54 [14 novembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. couronne; ses ducs, soumis à la formalité de l’hommage, ne contestaient que sur sa nature; ils voulaient qu’il fut simple, et nos rois le prétendaient lige; dès la fin du XIIIe siècle, la Bretagne avait été érigée en pairie, et comme l’on sait, c’était dans la mouvance immédiate que consistait l’essence de cette éminente dignité ; c’était donc, dès lors, un fief de la couronne, et elle formait à ce titre une partie intégrante de la monarchie française. Ce précieux héritage fut successivement apporté en dot à trois de nos rois, Charles VIII, Louis XII et François Ier. Ce monarque le réunit à la couronne par le contrat de 1532, que les Bretons ont jusqu’ici regardé avec raison comme le palladium de leurs franchises et de leurs libertés. Mais si ce contrat n’eût pas existé, la réunion qu’il a produite n’aurait été retardée que de quelques instants. La Bretagne, dans cette hypothèse, serait passée à titre successif à Henri II, fils et successeur de François Ier, et à son avènement au trône elle aurait été réunie irrévocablement et de plein droit au domaine royal, comme l’avaient été avant elle les patrimoines de Louis Xll et de François Ier, et comme l’a été depuis celui de Henri IV. Je n’examinerai point si les deux contrats de mariage de la reine Anne auraient empêché cette réunion; je laisse aux publicistes à décider si une convention privée, un pacte domestique peut déroger à une ioi de l’Etat ; je me borne à prétendre que les lois générales du royaume auraient consommé cette réunion sans le "secours d’autres actes. Les généreux Bretons, si jaloux de leur liberté, et si dignes d’en jouir, n’en auraient pas moins conservé leurs franchises. Le principal but du traité de Vannes, était de maintenir les maximes d’après lesquelles leurs ducs les gouvernaient; et les rois de France, héritiers de ces ducs, n’auraient pu, sans injustice, s’arroger des droits plus étendus que ceux des souverains qu’ils représentaient. Signé : Enjubault de La Roche. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du samedi 14 novembre 1789 (1). M.deLiachèze, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance de la veille. M. Camus fait une motion tendant à faire déclarer que, dans tous les monastères et chapitres où il existe des bibliothèques et archives, les supérieurs seront tenus de déposer des états et catalogues au greffe du siège royal ou municipalité le plus voisin ; de les affirmer véritables et d’y désigner particulièrement les manuscrits qui pourraient se trouver dans les bibliothèques ; de s’en constituer les gardiens ; d’affirmer qu’ils n’ont pas connaissance qu’il en ait été soustrait. — 11 demande que sa motion soit immédiatement adoptée et ajoutée au décret d’hier. La discussion du cette motion est retardée par la lecture des adresses suivantes : Délibérations et adresses des villes, bourgs et communautés de Méracq, de Souprosse, de Sainte-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. Croix, de Fichous et de Damoulens en la sénéchaussée de Saint-Sever de Guyenne, contenant félicitations et remercîments à l’Assemblée nationale, de ses glorieux travaux, renonciation à tous leurs privilèges particuliers, adhésion pleine et entière à tous ses décrets et notamment à ceux du 4 août et jours suivants, et à l’article 17, qui proclame Louis XVI, notre glorieux monarque, le restaurateur de la liberté française. Délibération du même genre, de la ville de Boiscommun en Gâtinais. Elle demande d’être rangée dans la classe des bailliages secondaires du second ordre. Délibération de la ville de Saint-André en Dauphiné, contenant adhésion aux décrets rendus et à rendre par l’Assemblée nationale, ainsi qu’aux principes renfermés dans l’arrêté de la ville de Vienne, relativement à la convocation des Etats de la province, et du doublement, faite par la commission intermédiaire. Adresse de félicitations et remercîments de la ville de Bourganeuf. Elle demande un siège royal. Adresse