dur que les familles des citoyens qui sont partis en remplacement en soient privées. Ces volontaires bravent, comme les autres, les dangers et la mort; ils brûlent de verser leur sang pour la liberté. «Les deniers d’engagement que reçoivent les troupes de ligne ne sont point un titre d’exclusion pour leurs parents. Une légère somme qu’a reçue un volontaire qui en remplace un autre ne peut devenir un titre de privation pour sa famille. Les deniers reçus par l’un et par l’autre sont également le prix de leur engagement; encore le volontaire ne coûte-t-il rien à la République, tandis que le soldat des troupes de ligne a reçu le prix de son engagement des mains de la nation. « La privation de ces secours pour la famille du volontaire introduit une inégalité de droits et de récompenses que votre équité s’empressera de réformer. » La municipalité de Douai, département du Nord, en vous adressant la réclamation de huit mères de famille, dont les époux sont en remplacement dans le 3e bataillon d’artillerie, vous présente des réflexions encore plus frappantes. La municipalité atteste que ces familles sont dans le plus grand besoin; qu’à la vérité leurs époux ont reçu de l’argent de ceux qu’ils ont remplacés, mais que cet argent n’a nullement contribué au soulagement de leurs familles. Ces défenseurs de la patrie, quoique partis en remplacement, se sont déjà trouvés à plusieurs combats, notamment à la défense de la place de Valenciennes; de là ils ont été combattre les rebelles lyonnais, et depuis les brigands de la Vendée. Us sont prisonniers de guerre par la capitulation de Valenciennes, et néanmoins ils combattent encore victorieusement pour la patrie dans l’intérieur. La privation que leurs familles ont éprouvée jusqu’à présent n’est-elle donc pas suffisante pour compenser ce qu’ils peuvent avoir touché ? Faut-il donc que l’exclusion ait encore lieu pour l’avenir ? D’ailleurs ce qu’ils ont reçu n’a pas été pris sur le trésor public. Ce n’était, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’une taxe sur l’avarice, ou une amende prise sur le lâche égoïste, dont le personnage aurait été plus nuisible qu’utile sous les drapeaux de la patrie, si les vrais républicains, si d’ardents zélés défenseurs de la liberté et de l’égalité ne s’étaient pas offerts en remplacement. On objectera encore que des remplaçants ont reçu une somme de leur commune ou de leur section; on ajoutera même que quelques-uns ont fait des traités pour assurer des secours annuels à leurs familles. Mais, en premier lieu, ce dernier cas est extrêmement rare, et n’est pas assez important pour faire prononcer une exclusion totale contre toutes les familles des remplaçants, lorsqu’on ne peut laisser subsister cette exclusion sans faire un grand nombre de victimes. En second lieu, les secours accordés aux parents des défenseurs de la patrie ne le sont qu’en faveur des familles indigentes; ainsi, toutes les fois qu’à raison des secours extraordinaires des communes, des sections, ou mêmes des particuliers, et lors encore que par tout autre motif quelques-unes de ces familles ne devront pas être admises au nombre de celles indigentes, ce sera aux commissaires vérificateurs à rejeter leur demande ou leurs réclamations; mais il serait injuste d’en conclure que l’on doive exclure généralement toutes les familles des citoyens partis en remplacement, tandis qu’il est démontré qu’outre l’indigence absolue du plus grand nombre de ces familles, plusieurs des remplaçants n’ont touché que de très-modiques sommes pour le prix de leur traité, et qu’il en est même que le zèle et le dévouement, ou une vertu désintéressée, ont seuls portés à à voler à la défense des frontières. En troisième lieu, les secours sont accordés par la loi aux familles indigentes des militaires SÉANCE DU 24 FLORÉAL AN II (13 MAI 1794) - N° 36 309 Voici d’ailleurs comment la question est posée par l’administration du district de Meaux. « Une veuve a trois enfants, elle est dans l’indigence. » Deux sont à la défense de la patrie, le troisième reste seul avec sa mère et la soulage à peine par le travail de ses bras. L’un des deux est parti en remplacement de son frère. Cette veuve doit-elle jouir des secours pour celui qui est parti en remplacement de son frère. » L’administration du district observe que cette veuve a droit aux secours nationaux, le fils n’ayant jamais pu faire, avec son frère, aucun arrangement pécuniaire. Cette administration ajoute que «la question proposée est applicable à plusieurs citoyens qui sont dans le même cas. » Il est donc vrai que ces exemples de vertu et d’un généreux dévouement sont multiples de la part des militaires partis en remplacement, comme nous vous l’avons annoncé. Mais votre Comité a dû prévoir toutes les objections qu’on pourrait faire contre les remplaçants; il a dû les discuter attentivement, et vous les présenter avec ses réflexions aussi suc-cintement que le permet une question aussi importante. On oppose d’abord que plusieurs des remplaçants ont fait des arragements et des traités particuliers, et qu’ils ont touché une somme quelconque; mais il faut observer que le plus grand nombre a traité à forfait et pour une somme une fois payée. Les uns ont reçu 300 liv., les autres plus, d’autres moins; il n’y a peut-être pas un traité uniforme, et cependant l’exclusion est totale et frappe tous indistinctement. Un fait bien constant, relativement aux pères de famille, c’est que le prix de ces traités à forfait a été absorbé aussitôt et employé aux besoins pressants de leur femme et de leurs enfants. Vous en avez vu un exemple dans la famille infortunée du citoyen Fèvre, soldat au 4e bataillon de la Côte-d’Or; d’autres l’ont employé en nippes et effets d’équipement; et s’il en est enfin qui l’aient dissipé en dépenses frivoles, leurs familles doivent-elles en souffrir ? n’est-ce pas l’intérêt de ces familles que vous avez envisagé en leur assurant des secours annuels qui puissent les mettre à l’abri d’une indigence et des besoins occasionnés uniquement par la privation du travail de leur père, de leur époux, ou de leurs enfants ? Une pétition de Rethel sur Aisne, adressée au Comité de salut public, qui l’a renvoyée à celui des secours, présente à cet égard des réflexions très-judicieuses. Voici comme elle est conçue : «Des secours annuels sont décrétés pour les familles des défenseurs de la patrie; mais il nous paraît dur que les familles des citoyens qui sont partis en remplacement en soient privées. Ces volontaires bravent, comme les autres, les dangers et la mort; ils brûlent de verser leur sang pour la liberté. «Les deniers d’engagement que reçoivent les troupes de ligne ne sont point un titre d’exclusion pour leurs parents. Une légère somme qu’a reçue un volontaire qui en remplace un autre ne peut devenir un titre de privation pour sa famille. Les deniers reçus par l’un et par l’autre sont également le prix de leur engagement; encore le volontaire ne coûte-t-il rien à la République, tandis que le soldat des troupes de ligne a reçu le prix de son engagement des mains de la nation. « La privation de ces secours pour la famille du volontaire introduit une inégalité de droits et de récompenses que votre équité s’empressera de réformer. » La municipalité de Douai, département du Nord, en vous adressant la réclamation de huit mères de famille, dont les époux sont en remplacement dans le 3e bataillon d’artillerie, vous présente des réflexions encore plus frappantes. La municipalité atteste que ces familles sont dans le plus grand besoin; qu’à la vérité leurs époux ont reçu de l’argent de ceux qu’ils ont remplacés, mais que cet argent n’a nullement contribué au soulagement de leurs familles. Ces défenseurs de