[11 novembre 1789.] 743 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. « L’Assemblée nationale, considérant que l’arrêté pris le six de ce mois par la chambre des vacations du parlement de Normandie, et qui lui a été communiqué par les ordres du Roi, est un attentat à la puissance souveraine de la nation, a décrété et décrète : « 1° Que M. le président se retirera devers le Roi pour le remercier, au nom de la nation, de la promptitude avec laquelle il a proscrit cet arrêté, et réprimé les écarts de ladite Chambre ; « 2° Que celte pièce sera envoyée au tribunal auquel l’Assemblée a attribué provisoirement la connaissance des crimes de lèse-nation, pour le procès être instruit contre les auteurs de l’arrêté, ainsi qu’il appartiendra ; « 3° Que le Roi sera supplié de nommer une autre chambre des vacations, prise parmi les autres membres du parlement de Rouen, avec les mêmes pouvoirs et les mêmes fonctions que la précédente, laquelle enregistrera purement et simplement le décret du 3 novembre, présent mois. » M. le Président, attendu l’heure, a renvoyé a demain matin le nouveau scrutin pour l’élection d’un président, a levé la séance, et l’a remise à demain, à l’heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CAMUS. Séance du mercredi 11 novembre 1789 (1). Un de MM. les secrétaires a fait lecture des adresses ci-après: Adresse de M. Desbois de Rochefort, curé de Saint-André des-Arcs, où il demande: 1° la suppression de toute espèce de casuel ecclésiastique ; 2® qu’à l’avenir aucune sépulture ne soit faite dans l’enceinte des villes, et notamment dans celle de Paris ; 3° que dans la capitale il soit Lût incessamment une nouvelle distribution des paroisses, et qu’une paroisse soit composée de 20,000 individus -, 4° que dans cette nouvelle distribution des paroisses, on affecte à celles qu'il sera jugé nécessaire d’établir les églises et les bâtiments des communautés religieuses ; 5° enfin, que les revenus destinés aux curés et vicaires de chaque paroisse soient pris sur le séquestre de l’abbaye de Saint-Oermain-des-Prés, des biens des Gélestins et autres. Adresse des citoyens de la commune dePuray en Gharolais, contenant l’adhésion la plus entière aux décrets de l’Assemblée nationale; ils font le serment de se réunir à tous les bons Français pour voler au secours de l’Etat en danger, dénoncent d’avance comme traîtres à la patrie tous ceux qui oseraient convoquer les états de Bourgogne avant la forme décrétée par l’Assemblée, et protestent contre tout ce qui pourrait y être traité, comme attentatoire à la liberté publique. Délibération de la communauté des Carmes déchaussés de la ville de Toulon, par laquelle ils offrent à la nation tous leurs biens, s’abandonnant à la sagesse et à la justice de l’Assemblée pour pourvoir à leur subsistance. Délibération des officiers municipaux de la ville de Houdan, qui proposent à l’Assemblée nationale de payer dans le délai d’un mois, à compter du jour de la réponse qui leur sera faite, le montant des impositions extraordinaires de cette année, moyennant une remise proportionnée, Délibérations des communautés de Seby, d’Ar-bomatre et d’Amont, sénéchaussée de Saint-Sever en Guyenne, par lesquelles elles adhèrent avec une respectueuse reconnaissance aux arrêtés du 4 août dernier, et notamment à l’article qui contient Je sacrifice de tous privilèges particuliers des provinces, corps et communautés. Adresse des officiers municipaux de la ville de Courtenay, contenant félicitations, remerciements, et adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale. Délibération des officiers municipaux et habitants de la ville d’Orgelet en Franche-Comté, par laquelle ils adhèrent avec transport au décret de l’Assemblée concernant la contribution patriotique du quart des revenus, et déclarent qu’ils sont disposés à toutes sortes de sacrifices pour assurerla tranquillité des représentants de la nation, le salut de l’Etat, et la gloire du monarque. Délibération du comité permanent de la ville de Narbonne, par laquelle il dénonce à l’Assemblée nationalel’imprirné intitulé : Déclaration de l'ordre de la noblesse de la sénéchaussée de Toulouse, comme séditieux et attentatoire à l’autorité de l'Assemblée nationale. 