du même genre, des habitants de la ville, vicomté, ancien bailliage et district de Rochechouart, en Haut-Poitou. Adresse du comité permanent de la ville de Chatellerault, où il adhère, avec un respectueux remerciaient, au décret de l’Assemblée nationale sur la disposition des biens écclésiastiques. Adresse de la municipalité de Yatan, contenant deux procès-verbaux qui constatent une violente émotion populaire arrivée dans cette ville au sujet de l’exécution du décret de l’Assemblée nationale sur la libre circulation des grains. Elle la supplie de lui indiquer la conduite qu’elle doit tenir, lui présentant une adhésion parfaite et une soumission entière à ses décrets. Adresse des religieux bénédictins de l’abbaye de Saint-Georges de Boscbervilie, où iis abandonnent leurs biens à la nation, pleins de confiance en la justice de l’Assemblée nationale, pour leur subsistance. Délibération de la ville de Gap, en Dauphiné, contenant l’adhésion la plus entière aux décrets de l’Assemblée nationale. Délibérations des communes de Loriol et Li-vron, en Dauphiné, où elles adhèrent avec un dévouement absolu aux décrets de l’Assemblée, et protestent de la manière la plus forte contre la convocation des Etats de la province, et du doublement, faite par la commission intermédiaire. Adresse du même genre de la ville du Buis, de la même province. Adresse du comité permanent du pays d’Aunis, qui supplie l’Assemblée nationale, par les motifs les plus pressants, d’organiser au plus tôt les assemblées provinciales et municipales; il représente que les citoyens, ne pouvant se soumettre à l’ancien régime pour la répartition de l’impôt, se trouvent dans la nécessité de s’assembler dans peu au sujet des impositions de l’année 1790. Adresse de l’abbé Batbedat, prébendé de l’église cathédrale de la ville d’Acq, syndic des chapelains prébendés de la dite cathédrale, et de plusieurs autres, où il supplie l’Assemblée de casser la prétendue assemblée du clergé du diocèse d’Acq, du t4 octobre dernier, tenue et convoquée par M. l’évêque, comme nulle et irrégulière, attendu que les bénéficiers simples et électeurs du diocèse n’y ont pas été appelés, et comme contraire aux décrets de l’Assemblée nationale, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1789.] auxquels il adhère de cœur et d’esprit, notamment à tous ceux qui intéressent les ecclésiastiques. . . . , , . ... Délibération du comité municipal de la ville de Pont-à-Mousson , où il représente que les onze maisons religieuses qui existent dans la ville lui rendent les plus grands services, soit parce qu’elles se consacrent à l’éducation de la jeunesse , soit parce qu’elles y répandent des aumônes abondantes. Il supplie l’Assemblée de les conserver. M. Alquier, député de la Rochelle. Je demande au nom de ma province que le président se retire vers le Roi, à l’effet d’obtenir qu’il y soit envoyé un nouveau délégué pour faire la répartition des impôts. L’intendant est absent, et des circonstances particulières font présumer qu’il ne se rendra pas à ses fonctions. Plusieurs députés font de semblables demandes. M. Deschamps, député de Lyon. Si la motion est appuyée, je propose, par amendement, d’y ajouter la suppression des intendants. M. MiSscent. Comme l’Assemblée ne peut se déterminer en n’entendant qu’une seule partie, je propose le renvoi au comité des rapports. M. le comte de Crillon. Nous n’avons pas besoin d’entendre les deux parties ; il suffit qu’un intendant soit haï dans la province pour qu’il ne puisse faire le bien qu’exige son institution. M. Fréteau. Il faut différer jusqu’à ce que nous ayons établi le nouveau régime. Si nous sollicitions l�nvoi d’un autre délégué, et que, par la suite, nous vinssions à les supprimer tous, notre démarche ne paraîtrait-elle pas avoir été inconséquente ? Le renvoi au comité des rapports est ordonné. M. le comte de Morge, député du Dauphiné, donne sa démission. M. Morel, cultivateur, député de Chaumonl-en-Bassigny, présente également sa démission. Ces deux démissions