BAILLIAGE DE CAEN. CAHIER Du clergé du grand bailliage de Caen et bailliages secondaires , lu et approuvé dans son assemblée générale, le jeudi 26 mars , l’an de grâce 1789, en l'abbaye Saint-Etienne de Caen { 1). Le premier sentiment du clergé assemblé est celui de la reconnaissance envers le meilleur des rois, qui appelle ses sujets aux grandes opérations du gouvernement. Il ne veut pas se montrer à nos regards, environné de l’appareil armé de sa puissance , il nous dit, comme un père à ses enfants, qu’il laisse à nos délibérations cette liberté qui est le caractère le plus cher à son cœur. Cette bonté exige du clergé le ton de candeur et de vérité qui convient à des sujets libres et fidèles, et dont le Roi a reconnu en personne les acclamations et le dévouement. DE LA RELIGION ET DES MOEURS. Ministres d’une religion sainte que nous devons soutenir dans tous nos rapports avec la société, le moment est venu où il est nécessaire de demander au Roi qu’il la protège efficacement dans ses Etats contre tous les ennemis qui l’attaquent. Bienfaisante envers les empires par sa morale sublime, admirée des païens, redoutable aux opinions du siècle, la religion réunit ce double avantage d’élever d’esprit et de nourrir le cœur. Elle est le principe de la tranquillité publique, le bonheur des cités et des campagnes. Le fléau le plus terrible dont nous puissions être frappés, serait la transplantation dans nos contrées de l’erreur et du libertinage, que la témérité des écrivains modernes s’efforce d’v répandre. Le clergé assemblé demande donc que la religion catholique et romaine, soit la seule religion reçue et dominante dans le royaume , qu’elle seule ait des temples, des ministres, un office public, que tout autre culte soit absolument défendu et prohibé , et que les non catholiques ne s’écartent jamais du respect qui lui est dû. Vainement la nation croirait-elle se réformer, si elle ne travaille à épurer ses mœurs ; et comment les rétablir dans leur antique simplicité, si la génération actuelle ne prend pas des mesures pour s’opposer aux progrès de la contagion ? 11 est donc essentiel de commencer l’ouvrage d’une régénération universelle par l’éducation des plus tendres enfants qui sont encore l’espoir de la patrie. Le clergé invite toutes les classes des citoyens à demander, de concert avec lui, un plan d'éducation nationale tracé d’après les principes avoués par la religion et par l’Etat, pour la rédaction duquel Sa Majesté sera suppliée de prendre les conseils de ses universités et des principaux corps chargés de l’enseignement dans ses Etats. Il demande des ouvrages élémentaires sur la morale et sur le droit public de la France; il supplie d’arrêter la science des écrivains par l’exécution (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. des règlements faits sur la librairie; il demande que le jeu soit réprimé dans ses excès , que les lois sur l’usure soient rigoureusement observées, que la mendicité, source ordinaire de corruption et de libertinage, demeure à jamais proscrite par une police humaine et plus efficace. La facilité des mœurs régnantes a toléré les maisons de prostitution ; nous les voyons s’y multiplier jusque dans nos provinces; cette facilité se défend en supposant de plus grands maux attachés à leur suppression ; mais la pudeur et cette aimable simplicité de nos campagnes, alarmées des progrès de la débauche, méritent sans doute que le règlement approfondisse les fondements d’une pareille tolérance. Dans un siècle poli qui se pique d’humanité, le duel vient encore braver la religion, anéantir les droits de la nature et répandre le deuil et la désolation dans les familles, enlever à l’Etat des têtes souvent chères et précieuses; que les lois qui le défendent soient donc enfin exécutées. CONSTITUTION FRANÇAISE. • Le but de la société est le bonheur des peuples, et le bonheur ne peut exister que dans la jouissance paisible et durable delà propriété; une constitution déterminée, tranquille, uniforme, est donc la seule base du bonheur de la France. Elle est le principe delà stabilité du trône, et si la nation est aujourd’hui dans la souffrance, c’est surtout parce que l’inconstance des opinions a trop longtemps agité l’intérieur du gouvernement. Le clergé , de concert avec tous les ordres du royaume, demande une charte française qui assurera pour jamais les droits du Roi et de la nation; il demande qu’il soit déclaré avec solennité que le citoven est libre et franc dans ses propriétés, qu’aucun Français ne peut être exilé, arrêté, emprisonné que parle texte etlepouvoirde la loi; que la loi seule peut attenter à la