la patrie, quoique partis en remplacement, se sont déjà trouvés à plusieurs combats, notamment à la défense de la place de Valenciennes; de là ils ont été combattre les rebelles lyonnais, et depuis les brigands de la Vendée. Us sont prisonniers de guerre par la capitulation de Valenciennes, et néanmoins ils combattent encore victorieusement pour la patrie dans l’intérieur. La privation que leurs familles ont éprouvée jusqu’à présent n’est-elle donc pas suffisante pour compenser ce qu’ils peuvent avoir touché ? Faut-il donc que l’exclusion ait encore lieu pour l’avenir ? D’ailleurs ce qu’ils ont reçu n’a pas été pris sur le trésor public. Ce n’était, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’une taxe sur l’avarice, ou une amende prise sur le lâche égoïste, dont le personnage aurait été plus nuisible qu’utile sous les drapeaux de la patrie, si les vrais républicains, si d’ardents zélés défenseurs de la liberté et de l’égalité ne s’étaient pas offerts en remplacement. On objectera encore que des remplaçants ont reçu une somme de leur commune ou de leur section; on ajoutera même que quelques-uns ont fait des traités pour assurer des secours annuels à leurs familles. Mais, en premier lieu, ce dernier cas est extrêmement rare, et n’est pas assez important pour faire prononcer une exclusion totale contre toutes les familles des remplaçants, lorsqu’on ne peut laisser subsister cette exclusion sans faire un grand nombre de victimes. En second lieu, les secours accordés aux parents des défenseurs de la patrie ne le sont qu’en faveur des familles indigentes; ainsi, toutes les fois qu’à raison des secours extraordinaires des communes, des sections, ou mêmes des particuliers, et lors encore que par tout autre motif quelques-unes de ces familles ne devront pas être admises au nombre de celles indigentes, ce sera aux commissaires vérificateurs à rejeter leur demande ou leurs réclamations; mais il serait injuste d’en conclure que l’on doive exclure généralement toutes les familles des citoyens partis en remplacement, tandis qu’il est démontré qu’outre l’indigence absolue du plus grand nombre de ces familles, plusieurs des remplaçants n’ont touché que de très-modiques sommes pour le prix de leur traité, et qu’il en est même que le zèle et le dévouement, ou une vertu désintéressée, ont seuls portés à à voler à la défense des frontières. En troisième lieu, les secours sont accordés par la loi aux familles indigentes des militaires 310 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de tout grade. D’après le texte même de la loi, on ne peut en refuser aux parents indigents d’un militaire qui, à cause de son grade, reçoit un traitement bien supérieur à celui d’un simple soldat. Il est donc injuste d’en refuser aux parents de celui-ci, sous prétexte qu’il aurait eu ou qu’il toucherait même encore des secours pour prix de son remplacement, si d’ailleurs il est constaté que la famille n’a pas des moyens suffisants d’existence. En quatrième lieu, lorsque des militaires font des captures ou des prises sur l’ennemi, lorsque des marins en font sur mer, leurs familles sont-elles pour cela exclues des secours ? Non, puisque la loi ne le porte pas, et que d’autres lois même ont voulu au contraire que ces captures ne devinssent que des titres d’encouragement. Il en doit donc être de même relativement aux défenseurs de la patrie en remplacement. En cinquième lieu, il existe beaucoup de volontaires qui ont obtenu des secours ou des sommes de leur section; cela est notoire, surtout à Paris, et même dans bien d’autres communes. Néanmoins leurs familles jouissent des secours accordés par la nation, précisément parce qu’ils se sont enrôlés comme volontaires, et qu’ils ne sont pas partis sous le titre de remplaçants. Il est cependant vrai de dire qu’ils ont bien plus touché qu’un infinité de soldats partis en remplacement. Il ne devrait donc pas y avoir plus de raison pour exclure les parents de ceux-ci. En sixième lieu enfin, vous n’avez pas à craindre d’enrichir les parents des défenseurs de la patrie avec les secours qui leur sont accordés; car, encore un coup, ils ne le sont qu’aux familles indigentes, et je répéterai qu’à ce seul titre elles auraient déjà des droits aux secours généraux de la nation, en vertu de la loi du 28 juin 1793. Au surplus, votre Comité ne doit pas vous laisser ignorer que la différence ou l’exclusion prononcée contre les parents des militaires partis en remplacement ne fait qu’occasionner des difficultés, des contestations et des retards nuisibles apportés à l’exécution de la loi du 21 pluviôse dernier, dans la délivrance des secours accordés aux familles des défenseurs de la patrie. Il est des communes où les commissaires vérificateurs élèvent les obstacles les plus puérils, tandis que d’autres ne trouvent aucun doute, et admettent à la répartition des secours tous ceux qui se présentent. Ici on est scrupuleux jusqu’à la minutie, jusqu’à exiger des formalités et des preuves difficiles dont la loi du 21 pluviôse a principalement eu pour but d’exempter les parents des défenseurs de la patrie; là on est non-seulement aussi facile au’indulgent, mais on va même jusqu’à la dilapidation. D’un côté l’on donne des secours à toutes les familles indistinctement; de l’autre l’on n’en donne qu’à l’extrême indigence. Ici on considère l’indigence morale qui naît du besoin ou du défaut d’aisance; là on n’admet qu’une indigence physique et une extrême pauvreté. Dans plusieurs communes l’exclusion relative aux familles de remplaçants y est totalement éludée, et ces familles participent également aux secours, soit par la facilité des commissaires vérificateurs, qui sont pris parmi ceux-là mêmes qui ont droit aux secours, soit parce que ces commissaires n’ont pas des connaissances assez exactes sur les faits. Dans d’autres communes, au contraire, on chicane les parents des défenseurs de la patrie, au point de prétendre les exclure, sous préteste que la notoriété ou des témoins attesteraient que des volontaires ont reçu quelque argent lors de leur départ, d’où l’on veut conclure qu’ils sont dans le cas de ceux partis en remplacement, tandis que les procès-verbaux d’inscription et les attestations des municipalités constatent d’une manière expresse, légale et authentique qu’ils sont partis volontairement, et non en remplacement. Votre Comité vous fera sous peu de jours un rapport sur la multitude des questions que l’on fait naître dans plusieurs communes, sur l’application et l’exécution de la loi du 21 pluviôse. Il vous présentera un projet d’instruction aussi simple que méthodique, tant pour faire cesser les abus, les dilapidations et la violation de cette loi bienfaisante, que pour éclairer l’inexpérience des commissaires vérificateurs, résoudre toutes les difficultés, lever tous les obstacles, et ne plus laisser aucune incertitude. Mais, en attendant, votre Comité à cru qu’il fallait commencer par anéantir l’exclusion portée contre les parents des militaires partis en remplacement. Si cette exclusion fut juste d’abord, si elle le fut pour la dernière campagne, du moins elle ne peut plus l’être à l’avenir. Les soldats de la liberté qui, depuis plus d’un an, combattent glorieusement sous les drapeaux de la République, ne sont plus des remplaçants; ce mot doit disparaître pour ne plus laisser entre eux et leurs camarades, leurs frères d’armes, que le titre commun de défenseurs de la patrie. Cette vérité a déjà été rocon-nue des représentants du peuple délégués dans les départements. Je vous citerai, à l’appui de ce fait, l’arrêté en date du 29 pluviôse dernier, de notre collègue Lecarpentier, délégué dans le département de la Manche et autres environnants, pour faire