sont acceptées sans opposition. M. Camus reprend sa motion relative aux bibliothèques des maisons religieuses et en donne une nouvelle lecture. M. de Coulmiers, abbé d’ Àbbecourt. En se servant dans le décret du mot mobilier, on a implicitement compris les livres et les manuscrits ; il n’y a donc pas lieu à délibérer. M. Camus, Messieurs du comité des recherches savent très-bien qu’ils ont été obligés de prendre des précautions relatives à la bibliothèque de l’abbaye Saint-Germain : voilà le motif de ma motion; qu’on juge s’il y a lieu à délibérer. M. Grossia. La motion est très-importante pour les iettres et le droit public, dont les ordres religieux conservent les monuments les plus rares. La motion de M. Camus, mise aux voix, est adoptée et le décret suivant est rendu : « Dans tous les monastères et chapitres où il existe des bibliothèques et archives, lesdits monastères et chapitres seront tenus de déposer aux greffes des sièges royaux ou des municipalités les plus voisines, des états et catalogues des livres qui se trouveront dans lesdites bibliothèques et archives, d’y désigner particulièrement les manuscrits, d’aflirmer lesdits états véritables, de se constituer gardiens des livres et manuscrits compris auxdits états, enfin, d’affirmer qu’ils n’ont point soustrait et n’ont point connaissance qu’il ait été soustrait aucun des livres et manuscrits qui étaient dans lesdites bibliothèques et archives. » M. Lebrun, au nom du comité des finances, fait un rapport sur les réclamations de la province d'Anjou concernant la gabelle. L’horreur qu’inspire la gabelle a excité les habitants de la province d’Anjou à proscrire cet impôt. Rassemblés en grande partie à Angers, ils l’ont remplacé par un impôt de 60 livres par minot ce qui fait 1,500,000 livres et ils offrent de porter cette somme à 1,600,000 livres. Quelques villes n’ont pas voulu adhérer à ce remplacement très-avantageux sous plusieurs rapports, mais qui a aussi ses inconvénients, car il faudra rembourser les cautionnements, rembourser les offices et d’ailleurs la contrebande se répandra dans l’Orléanais, dans la Touraine et fera refluer les cordons d’archers sur ces provinces. Cependant le comité des finances a pensé qu’il fallait accepter la proposition de l’Anjou et légitimer par un décret de l’Assemblée nationale la délibération tumultueuse de la province. Je vais donner lecture du décret que nous vous proposons. Décret. Art. 1er. Le pouvoir exécutif cet autorisé à accepter le remplacement de l’impôt du sel, proposé par la plupart des communautés de l’Anjou, a raison de 60 livres par minot, sans qu’il soit fait aucune délivrance de sel. Art. 2. Le remplacement de cet impôt ne pourra être cependant pour la province, moindre de 1,600,000 livres par années, 800,000 livres pour six mois, ainsi de suite, jusqu’à ce que la gabelle soit supprimée. Art. 3. La répartition des sommes sera faite par l’administration de la province, sans distinction de personnes et à raison des facultés. Art. 4. Les contestations qui seront relatives aux rôles seront portées devant les tribunaux qui connaissent de l’impôt. Art. 5. La perception sera faite tous les mois et le versement au Trésor royal se fera également tous les mois. Art. 6. Les sommes qui auront été versées dans les caisses particulières seront nécessairement versées dans les caisses respectives. M. le marquis de Ferrières. Je déclare que la sénéchaussée de Saumur n’a pas adhéré aux réclamations de la province d’Anjou parce que la contribution a été portée à un chiffre trop élevé, attendu que l’abolition du régime actuel des gabelles procurera une économie dont les contribuables doivent profiter. M. Lebrun produit un tableau des opérations du comité des finances à l’aide duquel il établit que les frais de perception ont été distraits de la somme à laquelle l’Anjou va être assujetti. M. Dupont établit par des calculs économiques, qu’il appelle arithmétique politique, qu’il est de la justice de fixer le prix du sel à 51 livres le quin-