[Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 14 février 1191.1 trois simplement, c’est ne faire rien, Messieurs. C’est une éternelle expérience que tous les hommes tiennent par amour-propre à leur premier jugement; vous aurez donc beau faire délibérer deux fois les mêmes jurés en deux délibérations, ils ne porteront que le même jugement et les trois nouveaux jurés seront impuissants contre les douze autres. M. Pétion. Avant tout, il me semble qu’il faut décider, oui ou non, s’il y aura un nouvel examen; quant à moi, quoique cette mesure paraisse dictée par l’humanité, je la trouve si contraire aux principes, je la trouve si dangereuse dans la pratique, que je ne peux pas admettre ce nouvel examen parjurés. En effet, les jurés décident exclusivement du fait, les juges appliquent exclusivement la loi. La ligne de démarcation est parfaitement tracée entre les fonctions des jurés et celles des juges. Comment est-il possible, Messieurs, lorsque la démarcation est si bien tracée, lorsque c'est essentiellement là ce qui constitue l’institution des jurés, comment est-il possible que l’on rende les juges du fait dont ils ne doivent prendre aucune espèce de connaissance, qu’on leur permette de prononcer que les jurés se sont trompés? Et sur quoi? Sur ce qu’ils n’ont pas dû examiner, c’est-à-dire, sur le fait. Avant de savoir, oui ou non, si le juré de révision aura lieu, s’il sera composé de nouveaux jurés ou entier, ou d’addition de plusieurs jurés à l’ancien, je demande que vous mettiez aux voix la question de savoir, oui ou non, s’il sera fait un nouvel examen. M. d’André. S’il fallait choisir entre les opinions extrêmes de M. Garatet de M. Pétion, c’est celle de M. Garat que je préférerais. Je crois cependant que faire examiner de nouveau le fait par douze nouveaux jurés, c’est s’engager dans ces complications de procédure dont nous avons voulu sortir. Le principe est, à mon sens, que lorsque douze jurés ont prononcé sur un fait il n’y a plus aucun examen à faire; mais la disposition de l’article étant favorable à l’humanité, je demande qu’elle soit décrétée. M. Barnave. lime semble qu’il serait possib'e de concilier la pureté des principes prononcés dans l’opinion de M. Pétion avec les vues d’humanité et la plus grande infaillibilité qui résulte de l’article du comité, ce serait que l’adjonction des trois nouveaux jurés eût lieu avant et non pas après la déclaration du juré; je veux dire, que toutes les fois que dans les douze jurés il n’y aurait pas unanimité pour la condamnation ni trois voix pour l’absolution, c’est-à-dire, quand il y en aurait seulement une ou deux pour l’accusé, alors avant que la prononciation eût lieu que le juré eût donné son verdict , il fût obligé d’appeler les trois autres jurés. (Murmures.) De là résultera que l’erreur de quelques personnes pourra être également réformée, et que cependant le jugement, la déclaration, le verdict du juré ne sera jamais réformé, parce quhl ne l’aura pas donné avant l’adjonction des trois personnes. Et je vous représente, Messieurs, que s’il arrive qu’après que les douze jurés auront donné leur déclaration contre l’accusé, et qu’au moyen de l’adjonction des trois personnes, l’accusé soit absous par le second jugement, alors l’institution du juré aura subi un grand échec; alors l’infaillibilité sera détruite dans l’opinion. Vous éviteriez cet eflet-là, si vous vouliez opérer cette adjonction, 749 quand il y aurait une ou deux voix contre la déclaration du juré. M. de Cazalès. J’observe à l’Assemblée que la proposition de M. Barnave est absolument contraire à l’esprit qui semble avoir dicté l’article à votre comité; l’on ne peut pas accuser votre comité de n’avoir pas cru à l’infaillibilité des jurés. Quant à moi, je ne crois nullement àc ette infaillibilité, je ne sais ce que c’est que cette pureté de principes qui repousse constamment des dispositions que la justice et l’humanité réclament : et je ne puis penser qu’il soit dans l’intention de l’Assemblée nationale qu’un jugement du juré soit comme la fatalité aveugle et irrémissible. Je demande donc qu’on adoptel’article du comité, et que toutes les fois que l’unanimité des juges aura trouvé que le prononcé du juré est faux, le second examen soit recommencé, en ajoutant trois nouveaux jurés; et je me réunis à l’article du comité. (L’Assemblée ferme la discussion et adopte les articles 24 et 25 du comité.) Art. 26. « Le silence le plus absolu sera observé dans l’auditoire; les témoins et les défenseurs de l’accusé seront tenus de s’exprimer avec décence et modération. Si quelque particulier s’écartait du respect dû à la justice, le président pourra le reprendre, le condamner à une amende, et même à garder prison jusqu’au terme de huit jours, suivant la gravité du cas. » (Adopté.) M. Duport, rapporteur , donne lecture de l’article 27, ancien article 28 du projet du comité, qui est ainsi conçu : « Lorsqu’un accusé aura été acquitté, il pourra présenter requête pour obtenir de la société une indemnité, sur laquelle requête il sera statué par le tribunal criminel. » Plusieurs membres obtiennent successivement la parole sur cet article : les uns demandent que l’indemnité soit accordée par la société à tout accusé acquitté qui aura été poursuivi sur la clameur publique; d’autres, par le juré d’accusation et de jugement; d’autres, par les officiers ; un autre, que la société accorde l’indemnité, sauf à se pourvoir par devers le dénonciateur, s’il eu a le moyen. (La question préalable est demandée sur ces amendements et n’est pas appuyée.) M. Lanjuinais. Messieurs, l’article est incomplet; il n’est pas douteux que, dans certaines circonstances, il est de la justice de la société d’accorder à l’accusé acquitté une indemnité ; mais il ne faut pas laisser incertains les droits de l’accusé à cet égard : il ne faut pas que le jugement, en pareil cas, soit arbitraire. Gomme l’article est incomplet, je demande que l’article soit ajourné et renvoyé au comité. (Ce renvoi est décrété.) Art. 28. « Le tribunal criminel sera compétent pour connaître des intérêts civils, résultant des procès criminels. » M. Garat l’aîné. Le tribunal qui a assisté à tout le procès peut seul en bien juger les dépendances; je demande qu’on ajoute à l’article ces mots : et pour y statuer en dernier ressort. |AssembJée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (4 février 1791. J 750 M. Kegnaud {de Saint-Jean-d' Angély). Il est impossible que vous adoptiez la proposition qui vous est faite : pour statuer en dernier ressort. Vous avez voulu qu’il y eût deux degrés de juridiction : de quelque source que dérive l’action d’un individu, c’est une action simple, une action civile, qui doit être portée devant les tribunaux civils. Je demande que, pour statuer sur l’amendement qui est proposé, on renvoie l’article au comité. (Cette motion n’est pas adoptée.) (L’article 28 est décrété avec l’amendement de M. Garat.) M. le Président. J’ai reçu de M. le maire de Paris la lettre suivante : « Paris, le 4 février 1791. « Monsieur le Président, « J’ai l’honneur de vous prévenir que la municipalité a fait hier l’adjudication de six maisons nationales, situées, la première, rue des Fontaines, louée 6,218 livres, estimée 75,425 livres, adjugée 106,100 livres; la seconde, rue Saint-Martin, louée 900 livres, estimée 29,250 livres, adjugée 52,500 livres; la troisième, rue Baillif, louée 2,500 livres, estimée 22,700 livres, adjugée 42,000 livres; la quatrième, enclos Saint-Martin, louée 1,054 livres, estimée 7,750 livres, adjugée 20,000 livres ; la cinquième, rue Croix-des*Petits-Champs, louée 2,800 livres, estimée 45,000 livres, adjugée 79,000 livres; la sixième, enclos Saint-Martin, louée 1,200 livres, estimée 8,800 livres, adjugée 25,100 livres, « Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur. « Signé : BaILLV. » M. Chevalier. Messieurs, on