70 {Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1790.) tyrans. On va admirer les restes de la magnificence romaine, et le voyageur se console de ce qu’ils ne sont plus, par le souvenir de ce qu’ils ont été. On vous a déjà proposé d’élever, sur ce terrain, de superbes pyramides. Ce n’est point à une nation accablée d’une dette énorme, que nous présenterons ce projet ..... Nous vous proposerons de laisser dans la capitale un monument d’un genre nouveau, qui atteste votre haine pour les tyrans. Quelle plus heureuse époque pouvons-nous choisir, que celle où toutes les gardes nationales du royaume viennent jurer, au pied de l’autel de la patrie, de maintenir cette Constitution à laquelle vous travaillez avec tant de zèle? Voici en conséquence le projet de décret que votre comité des domaines a l'honneur de vous présenter : « 1° Que le terrain qu’occupait la forteresse de la Bastille ne sera pas aliéné ; « 2° Que les ruines en seront conservées, et qu’il y sera élevé au milieu d’elles, aux frais de la nation, un simple obélisque des pierres mêmes de la Bastille, sur lesquelles seront gravées la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’époque de la prise de la Bastille, et celle de la fédération générale des Français,» M, Martineau. Pourquoi nous enchaîner par un décret? Le vaste terrain dont il s’agit peut être utile sous divers rapports. Je demande l’ajournement. M. (�avenue. Pour conserver le souvenir de l’époque mémorable que nous traversons l’obéi lisque est inutile; il ne durerait pas autant que la déclaration des droits qui se suffit à elle-même. (L’ajournement est prononcé.) M. le Président. L’Assemblée passe à la suite de la discussion du titre II , relatif aux juges de paix, du projet dedécret sur l'ordre judiciaire. Les articles 1 à 9 de ce titre ont été adoptés dans les séances des 7 et 8 juillet. M. Thouret, rapporteur. Vous avez accordé une juridiction contentieuse aux juges de paix, vous leur avez donné une compétence jusqu’à la concurrence de 50 livres, sans appel, et de 100 livres à la charge d’appel; il s’agit maintenant de compléter cette juridiction d’une manière qui réponde à l’attente du peuple, qui espère en tirer les plus grands avantages. L’article 10 renferme le détail des divers objets qui leur sont attribués; je vais en faire la lecture : « Art. 10. Il connaîtra de même, sans appel jusqu’à la valeur de 50 livres, et à charge d’appel a quelque valeur que la demande puisse se monter : 1° Des actions pour dommages faits, soit parles hommes, soit par les bestiaux, aux champs, fruits et récoltes ; 2° Des usurpations de terres, arbres, haies et fossés, commises dans l’année ; 3° Des réparations locatives des maisons et fermes ; 4» Des indemnités prétendues par le fermier ou locataire, pour non-jouissance, et des dégradations alléguées par le propriétaire ; 5° Du paiement des salaires des gens de travail et des gages des domestiques ; Des actions pour injures verbales, rixes, et voies de faits, pour lesquelles il n’y aurait pas lieu à la poursuite criminelle; » M. Garat aîné. La rédaction de cet adicle neremplit sûrement point l’intention du comité, il soumet à la décision du juge de paix des objets susceptibles de la plus grande difficulté, tels que ceux de la possession. Je demande le renvoi au comité lui-même, pour nous présenter une nou-* velle rédaction. M. de Lachèze. Tout le monde est d’accord sur le principe, on peut différer d’opinion sur les. objets de détail. Je demande qu’on mette successivement aux voix les divers objets qui doivent être de la compétence des juges de paix. La première division de l’article est mise aux voix et décrétée. On fait lecture de la seconde partie de l’article : « 2° Des usurpations de terres, arbres, haies et fossés, commises dans l’année ». M. Mouglns de Roquefort. Je propose d’ajouter cette disposition « et de tout action en complainte et en réintégrandes ». M. Ramel-Hogaret, Une autre addition est nécessaire, elle consiste à dire, « ainsi que des entreprises sur les eaux destinées à l’irrigation des prairies communes et privées », M. liavenue. En