participer aux secours les femmes et enfants des soldats de la patrie qui servent en remplacement dans le district de Dinan, lorsqu’il sera connu par le conseil général de la commune de leur résidence que ces personnes auront des besoins pressants, et que leurs parents, actuellement au service de la République, étaient leur seule ressource. Votre Comité ne fera donc que vous proposer de généraliser les dispositions de cet arrêté, en les rendant communes à tous les districts de la République. Vous avez déjà préjugé la question par votre décret du 20 germinal dernier, en accordant un secours provisoire de 100 liv. à la citoyenne femme Letesse, de Péronne, qui s’est présentée à votre barre, et dont vous avez aussi renvoyé la pétition à l’examen de votre Comité des secours. Le mari de cette citoyenne, indigente et chargée d’un enfant, combat pour la République dans le 13e régiment de chasseurs. Il est parti en remplacement; mais à cette époque il avait déjà fait un service militaire de huit ans; il était muni d’un congé absolu, mais les dangers de la patrie l’ont fait voler de nouveau à la défense des frontières. Il avait refusé un nouvel engagement sous les enseignes du despotisme, mais il ne balança pas à se ranger sous les dra-310 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de tout grade. D’après le texte même de la loi, on ne peut en refuser aux parents indigents d’un militaire qui, à cause de son grade, reçoit un traitement bien supérieur à celui d’un simple soldat. Il est donc injuste d’en refuser aux parents de celui-ci, sous prétexte qu’il aurait eu ou qu’il toucherait même encore des secours pour prix de son remplacement, si d’ailleurs il est constaté que la famille n’a pas des moyens suffisants d’existence. En quatrième lieu, lorsque des militaires font des captures ou des prises sur l’ennemi, lorsque des marins en font sur mer, leurs familles sont-elles pour cela exclues des secours ? Non, puisque la loi ne le porte pas, et que d’autres lois même ont voulu au contraire que ces captures ne devinssent que des titres d’encouragement. Il en doit donc être de même relativement aux défenseurs de la patrie en remplacement. En cinquième lieu, il existe beaucoup de volontaires qui ont obtenu des secours ou des sommes de leur section; cela est notoire, surtout à Paris, et même dans bien d’autres communes. Néanmoins leurs familles jouissent des secours accordés par la nation, précisément parce qu’ils se sont enrôlés comme volontaires, et qu’ils ne sont pas partis sous le titre de remplaçants. Il est cependant vrai de dire qu’ils ont bien plus touché qu’un infinité de soldats partis en remplacement. Il ne devrait donc pas y avoir plus de raison pour exclure les parents de ceux-ci. En sixième lieu enfin, vous n’avez pas à craindre d’enrichir les parents des défenseurs de la patrie avec les secours qui leur sont accordés; car, encore un coup, ils ne le sont qu’aux familles indigentes, et je répéterai qu’à ce seul titre elles auraient déjà des droits aux secours généraux de la nation, en vertu de la loi du 28 juin 1793. Au surplus, votre Comité ne doit pas vous laisser ignorer que la différence ou l’exclusion prononcée contre les parents des militaires partis en remplacement ne fait qu’occasionner des difficultés, des contestations et des retards nuisibles apportés à l’exécution de la loi du 21 pluviôse dernier, dans la délivrance des secours accordés aux familles des défenseurs de la patrie. Il est des communes où les commissaires vérificateurs élèvent les obstacles les plus puérils, tandis que d’autres ne trouvent aucun doute, et admettent à la répartition des secours tous ceux qui se présentent. Ici on est scrupuleux jusqu’à la minutie, jusqu’à exiger des formalités et des preuves difficiles dont la loi du 21 pluviôse a principalement eu pour but d’exempter les parents des défenseurs de la patrie; là on est non-seulement aussi facile au’indulgent, mais on va même jusqu’à la dilapidation. D’un côté l’on donne des secours à toutes les familles indistinctement; de l’autre l’on n’en donne qu’à l’extrême indigence. Ici on considère l’indigence morale qui naît du besoin ou du défaut d’aisance; là on n’admet qu’une indigence physique et une extrême pauvreté. Dans plusieurs communes l’exclusion relative aux familles de remplaçants y est totalement éludée, et ces familles participent également aux secours, soit par la facilité des commissaires vérificateurs, qui sont pris parmi ceux-là mêmes qui ont droit aux secours, soit parce que ces commissaires n’ont pas des connaissances assez exactes sur les faits. Dans d’autres communes, au contraire, on chicane les parents des défenseurs de la patrie, au point de prétendre les exclure, sous préteste que la notoriété ou des témoins attesteraient que des volontaires ont reçu quelque argent lors de leur départ, d’où l’on veut conclure qu’ils sont dans le cas de ceux partis en remplacement, tandis que les procès-verbaux d’inscription et les attestations des municipalités constatent d’une manière expresse, légale et authentique qu’ils sont partis volontairement, et non en remplacement. Votre Comité vous fera sous peu de jours un rapport sur la multitude des questions que l’on fait naître dans plusieurs communes, sur l’application et l’exécution de la loi du 21 pluviôse. Il vous présentera un projet d’instruction aussi simple que méthodique, tant pour faire cesser les abus, les dilapidations et la violation de cette loi bienfaisante, que pour éclairer l’inexpérience des commissaires vérificateurs, résoudre toutes les difficultés, lever tous les obstacles, et ne plus laisser aucune incertitude. Mais, en attendant, votre Comité à cru qu’il fallait commencer par anéantir l’exclusion portée contre les parents des militaires partis en remplacement. Si cette exclusion fut juste d’abord, si elle le fut pour la dernière campagne, du moins elle ne peut plus l’être à l’avenir. Les soldats de la liberté qui, depuis plus d’un an, combattent glorieusement sous les drapeaux de la République, ne sont plus des remplaçants; ce mot doit disparaître pour ne plus laisser entre eux et leurs camarades, leurs frères d’armes, que le titre commun de défenseurs de la patrie. Cette vérité a déjà été rocon-nue des représentants du peuple délégués dans les départements. Je vous citerai, à l’appui de ce fait, l’arrêté en date du 29 pluviôse dernier, de notre collègue Lecarpentier, délégué dans le département de la Manche et autres environnants, pour faire participer aux secours les femmes et enfants des soldats de la patrie qui servent en remplacement dans le district de Dinan, lorsqu’il sera connu par le conseil général de la commune de leur résidence que ces personnes auront des besoins pressants, et que leurs parents, actuellement au service de la République, étaient leur seule ressource. Votre Comité ne fera donc que vous proposer de généraliser les dispositions de cet arrêté, en les rendant communes à tous les districts de la République. Vous avez déjà préjugé la question par votre décret du 20 germinal dernier, en accordant un secours provisoire de 100 liv. à la citoyenne femme Letesse, de Péronne, qui s’est présentée à votre barre, et dont vous avez aussi renvoyé la pétition à l’examen de votre Comité des secours. Le mari de cette citoyenne, indigente et chargée d’un enfant, combat pour la République dans le 13e régiment de chasseurs. Il est parti en remplacement; mais à cette époque il avait déjà fait un service militaire de huit ans; il était muni d’un congé absolu, mais les dangers de la patrie l’ont fait voler de nouveau à la défense des frontières. Il avait refusé un nouvel engagement sous les enseignes du despotisme, mais il ne balança pas à se ranger