11 déclare adhérer, au nom de la commune de cette ville, à la renonciation de ses privilèges particuliers, aux vues déjà manifestées dans l’Assemblée sur la division des provinces, et se dévouer absolument pour l’exécution de ses décrets sanctionnés par le Roi. Adresse des religieuses du prieuré de la Colombe, transféré en l’abbaye de l’Ëtrées, au diocèse d’Evreux, qui réclament avec instance leur conservation : les curés, syndics et principaux habitants des lieux et paroisses voisines, font la même supplication. Ils attestent que de tout temps les pauvres ont trouvé dans le couvent de l’Etrées des secours de tout genre, en santé comme en maladie, et qu’il est pour toute la province une maison d’édification, d’austérité, et de la plus parfaite concorde. Délibération du conseil permanent de la ville de Florac en Gévennes, contenant la plus parfaite adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale, notamment à celui concernant la contribution patriotique du quart des revenus ; il exprime la plus vive satisfaction sur le séjour du Roi et de l’Assemblée nationale dans la capitale. Après la lecture des adresses, il a été observé qu’il était infiniment urgent d’organisé les municipalités dans le plus court délai ; en conséquence, il a été demandé que l’Assemblée tînt une seconde séance, tons Jes soirs, depuis 8 heures jusqu’à 10. La discussion de cet objet a été renvoyée à lundi prochain. Un membre de la députation d’Alsace a rendu compte des poursuites exercées par le prévôt de la maréchaussée deHaguenau, notamment contre plusieurs membres de là municipalité de ce lieu. Il a ajouté que trois particuliers avaient été constitués prisonniers, et que leur procès s’instruisait avec la plus grande vivacité. L’Assemblée, d’après les motifs qui lui ont été exposés, a décrété qu’il serait demandé un sursis au Roi ; elle a ordonné en même temps que copie entière de la procédure serait envoyée au comité des recherches. M Wartel a demandé qu’on lui accordât un (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 744 [Il novembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. passe-port illimité, au moyen de ce que son suppléant était présent. Il a été décrété que le passeport ne serait accordé qu’après la vérification des pouvoirs du suppléant. M. le Président a dit ensuite qu’il avait mis sous les yeux du Roi le décret rendu la veille, relativement à la chambre des vacations du parlement de Rouen ; que Sa Majesté, satisfaite des remerciements contenus dans la première partie de ce décret, avait promis de prendre en considération la demande de l’Assemblée nationale, relative à la formation d’une nouvelle chambre des vacations, composée d’autres magistrats du même parlement. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet concernant la division du royaume en départements. M. Target (1). Messieurs, après avoir entendu une discussion longue, où chacun s’est occupé d’une partie d’un plan qui a quelque étendue, et s’est moins attaché à répondre au préopinant qu’à établir son propre système, l’esprit est souvent plus embarrassé qu’éclairé ; on se représente tout à la fois une foule d’avantages et d’inconvénients; on se retrace une multitude d’objections et de réponses ; on perd l’idée de l’ensemble, et l’on s’éloigne de la décision plus qu’on ne s’en rapproche. C’est alors que se fait sentir le besoin d’un résumé, et surtout d’une comparaison des différents projets, considérés sous toutes leurs faces, pour se recomposer à soi-même des principes qui puissent nous fixer. Je viens donc moins ici pour défendre le plan de votre comité que pour vous mettre à portée de l’apprécier, en le plaçant sous vos regards à côté de tous les autres. Une première idée qui me saisit, et qui certainement doit vous frapper, c’est que les difficultés qui sont communes à tous les systèmes de division du royaume ne peuvent être alléguées contre aucun,' et ne présentent pas de motifs pour se déterminer. Je m’explique. Presque personne, ce me semble, n’a cru pouvoir vous proposer de laisser le royaume dans l’état actuel de ses divisions par provinces, et de donner, par exemple, une seule administration supérieure à toute la Champagne, une seule à toute la Lorraine, et une administration pareille au pays d’Aunis ou aux Quatre-Vallées. Nous