liberté des citoyens, et que si jamais des raisons d’Etat, ou même des motifs de clémence et de bonté, déterminent le Roi à faire arrêter quelqu’un de ses sujets, on ne puisse refuser sur trois jours ni après, en aucun temps, le renvoi devant les tribunaux ordinaires à celui qui jugera à propos de les réclamer. Le clergé demande que la charte nationnale établisse encore qu’un peuple libre tel que le Français ne doit que des impôts délibérés, librement consentis, limités dans deux durées, répartis par les contribuables, et sans conséquence pour l’avenir; il demande que les cinq qualités des impôts des peuples non asservis soient exprimées avant toute chose dans la grande charte de la France. Mais si la nature de l’impôt exige des limites dans la durée, elle exige encore le retour périodique des Etats d’une manière parallèle aux retours des besoins ; le clergé du bailliage de Caen demande ce retour fixe des Etats, parce que seuls ils peuvent, de concert avec le Roi, renouveler les impôts, créer des emprunts, consentir la loi qui doit être exécutée par l’ordre et la puissance du monarque. [États gén. 1789. Cahiers. | ARCHIVES fit comme une convocation parallèle des Etats généraux a été dans ces derniers siècles la formalité essentielle et antérieure d’une organisation, le clergé demande aussi qu’à l’arbitraire de la convocation, le Roi, de concert avec les Etats, substitue des retours périodiques et connus, conformément à l’antique droit des Français, observant le clergé du bailliage, que l’arbitraire dans la convocation assujettirait de nouveau la destinée de la France à la volonté ministérielle, et contredirait les intentions paternelles du monarque qui a déclaré avec solennité qu’il voulait que la France pût jouir de ses anciennes prérogatives ; et pour ce qui est de l’intervalle d’une assemblée à l’autre, le clergé doit en laisser la détermination au jugement des Etats. CONSTITUTION PARTICULIÈRE DE LA NORMANDIE. La constitution nationale une fois déterminée entre le Roi et ses Etats, le clergé assemblé à Caen demande en particulier l’antique constitution de sa province dont la charte normande est le fondement. Donnée par le roi Louis Xe du nom en 1335, confirmée par Philippe de Valois en 1339, confirmée encore par Charles VI en 1 380, renouvelée par Charles Vil en 1 458, ratifiée par Louis XI én 1461, confirmée enfin par Henri III en 1579, notre charte n’a été citée depuis ce temps-ià que pour y déroger. Le clergé demande donc que la prérogative de la province de s’assembler à des époques connues en forme d’Etats soit rétablie, et leur organisation perfectionnée. Que dans la formation desdits Etats, les classes du clergé et notamment les curés aient une représentation proportionnée à l’importance de leurs fonctions. CONSTITUTION DU CLERGÉ. La révolution des siècles n’a pu renverser encore la respectable constitution de l’Eglise gallicane, antérieure à la monarchie française; les ravages des temps n’ont pu attenter à sa'solidité ; elle est telle qu’on doit la regarder comme une des trois colonnes essentielles, une portion constitutive de l’empire, un corps séparé dans l’Etat, mais toujours sujet, un ordre toujours soumis à César, mais toujours libre, et toujours le soutien de la gloire de la maison régnante. Une telle fidélité, une permanence de cette nature, mérite au clergé la conservation de sa prérogative d’être toujours le premier ordre de l’Etat, séparé par la différence de ses fonctions des deux autres ordres qui complètent les formes monarchiques. Le clergé regarderait donc le mélange des ordres comme destructif de la plus ancienne de nos prérogatives ; ce mélange le priverait du droit précieux d’opiner à part, etd’agir dans toute la plénitude de ses libertés sur des objets qui presque tous sont exclusivement de sa compétence. Mais pour concourir au maintien des formes constitutionnelles du premier ordre de l’Etat, le clergé a fait des recherches particulières sur les demandes formées aux Etats généraux des deux siècles derniers pour la restauration. L’assemblée a reconnu que les mouvements des guerres de religion ayant traversé cette réforme et suspendu l'exécution particulière des ordonnance de Char-, les IX, rendues sur les plaintes des Etats d’Orléans, elle devait aujourd’hui former des vœux pour en obtenir l’exécution ; ordonnances si souvent renouvelées dans les autres assemblées des Etats, PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Caen.] 487 ordonnances que rappellent les dispositions si sages d’une loi, l'ouvrage d’un des plus grands et des plus saints de nos rois. Le retour des synodes, des conciles