sous les dra- SÉANCE DU 24 FLORÉAL AN II (13 MAI 1794) - N° 36 311 peaux de la liberté et de l’égalité. Sa femme, ses enfants, n’auraient-ils pas les mêmes droits aux secours et aux récompenses nationales que les parents des autres défenseurs de la patrie ? S’il pouvait rester quelques doutes sur ce point, j’invoquerais, en faveur des soldats de la liberté partis en remplacement, les expressions mêmes du rapporteur du Comité de salut public qui a précédé le décret du 11 pluviôse dernier : « Les soldats républicains, y est-il dit, «ajoutent chaque jour de nouvelles pages au «sublime recueil des faits héroïques, des écla-« tantes actions qu’enfante leur magnanime dé-« vouement. Chaque jour aussi votre paternelle «sollicitude se plaît à augmenter le chapitre «le plus légitime dé la dette publique, celui où «sont par vous consacrées les récompenses et «les indemnités que la patrie, juste et libé— «raie, dispense à ses courageux défenseurs. Ils «moissonnaient abondamment les palmes de la « gloire, et c’est alors que vous vous êtes «placés au milieu de leurs généreuses familles. «Fixant la vue sur le père du soldat de la «liberté, sur sa vertueuse épouse, sur ses en-«fants, l’espoir de la République, enfin sur tous « ces groupes vénérables qui les composent, et «parmi lesquels mûrissent les vertus républi-« caines, vous avez ordonné que l’on vous pré-«sentât un plan pour que les secours qui leur «sont attribués par la loi leur parvinssent sans « délai. Il vous tardait de n’avoir plus aucune « inquiétude sur cette distribution jusqu’alors « trop lente. » Vous remettre sous les yeux ce tableau intéressant, c’est vous faire sentir d’une manière bien convaincante que l’exclusion portée contre les militaires partis en remplacement doit entièrement disparaître des lois qui assurent des secours annuels aux familles des défenseurs de la patrie. Il ne doit pas exister plus de différence entre elles qu’il n’en existe entre les soldats de la liberté et de l’égalité réunis tous sous les mêmes drapeaux; et c’est ici que se ramènent sensiblement les grandes considérations d’intérêt public qui seules suffiraient pour déterminer entièrement ceux d’entre vous dont l’opinion pourrait encore être balancée par d’autres considérations particulières. Les citoyens partis en remplacement ont-ils moins abandonné tout ce qu’ils avaient de plus cher du côté de la nature et des doux liens du sang ? ont-ils moins sacrifié leurs affections personnelles ? ont-ils moins délaissé leurs pères, leurs mères, leurs femmes et leurs enfants ? Est-ce pour de l’argent qu’on peut se déterminer à des pareils sacrifices ! L’amour de la patrie est le seul sentiment capable de porter à un semblable dévouement; l’amour de la patrie ne se remplace pas; il est une vertu innée dans le cœur de tout bon citoyen; c’est une même vertu qui produisit les grands hommes des beaux jours des Romains et les héros de Sparte et d’Athènes. Vit-on jamais que l’argent pût faire acquérir l’amour de la patrie et la passion de combattre pour elle ? Rappelez-vous cette fière et sublime réponse de l’armée des Pyrénées-Orientales aux dons pécuniaires offerts par des Sociétés populaires, pour ceux qui les premiers monteraient à l’assaut d’une redoute, d’un fort quelconque, ou se distingueraient par quelques traits héroïques. Considérez ces généreux guerriers qui prennent pour texte : « Mort aux tyrans ! baïonnette en avant ! paix aux peuples ! » et qui disent avec ce style des Lacédémoniens : « Nous ne sommes affamés que de l’amour de la gloire et la liberté. La même ardeur nous anime tous. » Ferez-vous une injurieuse différence entre les soldats de la liberté partis en remplacement et les autres défenseurs de la patrie ? Je dois placer ici un trait bien propre à vous convaincre que les vertus héroïques de nos braves guerriers sont également le patrimoine des familles des militaires partis en remplacement. J’affaiblirais tout l’intérêt et l’attendrissement que ce trait vraiment sublime doit vous inspirer, si je me permettais de rien ajouter aux détails consignés dans la lettre écrite au Comité de salut public, le 30 germinal dernier, par l’agent national du district de Sarrebourg (1) dont voici le contenu : « J’ai la satisfaction de vous faire part d’un trait de vertu qu’une chaumière fournit, et qui doit fait rougir le riche égoïste. « Une femme de la commune de Saint-Quirin, de ce district, veuve, très indigente et mère d’une nombreuse famille, compte un fils dans les armées de la République. Ce fils, voulant à son départ lui assurer quelques moyens de vivre, est parti en remplacement. Elle est portée, par la municipalité de son domicile, au rôle des secours accordés par la loi aux familles des défenseurs de la patrie. Elle perçoit la somme qui lui est attribuée. Cependant elle apprend que la loi défend d’accorder des secours aux familles des soldats qui sont partis en remplacement; elle rapporte à la municipalité la somme qu’elle a reçue, en disant « qu’elle préférait vivre dans une pauvreté honorable à prendre de la nation de l’argent qui pouvait servir à détruire les infâmes tyrans. » « Ce trait est d’autant plus honorable qu’elle seule, dans la commune, se ressouvenait que son fils fût parti en remplacement. « Je vous prie, citoyens représentants, de m’autoriser à faire remettre à cette femme vertueuse, qui se nomme la veuve Dalenzi, et qui toujours s’est comportée comme une bonne mère de famille et une bonne citoyenne la somme qu’elle a rapportée avec tant de désintéressement, car elle est très pauvre. Honorer et récompenser les vertus, c’est les multiplier; et vous avez, pour assurer la République, mis la vertu à l’ordre du jour. » Cette lettre n’a pas besoin de commentaire. Votre Comité vous proposera, immédiatement après ce rapport, un projet de décret particulier dans lequel il espère remplir vos intentions sur l’objet intéressant qu’elle présente. Je reviens maintenant à la discussion sur les familles des militaires partis en remplacement. Citoyens, quand nos braves républicains sont aux prises avec les satellites du despotisme; quand les défenseurs de la patrie combattent les partisans ou les esclaves de la tyrannie, qu’ils marchent la baïonnette en avant et au pas de charge; quand les soldats de la liberté et de l’égalité s’emparent des redoutes, des forts ou des retranchements les plus inaccessibles; quand ils se disputent l’honneur de monter les pre-(1) Et non Strasbourg. — Voir n° 37. SÉANCE DU 24 FLORÉAL AN II (13 MAI 1794) - N° 36 311 peaux de la liberté et de l’égalité. Sa femme, ses enfants, n’auraient-ils pas les mêmes droits aux secours et aux récompenses nationales que les parents des autres défenseurs de la patrie ? S’il pouvait rester quelques doutes sur ce point, j’invoquerais, en faveur des soldats de la liberté partis en remplacement, les expressions mêmes du rapporteur du Comité de salut public qui a précédé le décret du 11 pluviôse dernier : « Les soldats républicains, y est-il dit, «ajoutent chaque jour de nouvelles pages au «sublime recueil des faits héroïques, des écla-« tantes actions qu’enfante leur magnanime dé-« vouement. Chaque jour aussi votre paternelle «sollicitude se plaît à augmenter le chapitre «le plus légitime dé la dette publique, celui où «sont par vous consacrées les récompenses et «les indemnités que la patrie, juste et libé— «raie, dispense à ses courageux défenseurs. Ils «moissonnaient abondamment les palmes de la « gloire, et c’est alors que vous vous êtes «placés au milieu de leurs généreuses familles. «Fixant la vue sur le père du soldat de la «liberté, sur sa vertueuse épouse, sur ses en-«fants, l’espoir de la République, enfin sur tous « ces groupes vénérables qui les composent, et «parmi lesquels mûrissent les vertus républi-« caines, vous avez ordonné que l’on vous pré-«sentât un plan pour que les secours qui leur «sont attribués par la loi leur parvinssent sans « délai. Il vous tardait de n’avoir plus aucune « inquiétude sur cette distribution jusqu’alors « trop lente. » Vous remettre sous les yeux ce tableau intéressant, c’est vous faire sentir d’une manière bien convaincante que l’exclusion portée contre les militaires partis en remplacement doit entièrement disparaître des lois qui assurent des secours annuels aux familles des défenseurs de la patrie. Il ne doit pas exister plus de différence entre elles qu’il n’en existe entre les soldats de la liberté et de l’égalité réunis tous sous les mêmes drapeaux; et c’est ici que se ramènent sensiblement les grandes considérations d’intérêt public qui seules suffiraient pour déterminer entièrement ceux d’entre vous dont l’opinion pourrait encore être balancée par d’autres considérations particulières. Les citoyens partis en remplacement ont-ils moins abandonné tout ce qu’ils avaient de plus cher du côté de la nature et des doux liens du sang ? ont-ils moins sacrifié leurs affections personnelles ? ont-ils moins délaissé leurs pères, leurs mères, leurs femmes et leurs enfants ? Est-ce pour de l’argent qu’on peut se déterminer à des pareils sacrifices ! L’amour de la patrie est le seul sentiment capable de porter à un semblable dévouement; l’amour de la patrie ne se remplace pas; il est une vertu innée dans le cœur de tout bon citoyen; c’est une même vertu qui produisit les grands hommes des beaux jours des Romains et les héros de Sparte et d’Athènes. Vit-on jamais que l’argent pût faire acquérir l’amour de la patrie et la passion de combattre pour elle ? Rappelez-vous cette fière et sublime réponse de l’armée des Pyrénées-Orientales aux dons pécuniaires offerts par des Sociétés populaires, pour ceux qui les premiers monteraient à l’assaut d’une redoute, d’un fort quelconque, ou se distingueraient par quelques traits héroïques. Considérez ces généreux guerriers qui prennent pour texte : « Mort aux tyrans ! baïonnette en avant ! paix aux peuples ! » et qui disent avec ce style des Lacédémoniens : « Nous ne sommes affamés que de l’amour de la gloire et la liberté. La même ardeur nous anime tous. » Ferez-vous une injurieuse différence entre les soldats de la liberté partis en remplacement et les autres défenseurs de la patrie ? Je dois placer ici un trait bien propre à vous convaincre que les vertus héroïques de nos braves guerriers sont également le patrimoine des familles des militaires partis en remplacement. J’affaiblirais tout l’intérêt et l’attendrissement que ce trait vraiment sublime doit vous inspirer, si je me permettais de rien ajouter aux détails consignés dans la lettre écrite au Comité de salut public, le 30 germinal dernier, par l’agent national du district de Sarrebourg (1) dont voici le contenu : « J’ai la satisfaction de vous faire part d’un trait de vertu qu’une chaumière fournit, et qui doit fait rougir le riche égoïste. « Une femme de la commune de Saint-Quirin, de ce district, veuve, très indigente et mère d’une nombreuse famille, compte un fils dans les armées de la République. Ce fils, voulant à son départ lui assurer quelques moyens de vivre, est parti en remplacement. Elle est portée, par la municipalité de son domicile, au rôle des secours accordés par la loi aux familles des défenseurs de la patrie. Elle perçoit la somme qui lui est attribuée. Cependant elle apprend que la loi défend d’accorder des secours aux familles des soldats qui sont partis en remplacement; elle rapporte à la municipalité la somme qu’elle a reçue, en disant « qu’elle préférait vivre dans une pauvreté honorable à prendre de la nation de l’argent qui pouvait servir à détruire les infâmes tyrans. » « Ce trait est d’autant plus honorable qu’elle seule, dans la commune, se ressouvenait que son fils fût parti en remplacement. « Je vous prie, citoyens représentants, de m’autoriser à faire remettre à cette femme vertueuse, qui se nomme la veuve Dalenzi, et qui toujours s’est comportée comme une bonne mère de famille et une bonne citoyenne la somme qu’elle a rapportée avec tant de désintéressement, car elle est très pauvre. Honorer et récompenser les vertus, c’est les multiplier; et vous avez, pour assurer la République, mis la vertu à l’ordre du jour. » Cette lettre n’a pas besoin de commentaire. Votre Comité vous proposera, immédiatement après ce rapport, un projet de décret particulier dans lequel il espère remplir vos intentions sur l’objet intéressant qu’elle présente. Je reviens maintenant à la discussion sur les familles des militaires partis en remplacement. Citoyens, quand nos braves républicains sont aux prises avec les satellites du despotisme; quand les défenseurs de la patrie combattent les partisans ou les esclaves de la tyrannie, qu’ils marchent la baïonnette en avant et au pas de charge; quand les soldats de la liberté et de l’égalité s’emparent des redoutes, des forts ou des retranchements les plus inaccessibles; quand ils se disputent l’honneur de monter les pre-(1) Et non Strasbourg. — Voir n° 37. 312 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE miers à l’assaut et la gloire de verser les premiers leur sang pour la patrie; quand, lors de la prise de Menin, les premiers bataillons offrirent de faire dans les fossés un rempart, ou plutôt un passage avec leurs corps, pour que les autres bataillons s’emparassent plus vite de la place, est-il jamais venu dans l’idée de qui que ce soit de faire une différence des remplaçants ? Quand vous décrétez que les armées de la République ont bien mérité, ou qu’elles ne cessent de bien mériter de la patrie, vous n’en excluez pas les militaires partis en remplacement : priverez-vous donc plus longtemps leurs familles indigentes des secours accordés aux parents des défenseurs de la patrie ? Ne sont-ils pas tous également les mêmes défenseurs de la patrie, les braves républicains qui ont terrassé les rebelles lyonnais, détruit les brigands de la Vendée, chassé les Anglais devant Dunkerque, battu et mis en déroute les Autrichiens devant Maubeuge, chassé les Espagnols et les Anglais de l’infâme Toulon, conquis à la baïonnette et rentré au pouvoir de la République par des prodiges de la valeur la plus éclatante et du courage le plus héroïque ? Et quand vous avez chargé les représentants du peuple de décerner des récompenses aux vainqueurs de Toulon, avez-vous donc établi la moindre différence envers les soldats partis en remplacement. Je pourrais présenter la même question sur toutes les victoires dues au courage des défenseurs de la patrie. Lorsque les armées du Rhin et de la Moselle battirent complètement les Prussiens et les Autrichiens, délivrèrent Landau, reprirent le fort Vauban, et chassèrent ces satellites du despotisme de cette partie du territoire de la République, vous chargeâtes les représentants du peuple de donner des récompenses aux volontaires nationaux qui s’étaient dévoués pour arracher les mèches et arrêter l’incendie dans les diverses parties du fort Vauban; vous les chargeâtes d’en distribuer à tous ceux qui avaient fait des actions remarquables; mais quelle fut la réponse de nos collègues ? La voici : « Lorsqu’une armée de quarante mille hommes se bat pendant six heures au pas de charge et sans relâche, quel est celui qui a le mieux mérité ? quel est celui qui obtiendra le moins ? Heureuse incertitude qui nous a engagés à les recompenser tous. » Les militaires partis en remplacement n’étaient-ils donc pas aussi à tous les combats ? n’ont-ils pas aussi participé à tous les succès et recueilli leur part des lauriers de la