nous accordons tous à sentir la nécessité d’une division nouvelle. Si l’on voulait suivre les divisions actuellement subsistantes, pourquoi prendrait-on pour règle les provinces, et non pas les généralités, qui étaient des départements administratifs ? Nous placerions alors une seule administration en Poitou, une seule en Guyenne, une seule en Bourgogne, et trois en Normandie ; et le Roussillon et l’Aunis, avec la Saintonge et le Berry, en auraient une toute semblable. Nous comprenons encore que cela ne peut pus être; un tel plan serait de l’inégalité la plus vicieuse. Nous ne nous trouverions pas mieux si nous voulions adopter la circonscription des gouvernements ou celle des diocèses, ou celle des bailliages et juridictions. Il faut donc créer un nouvel ordre, puisque au-(1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours do M. Target. cun de ceux que nous avons ne peut convenir à la France régénérée. Cela posé, je vous prie d’observer qu’un des honorables membres propose d’abord 203 divisions, ensuite 125 ; qu’un autre vous en conseille 120, un autre 70, un autre 80, plus ou moins ; un autre en demande 40. M. Pison du Galand en demande 36 ; je crois que le Dauphiné serait dans son plan à peu près le 36* du royaume. Le nombre 80 est celui que votre comité a trouvé le plus raisonnable. Je vous prie encore de remarquer qu’aucun de ces nombres ne s’accorde ni avec 35 provinces, ni avec 33 généralités, ni avec 175 grands bailliages, ni avec 13 parlements, ni avec 38 gouvernements, ni avec 142 diocèses. S’il est avoué qu’une répartition nouvelle est indispensable, il faut écarter, dès le commencement, les objections qu’on tire de l’inconvénient de subdiviser les provinces : car, dans tous les systèmes, elles seront subdivisées. “Je crois que je répondrai raisonnablement à ces inconvénients. En ce moment il suffit que, tout le monde apportant un plan de subdivision, personne n’ait le droit de dire qu’on ne doit pas subdiviser. Est-ce arbitrairement que votre comité croit que la division en 80 parties est la meilleure? Et quand je dis 80 parties, je crois n’avoir pas besoin de répéter ce qu’on vous a déjà fait observer tant de fois, et ce que le tracé de la carte vous a démontré, qu’il ne s’agit pas de cette absurde idée, que des personnes nous ont prêtée, de tirer sur la France des lignes bien droites qui la partagent en carrés géométriques. On ne le croit plus ; et cependant quelques opinants ont apporté dans leurs discours des restes de cette idée, parce que l’esprit, une fois frappé, a peine à cesser de l’être, et qu’il est commode de pouvoir avec le mot d 'échiquier jeter du ridicule sur un projet dont on ne veut pas. Cette division en 80 parties est-elle donc arbitraire? Non, Messieurs, elle n’est pas arbitraire de la part de votre comité, quoiqu’il ne puisse pas être rigoureusement démontré qu’elle soit la seule qu’ori doive admettre. Voici ce que nous avons voulu : c’est que de tous les points d’un département, on puisse arriver au centre de l’administration en une journée de voyage. Or, tel est l’avantage que cette division nous procure le plus généralement. Nous avons calculé que si la ligure du département pouvait être régulière, la demi-diagonale jusqu’au centre serait de onze à douze lieues. Si l'on m’oppose les départements qui seront plus longs que larges, les départements dont le chef-lieu ne sera pas au centre, je répondrai que, pour juger d’une vue politique, il s’agit de savoir, non si son exécution est infaillible, mais si le plus souvent elle est utile, et si le grand nombre y trouve sa commodité ou son bonheur. Il est commun à tous les systèmes d’administration, que les règles soient heurtées par les circonstances ; et cependant tous les systèmes d’administration doivent poser sur des règles. Tel citoyen ne jouira pas du bien qu’on a voulu lui faire"; mais la masse des citoyens en sera plus heureuse, et chacun sait que c’est là le seul succès auquel il soit permis d’aspirer. Ici s’élève une grande opposition entre les différents projets de partage. Plusieurs des préopinants veulent que les divisions qu’ils proposent soient réglées, non sur l’étendue du territoire, mais sur celle delà population. Plusieurs autres, en proposant plus ou moins