[Assemblée nationale-! ARCHIVES PARLEMENTAIRES-[2 janvier 1790-1 La république, pleine de confiance dans la bonne foi et la justice de Sa Majesté, qui connaît combien l’inviolabilité des traités importe au bonheur et à la sûreté des nations, espère qu’elle ne laissera pas sans effets ses respectueuses représentations, et quelle maintiendra tous les droits que la république s’est réservés sur le royaume de Corse, ainsi que toutes les conditions exprimées dans le traité, auquel on ne peut déroger sans consentement réciproque des parties contractantes. Quelques membres demandent le renvoi de ce mémoire au comité diplomatique. D’autres membres réclament l’ajournement. M. le comte de Mirabeau. 11 me paraît, par le seul exposé du mémoire, que cette question demande d’assez longs débats, s’il faut la discuter dans le sens qu’y paraît donner la république de Gênes. En effet, il faudra beaucoup de subtilités pour établir qu’une puissance, qui se croit souveraine d’un pays, soit, comme elle le dit, indifférente sur le sort des sujets qu’elle réclame. Peut-elle dire au délégué d’une puissance comme la France qu’elle ne lui a laissé que l’administration de la Corse, et qu’il n’a été que son ministre? Je doute qu’il soit possible de reconnaître en peu de temps ta décence, la justice et la justesse d'une semblable démarche. Je propose un ajournement extrêmement indéfini. M. Salicetti, député de Corse. On m’écrit de Corse que les décrets n’y sont point publiés. Le peuple, encore incertain sur son sort, craint toujours qu’on ne le cède à la république de Gênes. Il est français et ne veut pas être autre chose. Un ajournement indéfini lui laisserait des inquiétudes, parce qu’à trois cents lieues, on ne voit pas les choses sous leur véritable point de vue. Il est étonnant que Gênes, après l’avoir tyrannisé, redemande un peuple qui devient libre en devenant français. M. Garat l'aîné. Il y a lieu de s’étonner que la république de Gênes se prétende encore propriétaire de la Corse, et ne nous considère que comme agents de sa souveraineté, nous par qui cette province a été conquise. Gênes prétend avoir cédé la Corse ; on ne cède pas les hommes ; on ne cède pas les nations. 11 ne faut laisser aucun doute sur ce principe. La prétention de la république de Gênes doit être écartée, en reconnaissant qu’il n’y pas lieu à délibérer. M. Bar n ave. Je crois que les préopinants n’ont pas encore présenté le motif qui doit principalement vous déterminer à décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Ce ne sont ni les traités, ni nos conquêtes, qui doivent établir notre droit et le sort de la Corse ; c’est le vœu des habitants de cette île. Ce vœu nous a été présenté par les députés corses; il est consigné dans leurs cahiers ; il a depuis peu été expressément renouvelé, et tous ces actes portent la demande formelle de la réunion de la Corse à la France. Je propose de décréter qu’attendu le vœu énoncé par les habitants de la Corse, de former partie intégrante de la monarchie française, il n’y a pas lieu à délibérer sur la réclamation de la république de Gênes. Au surplus, M. le président sera chargé de prier le Roi de faire envoyer et exéeu-269 ter incessamment les décrets de l’Assemblée nationale en Corse. M. Duval d’Epresinénil. Je ne pense pas qu’une puissance ait le droit de disposer d’un peuple comme d’un troupeau, et je voudrais qu’au sujet de la Louisiane et du Canada, on n’eût pas oublié ce principe. Je ne pense pas que le souverain soit l’agent de la république de Gênes; mais je crois que cette république peut être l’agent de quelque puissance; cet objet serait alors très délicat. Je demande que le mémoire de M. de Spinola, ainsi que le traité de 1768, soient renvoyés au comité des rapports. M. Pétion de Villeneuve. Je ne trouve pas l’avis du préopinant conséquent au principe. Le comité des rapports ne changera pas les faits et la question, il ne détruira pas l’alliance qu’on suppose. Les clauses du traité, quelles qu’elles soient, ne changeront pas le principe ; il n’en sera pas moins vrai que la Corse se donne librement, et que le vœu le plus cher et le plus