victoire ? n’ont-ils pas gravi et pénétré, comme leurs camarades de l’armée des Alpes, sur les plus hautes régions des montagnes ? Quand l’armée d’Italie a donné l’exemple des vertus en passant sur le territoire neutre des Génois, les remplaçant ont-ils moins rempli leur devoir ? ont-ils moins participé aux brillantes conquêtes d’Oneille, d’Ormea, de Saorgio, et de tant d’autres qui menacent le tyran de Sardaigne jusque dans l’antre même de la tyrannie ? N’iront-ils pas, comme leurs frères d’armes, danser la Carmagnole à Carmagnole même ? Cette place forte du Piémont, qui n’est éloignée de Turin que de cinq lieues, a bien été conquise par les Français, il y a un siècle, en 1691, sous le règne du despotisme; que ne feront pas aujourd’hui des Français républicains ? Enfin, leur enviera-t-on la gloire de concourir aussi, sous les drapeaux de la liberté et de l’égalité, à démolir et renverser les débris du trône chancelant du brigand couronné de Turin ? Quand l’infanterie française, dans les plaines de Beaumont, a attaqué et culbuté la cavalerie autrichienne, trois fois dans le même jour, avec la seule arme de la baïonnette; quand elle fait ainsi les prodiges les plus étonnants d’une valeur qui n’existait plus depuis les deux seuls exemples des légions romaines à Pharsale, et des Grecs à Marathon, les remplaçants montrent-ils moins d’ardeur et de courage que leurs camarades ? Les défenseurs de la patrie qui vous ont apporté tant de drapeaux pris sur les ennemis; ceux qui tout récemment vous ont encore apporté les drapeaux qu’eux-mêmes avaient enlevés et arrachés aux esclaves de la tyrannie, dans le combat de Mouscron près Courtray, et qui ne demandèrent pour toute récompense de leur valeur et de leur gloire que l’honneur de les déposer eux -mêmes dans les mains des représentants du peuple; le soldat qui refusa de quitter son poste, et brigua l’honneur d’acquérir de nouveaux lauriers pendant que ses camarades apportaient des trophées qui lui étaient communs; celui qui jeta dans un fossé le drapeau dont il était emparé, pour courir de nouveau à l’ennemi, s’emparer à la baïonnette d’une pièce d’artillerie, qu’il ramena pour prix des blessures qui l’on conduit à l’hôpital; dans ce concours enfin de tant de vertus héroïques, de tant d’actions éclatantes, dont sont déjà remplies les annales de la République naissante, et dans les deux victoires signalées et décisives de l’armée des Pyrénées-Orientales, avez-vous jamais remarqué, avez-vous jamais pu saisir la moindre différence entre le soldat parti en remplacement et les autres défenseurs de la patrie ? Le spectacle d’un remplaçant qui a versé jusqu’à la dernière goutte de son sang, et qui est mort pour la patrie, vous est-il moins sensible, vous est-il moins douloureux que celui des autres défenseurs de la liberté ? Le sort des familles indigentes n’est-il pas toujours le même, et ne méritent-elles pas les mêmes attentions, quel que soit le titre du père, de l’époux ou des enfants partis comme remplaçants ou comme simples volontaires ? Il est vrai que la loi du 24 pluviôse assure des secours aux militaires indistinctement, blessés et mis hors de service dans les combats; elle en assure également aux veuves et enfants de ceux qui auront été tués ou qui seront morts des suites de leurs blessures. Mais quand un remplaçant aura été mutilé d’un boulet de canon ou par un fer meurtrier, faudra-t-il donc lui dire : Grâces à tes blessures, à ta mutilation, tu auras des secours que sans cela tu n’aurais pas obtenus ? Et si ce défenseur de la patrie, parti en remplacement, vient à périr, faudra-t-il donc s’écrier : Grâces au malheur, à l’infortune; grâces surtout au fer assassin de l’ennemi, qui l’a effacé du nombre des vivants; grâces enfin à sa mort, sa famille aura des secours ? Triste et infortuné sort pour les enfants de ne devoir qu’à la mort de leur père, et pour une épouse de ne devoir qu’à la mort de son mari, 312 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE miers à l’assaut et la gloire de verser les premiers leur sang pour la patrie; quand, lors de la prise de Menin, les premiers bataillons offrirent de faire dans les fossés un rempart, ou plutôt un passage avec leurs corps, pour que les autres bataillons s’emparassent plus vite de la place, est-il jamais venu dans l’idée de qui que ce soit de faire une différence des remplaçants ? Quand vous décrétez que les armées de la République ont bien mérité, ou qu’elles ne cessent de bien mériter de la patrie, vous n’en excluez pas les militaires partis en remplacement : priverez-vous donc plus longtemps leurs familles indigentes des secours accordés aux parents des défenseurs de la patrie ? Ne sont-ils pas tous également les mêmes défenseurs de la patrie, les braves républicains qui ont terrassé les rebelles lyonnais, détruit les brigands de la Vendée, chassé les Anglais devant Dunkerque, battu et mis en déroute les Autrichiens devant Maubeuge, chassé les Espagnols et les Anglais de l’infâme Toulon, conquis à la baïonnette et rentré au pouvoir de la République par des prodiges de la valeur la plus éclatante et du courage le plus héroïque ? Et quand vous avez chargé les représentants du peuple de décerner des récompenses aux vainqueurs de Toulon, avez-vous donc établi la moindre différence envers les soldats partis en remplacement. Je pourrais présenter la même question sur toutes les victoires dues au courage des défenseurs de la patrie. Lorsque les armées du Rhin et de la Moselle battirent complètement les Prussiens et les Autrichiens, délivrèrent Landau, reprirent le fort Vauban, et chassèrent ces satellites du despotisme de cette partie du territoire de la République, vous chargeâtes les représentants du peuple de donner des récompenses aux volontaires nationaux qui s’étaient dévoués pour arracher les mèches et arrêter l’incendie dans les diverses parties du fort Vauban; vous les chargeâtes d’en distribuer à tous ceux qui avaient fait des actions remarquables; mais quelle fut la réponse de nos collègues ? La voici : « Lorsqu’une armée de quarante mille hommes se bat pendant six heures au pas de charge et sans relâche, quel est celui qui a le mieux mérité ? quel est celui qui obtiendra le moins ? Heureuse incertitude qui nous a engagés à les recompenser tous. » Les militaires partis en remplacement n’étaient-ils donc pas aussi à tous les combats ? n’ont-ils pas aussi participé à tous les succès et recueilli leur part des lauriers de la victoire ? n’ont-ils pas gravi et pénétré, comme leurs camarades de l’armée des Alpes, sur les plus hautes régions des montagnes ? Quand l’armée d’Italie a donné l’exemple des vertus en passant sur le territoire neutre des Génois, les remplaçant ont-ils moins rempli leur devoir ? ont-ils moins participé aux brillantes conquêtes d’Oneille, d’Ormea, de Saorgio, et de tant d’autres qui menacent le tyran de Sardaigne jusque dans l’antre même de la tyrannie ? N’iront-ils pas, comme leurs frères d’armes, danser la Carmagnole à Carmagnole même ? Cette place forte du Piémont, qui n’est éloignée de Turin que de cinq lieues, a bien été conquise par les Français, il y a un siècle, en 1691, sous le règne du despotisme; que ne feront pas aujourd’hui des Français républicains ? Enfin, leur enviera-t-on la gloire de concourir aussi, sous les drapeaux de la liberté et de l’égalité, à démolir et renverser les débris du trône chancelant du brigand couronné de Turin ? Quand l’infanterie française, dans les plaines de Beaumont, a attaqué et culbuté la cavalerie autrichienne, trois fois dans le même jour, avec la seule arme de la baïonnette; quand elle fait ainsi les prodiges les plus étonnants d’une valeur qui n’existait plus depuis les deux seuls