se servant des mots haies et fossés, le comité a entendu les clôtures. En effet, les clôtures de toute espèce doivent être de la compétence du juge de paix, pourquoi ne se servirait-on pas du mot clôture ? M. Moreau. Il est également important de comprendre dans l’attribution les limites des héritages; c’est dans ce sens que le comité parle des arbres, haies et fossés. Tous ces objets ne donneront pas lieu à des contestations pour une valeur au-dessus de 50 livres, les juges de paix pourront juger sans appel. M. Goupil. Pour ne pas s’écarter de la sagesse des principes qui vous ont dirigés dans vos décrets sur les juges de paix, il me paraît convenable d’adopter cette disposition, «sans que, sous aucun prétexte, ils puissent connaître du droit de la propriété ». M. Tronchet. Je ne ferai porter mes réflexions que sur la rédaction de l’article. On est d’accord du principe que les juges de paix doivent connaître des affaires locales, qui n’exigent que la vérification des lieux et l’audition des témoins, ce qui exclut, àmon sens, tout ce qui regarde la propriété. Sous ce point de vue, j’adopte l’amendement, qui a pour objet les limites d'héritage. 11 ne s’agit pas làde juger la propriété, mais d’une simple vérification locale. Je trouve l’expression commises dans l'année très équivoque ; je suis le maître de me pourvoir au simple possessoire, ou tout de suite au pétitoire; or, eu mettant commises dans Vannée, on autorise le juge de paix à juger dans l’un et l’autre cas; pourquoi, lorsqu’il y a des expressions consacrées par la jurisprudence, ne pas s’en servir? Je demande qu’on ajoute « au possessoire seulement ». Après quelques autres observations, la seconde partie de l’article est décrétée en ces termes : « 2° Des déplacements de bornes, des usurpations de terres, arbres, haies, fossés et clôtures, des entreprises sur les cours d’eau servant à l’arrosement des prairies, commises dans l’année, et de toutes autres complaintes possessspires », {Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {13 juillet 1790.] 74 La troisième partie est décrétée telle que le comité l’a présentée. (On fait lecture de la quatrième.) « 4° Des indemnités prétendues par le fermier ou locataire pour non-jouissance, et des dégradations alléguées par le propriétaire. » M. Tronchet. En ces sortes d’actions, il y a deux choses à examiner. La première, si l’indemnité est due; la seconde, quelle en est la quotité. Les juges de paix doivent pouvoir connaître de l’une ©u de l’autre, évaluer la quotité de l’indemnité, mais renvoyer au district si elle s’élève au-dessus de 100 livres. M. Fréteau. Le préopinant n’a entendu parler que des indemnités pour non-jouissance; cependant des indemnités très considérables sont souvent réclamées par les propriétaires contre les fermiers. Il est facile de dégrader une terre faute de lui donner les façons nécessaires, et l’indemnité résultant de ces dégradations peut monter à un prix considérable. Je désirerais que le comité pût rédiger l’article de manière que le droit de constater les faits et la quotité des indemnités fût seul attribué aux juges de paix. Cette matière est trop importante pour n’être pas renvoyée au tribunal de district. M. Thouret. Le comité n’a pas entendu donner une attribution pour des sommes plus considérables que celles que vous avez fixées. Dans l’action en dégradation il ne s’agit que d’une vérification de fait. Il y a un bail qui exige telles ou telles façons : mettez ce bail entre les mains du juge de paix ; qu’il visite la terre, et il aura tout ce qui est nécessaire pour décider. Si les clauses du bail ne sont pas claires, il consultera l’usage de la localité. En portant directement l’affaire aux juges de district, ces juges seraient toujours obligés d’envoyer sur le lieux litigieux des hommes de la campagne. — Je pense cependant qu’on peut ajouter à la disposition ces mots : « lorsque le droit d’indemnité ne sera pas contesté. » (La quatrième partie de l’article est décrétée avec cette addition.) M. de Fachèze propose une addition à la cinquième partie qui est acceptée