constant de ses habitants est d’être Français. Cette considération puissante subsistera toujours : le rapport qui sera fait ne la changera pas ; il n’y aura pas plus à délibérer alors qu’à présent. M. le marquis de Mortemart. En adoptant ces principes je m’oppose à une précipation qui serait dangereuse et malhonnête. Il faut discuter profondément cette affaire. Je demande, pour cela,: qu’elle soit ajournée à demain. * M. l’abbé Maury. J’ignore, comme vous, si les réclamations de la république de Gênes sont fondées. Je considère seulement sa plainte comme dénuée de preuves, et son mémoire comme extrêmement vague. Mon avis est qu’une assemblée comme la nôtre ne doit avoir avec une puissance souveraine d’autre correspondance que par ses décrets; il faut répondre, et dès-lors je ne crois pas qu’on puisse ne pas délibérer. Je demande que, pour concilier ce que vous devez à la Corse et à vos traités, vous ordonniez provisoirement l’exécution de vos décrets, et que le président écrive à M. de Montmorin que le mémoire n’a pas paru assez circonstancié, ni exprimer d’une manière précise en quoi les décrets sont contraires aux droits de la république pour que l’Assemblée puisse y répondre. M. de Robespierre. Je pense, comme M. d’E-prémesnil, que la ville de Gênes est mue par une autre puissance : mais quelle est cette puissance? Il n’est pas aisé de le deviner. On peut seulement avoir des indices. Les décrets ne sont pas encore envoyés en Corse, et des troubles y ont été excités. Ne serait-il pas très possible que ces événements eussent quelque rapport avec la demande extraordinaire d’une petite république ? N’est-il pas étonnant que cette demande, extrêmement tardive, arrive au milieu des efforts que l’on fait contre la liberté ? Celte démarche ne doit avoir aucune suite. Ajourner la question, ce serait entrer dans le sens delà demande, en laissant aux Corses des inquiétudes qui fomenteraient les troubles. Il faut la traiter comme toute demande absurde, c’est-à-dire ne pas délibérer. M. de Robespierre croit qu’il est très prudent d’insister sur l’envoi des décrets. 2*?0 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 janvier 1790.J M. de Buttafuoco. L’on doit s’empresser de tranquilliser l’iie de Corse, si l’on veut la conserver. Les Moscovites cherchent un établissement dans la Méditerranée. Ils profiteront des troubles pour s’introduire en Corse, et les Corses se donneront plutôt au diable qu’à la république de Gênes. M. le duc du Châtelet. Les nations doivent suivre les traités et le droit public de l’Europe, ou bien elles manquent à la bonne foi. Il est de la justice des représentants de la France de ne rien faire qui ne soit juste et mûrement réfléchi. J’étais ambassadeur du Roi à Londres lorsque le traité a ôté signé, et je ne le connais point. Mais s’il était vrai que Gênes eût conservé quelques droits, vous devriez prier le Roi de s’arranger avec elle, la prudence l’exigerait. M. le comte dellirabeau. Je crois devoir rappeler le fait diplomatique dont ne se souvient pas M. du Châtelet, quoiqu’il l’ait lui-même notifié à la cour de Londres. Il est possible qu’en système diplomatique, la république de Gênes ait quelques droits sur la Corse ; mais alors il faudrait qu’aux termes mêmes au traité, elle nous payât tout ce que la Corse nous a coûté. Je ne crois pas qu’on doive parler longtemps l’idiôme diplomatique dans cette Assemblée. On a eu raison de dire que le principe sacré, régulateur en cette matière, c’est le vœu du peuple.... Je ne pense pas avec le préopinant que la ligue de Ra-guse, ae Saint-Mann ou de quelques puissances, formidables puisse nous inquiéter. Je ne regarde pas comme très dangereuse la république de Gênes, dont les armées ont été mises en fuite par douze hommes et douze femmes sur les côtes de la mer en Corse. Je propose de décider promptement cette question, si vague, si méprisable en principe, en prononçant ou un ajournement à jamais, ou qu’il n’y a pas lieu à délibérer. La motion de M. Rarnave est décrétée. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M-TARGET-Séance du jeudi2i janvier 1790, ou sotr. La séance, ouverte Messieurs les citoyens du bataillon du district de Saint-Roch sont admis à la barre de l’Assemblée, et offrent un don patriotique de 1 ,724 liv. L’Assemblée ordonne que leur adresse sera imprimée ainsi qu’il suit : « Messieurs, » Nous venons apporter sur l’autel de la patrie le don du district de Saint-Roch, montantà, 1,724 livres. Quelque modique que soit cette offrande, nous la présentons cependant, avec une sorte d’orgueil, parce qu’elle est le produit du patriotisme d’un petit nombre seulement d’habitants de ce district, à qui leur âge n’a pas permis d’endosser la cuirasse sur-le-champ. Formés incessamment en une compagnie de soldats vétérans, ils vont encore faire, du reste de leurs forces, une nouvelle oblation à la nation. La majeure partie des citoyens de ce district, en état de supporter la fatigue, s’est enrôlée sous les drapeaux de la milice parisienne, et elle a eu l’honneur d’être admise, en votre présence, par ses députés, pour offrir le don particulier de son bataillon Tous, tant citoyens que citoyens-soldats, animés des mêmes sentiments de respect pour votre auguste Assemblée , vous en renouvellent aujourd’hui l’hommage et y joignent l’assurance de leur entière soumission pour les décrets qui en émaneront, ainsi que leur recon naissance pour ceux déjà sanctionnés. » M. Poncet d’EIpech, membre de l’Assemblée, présente une adresse de la ville de Montau-ban, contenant adhésion de cette ville à tous les décrets de l’Assemblée, et un don patriotique consistant en 121 marcs 4 onces d’argent, 5 onces un gros etdemi d’or, et 2,635 livres en contrats de rentes sur l’Etat. L’Assemblée ordonne l’impression de l’adresse, conçue en ces termes : « Nosseigneurs, « Au moment où les nouvelles municipalités vont être établies, où la France va jouir enfin du fruit de vos sages travaux, les officiers municipaux, le comité patriotique et le conseil militaire de la garde nationale de la ville deMontau-ban croient devoir renouveler l’expression de leur respectueuse reconnaissance. Constamment attachés aux principes consacrés par votre auguste Assemblée et soumis aux décrets émanés de ses délibérations, ils voient avec la satisfation la plus vive s’élever, sur les débris de l’autorité chancelante qui leur a été confiée, une autorité légale qui ramènera l’ordre dans le royaume, en imprimant aux lois ce caractère de force et de dignité qui commande impérieusement l’obéissance. « Nous avons à nous féliciter, Nosseigneurs, de ce que les citoyens de Montauban, dont nous avons l’honneur d’être les organes, guidés par le sentiment de leur patriotisme, n’ont pas perdu un seul instant de vue les lois de cette sage modération qu’il est si criminel, sans doute, mais si facile d’oublier dans les moments de crise qu’amènent les grandes révolutions. Tranquilles et fidèles quand ils n’étaient liés que par des formes antiques déjà tombées en désuétude, que ne seront-ils point quand ils seront dirigés par des magistrats dont le premier devoir aura été de mériter leur estime pour acquérir le droit de leur commander? Leur soumission aux lois, leur respect pour l’Assemblée nationale, leur amour et leur inviolable fidélité pour le monarque restaurateur de la liberté française, vont s’accroître, s’il est possible, par la jouissance des droits qui leur sont rendus. « Depuis longtemps, Nosseigneurs, la ville de Montauban a formé le dessein de donner à la nation une preuve de l’esprit public dont elle est animée, en imitant l’exemple de tant de villes et de particuliers qui ont déposé leurs offrandes sur l’autel de la patrie. Les circonstances ne lui ont pas permis d’acquitter jusqu’à présent ce tribut de générosité civique : heureux de pouvoir au moins aujourd’hui remplir ce devoir ! Mais, gémissant de ce que le malheur des temps a forcé ses habitants de contenir l’élan de leur zèle, elle supplie l’auguste Assemblée de ne pas dédaigner l’hommage de quelques boucles d’argent, et de quelques remises en objets d’une autre nature, consistant en cent vingt-un marcs, quatre onces argent cassé, cinq onces un gros et demi en or, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.