exemples des légions romaines à Pharsale, et des Grecs à Marathon, les remplaçants montrent-ils moins d’ardeur et de courage que leurs camarades ? Les défenseurs de la patrie qui vous ont apporté tant de drapeaux pris sur les ennemis; ceux qui tout récemment vous ont encore apporté les drapeaux qu’eux-mêmes avaient enlevés et arrachés aux esclaves de la tyrannie, dans le combat de Mouscron près Courtray, et qui ne demandèrent pour toute récompense de leur valeur et de leur gloire que l’honneur de les déposer eux -mêmes dans les mains des représentants du peuple; le soldat qui refusa de quitter son poste, et brigua l’honneur d’acquérir de nouveaux lauriers pendant que ses camarades apportaient des trophées qui lui étaient communs; celui qui jeta dans un fossé le drapeau dont il était emparé, pour courir de nouveau à l’ennemi, s’emparer à la baïonnette d’une pièce d’artillerie, qu’il ramena pour prix des blessures qui l’on conduit à l’hôpital; dans ce concours enfin de tant de vertus héroïques, de tant d’actions éclatantes, dont sont déjà remplies les annales de la République naissante, et dans les deux victoires signalées et décisives de l’armée des Pyrénées-Orientales, avez-vous jamais remarqué, avez-vous jamais pu saisir la moindre différence entre le soldat parti en remplacement et les autres défenseurs de la patrie ? Le spectacle d’un remplaçant qui a versé jusqu’à la dernière goutte de son sang, et qui est mort pour la patrie, vous est-il moins sensible, vous est-il moins douloureux que celui des autres défenseurs de la liberté ? Le sort des familles indigentes n’est-il pas toujours le même, et ne méritent-elles pas les mêmes attentions, quel que soit le titre du père, de l’époux ou des enfants partis comme remplaçants ou comme simples volontaires ? Il est vrai que la loi du 24 pluviôse assure des secours aux militaires indistinctement, blessés et mis hors de service dans les combats; elle en assure également aux veuves et enfants de ceux qui auront été tués ou qui seront morts des suites de leurs blessures. Mais quand un remplaçant aura été mutilé d’un boulet de canon ou par un fer meurtrier, faudra-t-il donc lui dire : Grâces à tes blessures, à ta mutilation, tu auras des secours que sans cela tu n’aurais pas obtenus ? Et si ce défenseur de la patrie, parti en remplacement, vient à périr, faudra-t-il donc s’écrier : Grâces au malheur, à l’infortune; grâces surtout au fer assassin de l’ennemi, qui l’a effacé du nombre des vivants; grâces enfin à sa mort, sa famille aura des secours ? Triste et infortuné sort pour les enfants de ne devoir qu’à la mort de leur père, et pour une épouse de ne devoir qu’à la mort de son mari, SÉANCE DU 24 FLORÉAL AN II (13 MAI 1794) - N° 36 313 tué en combattant les ennemis de la patrie, des secours qui leur auraient été constamment refusés, aussi longtemps qu’il n’aurait fait que verser partiellement son sang pour la République ! Les trois quarts de son existence, sacrifiés pour la cause de la liberté et de l’égalité, n’auraient pu procurer à ses enfants, à son épouse, ce que sa mort seule peut leur assurer ! Etrange et funeste alternative ! s’il avait pu survivre à ses dangers, à ses blessures, sa famille continuerait d’être privée de secours ! La patrie pourrait-elle tenir un pareil langage ? ses défenseurs sont-ils donc comme les satellites et les esclaves du despotisme, que l’intérêt ou l’habitude de l’esclavage font seuls mouvoir et agir ? Républicains par caractère, les soldats de la liberté et de l’égalité ne s’attachent pas aux discours ni au raisonnement pour prouver leur dévouement à la patrie; chaque jour, chaque heurë, chaque instant de leur existence sont marqués par des actes qui mettent leur vie en péril. Ils ne font pas cautionner leur patriotisme; ils en sont eux-mêmes les garants. Ils assurent leur responsabilité envers la République en marchant au pas de charge, et la baïonnette en avant, sur les retranchements ennemis. Ils ont juré fidélité à la patrie; c’est en versant leur sang qu’ils s’acquittent de cet engagement sacré... Les maladies, les fatigues, et tous les autres accidents prévus ou imprévus des camps, des cantonnements, des bivouacs et des postes les plus périlleux ne remplissent-ils pas nos hôpitaux des remplaçants comme des autres ? Le sang du peuple coule chaque fois que celui d’un défenseur de la patrie est versé. Ce sang crie continuellement vengeance contre ses ennemis, auteurs de tous nos maux; celui d’un soldat de la liberté parti en remplacement est-il donc moins le sang du peuple, qu’il ne faille pas aussi venger par la destruction des partisans ou des complices de la tyrannie ? Remarquez encore le sort des soldats de la patrie qui sont faits prisonniers. Celui du remplacement est-il différent des autres ? ses maux ne sont-ils pas les mêmes ? ses tourments ne sont-ils pas assimilés à ceux que l’on fait éprouver à ses camarades ? Ah ! puisque les défenseurs de la patrie sont égaux en valeur, en courage, en héroïsme, en désintéressement et en dévouement pour la cause de la liberté et de l’égalité; puisque tous à l’envi brûlent de combattre, et que tous avec la même ardeur versent leur sang pour le salut de la République, que tous sont rangés sous les mêmes drapeaux de la patrie, que tous enfin se montrent dignes de la défendre et d’arborer l’étendard tricolore partout où le succès de nos armes les conduit et prépare leurs triomphes, hâtez -vous, à l’exemple même de ces» braves républicains, d’anéantir toute différence, toute ligne de démarcation entre tel ou tel défenseur de la patrie; hâtez-vous de faire participer les familles des militaires partis en remplacement aux mêmes secours accordés aux parents des autres. Ils ne calculent pas entre eux mêmes; ne calculez pas davantage entre les familles indigentes de tous les soldats de la liberté. Amour sacré de la patrie ! s’il en est parmi les défenseurs qui trahissent la cause de la République, ce n’est jamais parmi le peuple soldat qu’il faut les chercher; les traîtres n’existèrent que dans les états-majors, et parmi les chefs, parmi ces vils êtres que l’ambition, l’intérêt, l’orgueil et la corruption ont éblouis, perdus et gangrenés. Le soldat, vertueux comme le peuple qui l’a produit, ne voit que sa patrie, ne connaît qu’elle, lui prodigue tout son sang; il lui sacrifie ses affections les plus chères, sa vie, sa femme, ses enfants, son père, sa mère, sa famille entière... Généreux et sublime dévouement dont les Républiques seules peuvent fournir des exemples ! O vertu du peuple ! toi seule as pu procurer des remplaçants. Quel service n’a-tu pas rendu à la patrie dans ces remplacements mêmes ? Un seul remplaçant vaut mieux pour la République que dix des remplacés, qui, tous peut-être, mais plusieurs à coup sûr, auraient trahi la cause de la liberté; car s’ils furent assez lâches pour ne pas accepter le poste d’honneur, ils auraient été assez insouciants et même assez méchants pour l’abandonner. Je terminerai par une réflexion. Au milieu des brigandages, des incendies, des dévastations, des pillages, et surtout des cruautés abominables que commettent en tout genre nos féroces ennemis, vous n’ignorez pas que c’est particulièrement envers les familles patriotes des frontières qu’ils exercent les plus grandes horreurs; mais leur rage et leur acharnement s’exercent encore avec un raffinement de cruauté envers les familles des défenseurs de la patrie. Croyez-vous que les satellites du despotisme aient plus de ménagement pour les parents des militaires partis en remplacement que pour ceux des autres ? N’est-ce pas le même crime à leurs yeux que de porter les armes pour la cause de la liberté et de l’égalité ! Vous accorderez donc aussi les mêmes