par le comité. « 5° Du paiement des salaires des gens de travail, des gages des domestiques, et toutes autres actions pour refus de services promis. » (Cette disposition est décrétée sauf rédaction.) M. Tronchet. J’observerai sur la sixième partie de l’article qu’il n’est pas très exact de dire : « pour lesquelles il n’y aurait pas lieu à la poursuite criminelle. » Je suis libre de choisir la voie civile ou la voie criminelle, ainsi qu’il me convient. On pourrait s’exprimer de cette manière : « pour lesquelles les parties ne se seront pas pourvues par la voie criminelle. » La dernière disposition de l’article est décrétée avec ce changement, ainsi qu’il suit : « 6° Des actions pour injures verbales, rixes et voies de fait, pour lesquelles les parties ne se seront pas pourvues par la voie criminelle. » M. Garat aîné. Je demande que M. le rapporteur nous donne lecture de l’article 10, tel qu’il résulte des votes que vous venez d’émettre. M. Thouret, rapporteur. L’article se trouve ainsi conçu ; « Article 10. Il connaîtra de même sans appel, jusqu’à la valeur de 60 livres, et à charge d’appel, à quelque valeur que la demande puisse monter : « 1° Des actions pour dommages faits, soit par les hommes, soit par les animaux, aux champs, fruits et récoltes; « 2° Des déplacements de bornes, des usurpations de terre, arbres, haies, fossés et autres clôtures commises dans l’année; des entreprises sur les cours d’eau, servant à l’arrosement des prés, commises également dans l’année, et de toutes autres complaintes possessoires; « 3° Des réparations locatives des maisons et fermes; « 4° Des indemnités prétendues par le fermier ou locataire, pour non-jouissance, lorsque le droit d’indemnité ne sera pas contesté, et des dégradations alléguées par le propriétaire; « 5° Du paiement des salaires des gens de travail, des gages des domestiques et des actions relatives à l’exécution de leurs engagements. « 6° Des actions pour injures verbales, rixes et voies de fait, pour lesquelles les parties ne se seront pas pourvues par la voie criminelle. » M. le Président met l’article 10 aux voix. L’article est adopté sauf rédaction pour le paragraphe 5. M. le Président. V Assemblée a mis à son ordre du jour un exposé général et un rapport du comité militaire sur le nombre des troupes , leur dépense , leur solde et appointements. Je consulte l’Assemblée pour savoir si elle veut interrompre la discussion sur l’organisation judiciaire et entendre le rapporteur du comité militaire. L’Assemblée décide que le rapporteur aura la parole. M. Fouis de Noailles, rapporteur (1). Messieurs, de tous les objets qu’il était nécessaire d’épurer, selon votre système régénérateur, aucun peut-être n’en eut plus besoin, et aucun ne présentait plus de difficultés que l’organisation de l’armée. Un des philosophes, le plus digne de votre estime (2), a dit, avec raison : « Que si quel-« que vice, dans cette organisation, s'opposait « aux succès militaires, le peuple se dégoûterait « bientôt de son gouvernement ; que les Etats « étaient plus jaloux de leur honneur à la guerre « que de tous les autres avantages ; qu’une na-« tion, humiliée par de longues disgrâces, ne « songeait qu’à se venger, et que pour acquérir « un vengeur elle se donnait un maître. » Mais de longs succès ne peuvent-ils pas devenir aussi dangereux pour la liberté que de longues disgrâces ? qu’un chef ambitieux revienne triomphant, une grande gloire s’attache à sou nom, le peuple l’admire, l’armée l'adore, et simple citoyen qu’il était, il peut dicter des lois. Mais si le chef est ambitieux, a-t-il même bé-soin, pour être redoutable, de se trouver dans cette position éclatante ? que n’a-t-on pas à crain-* dre de lui par la nature seule du pouvoir qu’on est obligé de remettre entre ses mains? Sans la discipline la plus sévère et la subordination la plus absolue, les troupes mêmes les plus braves ne peuvent nous défendre des atteintes de l’ennemi, cet ennemi fut-il moins en force, fut-il (1) Le Moniteur ne donne que des extraits du rapport de M. de Noailles. (2) L’abbé Mably, Droits et devoirs\du citoyen.