provinciaux, d’un concile national, est encore le vœu du clergé; il désire qu’on mette un frein aux courses ambitieuses en cour de Rome, qu’on révoque les lois attentativesà ses droits; que celles qui assurent les avantages dus à l’ancienneté du service dans le saint ministère soient rétablies. Que les curés, qui sont une portion essentielle et constitutionnelle du clergé, puissent s’assembler sous la présidence de leurs doyens, ou ar-chiprêtres (qui désormais seront élus par eux), lorsque lesdits doyens jugeront à propos de les convoquer. Que le droit de dépôt qui afflige particulièrement la Normandie soit aboli, sauf à la sagesse du Roi de pourvoir au dédommagement convenable s’il y a lieu. Le clergé demande que dans l’augmentation future dès portions congrues, les curés et vicaires soient pourvus en essence sur les dîmes de leurs paroisses, et connaissant le désir de la nation de leur assurer une dotation décente et convenable, il s’en rapporte à la sagesse et à l’équité des Etats du royaume pour en déterminer le taux ; il regarde aussi comme juste que dans les paroisses où les grosses dîmes sont partagées entre le curé et d’autres décimateurs, les vicaires soient à la charge de l’un et des autres, en raison du produit respectif qu’ils retirent desdites dîmes ; il demande de plus que la déclaration du Roi du moi? de mai 1786 sur icelle soit registrée et exécutée selon sa forme et teneur. Comme plusieurs, paroisses des villes et de la campagne n’offrent pas des biens suffisants pour doter leurs pasteurs , le clergé demande rétablissement d’une caisse ecclésiastique dans chaque province, dont la régie et l'administration seront réglées par les Etats provinciaux, et Sa Majesté sera suppliée d’affecter provisoirement à cet établissement les fonds des économats , ceux des bénéfices simples consistoriaux qui viendront à vaquer et autres revenus dont la disposition deviendrait libre. Celte caisse fournira également des pensions pour la subsistance des vicaires qui auront exercé pendant vingt-cinq ans les fonctions du saint ministère, des prêtres des paroisses dont les fabriques n’ont pas de fonds suffisants pour leur donner une rétribution honnête, ainsi que des�autres ecclésiastiques âgés, infirmes et sans ressources. Le clergé demande la réunion des cures dont le nombre des paroissiens n’exigeront pas habituellement la présence d’un pasteur ; celle des paroisses où il y a deux ou plusieurs curés attachés à la même église, et la fondation de nouvelles églises et cures dans les paroisses trop nombreuses et trop étendues. FINANCES. Le clergé du bailliage de Caen, animé de ce principe, que les pasteurs sont établis pour contribuer à la félicité des peuples, et voulant partager comme les autres citoyens les charges publiques, consent que l’impôt, sous quelque dénomination qu’il puisse être établi et quel qu’en soit l’objet, pèse désormais également sur toutes les propriétés ; il demande aussi que, rentrant alors ; dans la classe commune des citoyens et renon-i çant à toute espèce de distinction pécuniaire, il soit déchargé des dettes qu’il a été forcé de con- 488 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Caen.] tracter pour les besoins de l’Etat, et que la nation s’en rende garante. Le clergé demande que les Etats généraux sanctionnent l’aliénation des domaines, s’occupent de la réduction des différents impôts, surtout la suppression des gabelles, aides, loteries, et autres semblables qui, en ruinant et tourmentant le peuple, violent à la fois tous les droits des hommes, et qu’à une époque si glorieuse pour le Roi, et qui fera bénir à jamais son règne, les malheureux détenus aux galères pour fait de contrebande soient élargis. Le clergé demande que le contrôle, qu’il est nécessaire de conserver pour la sûreté des actes, ne soit désormais qu’une formalité de sagesse, et non un impôt désastreux qui s’attache à toutes les actions humaines. Le Roi ayant bien voulu rendre à la nation des comptes périodiques, le clergé demande que cet exemple mémorable dans nos annales soit tous les ans renouvelé ; que les comptes des provinces soient aussi annuellement publiés, que l’administration des hôpitaux, des séminaires y soit assujettie, et que la moindre assemblée soit tenue de rendre publics ses rôles d’imposition. LÉGISLATION. Le clergé demande que, dans les officialités, le juge soit tenu de s’associer quatre des plus anciens curés ou prêtres du doyenné de l’ecclésiastique accusé. Que les restes de servitudes quelconques indignes du nom français, dans quelque partie de l’empire qu’elles se trouvent , soient détruits, comme l’a fait