avantages aux unes et aux autres victimes de la tyrannie. Voici le projet de décret que votre Comité des secours publics m’a chargé de vous présenter (1) . Adopté comme suit : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BRIEZ, au nom] de son Comité des secours publics, «Décrète qu’à compter du premier germinal dernier, les parens des militaires partis en remplacement jouiront également, et dans les mêmes cas et dans les mêmes proportions, des secours accordés aux familles des défenseurs de la patrie par la loi du 21 pluviôse dernier et par les lois antérieures : » Déroge, quant à ce, à l’article premier du titre V de la loi du 21 pluviôse, et à l’article III de la loi du 4 mars 1793. » Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (2). (1) Mon., XX, 475-478, 484; J. Univ., n08 1632, 1636 et 1637. Imprimé par ordre de la Conv., broch. in 8°, 30 p. (B .N. Le 38 793). (2) P.V., XXXVII, 200. Minute de la main de Briez, (C 301, pl. 1073, p. 19). Décret n° 9142. Reprod. dans Bin, 24 flor. et 26 flor. (suppl*); Débats , n° 601, p. 326; mention dans J. Paris, n° 499; Ann. pair., n° 498; Rép., n° 145; M.U., XXXIX, 391; J. Mont., n° 18; Ann. R.F., n° 165; J. Sablier, n° 1316; C. Eg., n° 634; Feuille Rép., n° 315; J. Matin, n° 692; J. Sans-Culottes, n° 453; J. Lois, n° 594; J. Perlet, n° 599; Audit, nat., n° 598. SÉANCE DU 24 FLORÉAL AN II (13 MAI 1794) - N° 36 313 tué en combattant les ennemis de la patrie, des secours qui leur auraient été constamment refusés, aussi longtemps qu’il n’aurait fait que verser partiellement son sang pour la République ! Les trois quarts de son existence, sacrifiés pour la cause de la liberté et de l’égalité, n’auraient pu procurer à ses enfants, à son épouse, ce que sa mort seule peut leur assurer ! Etrange et funeste alternative ! s’il avait pu survivre à ses dangers, à ses blessures, sa famille continuerait d’être privée de secours ! La patrie pourrait-elle tenir un pareil langage ? ses défenseurs sont-ils donc comme les satellites et les esclaves du despotisme, que l’intérêt ou l’habitude de l’esclavage font seuls mouvoir et agir ? Républicains par caractère, les soldats de la liberté et de l’égalité ne s’attachent pas aux discours ni au raisonnement pour prouver leur dévouement à la patrie; chaque jour, chaque heurë, chaque instant de leur existence sont marqués par des actes qui mettent leur vie en péril. Ils ne font pas cautionner leur patriotisme; ils en sont eux-mêmes les garants. Ils assurent leur responsabilité envers la République en marchant au pas de charge, et la baïonnette en avant, sur les retranchements ennemis. Ils ont juré fidélité à la patrie; c’est en versant leur sang qu’ils s’acquittent de cet engagement sacré... Les maladies, les fatigues, et tous les autres accidents prévus ou imprévus des camps, des cantonnements, des bivouacs et des postes les plus périlleux ne remplissent-ils pas nos hôpitaux des remplaçants comme des autres ? Le sang du peuple coule chaque fois que celui d’un défenseur de la patrie est versé. Ce sang crie continuellement vengeance contre ses ennemis, auteurs de tous nos maux; celui d’un soldat de la liberté parti en remplacement est-il donc moins le sang du peuple, qu’il ne faille pas aussi venger par la destruction des partisans ou des complices de la tyrannie ? Remarquez encore le sort des soldats de la patrie qui sont faits prisonniers. Celui du remplacement est-il différent des autres ? ses maux ne sont-ils pas les mêmes ? ses tourments ne sont-ils pas assimilés à ceux que l’on fait éprouver à ses camarades ? Ah ! puisque les défenseurs de la patrie sont égaux en valeur, en courage, en héroïsme, en désintéressement et en dévouement pour la cause de la liberté et de l’égalité; puisque tous à l’envi brûlent de combattre, et que tous avec la même ardeur versent leur sang pour le salut de la République, que tous sont rangés sous les mêmes drapeaux de la patrie, que tous enfin se montrent dignes de la défendre et d’arborer l’étendard tricolore partout où le succès de nos armes les conduit et prépare leurs triomphes, hâtez -vous, à l’exemple même de ces» braves républicains, d’anéantir toute différence, toute ligne de démarcation entre tel ou tel défenseur de la patrie; hâtez-vous de faire participer les familles des militaires partis en remplacement aux mêmes secours accordés aux parents des autres. Ils ne calculent pas entre eux mêmes; ne calculez pas davantage entre les familles indigentes de tous les soldats de la liberté. Amour sacré de la patrie ! s’il en est parmi les défenseurs qui trahissent la cause de la République, ce n’est jamais parmi le peuple soldat qu’il faut les chercher; les traîtres n’existèrent que dans les états-majors, et parmi les chefs, parmi ces vils êtres que l’ambition, l’intérêt, l’orgueil et la corruption ont éblouis, perdus et gangrenés. Le soldat, vertueux comme le peuple qui l’a produit, ne voit que sa patrie, ne connaît qu’elle, lui prodigue tout son sang; il lui sacrifie ses affections les plus chères, sa vie, sa femme, ses enfants, son père, sa mère, sa famille entière... Généreux et sublime dévouement dont les Républiques seules peuvent fournir des exemples ! O vertu du peuple ! toi seule as pu procurer des remplaçants. Quel service n’a-tu pas rendu à la patrie dans ces remplacements mêmes ? Un seul remplaçant vaut mieux pour la République que dix des remplacés, qui, tous peut-être, mais plusieurs à coup sûr, auraient trahi la cause de la liberté; car s’ils furent assez lâches pour ne pas accepter le poste d’honneur, ils auraient été assez insouciants et même assez méchants pour l’abandonner. Je terminerai par une réflexion. Au milieu des brigandages, des incendies, des dévastations, des pillages, et surtout des cruautés abominables que commettent en tout genre nos féroces ennemis, vous n’ignorez pas que c’est particulièrement envers les familles patriotes des frontières qu’ils exercent les plus grandes horreurs; mais leur rage et leur acharnement s’exercent encore avec un raffinement de cruauté envers les familles des défenseurs de la patrie. Croyez-vous que les satellites du despotisme aient plus de ménagement pour les parents des militaires partis en remplacement que pour ceux des autres ? N’est-ce pas le même crime à leurs yeux que de porter les armes pour la cause de la liberté et de l’égalité ! Vous accorderez donc aussi les mêmes avantages aux unes et aux autres victimes de la tyrannie. Voici le projet de décret que votre Comité des secours publics m’a chargé de vous présenter (1) . Adopté comme suit : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BRIEZ, au nom] de son Comité des secours publics, «Décrète qu’à compter du premier germinal dernier, les parens des militaires partis en remplacement jouiront également, et dans les mêmes cas et dans les mêmes proportions, des secours accordés aux familles des défenseurs de la patrie par la loi du 21 pluviôse dernier et par les lois antérieures : » Déroge, quant à ce, à l’article premier du titre V de la loi du 21 pluviôse, et à l’article III de la loi du 4 mars 1793. » Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (2). (1) Mon., XX, 475-478, 484; J. Univ., n08 1632, 1636 et 1637. Imprimé par ordre de la Conv., broch. in 8°, 30 p. (B .N. Le 38 793). (2) P.V., XXXVII, 200. Minute de la main de Briez, (C 301, pl. 1073, p. 19). Décret n° 9142. Reprod. dans Bin, 24 flor. et 26 flor. (suppl*); Débats , n° 601, p. 326; mention dans J. Paris, n° 499; Ann. pair., n° 498; Rép., n° 145; M.U., XXXIX, 391; J. Mont., n° 18; Ann. R.F., n° 165; J. Sablier, n° 1316; C. Eg., n° 634; Feuille Rép., n° 315; J. Matin, n° 692; J. Sans-Culottes, n° 453; J. Lois, n° 594; J. Perlet, n° 599; Audit, nat., n° 598.