est effrayé de tous côtés des progrès que fait l’usage atroce du duel : il déshonore nos mœurs et notre liberté ; il peut produire les plus funestes effets chez un peuple entièrement armé, {Murmures.) Que m'importent les murmures quand je soutiens une demande conforme à la raison et favorable à l’humanité ! On répand le bruit que des spadassins ont formé le projet de provoquer en duel quantité de bons citoyens {Rires à droite) ; une grande inquiétude règne à ce sujet dans les campagnes. Je crois en conséquence qu’il est de mon devoir de demander que l’Assemblée ordonne à son comité de Constitution de présenter incessamment un projet de décret sur le duel dans le plus court délai. (Cette motion est décrétée.) M. le Président. J’invite les membres de l’Assemblée à se retirer dans les bureaux pour procéder à l’élection de six adjoints au comité du commerce et d’agriculture» L’ordre du jour de la séance de demain sera la suite de la discussion sur les jurés. (La séance est levée à deux heures trois quarts.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 4 FÉVRIER 1791. Développement de l’opinion de M. de .Mirabeau l’alné, concernant le revenu public à établir sur la consommation du tabac (1). J’ai avancé, dans mon opinion sur le projet du comité, que le droit de 2 1. 10 s. par quintal, qu’il propose d’établir sur l’importation libre du tabac, en Framce, ne rendrait pas plus de 300 à 400,000 livres ; Que les taxes, d’ailleurs évidemment impraticables sur les fabricants et les débitants, ne donneraient qu’un revenu d’environ 2,400,000 1.; Qu’il était donc impossible de supposer, avec le comité, que ce double produit pût s’élever à 8 millions; Enfin, qu’il serait facile de concilier avec le véritable intérêt de l’agriculture et du commerce la conservation d’un impôt d’environ 30 millions sur la consommation du tabac. On a paru désirer que je tisse connaître les bases de mes calculs; je vais donner ce développement à mon opinion. M. Rœderer, rapporteur du comité dés impositions, m’a proposé, en ces termes, lesquesiions auxquelles je dois répondre ; Que M. de Mirabeau veuille bien joindre à son décret deux calculs pour établir, l'un , quel produit il espère, pour la présente année et pour la prochaine , du régime qu’il propose. L’autre, quel produit il espère de ce régime pour les années suivantes. Je distingue les deux temps, le présent et l'avenir, parce qu'il y a des obstacles actuels et des obstacles perpétuels. Actuels : ce sont, 1° lu contrebande déjà versée dans le royaume ; 2° Le tabac qui y a été cultivé. Perpétuels : Ce sont, 1° la\suppression des rigueurs pénales; 2° La suppression des visites domiciliaires; 3° La suppression des barrières intérieures ; Ces trois suppressions font perdre toute la garantie que Von avait dans l’ancien système pour la Conservation des produits. Avant de répondre à ces questions, je dois établir par des calculs que l’impôt tel que le propose le comité, au lieu de fournir 8 millions, ne produirait qu’environ 2,800,000 livres. 1° Le droit de 2 Z. 10 s. par quintal, sur le tabac importé, ne produira pas plus de 3 à 400,000 livres. Je le prouve de cette manière. 11 est possible d’abord, et ce serait un très grand mal, que la manie de cultiver du tabac prît au point que nous n’eussions besoin d’ aucuh tabac étranger; et dès lors, il n’y aurait ni Importation de cette denrée, ni commerce avec l’Amérique, ni perception de droit. Cette supposition est d’autant plus facilé à admettre que, selon le comité, 40.000 arpents de terres à tabac suffiraient à toute la consommation du royaume. Dans cette première hypothèse, le droit de 2 1. 10 s. par quintal ne serait donc d’aucun produit. Je suppose maintenant qu’ou importât du tabac, en France, pour le tiers de notre consommation, ce qui ne pourrait avoir lieu qu’avec un droit (1) Voyez ci-dessus la discussion sur le tabac, séance du 29 janvier 1791, p. 567 et suivantes.