notre bon Roi dans ses domaines royaux à son avènement au trône. Que la jurisprudence française, civile et criminelle, soit soumise à toutes les réformes dont elle est susceptible, que l’impôt et sa perception soient établis de manière à faire évanouir la compétence des tribunaux d’exception, et que les charges des officiers de ces tribunaux soient exactement remboursées. Que les formes ruineuses de la procédure, qui entretiennent les discussions dans les familles, soient simplifiées ; que des procédures économies, faites verbalement dans les paroisses etprési-ées par les curés, soient établies avant tout arrêt dans les tribunaux. Que les pauvres soient autorisés à délibérer et à arrêter en présence de leur curé leurs actes de tutelle et autres affaires y relatives ; que cgtte classe intéressante et malheureuse trouve dans les lois de la société une protection réelle ; qu’il soit dérogé en leur faveur aux édits et déclarations qui gênent la charité des fidèles, et qu’en conséquence il soit permis à la piété chrétienne de donner des fonds ou des rentes sur les particuliers pour les soulager, ainsi que de fonder des écoles gratuites pour les enfants des deux sexes ; que les curés réguliers puissent tester en faveur des pauvres de leurs paroisses ; que les titres de fondation du college de M. Gervais, réunis à celui de Louis-le-Grand, soient remis aux Etats particuliers de laprovince de Normandie, pour laquelle, et spécialement pour le diocèse de Bayeux, ladite fondation a été faite ; fondation qui se trouva dénaturée par des lettres patentes en forme de déclaration surprises à Sa Majesté, le 13 septembre 1 778, et que l’exécution de ladite fondation soit ordonnée dans tous ses points. PROCURATION ET POUVOIRS DE L’ASSEMBLÉE à ses trois députés aux Etats généraux . Enfin le clergé des bailliages de Caen, confiant ses intérêts à la sagesse des députés qu’il va élire, leur donne le pouvoir général de proposer, remontrer, aviser et consentir sur tout ce qu’enleur âme et conscience ils jugeront juste, équitable, honnête et conforme à la religion, au bonheur et à la gloire de la France. Il leur ordonne de se concerter avec les autres députés de la Normandie et leur défend d’opiner jamais séparément ; il leur enjoint de ne point consentir l’impôt qu’après que la constitution du royaume aura été invariablement fixée et que la nature et la masse de la dette de l’Etat aura été connue, pour ensuite la consolider ; et que dans tous les cas ils s’opposent constamment à l’établissement d’une commission intermédiaire des Etats généraux. Qu’ils connaissent l’éminente dignité d’envoyés du clergé d’une grande province et l’auguste fonction des représentants de la première des nations quand ils seront assemblés sous l'autorité du Roi. Le présent cahier arrêté et présenté par nous, soussignés, commissaires nommés pour la rédaction d’icelui, le jeudi 26 mars 1789- Signé L’Evêque, curé de Tracy ; Bonhomme, cur é de Saint-Nicolas. Vu l’approbation de l’assemblée du clergé, le présent cahier, contenant cinq feuilles, cotées et paraphées par notre greffier, secrétaire, a’été contre-marqué, ne varietur, par nous, soussigné, abbé de Barbery, président de l’ordre du clergé en l’assemblée des Etats du bailliage principal de Caen et bailliages secondaires de Bayeux, Falaise , Thorigny et Vire. Le jeudi 26 mars 1789. Signé F.-B. de Cairou, abbé de Barbery-le-François, commissaire; Demutrey, greffier, secrétaire* Collationné à l’original et certifié véritable par moi, greffier au bailliage de Caen, soussigné. Signé Hart. CAHIER Des pouvoirs et instructions de V ordre de la noblesse du bailliage de Caen , réuni le 16 mars 1789, en ladite ville , conformément aux heures de convocation données à Versailles le 24 janvier dernier. pour être remis aux députés qui seront nommés et être présenté par eux aux Etats généraux (1). POUVOIRS. Pénétré de reconnaissance et de respect poulie Roi qui appelle la nation pour proposer, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’Etat, la réforme des abus, ‘l’établissement d’un ordre fixe dans toutes les parties du gouvernement, la prospérité générale du royaume et les biens de tous et de chacun des citoyens, nous recommandons à nos députés de remplir ce devoir avec toute l’énergie que notre amour pour Sa Majesté, ses intérêts, les nôtres qui seront toujours les siens et ceux de la patrie, exigent. En conséquence, nous donnons à nos députés les pouvoirs les plus étendus sur ces différents objets, afin de former un contrat national, où les lois de (1) Nous reproduisons ce cahier d'après un manuscrit des Archives de l’Empire.